đâđš ConquĂȘte, Guerre, Famine & Mort
Aucun programme d'aide humanitaire Ă Gaza n'est possible Ă court terme sans le partenariat total de l'UNRWA. Toute autre initiative n'est qu'un stratagĂšme de relations publiques.
đâđš ConquĂȘte, Guerre, Famine & Mort
Par Vijay Prashad*, Tricontinental : Institute for Social Research, le 18 mars 2024
Les quatre cavaliers de l'apocalypse dĂ©crits dans le livre de la Bible - conquĂȘte, guerre, famine et mort - galopent dĂ©sormais d'un bout Ă l'autre de la bande de Gaza.
Le commissaire général de l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), Philippe Lazzarini, a présenté son rapport alarmant sur la situation à Gaza (Palestine) à l'Assemblée générale des Nations unies le 4 mars.
En 150 jours seulement, les forces israéliennes ont tué plus de 30 000 Palestiniens, dont prÚs de la moitié sont des enfants. Ceux qui ont survécu continuent à faire face aux attaques d'Israël et sont affligés par les traumatismes de la guerre.
âLa faim est partoutâ, a dĂ©clarĂ© M. Lazzarini.
âUne famine provoquĂ©e par l'homme se profile Ă l'horizon. Quelques jours aprĂšs que M. Lazzarini eut dressĂ© ce constat brutal, le ministĂšre de la santĂ© de Gaza a rapportĂ© que les niveaux de malnutrition infantile dans la partie nord de la bande Ă©taient âparticuliĂšrement extrĂȘmesââ.
Le coordinateur humanitaire des Nations unies pour la Palestine, Jamie McGoldrick, a dĂ©clarĂ© que âla faim a atteint des niveaux catastrophiquesâ et que âdes enfants meurent de faimâ.
Ă la fin de la premiĂšre semaine de mars, au moins 20 enfants Ă©taient morts de faim. Parmi eux, Yazan al-Kafarna, 10 ans, de Beit Hanoun (nord de Gaza), est mort Ă Rafah (sud de Gaza) le jour mĂȘme de l'intervention de M. Lazzarini Ă l'ONU.
L'image du corps décharné de Yazan a déchiré la conscience déjà meurtrie de notre monde. Les témoignages les plus terribles s'accumulent sur les décombres laissés par les bombardements israéliens.
Le docteur Mohammed Salha, de l'hĂŽpital Al-Awda oĂč Yazan est mort, affirme que de nombreuses femmes enceintes souffrant de malnutrition ont donnĂ© naissance Ă des fĆtus mort-nĂ©s, ou ont dĂ» ĂȘtre opĂ©rĂ©es par cĂ©sarienne pour les Ă©vacuer - sans anesthĂ©sie.
Et pas de cessez-le-feu Ă l'horizon.
Il n'y a pas non plus d'engagement rĂ©el pour acheminer de l'aide Ă Gaza, en particulier dans le nord, oĂč la faim a fait le plus de victimes.
Le 28 février, Carl Skau, directeur exécutif adjoint du Programme alimentaire mondial des Nations unies, a déclaré au Conseil de sécurité qu'il y avait
âune rĂ©elle perspective de famine [dans le nord de Gaza] d'ici mai, avec plus de 500 000 personnes en danger si on laisse la menace se concrĂ©tiserâ.
Environ 155 camions d'aide entrent chaque jour dans la bande de Gaza - bien en deçà de la capacité de 500 camions par jour au checkpoint - et seuls quelques-uns atteignent le nord de la bande de Gaza.
Les soldats israĂ©liens ont Ă©tĂ© impitoyables. Le 29 fĂ©vrier, alors que les camions d'aide arrivaient au rond-point Al-Nabulsi (Ă la limite sud-ouest de la ville de Gaza, dans le nord de lâenclave) et que des gazaouis dĂ©sespĂ©rĂ©es se prĂ©cipitaient vers eux, les troupes israĂ©liennes ont ouvert le feu et tuĂ© au moins 118 civils non armĂ©s. Cet Ă©vĂ©nement est dĂ©sormais connu sous le nom de âmassacre de la farineâ.
Les largages aériens de vivres sont non seulement insuffisants en termes de quantité, mais ils ont également provoqué des drames, certains colis ayant atterri dans la mer Méditerranée et d'autres ayant écrasé mortellement au moins cinq personnes.
