👁🗨 Craig Murray: Trains (surtout) Avions et Automobiles Part. 5
Il est toujours essentiel de penser au travail que Julian sera à même de réaliser à sa sortie de prison, plutôt que de le considérer uniquement comme une victime, ou un symbole.
👁🗨 Trains (surtout) Avions et Automobiles Part. 5
Par Craig Murray, le 5 janvier 2023
Part. 1: https://www.facebook.com/groups/Assange.Ultime.Combat/permalink/1816191295387730/ - Part. 2: https://open.substack.com/pub /ssofidelis/p/craig-murray-trains-surtout-avions. - Part. 3: https://open.substack.com/pub/ ssofidelis/p/craig-murray-trains-surtout-avions-746 - Part. 4: https://open.substack.com/pub/ssofidelis/p/craig-murray-trains-surtout-avions-28a-
Il était 2h30 du matin à Bochum quand Niels a fini d'installer ses mécanismes de sécurité et d'autodestruction sur mon nouvel ordinateur portable, alors que nous étions assis dans ma petite chambre lugubre de l'hôtel Mercure.
Il y a une dizaine d'années, les chaînes d'hôtels ont universellement abandonné l'idée d'une lumière centrale pour éclairer une chambre, en faveur de petites lumières réparties au chevet du lit, sur le bureau et dans des coins bizarres, qui nécessitent toutes des interrupteurs distincts et qui peinent à révéler les objets situés à moins d'un mètre. Elles servent surtout à accentuer l'obscurité générale.
Au moins, cela a fait ressortir mon clavier à changement de couleur, égayant mon humeur. Une fois que Niels eut verrouillé le mot de passe du dernier de mes programmes qu'il protégeait dans une boîte protégée par un mot de passe, sur un serveur Wikileaks protégé par un mot de passe, quelque part à l'intérieur d'un volcan islandais, il s'est finalement levé, poussant un soupir nordique, et a rejoint sa propre chambre.
J'ai ensuite consacré tout mon temps, jusqu'à environ 6 heures du matin, à vérifier tous mes comptes pour y déceler des signes d'intrusion et à envoyer des courriels d'avertissement à mes principaux contacts. J'avais l'impression d'avoir à peine posé ma tête sur l'oreiller que l'on frappait impitoyablement à la porte, et que le téléphone sonnait simultanément, pour me dire qu'il était 11 heures du matin et que je devais partir.
La gare de Bochum n'était pas un endroit très accueillant ce matin-là. Il faisait environ moins 5 degrés, la neige me fouettait le visage et je regrettais encore plus vivement la perte de mes gants.
Au moins, nous avions un voyage tout simple ce jour-là, vers Münster. L'itinéraire du 3 décembre était le suivant : 12.42 RE89719 Bochum - Hamm, 13.20 RE89978 Hamm - Münster, arrivée à 13.47. Ce devait être notre premier jour de voyage en train régional allemand.
Depuis le début du voyage, de nouvelles dates n'avaient cessé d'être ajoutées et des jours de repos avaient été supprimés, de sorte qu'il semblait probable que les 15 jours de voyage prévus par mon abonnement interrail ne suffiraient pas. Et ce pass ne peut être prolongé. J'ai envisagé de gagner un jour en achetant un billet pour ce court voyage, mais j'ai décidé que mon cerveau était trop fatigué par les événements des dernières 24 heures pour toute complication supplémentaire.
Niels avait une solution. Il est juste de dire que ma détermination à faire le voyage vers le continent et tout le circuit en train, pour aider à sauver la planète, a été considérée par d’autres personnes concernées comme quelque peu excentrique. Dès le début, Niels a cherché des voitures de location et m'a montré avec amour des photos de BMW ou de Mercedes SUV, me décrivant leur niveau de confort.
Frigorifié par la neige en gare de Bochum, face au tableau annonçant des retards de plus en plus importants, il était difficile, je l’avoue, de ne pas éprouver une certaine sympathie pour cette option.
Il est temps de dire un mot sur les horloges des gares allemandes, puisque j'ai passé une grande partie de ces derniers temps à les regarder. L'Allemagne a de magnifiques horloges analogiques dans ses gares, mais elles ont un mécanisme très particulier.
L'aiguille des minutes ne glisse pas de façon régulière et continue. La trotteuse tourne jusqu'à ce qu'elle atteigne le haut du cadran, et à ce moment-là, l'aiguille des minutes avance d'un cran.
