👁🗨 Craig Murray : Le jour où Ellsberg a témoigné pour Assange
Lors de l'audience d'extradition d'Assange, Ellsberg s'est battu contre la diabolisation puis la criminalisation de la publication par WikiLeaks des données de Manning, à l'instar des Pentagon Papers.
👁🗨 Le jour où Ellsberg a témoigné pour Assange
Par Craig Murray, CraigMurray.org.uk, le 23 juin 2023
Les nécrologies massives consacrées à Daniel Ellsberg le week-end dernier dans le New York Times et le Washington Post témoignent de son statut aux États-Unis.
Seuls les présidents ont droit à une nécrologie si massive.
Son nom n'était pas aussi connu au Royaume-Uni.
J'ai rencontré Dan pour la première fois le 3 mai 2006 lors d'une présentation commune à Berkeley. La salle immense était pleine à craquer et, à ma grande surprise, de jeunes étudiants faisaient la queue à l'extérieur et s'efforçaient d'écouter des escaliers via les portes ouvertes.
La grande majorité de l'auditoire n'était même pas née lorsque Dan a divulgué les Pentagon Papers en 1971. Mais son statut de star a perduré.
Je me souviens de la date, car nous sommes allés ensuite à un merveilleux dîner dans sa maison californienne, le tout arrosé d'un excellent vin. Nous avons discuté jusque tard dans la nuit, et il m'a dédicacé - et daté - un exemplaire de son livre Secrets, qui raconte son parcours de lanceur d’alerte concernant les mensonges qui ont permis à la guerre du Viêt Nam de se poursuivre.
Je relis son message, qui dit : "À Craig Murray - avec ma plus grande admiration pour les vérités que votre conscience a su révéler, avec l'espoir de devenir un ami".
En 2010, nous étions à nouveau ensemble sur scène à Londres, lors d'une conférence de presse de WikiLeaks à laquelle assistait un grand nombre de personnes, à l'occasion de la publication des journaux de guerre d'Irak. Nous avons remis ensemble le prix Sam Adams à Julian Assange.
C'est lors de cet événement que j'ai réalisé pour la première fois que quelque chose avait mal tourné dans la relation entre WikiLeaks et The Guardian.
Ils coopéraient étroitement, et j'avais moi-même publié de nombreux articles dans le Guardian au cours des quatre années précédentes. En arrivant à la conférence de presse, je suis tombé sur David Leigh, rédacteur en chef adjoint du Guardian, que je considérais comme un ami. Nous avions déjeuné ensemble plusieurs fois au cours des mois précédents.
J'ai dit "Bonjour, David", et il m'a simplement regardé fixement. Je pensais qu'il était perdu dans ses pensées ou qu'il ne m'avait pas reconnue. J'ai agité les mains devant ses yeux pour attirer son attention. Il m'a regardé fixement, a tourné les talons, et s'est éloigné.
Nouveau regard sur l'affaire
C'est à dater de ce jour que la couverture d'Assange par le Guardian a complètement changé et qu'il a été traité comme un ennemi juré - et que le Guardian est devenu le canal servile de la propagande des services de sécurité.
Pour moi, la destruction par le Guardian des disques durs de Snowden n'a donc pas été une surprise. J'avais déjà assisté à leur mutation. David Leigh ne m'a d'ailleurs plus jamais adressé la parole, et le Guardian a cessé d'accepter mes articles.
À l'époque de cette conférence de presse, la publication du livre de Leigh et Luke Harding sur Assange - qui a révélé l'emplacement et le mot de passe de la cache de Chelsea Manning - était prévue deux mois plus tard, il devait donc déjà être écrit.
La biographie d'Assange, qui valait des millions à l'apogée de sa célébrité, avait fait l'objet d'une énorme querelle entre eux. Julian avait décidé qu'il ne voulait finalement plus que les journalistes du Guardian soient impliqués, et je pense qu'une grande partie de l'amertume de la rupture était en grande partie due à de sordides questions d'argent.
Ce qui m'amène enfin à l'idée qui sous-tend cet article.
