👁🗨 Condamnez-vous Israël ?
L'Occident se pose en bloc de nations blanches s’imposant à la moitié sud du globe. Abu`Ubayda, [Hamas] pourrait être élu dans n'importe quel pays arabe. Et c'est vous qui avez créé cette situation.
👁🗨 Condamnez-vous Israël ?
Par As`ad AbuKhalil*, Special Consortium News , le 1er novembre 2023
L'auteur confronte les dirigeants et les médias occidentaux à l'ignorance, au racisme et au mépris des souffrances des Arabes dans la région du Moyen-Orient.
Il est désormais devenu courant pour les Arabes invités à participer à des émissions d'information télévisées occidentales de se voir demander d'emblée de condamner tel ou tel acte qu'Israël qualifie de terroriste.
Lorsque je suis arrivé aux États-Unis en 1983, c'était déjà une pratique normale. Mais à l'époque, les “terroristes” palestiniens étaient laïques : la propagande médiatique parlait donc des dangereuses connexions communistes de l'Organisation de libération de la Palestine.
Les islamistes étaient alors traités avec bienveillance, voire avec admiration. Ils étaient du côté des États-Unis pendant la guerre froide et les États-Unis et l'Arabie saoudite ont recruté parmi eux pour la guerre en Afghanistan.
Dans les années 80, la menace “terroriste” venait du Liban. Lorsque je suis intervenu sur les grandes chaînes (peu après mon arrivée à Washington), on m'a constamment demandé de condamner tel ou tel attentat au Liban ou en Palestine.
Au début, j'ai obtempéré, puis j'ai commencé à réfléchir aux implications d'un tel rituel. Vous n'obtenez pas de siège (symbolique au mieux) autour de la table si vous ne condamnez pas, et ce conformément aux définitions israéliennes du terrorisme et de la moralité.
Dans les années 1980, on a également demandé aux Arabes s'ils reconnaissaient l'État d'Israël. Qu'est-ce que cela signifie ? Disons que vous êtes un Palestinien né à Haïfa ou à Jaffa. Si vous reconnaissez l'État d'Israël, vous reconnaissez en fait la légitimité de la confiscation de votre maison et de l'expulsion forcée de vos parents et grands-parents de Palestine.
Si un Arabe devait reconnaître l'État d'Israël, il ou elle accepterait l'inégalité raciste fondamentale sur laquelle l'État d'Israël a été fondé.
Et que se passe-t-il si vous êtes une personne laïque qui n'accepte pas un État musulman, juif ou chrétien ? En Occident, on peut s'opposer (on est même censé s'opposer) au régime islamique iranien d'un point de vue laïque, mais on est considéré comme antisémite si l'on s'oppose à l'identité religieuse de l'État d'Israël.
Même les critiques “excessives” à l'égard d'Israël sont qualifiées d'antisémites (si l'on se réfère à la définition du département d'État).
En revanche, les critiques “excessives” à l'égard de l'Iran ou de l'Arabie saoudite ne sont pas considérées comme de l'islamophobie. Il est clair que des normes spéciales sont appliquées à Israël pour le protéger de la critique et de la discrimination, tandis que des normes spéciales sont appliquées au peuple palestinien pour l'empêcher de s'opposer à Israël, militairement ou même pacifiquement (le mouvement BDS [Boycott Désinvestissement Sanctions : Boycott de l'Etat d'Israël en tant qu'occupant et colonisateur] est désormais illégal, ou vivement combattu, par plus de 35 Etats américains).
Pour l'Occident, les Palestiniens doivent bénéficier de l'occupation israélienne pour prouver leur appartenance à l’espèce humaine.
Ces dernières semaines, j'ai vu des invités arabes apparaître dans des émissions d'information télévisées occidentales, et on leur a invariablement posé la même question. Condamnez-vous le Hamas ? Condamnez-vous l'attentat ? Pensez-vous que le Hamas doit être éliminé, oui, non ?
(Il serait difficile d'expliquer à ces animateurs de télévision que ce mouvement - qu'on l'aime ou qu'on le déteste - a obtenu le soutien d'au moins la moitié du peuple palestinien). Je me suis projeté dans ce fauteuil, et j'ai imaginé à mes réponses à ces questions absurdes.
Renverser la vapeur
Je répondrais comme suit : À quel titre me posez-vous cette question ? Comment le journaliste que vous êtes est-il devenu mon juge ou mon ministre ? Et pourquoi me traitez-vous comme un accusé devant une cour de justice, et non comme l'invité d'un studio de télévision ?
Par ailleurs, pourquoi vous sentez-vous moralement supérieur pour décider de la manière dont je peux prouver ma valeur en tant qu'être humain ? Pourquoi ma citoyenneté dépend-elle de la bonne réponse à la question, simplement en raison de mon origine ethnique arabe ?
Et pourquoi la qualité d'être humain d'une personne née en Israël ne dépend-elle pas de la condamnation, non pas d'une attaque, mais d'une série de crimes de guerre commis depuis le jour où Israël a été créé sur un territoire palestinien déjà existant et prospère ?
En fait, je dois vous renvoyer la balle. Et je vous pose la question suivante : étant donné qu'Israël a tué des Palestiniens au rythme d'au moins un par jour rien que l'année dernière, avez-vous condamné ces meurtres au quotidien ? Si vous avez condamné ces meurtres, je vous considérerai comme moralement qualifié pour exiger de moi cette épreuve de vérité. Si, en revanche, vous n'avez pas condamné chacun de ces meurtres, je vous considérerai comme moralement défaillant et absolument non qualifié pour poser des questions au titre d'humain moralement supérieur dans cette émission.