Mais il faut apporter une précision. La trotteuse se déplace évidemment un peu vite, de sorte que lorsqu'elle atteint le haut du cadran, elle s'arrête et il y a quelques secondes pendant lesquelles aucune aiguille ne bouge, jusqu'à ce que l'aiguille des minutes bouge d'un cran et que la trotteuse reprenne son cheminement.
Je suis presque, mais pas tout à fait certain qu'il existe une autre particularité. La trotteuse semble glisser en douceur plutôt que de faire un saut, mais en fait, elle s'arrête momentanément à chaque seconde avant de passer à la suivante.
J'ai d'abord pensé qu'il s'agissait d'une illusion d'optique causée par la pointe noire de la trotteuse qui devient difficile à discerner lorsqu'elle passe devant le repère noir des secondes sur le cadran, mais après une observation attentive sous différents angles, je pense que cette pause momentanée est bien réelle.
Je ne sais pas exactement quel est le but de cette observation, si ce n'est d'illustrer le fait que le service ferroviaire allemand, horriblement ponctuel, peut vous rendre fou.
Alors que nous attendions sur le quai, nous avons été abordés deux fois par des mendiants. Cela s'est produit dans presque toutes les gares. Niels a fait remarquer qu'ils étaient beaucoup plus agressifs qu'au Royaume-Uni.
C'est vrai, pas dans le sens d'une menace de violence physique, mais dans le sens d'une intrusion forcée dans votre espace personnel et d'une exigence non excusée. Ce n'était vraiment pas très plaisant.
Quoi qu'il en soit, nous avons finalement eu droit à l'un de ces changements de quai précipités de dernière minute, et nous avons pris ce qui était censé être un train plus tôt que celui sur lequel nous avions réservé, qui avait plus d'une heure de retard, mais sans changement nécessaire pour Münster.
Ce service de train privatisé particulier était géré par la compagnie de bus britannique National Express. C'était un train à deux étages, propre et confortable. Nous n'avons pas pris la peine de monter en première classe.
Je n'étais pas du tout paranoïaque à l'idée qu'un troisième ordinateur portable puisse être volé dans le train...
Le voyage s'est déroulé sans encombre, à l'exception d'un incident au cours duquel le contrôleur s'est disputé avec un passager au sujet de son billet. Le jeune homme, mince, vêtu d'un jean et d'un sweat à capuche, tendait son billet au contrôleur, petit avec un cou de taureau, qui refusait de regarder ce billet, alternant secousses de la tête et cris féroces.
C'était très bruyant, et les niveaux de colère des deux côtés semblaient totalement disproportionnés. Je n'ai rien compris à ce qui a été dit, mais même en supposant que le passager essayait effectivement de tricher sur son tarif, le niveau d'agressivité du contrôleur, qui tentait de bloquer le passager contre une porte, était extraordinaire.
Le passager a fini par passer outre, s'est dirigé vers l'arrière du petit train. Le contrôleur semblait chercher du soutien autour de lui, tandis que les autres passagers faisaient comme si de rien n'était. Je ne sais pas comment cette confrontation s'est finalement terminée.
Stella nous rejoignait à nouveau à Münster, après avoir fait du lobbying à Berlin et ailleurs dans l'intervalle. Il avait été très compliqué et très cher de trouver et réserver des chambres d'hôtel à Münster. En fait, Stella, Niels et moi étions tous dans des hôtels différents, car nous n’avons pas pu réserver de chambres ensemble.
J'étais à l'hôtel Mauritzhof, encore un bâtiment d'une laideur extérieure stupéfiante. Il ressemblait à un poste de police fortifié dans le quartier particulièrement incendiaire d'une ville agitée.
En fait, à l’intérieur, l'hôtel était très chaleureux et agréable, avec un grand feu crépitant dans l’âtre, un bar à cocktails proposant une large gamme de whiskies de malt, et un personnel particulièrement sympathique et serviable.
En revanche, Niels était dans l'un de ces logements indépendants où vous entrez grâce à une combinaison de coffre-fort, et découvrez que rien n'est propre, que rien ne fonctionne, et qu'il n'y a personne à qui demander de l'aide.
Stella était dans l'impressionnant hôtel Kaiserhof, qui, d'une manière ou d'une autre, a réussi la performance d’être encore plus cher que le Mauritzhof, mais dont le personnel semblait non seulement en être à son premier jour d’activité hôtelière, et sans avoir la moindre idée de ce qu'est un hôtel.
Niels et moi avions pris un repas tardif au cinéma avec nos hôtes, qui comprenaient la branche universitaire d'Amnesty International, dont plusieurs étudiants en droit international public.