Dan Ellsberg a maintenu jusqu'au bout sa "respectabilité" dans la société en tant que "bon lanceur d’alerte".
Pourtant, la publication des documents de Chelsea Manning et d'autres, semblables à bien des égards aux Pentagon Papers d'Ellsberg, a été diabolisée, puis criminalisée, et Julian est devenu le "mauvais dénonciateur", ou plus exactement le mauvais éditeur des lanceurs d’alerte.
Dan Ellsberg rejette totalement cette caractérisation. Elle l'a exaspéré, et il l'a combattue activement, notamment lors de l'audience d'extradition de Julian, sur laquelle nous reviendrons plus loin.
Mais comment en est-on arrivé là ?
Pour moi, le point fondamental est que les États-Unis sont parvenus à un consensus sur le fait que la guerre du Viêt Nam avait été une terrible erreur. Elle a été menée dans l'intérêt du colonialisme, pour supprimer une nation, ce qui était en fin de compte impossible.
Le rejet de la guerre du Viêt Nam par l'establishment
Les États-Unis tee sont livrés à un rejet cathartique de la guerre du Viêt Nam, qui englobait la reconnaissance des atrocités perpétrées par leurs forces armées sur les populations civiles. La représentation de la guerre du Viêt Nam, à Hollywood, dans la fiction populaire ou dans les médias "respectables", l'a décrite sans détour comme une bavure et un déshonneur, et notamment souvent via un traitement burlesque.
Ce processus ne s’est jamais vraiment produit avec la guerre d'Irak. Bien qu'il soit désormais généralement admis que la guerre a été déclenchée sur la base de mensonges concernant les armes de destruction massive, un très grand nombre de membres de la classe politique - et probablement une majorité de députés, par exemple - n'acceptent pas que la guerre d'Irak ait été une erreur.
Les nombreuses atrocités commises par les troupes britanniques en Irak et en Afghanistan n'ont été ni acceptées, ni assimilées.
À Oslo la semaine dernière, Jeremy Corbyn m'a dit que, lorsqu'il s'est levé en tant que chef du parti travailliste pour formuler des "excuses" au sujet de la guerre en Irak, il était tout à fait conscient qu'il n'avait pas le soutien de la grande majorité de ses propres députés.
Il est extraordinaire de constater le nombre de politiciens et de "journalistes" influents qui défendent l'idée que la guerre d'Irak était justifiée parce qu'elle a sauvé le peuple irakien des griffes d'un épouvantable dictateur. Elle a tué ou mutilé des millions de personnes, en a déplacé des millions d'autres, a fait reculer toute l'infrastructure de 40 ans, a détruit l'économie et a déclenché une guerre civile sans fin, mais pourtant les adeptes de l'"intervention libérale" considèrent que ces événements en valaient bien la peine.
Bien entendu, on peut dire la même chose de la Libye ou de l'Afghanistan, ou des guerres organisées par l'Arabie saoudite et soutenues par l'Occident en Syrie ou au Yémen. Non seulement ces pays ont été complètement dévastés, mais la crise massive des réfugiés qui en résulte a déstabilisé l'Europe sur le plan politique.
Pourtant, étonnamment, il n'y a pas de consensus au sein de l'establishment pour reconnaître que les attaques contre le Moyen-Orient et l'Asie centrale ont été une terrible erreur, de la même manière que le Vietnam a été considéré comme une terrible erreur. La doctrine de l’”intervention libérale" reste profondément ancrée au sein de la classe politique et des médias.
L'"intervention libérale", ce n'est rien d'autre que de l'"impérialisme". Le principe selon lequel les peuples non européens se porteraient mieux si leurs dirigeants étaient chassés et remplacés par des marionnettes mandatées par l'Occident est précisément la façon dont l'Empire britannique a fonctionné. La justification est toujours la même : ce n'est jamais que pour le bien des peuples conquis.
La raison pour laquelle Dan Ellsberg a accédé au statut de héros populaire que n'ont ni Assange, ni Snowden, ni Manning est que le Vietnam est pleinement accepté par l'establishment comme un échec, alors que les invasions, les interventions et la surveillance de masse de la population au XXIe siècle sont considérées comme "justifiées".