En fait, je suis plus habilité à vous poser cette question. C'est moi qui juge, pas vous. Je suis une victime des crimes de guerre israéliens qui a grandi sous les bombardements israéliens hebdomadaires au Liban (contre des Palestiniens et des Libanais, des civils et des combattants, avec très peu de considération pour les distinctions puisque les bombardements israéliens étaient pratiquement non sélectifs).
Il faudrait que je vienne aux États-Unis pour vous demander des comptes sur votre soutien militaire et financier officiel aux crimes de guerre israéliens commis à mon encontre. Moi qui ai survécu de justesse à l'invasion israélienne de 1982 et au siège sauvage de Beyrouth qui en a résulté, je refuse qu'on me demande de condamner quoi que ce soit de la part de qui que ce soit, en particulier d'un Occidental travaillant pour un média spécialisé dans l'apologie des crimes de guerre israéliens.
Demander des comptes à l'Occident
C'est vous, en Occident, qui devriez être tenus pour responsables et contraints de proposer les rites de condamnation alors que les crimes de guerre israéliens se sont poursuivis sans relâche, avec la pleine bénédiction de l'Occident, depuis la création de l'État.
[Lire aussi : Craig Murray : Condamnation].
En fait, la violence de masse israélienne contre les Arabes a commencé dès les années 1890, selon le récit du leader du sionisme culturel, Ahad Ha'am, qui a reproché aux colons sionistes de Palestine de maltraiter et d'abuser des Arabes, et les considérer comme des animaux.
Je dois vous interroger, vous tous les médias occidentaux, sur votre responsabilité criminelle pour avoir abordé les événements du Moyen-Orient avec ignorance et racisme, pour avoir négligé et déformé les points de vue arabes, et pour avoir fermé les yeux sur leurs souffrances. Que les médias et les gouvernements occidentaux n'accordent pas la même valeur aux vies humaines des Arabes et des Israéliens n'a pas besoin d'être prouvé. C'est trop évident pour avoir besoin d'être documenté.
Vous nous invitez, nous les Arabes, dans vos émissions et commencez à nous bombarder au nom de l'État d'Israël à peine sommes-nous assis.
Nous rions de votre subjectivité. Votre pseudo objectivité est une astuce appliquée aux médias des pays en développement pour les forcer à adhérer à vos normes politiques. Elle permet également aux puissances occidentales d'imposer un système hégémonique d'idées, en particulier en temps de guerre et d'occupation (leurs guerres et leurs occupations).
En ce qui concerne notre dénonciation, je vous condamne tous pour votre racisme, vos normes journalistiques non respectueuses de la profession, et votre diffusion de propagande au nom des médias occidentaux modernes.
La plupart des médias occidentaux publient aujourd'hui de longs articles basés sur des affirmations non vérifiées de sources militaires israéliennes ; il en va de même pour la couverture des événements en Ukraine, basée sur des sources militaires ukrainiennes et occidentales. Ils insèrent souvent une clause de non-responsabilité indiquant que les informations contenues n'ont pas été vérifiées.
Mais ces pays occidentaux n'enseignent-ils pas dans leurs écoles de journalisme que des informations non authentifiées ne peuvent être publiées ? Les affirmations militaires ou politiques arabes non vérifiées ne sont jamais publiées à moins d'être vérifiées ou réfutées par les armées d'Israël et de l'OTAN.
Ce que le monde peut voir
La seule chose qui ressortira de cette affaire, c'est que les personnes de couleur du monde entier constateront par elles-mêmes à quel point la race et l'appartenance ethnique jouent un rôle majeur dans l'élaboration des politiques étrangères des pays occidentaux. Jamais la hiérarchie des valeurs attribuées à la vie humaine n'a été aussi criante.
Les Arabes et les musulmans ont constaté que non seulement leur vie ne compte pas pour les Occidentaux, mais que leur statut dans les pays occidentaux est inférieur et ne fera que se dégrader avec la montée des partis d'extrême droite et l'adoption d'un programme d'immigration d'extrême droite par les principaux partis de centre et de gauche en Europe.
L'Occident n'a pas été en mesure d'évaluer les effets du massacre de Gaza sur ses relations avec l'Orient, l'Afrique, l'Asie et l'Amérique du Sud.
L'Occident se comporte comme un bloc monolithique de nations chrétiennes blanches déterminées à imposer leur volonté à la moitié sud du globe. Et lorsque la Chine sollicite l'aide des nations du Sud sans exiger de concessions politiques humiliantes, l'Occident a l'audace de dénoncer les arrière-pensées qu'elle nourrit à leur égard.
Les mondes arabe et musulman sont de plus en plus radicalisés, et l'Occident, en réaction aux attaques israéliennes sur Gaza, a rendu le Hamas plus populaire que jamais. Même ceux qui avaient l'habitude de critiquer le Hamas ont désormais du mal à le faire. Le journaliste jordanien Bassam Baddarin a fait remarquer qu'Abu `Ubayda (le porte-parole de l'aile militaire du Hamas) pourrait être élu dans n'importe quel pays arabe.
C'est vous qui avez créé cette situation.
* As`ad AbuKhalil est un professeur libano-américain de sciences politiques à l'université d'État de Californie, Stanislaus. Il est l'auteur du “Dictionnaire historique du Liban” (1998), de “Ben Laden, Islam and America's New War on Terrorism” (2002), de “The Battle for Saudi Arabia” (2004) et dirige le blog populaire “The Angry Arab”. Il tweete sous le nom de @asadabukhalil
Les opinions exprimées sont uniquement celles de l'auteur et peuvent ou non refléter celles de Consortium News.
https://consortiumnews.com/2023/11/01/asad-abukhalil-do-you-condemn-israel/