J'ai pu discuter avec eux des aspects de droit international de l'affaire Julian, et en particulier du jugement dans l'affaire, Julian affirmant que le Royaume-Uni n'est pas lié en droit par les accords ou traités internationaux non incorporés dans le droit interne britannique.
Dans le cas de Julian, l'extradition politique est spécifiquement interdite par l'article 4 du traité d'extradition de 2007 entre le Royaume-Uni et les États-Unis. Cependant, les tribunaux ont statué que le traité n'a aucun effet sur le droit britannique, car il n'aurait pas été incorporé dans la législation nationale britannique.
Les tribunaux britanniques font valoir que le traité dépend, pour son application, de la loi sur l'extradition de 2003, qui n'exclut pas l'extradition politique. Mais la loi de 2003 est une loi d'habilitation dont dépendent les traités ultérieurs. Elle ne dicte pas les dispositions de ces traités, et ne dit certainement pas qu’ils ne peuvent pas exclure l'extradition politique.
L'argument est extraordinaire : l'extradition n'a lieu qu'en vertu du traité d'extradition entre le Royaume-Uni et les États-Unis, mais l'article 4 du traité n'est pas opérationnel - alors que tous les autres le sont.
Le reste du traité n'est pas plus incorporé dans le droit national britannique que l'article 4. Il s'agit d'un argument absurde, qui consiste à faire des tours de passe-passe juridiques pour justifier l'extradition.
Ce qui a intéressé les étudiants allemands plus encore que le cas individuel, c'est l'extraordinaire affirmation générale selon laquelle le Royaume-Uni n'est pas lié par les dispositions du droit international dans les traités qu'il a ratifiés.
La procédure admise en droit international prévoit un processus en deux étapes, signature et ratification, pour l'adhésion aux traités internationaux.
Un traité est signé par le gouvernement d'un État, comme une déclaration d'accord et d'intention. Ce n'est que lorsque toutes les approbations nécessaires sont obtenues - ce qui implique généralement que le traité a été approuvé par la législature - que l'étape de la ratification est alors achevée.
Le Royaume-Uni, cependant, ratifie les accords sur la prérogative de la Couronne sans que sa législature les ait adoptés en tant que loi nationale. Il fait alors valoir qu'en raison de la doctrine de la souveraineté du Parlement, la ratification par la Couronne ne contraint pas le Royaume-Uni à respecter les dispositions du traité ratifié.
Cette situation bizarre est bien réelle. Je ne l'invente pas.
C'est ce que les juristes appellent un "système dualiste" ("malhonnête" étant une description trop directe) et c'est un sujet qui fait l'objet d'abondantes publications universitaires, ainsi que d'un grand nombre de décisions de justice britanniques.
Le fait que le gouvernement britannique ne se considère pas juridiquement lié, non seulement par le droit international coutumier, mais même par les traités qu'il a effectivement ratifiés, a surpris les étudiants allemands.
J'ai reçu plus tard un courriel de l'un d'entre eux disant qu'il avait du mal à le croire et qu'il avait donc demandé à un professeur qui le lui avait confirmé.
Le cinéma semblait être tout ce qu'un cinéma indépendant se doit d'être, avec un très bon choix de films d'art et d'essai et de documentaires, ainsi qu'un café-bar original et très animé, rempli de gens intéressants. Les projections à venir étaient présentées sur un vieux tableau de départ de chemin de fer qui cliquetait bruyamment. En fait, le cinéma fait partie d'une chaîne possédant des multiplexes beaucoup plus conventionnels.
Sur l'étagère supérieure du bar, au milieu de quelques liqueurs très mystérieuses, se trouvait un globe en verre d'environ 30 cm de haut avec une valve en boucle sur le dessus, contenant un liquide étonnamment clair avec une teinte ultraviolette. Nous avons demandé ce que c'était, et le barman ne le savait pas, alors nous en avons commandé deux.
C'était une sorte de grappa, mais extrêmement douce, bien que très puissante car elle brûlait le fond de la gorge. C'était extrêmement agréable et nous en avons pris deux autres. Il n'y avait aucune étiquette d'aucune sorte sur le globe en verre, qui reposait sur un support en métal. Le plus étrange, c'est que le barman nous a dit qu'il était là depuis deux ans et que personne n'en avait jamais commandé : il avait pourtant l'air irrésistible.