Lors de l'audition d'Assange, l'avocat du gouvernement américain a ouvertement déclaré que le New York Times aurait pu être poursuivi en vertu de l'Espionage Act pour la publication des Pentagon Papers, mais que l'exécutif américain avait choisi de ne pas le faire. [ConsortiumNews : L'accusation a menti, car le ministère de la Justice de Nixon a effectivement constitué un grand jury à Boston pour inculper les journalistes du New York Times. La procédure s'est toutefois effondrée quand on a appris que le FBI avait mis le téléphone d'Ellsberg sur écoute, y compris ses conversations avec les journalistes].
6:30 A.M. Les preuves par lien vidéo
Parlons un peu de Daniel Ellsberg.
À l'âge de 89 ans, Dan a témoigné par liaison vidéo lors de l'audience d'extradition d'Assange. Le tribunal avait prévu son témoignage à 14h30, ce qui correspondait à 6h30 pour Dan en Californie.
La défense a demandé que la déposition commence plus tard dans l'après-midi, compte tenu de l'âge de Dan et de l'heure. Le tribunal a refusé.
Ensuite, prenez en compte ce point. Le tribunal n'avait envoyé la "masse de documents" à Ellsberg que la veille, ce qui lui laissait moins de 24 heures pour lire 600 pages de documentation, avant de se lever à 5 h 30 et de se préparer à témoigner et à être soumis à un contre-interrogatoire.
Tout cela à un homme de 89 ans.
Voici le récit que j'ai fait, en tant que témoin oculaire, du témoignage suivant d'Ellsberg. Je ne peux pas faire mieux pour vous donner une idée de l'homme.
En le relisant, je suis toujours aussi admiratif :
L'après-midi, c'est Dan Ellsberg, le doyen des lanceurs d'alerte, qui a témoigné. Né à Chicago en 1931, il a fait ses études à Harvard et à Cambridge. Il a servi dans les Marines de 1954 à 1979 et a été assistant spécial du secrétaire américain à la défense de 1964 à 1965. Il a ensuite participé à l'élaboration d'un rapport officiel classifié en 47 volumes intitulé "History of Decision Making in Vietnam".
Ellsberg a brièvement expliqué que ce rapport démontrait que la guerre du Viêt Nam avait été poursuivie alors même que les autorités savaient qu'elle ne pouvait pas être gagnée. Il a prouvé que l'on avait à plusieurs reprises dupé l'opinion publique et le Congrès. Il a divulgué le rapport aux législateurs, puis au public sous le nom de "Pentagon Papers". Cela a donné lieu à la célèbre affaire sur la restriction préalable à la publication. Une procédure pénale moins médiatisée a également été engagée contre lui en vertu de l'Espionage Act (loi sur l'espionnage). Cette affaire a été rejetée par la Cour au motif qu'elle était préjudiciable.
Interrogé par Edward Fitzgerald QC (avocat d'Assange) sur la publication de WikiLeaks/Manning sur l'Afghanistan, Ellsberg a répondu qu'il y voyait des parallèles extrêmement frappants avec son propre cas. Ces documents ont permis d'informer le grand public de l'évolution de la guerre et de la faible probabilité qu'elle aboutisse à une conclusion positive. Les documents des journaux de guerre afghans présentaient des informations opérationnelles, et non une vue d'ensemble, mais l'effet était similaire. Il s'est fortement identifié à la fois à la source (Manning) et au processus de publication.
Fitzgerald a ensuite demandé à Ellsberg si Assange nourrissait des opinions politiques en rapport avec cette publication. Ellsberg a répondu qu'il était absurde pour l'accusation de soutenir le contraire. Il avait lui-même été motivé par ses opinions politiques dans sa publication et les opinions d'Assange étaient très similaires. Il a eu des discussions très intéressantes avec Assange, avec qui il a ressenti une grande affinité. Ils pensaient tous deux qu'il y avait un grand manque de transparence à l'égard du public dans les décisions gouvernementales. Le public est abreuvé de fake news.