Comme sorti de nulle part, le prĂ©sident amĂ©ricain Joe Biden a annoncĂ© dans son discours sur l'Ă©tat de l'Union, le 7 mars, que son pays construirait une âjetĂ©e provisoireâ dans le sud de Gaza pour faciliter l'acheminement de l'aide par la mer.
Les raisons de cette décision, passées sous silence par Joe Biden, sont pourtant claires : Israël ne permet pas au strict minimum d'aide humanitaire de passer par les points de passage terrestres, a détruit le port de Gaza le 10 octobre dernier, et a pulvérisé l'aéroport de Gaza à Dahaniya en 2006.
Cette dĂ©cision ne tombe certainement pas du ciel. Elle intervient Ă©galement en pleine campagne pour que les dĂ©mocrates amĂ©ricains s'abstiennent de voter lors des primaires en cours, afin d'indiquer clairement que la complicitĂ© des Ătats-Unis dans le gĂ©nocide aura un impact nĂ©gatif sur les tentatives de rĂ©Ă©lection de M. Biden.
MĂȘme si un pain vaut mieux que rien, ce pain arrivera Ă Gaza recouvert de sang.
[Voir : Biden's Pier-for-Gaza Is Hollow Gesture (anglais)]
La dĂ©claration de M. Biden est Ă©galement vide de sens. Une fois l'aide arrivĂ©e Ă cette âjetĂ©e temporaireâ, comment sera-t-elle distribuĂ©e ? Les principales institutions de Gaza susceptibles de distribuer de l'aide Ă grande Ă©chelle sont l'UNRWA - qui n'est plus financĂ©e par la plupart des pays occidentaux - et le gouvernement palestinien dirigĂ© par le Hamas - que les pays occidentaux ont dĂ©cidĂ© d'anĂ©antir.
Puisque ni l'un ni l'autre ne sera en mesure de distribuer l'aide humanitaire sur le terrain (et, comme l'a dit M. Biden, âpas une seule botte amĂ©ricaine ne foulera le territoireâ), qu'adviendra-t-il de l'aide ?
L'UNRWA Ćuvre depuis la rĂ©solution 302 (IV) des Nations unies, adoptĂ©e en 1949. Il est depuis la principale organisation d'aide aux rĂ©fugiĂ©s palestiniens (qui Ă©taient 750 000 lorsque l'UNRWA a commencĂ© ses opĂ©rations et qui sont aujourd'hui 5,9 millions).
Le mandat de l'UNRWA est prĂ©cis : il doit assurer le bien-ĂȘtre des Palestiniens, mais son intervention ne peut consister Ă les installer de maniĂšre permanente hors de leur foyer. En effet, la rĂ©solution 194 des Nations unies accorde aux Palestiniens le âdroit au retourâ dans les maisons dont ils ont Ă©tĂ© chassĂ©s par l'Ătat israĂ©lien.
Bien que l'UNRWA travaille principalement dans le domaine de l'éducation (deux tiers de ses 30 000 employés travaillent pour les écoles de l'UNRWA), c'est aussi l'organisation la mieux équipée pour gérer la distribution de l'aide.
L'Occident a acceptĂ© la crĂ©ation de l'UNRWA, non pas parce qu'il se prĂ©occupait spĂ©cialement des Palestiniens, mais parce que - comme l'a notĂ© le DĂ©partement d'Ătat amĂ©ricain en 1949 -
âles troubles et le dĂ©sespoir constitueraient un foyer des plus fertiles pour l'implantation du communismeâ.
C'est pourquoi l'Occident a financĂ© l'UNRWA (mĂȘme si, depuis 1966, cette aide est assortie de restrictions sĂ©vĂšres). Au dĂ©but de l'annĂ©e 2024, la plupart des pays occidentaux ont supprimĂ© leur financement Ă l'UNRWA, suite Ă une accusation - non corroborĂ©e - liant des employĂ©s de l'UNRWA Ă l'attentat du 7 octobre.
Bien que l'on ait récemment appris que l'armée israélienne a torturé des employés de l'UNRWA, par exemple en les soumettant à des simulations de noyade et en les battant, et qu'elle les a contraints à faire des aveux, la plupart des pays qui ont supprimé leur financement pour cette raison ne l'ont pas rétabli.
Le Canada, la SuÚde et l'Australie sont les seuls pays à avoir récemment rétabli leur financement. [L'UE a annoncé le 1er mars qu'elle rétablirait et ajouterait des fonds d'urgence. La Belgique, la France, l'Irlande, la NorvÚge, la Slovénie et l'Espagne n'ont quant à elles jamais suspendu leur aide].