La grande salle était comble pour la projection, et Stella a fait un excellent discours passionné, notamment sur l'obscénité d'envoyer légalement Julian dans un État qui avait tenté de le faire kidnapper et assassiner. Le public était nombreux et la discussion animée, et j'ai ressenti une impression de chaleur, et le sentiment d'être utile. Les échanges de témoignages qui ont suivi ont été particulièrement réconfortants pour tout le monde.
Nous sommes ensuite sortis à Münster et avons fait le tour des marchés de Noël, qui sont particulièrement célèbres. On nous a dit qu'un million de visiteurs viennent à Münster pour ces marchés, principalement des Pays-Bas. Ce qui explique qu'une nuit à l'hôtel coûte autant qu'une voiture.
Bien que les lumières féeriques et les cabanes en bois soient encore une fois très jolies, tout se résume à des cabanes vendant des saucisses et du Glühwein. La foule se déplaçait autour de chaque grande église, formant des bouchons autour des stands d'alcool où il y avait de longues files d'attente. Nous avons bravé ces files à quelques reprises pour le Gluhwein, que nous avons tous apprécié.
Le clocher de l'église St Lambert abrite trois cages dans lesquelles ont été suspendus les cadavres torturés des chefs anabaptistes après la révolution et le siège de 1534/5.
Lorsque j'avais 14 ans, j'ai lu avec beaucoup de délectation le grand livre de Norman Cohn, intitulé The Pursuit of the Millennium. Le travail de toute la vie de Cohn a consisté à essayer de comprendre le phénomène du nazisme dans le contexte d'autres mouvements historiques qui ont pratiqué l'extermination de masse au nom de l'idéologie. Son récit fascinant du siège de Münster m'a marqué pendant un demi-siècle.
Les grandes murailles du siège ont été démolies et sont aujourd'hui transformées en promenade, l'église Saint-Lambert a été substantiellement reconstruite en 1901, puis après la Seconde Guerre mondiale, et les cages suspendues n'ont pas l'air assez vieilles ou rudimentaires, mais pourtant j'étais là, à l'endroit que j'avais visualisé si clairement pendant mon adolescence.
Les anabaptistes prêchaient l'égalité des richesses ainsi que l'iconoclasme religieux, et cherchaient à partager les biens de la très riche ville de Münster avec tous ceux qui les rejoignaient. Ils pratiquaient une polygamie ardente ; l'extase sexuelle était un élément important de leur mouvement.
Cependant, ils n'avaient aucun scrupule à exécuter ceux qui n'acceptaient pas leur baptême adulte, et ils se moquaient du caractère farfelu de la plupart des aspects de leur gouvernance, car ils croyaient que la seconde venue du Christ était littéralement imminente.
Ce qui est peut-être vraiment extraordinaire, ce n'est pas seulement que les anabaptistes aient pris le contrôle total à Münster, mais qu'ils aient été proches de le faire et qu'ils aient exercé une réelle influence sur de larges pans de l'Europe du Nord. Il ne faut pas se laisser séduire par leur communisme avoué et oublier qu'ils étaient des fous religieux ultra-violents.
La vague révolutionnaire millénariste qui a balayé l'Europe au début des années 1530 était le produit des habituelles famines et maladies, mais également alimentée par la dislocation économique causée par les nationalismes émergents qui perturbaient le libre-échange du réseau hanséatique. Je le dis pour que vous puissiez établir vos propres parallèles modernes.
L'histoire n'est qu'une longue suite d'ironies, dont l'une est que c'est la véritable tolérance du prince évêque catholique de Münster, Waldeck, qui a permis à la doctrine anabaptiste de se répandre, et a fait de Münster un refuge international pour les dissidents. Ce même Waldeck, ex-tolérant, a ensuite pendu les chefs anabaptistes dans ces cages (ou leurs originaux) après une lente exécution à coups de cisailles chauffées à blanc.
L'ensemble constitue une histoire fascinante. Je recommande le livre de Cohn. L'hôtel m'a dit qu'il y avait une mini-série télévisée allemande, il y a trente ans, sur le soulèvement de Münster, avec un jeune Christoph Waltz dans le rôle principal. J'aimerais bien voir ça. Mais pour l'instant, il faisait bon marcher sous la neige parmi la foule festive et admirer la ville, en imaginant ces événements, en bonne compagnie et avec du Gluhwein au cognac.
Le lendemain, dimanche 4 décembre, nous avons quitté Münster pour Düsseldorf à bord du RE10212 de 10 h 25 qui était direct. Là encore, il s'agissait d'un train régional National Express à deux étages, et il était à l'heure.