Lorsque le public dispose de si peu d'informations authentiques, et qu'il est gavé d'autant de désinformation, il n'existe pas de véritable démocratie. La guerre d'Irak en est un exemple : il s'agissait manifestement d'une guerre d'agression illégale, en violation de la charte des Nations unies, vendue au public sur la base de mensonges.
Les documents du journal de la guerre d'Afghanistan étaient similaires aux rapports mineurs qu'Ellsberg avait lui-même rédigés au Viêt Nam. Il s'agissait exactement du même scénario : l'invasion et l'occupation d'un pays étranger contre la volonté de la majorité de sa population. Cela ne pouvait qu'aboutir à une défaite ou à un conflit sans fin : 19 ans jusqu'à présent. Les journaux de guerre ont mis en évidence un ensemble de crimes de guerre : torture, assassinats et escadrons de la mort. La seule chose qui ait changé depuis le Viêt Nam, c'est que ces actes sont désormais tellement normalisés qu'ils ne sont même plus classés "Top Secret".
Tous les "Pentagon Papers" étaient classés "Top Secret". Aucun des documents de WikiLeaks ne l'était. Ils n'étaient pas seulement classés en deçà du niveau Top Secret, sans classification de distribution restreinte. Cela signifie que, par définition, aucun de ces documents n’était véritablement sensible, et ne représentait certainement aucun danger pour la vie des divers acteurs.
Fitzgerald l'a interrogé sur la vidéo Collateral Murder. Ellsberg a déclaré qu'elle montrait bel et bien un meurtre, y compris le mitraillage délibéré d'un civil blessé et désarmé. Il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'un meurtre. Le terme douteux était "collateral", impliquant la notion d’accident. Ce qui est vraiment choquant, c'est la réaction du Pentagone, qui a déclaré que ces crimes de guerre étaient conformes aux règles d'engagement, ce qui autorisait donc le meurtre.
Edward Fitzgerald a demandé si Ellsberg avait été autorisé à poser la question de l'intention lors de son procès. Il a répondu par la négative : la distribution de matériel classifié en dehors des personnes habilitées à les consulter est un délit de responsabilité stricte en vertu de l’Espionage de 1917. Ce qui ne justifie absolument pas les procès de lanceurs d’alerte. "Je n'ai pas bénéficié d'un procès équitable, pas plus que les récents lanceurs d'alerte aux États-Unis. Julian Assange n'a pas pu bénéficier d'un procès équitable".
Lors du contre-interrogatoire du gouvernement américain, James Lewis QC a demandé à Ellsberg de confirmer qu'à l'époque où il a photocopié les Pentagon Papers, il travaillait pour la Rand Corporation. Il a répondu par l'affirmative. Lewis a déclaré qu'Assange n'était pas poursuivi pour la publication de la vidéo Collateral Murder. Ellsberg a déclaré que la vidéo Collateral Murder était essentielle à la compréhension des règles d'engagement. Lewis a rétorqué qu'Assange n'était pas poursuivi pour la publication des règles d'engagement. Il n'est accusé que d'avoir publié les noms non expurgés de personnes susceptibles de subir des préjudices.
Ellsberg a répondu qu'il avait lu le nouvel acte d'accusation, et qu'Assange était accusé d'avoir obtenu, reçu et possédé des données, y compris les règles d'engagement & la vidéo Collateral Murder, ainsi que tous les autres documents. Lors de la publication, il n'a été inculpé que pour les noms non expurgés. Lewis a déclaré que les autres accusations concernaient la conspiration avec Chelsea Manning. Ellsberg a répondu : "Oui, ce ne sont que des accusations".
Lewis a cité le procureur adjoint Gordon Kromberg, qui a déclaré que les poursuites concernaient en fait des données de niveau "secret" contenant les noms de personnes "qui ont risqué leur vie et leur liberté en aidant les États-Unis". Lewis a opposé cette déclaration à celle d'Ellsberg : "Lorsque vous avez publié les Pentagon Papers, vous avez fait très attention à ce que vous avez transmis aux médias." Ellsberg a répondu qu'il avait soustrait trois ou quatre dossiers afin de ne pas entraver les efforts diplomatiques visant à mettre fin à la guerre.