Entre-temps, plusieurs pays du Sud, le BrĂ©sil en tĂȘte, ont augmentĂ© leurs contributions.
Filippo Grandi, le haut-commissaire des Nations unies pour les rĂ©fugiĂ©s qui a dirigĂ© l'UNRWA de 2010 Ă 2014, a rĂ©cemment dĂ©clarĂ© que si âl'UNRWA n'est pas autorisĂ© Ă travailler, ou est dĂ©ficitaire, je vois difficilement qui pourrait se substituer Ă [lui].â
Aucun programme d'aide humanitaire pour les Palestiniens de Gaza n'est possible Ă court terme sans le partenariat total de l'UNRWA. Toute autre solution n'est qu'un simulacre de relations publiques.
En lisant l'article sur la famine à Gaza, je me suis souvenu d'un poÚme écrit par Wislawa Szymborska (1923-2012) sur le camp de concentration de Szebnie à Jaslo (sud de la Pologne), qui a accueilli des Juifs polonais, des Roms et des prisonniers de guerre soviétiques de 1941 jusqu'à la libération du camp par l'Armée rouge en septembre 1944.
Les nazis ont infligĂ© Ă Szebnie des violences atroces et barbares, en particulier Ă l'encontre des milliers de Juifs qui y ont Ă©tĂ© exĂ©cutĂ©s en masse. Le poĂšme de Szymborska, âFamine au camp prĂšs de Jasloâ (1962), Ă©voque sans dĂ©tour la misĂšre qui l'entoure, ainsi que le dĂ©sir d'humanitĂ© auquel elle aspire.
Ăcrivez. Ăcrivez. Avec de l'encre ordinaire
sur du papier ordinaire : on ne leur a pas donné à manger,
ils sont tous morts de faim. Tous. Combien ?
C'est une grande plaine. Quelle quantité d'herbe
par tĂȘte ? Ăcrivez : Je ne sais pas.
L'histoire arrondit les squelettes à zéro.
Mille et un ne sont toujours que mille.
Celui-ci semble n'avoir jamais existé :
un fĆtus imaginaire, un berceau vide,
un abécédaire qui ne s'ouvre pour personne,
de l'air pour rire, pleurer et grandir,
des escaliers de vide s'élançant vers le jardin,
de la place pour personne dans les rangs.
C'est ici, sur cette prairie, qu'il s'est fait chair.
Mais la prairie est silencieuse, comme un témoin soudoyé.
EnsoleillĂ©e. Verte. Une forĂȘt toute proche,
du bois Ă mastiquer, des gouttes sous l'Ă©corce Ă boire -
une vue partagée à toute heure du jour et de la nuit,
jusqu'Ă en devenir aveugle. LĂ -haut, un oiseau
dont la silhouette faisait bruisser les ailes nourriciĂšres
sur leurs lĂšvres. Les mĂąchoires tombaient,
les dents claquaient.
La nuit, une serpe scintillait dans le ciel
et moissonnait l'obscuritĂ© pour des pains rĂȘvĂ©s.
Des mains jaillissaient des icĂŽnes obscurcies,
tenant chacune un calice vide.
Un homme se balançait
sur un grillage de fil de fer barbelé.
Certains ont chanté, de la terre dans la bouche. Cette belle chanson
sur la guerre qui vous frappe en plein cĆur.
Ăcrivez le silence !
Oui.
Les peintures et photographies de cet article ont été créées par des artistes palestiniens tués à Gaza pendant le génocide israélien. Ils sont morts, mais nous devons vivre pour raconter leurs histoires.
* Vijay Prashad est un historien, Ă©diteur & journaliste indien. Il est rĂ©dacteur et correspondant en chef de Globetrotter. Il est Ă©diteur de LeftWord Books et directeur de âTricontinental : Institute for Social Researchâ. Il est senior non-resident fellow au Chongyang Institute for Financial Studies, Renmin University of China. Il a Ă©crit plus de 20 livres, dont âThe Darker Nationsâ et âThe Poorer Nationsâ. Ses derniers ouvrages sont âStruggle Makes Us Human : Learning from Movements for Socialismâ et, avec Noam Chomsky, âThe Withdrawal : Iraq, Libya, Afghanistan and the Fragility of U.S. Powerâ.
https://consortiumnews.com/2024/03/18/conquest-war-famine-death/