Nous sommes montés à l'étage supérieur de la première classe, très confortable, où nous étions seuls. Le seul incident notable s'est produit lorsqu'un homme costaud est descendu du train en faisant claquer quelque chose sur chaque table avec un bruit métallique. Niels a expliqué que l'homme ouvrait les couvercles métalliques des poubelles, à la recherche de bouteilles jetées qui pourraient avoir une consigne qu'il pourrait récupérer.
Cela faisait beaucoup d'efforts pour une faible contrepartie pour un homme d'âge moyen. Il n'a pas essayé de dissimuler ce qu'il faisait et n'aurait sans doute pas dû se trouver dans le wagon de première classe. Cela m'a amené à recalculer les chances que mes ordinateurs portables aient été simplement volés par pur hasard dans le train.
Il convient de noter à ce stade que dans tous les trains, des groupes d'hommes en veste portant la mention "sécurité" patrouillent de long en large pour s'assurer que tout le monde porte un masque. Leur comportement global n'est pas très amical.
Stella allait prendre l'avion pour rentrer à Londres et rejoindre ses enfants, après la projection en début de soirée à Düsseldorf. Niels et moi étions hébergés à l'hôtel Stage 47, qui, là encore, était vraiment charmant.
L'hôtel a été aménagé dans l'espace du théâtre adjacent, et la réception est coincée dans l'étroit couloir d'entrée, ce qui n'est pas très prometteur au premier abord. Mais les chambres sont magnifiquement agencées et toutes différentes, chacune portant le nom d'une star ayant joué dans le théâtre, avec un immense portrait photographique de celle-ci.
Dans ma chambre, le lit se trouvait en mezzanine et il y avait beaucoup d'espace, ce qui était bien, mais pas conçu pour un homme avec une mauvaise vue et susceptible de devoir descendre à tâtons l'escalier en colimaçon étroit de la mezzanine dans le noir pour aller faire pipi à 3 heures du matin, alors qu'il n'est plus tout à fait sobre.
L'hôtel est situé dans le quartier turc. Une agence de voyage turque se trouve à côté, un magasin turc de l'autre côté, puis un kebab, et un restaurant turc à l'allure imposante juste en face. Laissant la valise de Stella dans la chambre de Niels, nous sommes allés déjeuner au restaurant turc.
Ils n'avaient pas l'air très heureux de nous voir. Il faisait à nouveau très froid, et après quelques hésitations pour savoir si nous pouvions avoir une table, ils nous ont installés à la première table libre, juste à côté de la porte d'entrée.
Nous étions constamment soumis à un souffle glacial méchant à chaque fois que la porte s'ouvrait, et à un courant d'air persistant et très froid quand elle était fermée. À plusieurs reprises, d'autres tables se sont vidées et nous avons demandé si nous pouvions bouger, mais on nous a toujours fait signe de nous rasseoir.
La nourriture était très bonne, mais le service épouvantable. Je ne sais pas si c'est parce que nous semblions être les seuls clients non turcs, mais nous avons tous convenu avoir le sentiment de ne pas être les bienvenus. J'ai toujours trouvé les Turcs extrêmement accueillants, et cela me semblait donc étrange.
Je me suis dépêché de rentrer du déjeuner car à 14 heures, je devais donner une conférence sur Zoom depuis ma chambre d'hôtel à Alba International, sur le thème de la voie à suivre pour l'indépendance de l'Écosse.
En toile de fond, la décision de la Cour suprême du Royaume-Uni selon laquelle le Parlement écossais n'avait pas le droit d'organiser un référendum sur l'indépendance. Vous vous souvenez peut-être que je m'étais rendu à la Cour suprême pour l'entendre, la veille de mon départ pour cette tournée européenne.
La discussion a également été alimentée par l'excellent travail de Salvo, et de Sara Salyers en particulier, pour définir la constitution historique de l'Écosse en tant qu'État indépendant et sa persistance juridique.
J'ai eu le sentiment que le temps et la distance m'avaient apporté une clarté utile dans l'examen de la décision de la Cour suprême et de ses conséquences, et en bref, voici ce que j'ai exposé.
La Cour suprême du Royaume-Uni avait tout à fait raison dans les limites étroites du droit interne britannique. Il est évident que l'Union de l'Angleterre et de l'Écosse est une question qui relève de la loi sur l'Écosse de 1998, et que le Parlement écossais ne pouvait pas organiser un référendum sur cette question en vertu de cette loi.