Lewis a suggéré qu'il avait protégé des individus. Ellsberg a répondu que non ; s'il avait publié ces documents, le gouvernement américain aurait pu s'en servir comme excuse pour mettre fin à la diplomatie et poursuivre la guerre. Lewis a demandé s'il y avait des noms dans les Pentagon Papers qui risquaient de leur porter préjudice. Ellsberg a répondu par l'affirmative. Dans un cas, le nom d'un agent clandestin de la C.I.A. impliqué dans l'assassinat par la C.I.A. d'un homme politique vietnamien de premier plan était cité. Il s'agissait d'un ami personnel d'Ellsberg, et Ellsberg avait bien réfléchi, mais ne l'avait pas mentionné.
Lewis a demandé à Ellsberg s'il avait lu l'article "Why Wikileaks is Not the Pentagon Papers" de Floyd Abrams, qui avait représenté le New York Times dans l'affaire des Pentagon Papers. Ellsberg répond qu'il a lu plusieurs articles de ce type écrits par Abrams. Il ne connaissait pas Abrams. Il n'avait été impliqué que dans l'affaire civile, pas dans l'affaire pénale. Il l'avait vu une fois, lors d'une cérémonie de remise de prix, longtemps après.
Lewis a ajouté qu'Abrams avait écrit qu'Ellsberg avait retenu quatre volumes, alors que "personne ne pouvait douter" qu'Assange les aurait tous publiés.
Ellsberg a répondu qu'il n'était pas d'accord, qu'Abrams n'avait jamais échangé un seul instant avec lui ou Assange. "Il a totalement ignoré mes motivations dans son article". La position qu'il expose est largement partagée par tous ceux pour qui critiquer Julian Assange, Chelsea Manning et Edward Snowden, revient à se faire passer pour des libéraux.
Ce qu'il écrit est tout simplement faux. Julian Assange a retenu 15 000 dossiers. Il a suivi un long et difficile processus de rédaction. Il a demandé l'aide du département d'État et du département de la défense pour les expurger. Je n'ai aucun doute sur le fait que Julian aurait retiré les volumes comme je l'ai fait, à ma place. Il n'avait pas l'intention de citer des noms.
Ellsberg a ajouté que, dix ans plus tard, le gouvernement américain n'a toujours pas été en mesure de citer le nom d'une seule personne ayant subi un préjudice du fait des publications de WikiLeaks. "J'ai été choqué que Kromberg se permette cette allégation sans fournir aucune preuve. Comme personne n'a été blessé, il est clair que le risque n'a jamais été élevé au point ils l'ont prétendu, comme l'indique d'ailleurs la classification des documents.”
"Ils ont dit exactement la même chose de moi. Ils ont dit que les agents de la CIA et ceux qui aidaient les États-Unis pourraient être menacés. Ils ont dit que j'aurais du sang sur les mains".
S'ensuit la "question" extraordinaire de James Lewis QC, autorisé à lire environ 11 paragraphes extraits de divers passages de l'une des déclarations sous serment décousues de Kromberg, dans laquelle ce dernier déclare qu'à la suite de la publication de WikiLeaks, certaines sources américaines ont dû quitter leur pays, se cacher ou changer de nom dans un certain nombre de pays, dont l'Afghanistan, l'Irak, l'Iran, la Syrie, la Libye, la Chine et l'Éthiopie.
Certaines personnes en Afghanistan et en Irak ont ensuite disparu. Les talibans ont déclaré publiquement que ceux qui coopéraient avec les forces américaines seraient tués. Un journaliste éthiopien a été contraint de fuir l'Éthiopie après avoir été cité comme source américaine. L'ambassade des États-Unis en Chine a signalé que des menaces avaient été proférées à l'encontre de certaines de ses sources chinoises. Des documents de WikiLeaks ont été retrouvés dans les possessions d'Oussama Ben Laden après qu'il a été abattu.