Mais le droit national britannique n'est absolument pas pertinent. L'avis de la Cour internationale de justice sur le Kosovo indique clairement que le droit interne de l'État dont on fait sécession n'est pas le facteur déterminant quant à l'illégalité d'une sécession.
Par ailleurs, le fait que la Cour suprême du Royaume-Uni s'appuie sur les critères de la Cour fédérale du Canada dans la décision rendue dans l'affaire du Québec, qui datent de plus de cinquante ans, et qui ont été remplacés par plus de 23 sécessions non coloniales depuis, est tout simplement risible.
Mais si le droit à l'autodétermination des peuples en droit international est crucial dans le cas de l'Ecosse, et si l'Ecosse peut sans aucun doute être qualifiée de "peuple", étant donné qu'il s'agit d'une nation historique établie de longue date, avec son propre système juridique, sa culture et ses institutions, il existe un critère de reconnaissance extrêmement important, fondé sur la pure realpolitik.
On a longtemps considéré comme le seul critère de reconnaissance le fait qu'un État ait le contrôle factuel et pratique de son propre territoire. Cette position a été tempérée par des considérations de principe depuis la seconde guerre mondiale, mais le contrôle effectif du territoire revendiqué reste le facteur le plus important pour accéder à la reconnaissance internationale.
Pourquoi la Catalogne a-t-elle échoué alors que la Slovénie, le Kosovo et les États baltes ont réussi ?
Parce que la realpolitik prévaut dans la pratique, et que les Slovènes, les Baltes et les Kosovars avaient obtenu le contrôle effectif sur le terrain du territoire qu'ils revendiquaient. Ce qui n'était pas le cas des Catalans.
Le contrôle physique n'est pas une condition suffisante pour être reconnu - voir la République turque de Chypre du Nord - mais c'est dans les faits une condition sine qua non.
L'Establishment britannique n'acceptera jamais l'indépendance de l'Ecosse. Les ressources de l'Écosse sont bien trop précieuses à leurs yeux. L'Écosse doit déclarer son indépendance unilatéralement et assumer son choix.
Il ne sert à rien de faire comme en Catalogne, où la garde civile et le système judiciaire espagnols ont effectivement anéanti l'État naissant avant qu'il ne puisse respirer.
Un gouvernement écossais, qu'il soit issu du Parlement écossais ou d'un autre organe, doit, en déclarant l'indépendance, s'assurer qu'il a le contrôle pratique de l'Écosse.
Cela signifie que les organes de l'État doivent reconnaître l'État écossais. Tous les impôts perçus doivent aller à Édimbourg, et non à Westminster. Le pouvoir judiciaire doit appliquer les lois écossaises, et non celles de Westminster, lorsqu'elles sont en conflit, et appliquer spécifiquement toutes les nouvelles lois postérieures à la déclaration d'indépendance. La police ne doit répondre qu'aux autorités écossaises. En fin de compte, il en va de même pour les militaires stationnés en Écosse.
Au moment de la déclaration d'indépendance, des mesures immédiates doivent être prises pour s'assurer que tous les fonctionnaires, juges, policiers et militaires prêtent un serment de loyauté au peuple écossais et à son nouveau gouvernement, et renoncent à toute loyauté antérieure envers la Couronne et les institutions politiques britanniques. Toute personne refusant doit être sommairement démise de ses fonctions.
Nous avons sous les yeux l'exemple de la Catalogne. De même, en Égypte, le seul dirigeant démocratiquement élu, le président Morsi, est mort de façon atroce en prison après avoir été renversé par un coup d'État de la CIA, parce qu'il n'avait pas pris la précaution élémentaire de révoquer et emprisonner tous les juges corrompus du régime militaire. Il aurait dû tirer les leçons de Fritz Bauer.
Ne commettons pas les mêmes erreurs.
En fin de compte, tout se résume à ceci.
Westminster n'acceptera jamais l'indépendance de l'Écosse.
L'Écosse n'a donc pas d'autre choix que de déclarer son indépendance de manière unilatérale.
Tout État indépendant doit être prêt à se défendre par la force physique contre une attaque étrangère. Il en va de même pour une Écosse indépendante nouvellement déclarée.
Tous ceux qui refusent de servir une Ecosse indépendante doivent alors être écartés de tous les organes de l'Etat.
Une fois qu'une Écosse indépendante aura le contrôle physique de son territoire et de ses ressources, la reconnaissance internationale suivra rapidement. Le Brexit a complètement changé l'atmosphère politique en ce qui concerne l'attitude cruciale de l'Union européenne vis-à-vis du gouvernement de Londres.