Lewis a alors lancé d'une voix furieuse : "Comment pouvez-vous honnêtement dire que personne n'a été blessé ?".
Ellsberg : “Je suis bien évidemment désolé que toutes ces personnes qui se sont senties en danger aient été perturbées, et c'est regrettable. Mais est-ce que l'une d'entre elles a réellement été blessée physiquement ? L'une d'entre elles a-t-elle réellement subi les conséquences physiques alléguées ?
Lewis : Vous dites qu'il est regrettable que des personnes aient été mises en danger. Êtes-vous d'avis que la publication des noms de ces personnes n'a causé aucun préjudice ?
Ellsberg : Les actions d'Assange contredisent catégoriquement l'idée qu'il a délibérément publié ces noms. Si des centaines de personnes avaient été lésées, cela irait à l'encontre de tout le bien apporté par la publication de ces informations. Rien ne prouve que ces personnes aient subi un préjudice réel.
Mais cela doit être replacé dans le contexte des politiques qu'Assange essayait de faire évoluer, à savoir des invasions qui ont entraîné 37 millions de réfugiés et 1 million de morts.
Il est évident que certaines personnes n'ont pas pu être retrouvées dans une guerre qui a tué un million de personnes et en a déplacé 37 millions. Le gouvernement fait preuve d'une grande hypocrisie en prétendant se préoccuper de ces personnes alors qu'il fait preuve globalement d'un grand mépris à l'égard de la vie des populations du Moyen-Orient. Il a même refusé d'aider à expurger les noms. Il s'agit ici d'un simulacre de compassion.
Lewis : Qu'en est-il des disparus ? N'est-il pas logique que certains aient été forcés de disparaître ou de fuir sous un autre nom ?
Ellsberg : Il ne me semble pas que ce petit pourcentage de personnes nommées qui ont pu être assassinées ou avoir fui puisse nécessairement être attribué à WikiLeaks, alors qu'elles font partie de plus d'un million de personnes assassinées et de 37 millions de fugitifs.
Lewis a ensuite demandé à Ellsberg s'il était vrai qu'il avait détenu une copie de sauvegarde cryptée des documents de Manning pour Assange. Ellsberg a répondu par l'affirmative, mais que la copie avait été détruite physiquement par la suite.
Lors du réexamen, Fitzgerald a rappelé à Ellsberg un passage de la déclaration sous serment de Kromberg, selon lequel le gouvernement américain ne pouvait attribuer avec certitude aucun décès aux documents de WikiLeaks. Ellsberg a répondu que c'était ce qu'il avait compris, et que cela avait été dit lors du procès Manning.
Ellsberg a été choqué. Tout cela s'apparentait à la question des armes de destruction massive irakiennes. Il avait d'abord été enclin à croire le gouvernement sur les ADM irakiennes, tout comme il avait d'abord été enclin à croire le gouvernement concernant les décès entraînés par les publications de WikiLeaks. Dans les deux cas, il s'est avéré qu'il s'agissait d'une invention.
J'espère que cela vous donne une idée de la stature intellectuelle et morale et de l'incroyable résilience de mon ami Daniel Ellsberg. Je n'oublierai jamais ce moment éblouissant où, n'ayant eu pratiquement aucune chance de réellement se préparer, et de si bonne heure, il a fourni une correction détaillée à l'avocat du gouvernement américain sur le contenu du deuxième acte d'accusation !
Ce fut un immense honneur que de l'avoir connu.
* Craig Murray est un auteur, un diffuseur et un militant des droits de l'homme. Il a été ambassadeur britannique en Ouzbékistan d'août 2002 à octobre 2004 et recteur de l'université de Dundee de 2007 à 2010. Sa couverture dépend entièrement du soutien de ses lecteurs. Les abonnements pour maintenir ce blog en activité sont les bienvenus.
Cet article provient de CraigMurray.org.uk.
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https://consortiumnews.com/2023/06/23/craig-murray-ellsbergs-day-in-court-for-assange/