Sans compter que le gouvernement de Londres est la risée du monde entier.
Il est intéressant de noter que, dans la discussion qui a suivi mon exposé, personne n'a fondamentalement remis en question la radicalité de cette approche. La plupart des questions ont tourné autour de ce que je pourrais appeler le déterminisme de l'approche de Salvo.
En d'autres termes, peu importe le nombre d'irrégularités que peut comporter l'Acte de 1689, aucun tribunal national ou international ne va l'annuler maintenant. C'est encore une fois une question de realpolitik - il n'existe aucun État dont la forme et les institutions survivraient à un réexamen de tous leurs fondements historiques selon des critères modernes.
J'ai également précisé que si je suis favorable à l'idée de faire enregistrer un mouvement de libération écossais auprès des Nations unies, il faudra beaucoup de preuves de la lutte de libération pour y parvenir. L'idée, qui s'est répandue d'une manière ou d'une autre, qu'il suffit de 100 000 signatures, me semble sans fondement.
C'était une discussion de 90 minutes avec des interlocuteurs très compétents, après quoi j'ai dû me précipiter au cinéma, et reprendre le chemin du sauvetage de Julian.
Le cinéma présentait une particularité intéressante : pour bénéficier d'un très grand écran, le projecteur était séparé de la salle par un certain nombre de couloirs et de bureaux, avec des fenêtres en verre à travers lesquelles passait l'image. Cela se prêtait à une variété de vues intéressantes.
Stella était en excellente forme. À Düsseldorf, elle s'est particulièrement concentrée sur la juridiction extra-territoriale dont se prévalent les États-Unis dans leur tentative d'emprisonner un journaliste australien pour des actes de publication, entièrement réalisés en dehors des États-Unis.
Stella a également exprimé le soulagement que nous avons tous ressenti en constatant que le gouvernement australien assumait enfin ses responsabilités, en demandant explicitement aux États-Unis de mettre fin à la persécution de Julian Assange.
Je n'étais pas au mieux de ma forme, peut-être un peu fatigué. Mais comme d'habitude, des militants inspirés étaient présents pour me redonner un vrai coup de fouet. Dans toute l'Allemagne, des groupes se mobilisent chaque week-end pour Julian, manifestent, tiennent des stands, recueillent des signatures, et témoignent de la vérité.
Après la réunion, Bibi nous a ramenés à l'hôtel, démontrant ainsi que sa définition d’une "courte marche jusqu'à la voiture" était fondamentalement différente de la mienne. Elle a ensuite conduit Stella à l'aéroport.
J'ai eu une soudaine et improbable poussée de bon sens, refusant l'offre de Niels d'aller boire un verre, en faveur d'une nuit précoce dans mon confortable lit en mezzanine.
Le lendemain était un jour off, nous sommes donc restés à Düsseldorf. Et non seulement c'était un jour off, mais l'hôtel faisait la lessive - une première depuis le début de cette aventure !
Le matin, j'ai découvert que personne ne vendait de gants dans un rayon de six pâtés de maisons, à l'exception et à un prix exorbitant d'un magasin de motos, que j'ai refusé. J'ai passé le reste de la journée à lire la biographie de Fritz Bauer.
Vers 16 heures, Niels a appelé et nous sommes sortis. Le réceptionniste nous avait recommandé le marché d'hiver de la Konigsallee, nous nous y sommes donc rendus.
Nous avions à peine parcouru quelques mètres quand un grand flot de véhicules de pompiers et de police est passé devant nous. À l'approche des feux de signalisation, plusieurs ambulances sont arrivées d'une autre direction, et pendant un moment, il y a eu un véritable embouteillage de véhicules d'urgence dans une cacophonie terrible.
De nouvelles sirènes ont continué à se rapprocher de tous côtés, convergeant apparemment vers nous. Lorsque nous sommes arrivés à la Konigsallee, elle était en grande partie déserte. Si les magasins sont restés ouverts, tous les stands en bois du marché de Noël étaient fermés, et les clients avaient disparu.
Nous avons erré autour des étals vides en essayant de comprendre ce qui se passait, jusqu'à ce que des policiers commencent à nous crier dessus de manière très menaçante.
Il semble que des terroristes aient proféré par téléphone une menace d'attentat contre un étal de Noël, à laquelle la police a réagi de manière excessive en fermant les centaines d'étals de ce type, situés dans toutes les rues et places commerçantes de Düsseldorf, et en convoquant tous les véhicules d'ambulance et de pompiers.
Il s'agissait bien sûr d'un canular. C'était aussi un autre exemple de mon implication constante dans des drames improbables au cours de ce voyage. Niels, qui avait passé des semaines à photographier tout ce qui bouge, a réussi à ne presque rien saisir de l'imposant dispositif de sécurité qui fermait le marché de Noël. Il a dit qu'il savait d'expérience que la police allemande n'aimait pas les appareils photo.
Il a cependant réussi à prendre d'innombrables photos de moi, l'air frigorifié et misérable. Mon volumineux bagage était bien adapté à l'hiver, à l'exception des bottes. Les rues sont couvertes de verglas, et mes chaussures à semelle de cuir ne sont pas du tout sûres.
D'Oxford Street à Princes Street, les rues commerçantes phares du Royaume-Uni se sont effondrées dans la camelote et le sordide, mais l'Allemagne a conservé ses quartiers commerçants haut de gamme sans dommage apparent. À tel point que le premier magasin dans lequel je suis entré n'avait pas de bonnes bottes à moins de 700 euros.
Au coin de la rue, j'ai trouvé un magasin plus raisonnable et j'ai acheté une paire de Skechers. J'en fus troublé, car je me souviens que mon frère Stuart narguait mon frère Neil en lui disant que posséder des Skechers constituait le premier pas sur le chemin des couches pour adultes. Mais elles étaient bon marché, imperméables et avaient des semelles épaisses, alors je les ai prises, et suis maintenant conquis.
Alors que les magasins étaient tous restés ouverts, les restaurants avaient l’air d’avoir été fermés par l'alerte de la police, et nous avons tourné un certain temps avant de trouver un restaurant de hamburgers chic franchisé, avec décor rustique en bouleau.
Cela nous a paru légèrement préférable à la privation, et nous avons donc mangé deux hamburgers, composés d'une petite pépite de viande noyée dans des légumes variés, allant du saumuré au caramélisé, en passant par la mayonnaise, le tout coincé entre de gros blocs de pain.
Le restaurant était vraiment plein, étant le seul endroit ouvert, et la frénésie des fermetures par la police a donné au lieu une vibrante effervescence. Nous avons entamé une conversation amicale avec le gérant, qui travaillait à l'étage vu l'affluence inattendue.
Nous avons parcouru la carte des cocktails et avons pris le Johnnie Walker Black Label, décroché d'une étagère en hauteur. C'était le pire faux Black Label goûté depuis des décennies, comme une vodka bon marché additionnée de Bovril, mais nous l'avons tout de même bu. Nous nous sommes amusés comme des fous. La facture des boissons était six fois supérieure à celle du repas.
Nous avions tous les deux une horrible gueule de bois le lendemain, certainement due au faux Black Label. Heureusement, nous avions la matinée pour nous remettre de nos émotions, puis nous sommes repartis. Notre itinéraire était le suivant : 6 décembre ICE 714 Dusseldorf 13.33 à Brême, arrivée 16.15.
Le train était confortable et plus ou moins à l'heure, et j'ai pu écrire une partie du voyage pour mon blog.
Le vaste cinéma était bien rempli, j'ai eu l'impression de m'exprimer particulièrement bien, et nous avons eu de riches échanges avec les militants après la séance. Brême a l'air d'une ville charmante, et le cinéma se trouvait dans un quartier doté de très bons restaurants et bars.
Niels a particulièrement bien parlé. Il a exposé la vision de Julian d'un journalisme responsable et scientifique, où les références seraient toujours accompagnées de liens vers les sources originales toujours mises à la disposition du public.
Bien entendu, cela n'a pas été le cas, et même si les médias traditionnels ont été contraints de passer en grande partie en ligne, ils n'ont pas saisi l'occasion qui leur était offerte de présenter au public des liens vers les sources réelles dont leurs journalistes débattaient. Ce niveau de transparence est attendu des blogueurs, mais est largement ignoré par les médias, malgré toutes leurs ressources.
C'était un bon argument et bien présenté. Il est toujours essentiel de penser au travail que Julian sera à même de réaliser à sa sortie de prison, plutôt que de le considérer uniquement comme une victime ou un symbole.
C'était l'une des premières réunions où le public avait demandé une traduction séquentielle en allemand. C'est toujours très compliqué, étant donné la nécessité de diviser son argumentation en séquences courtes pour la traduction. Mais cela n'a pas semblé gâcher la soirée, ni le plaisir et l'intérêt d'un public nombreux.
Nous avions réservé à Brême à l'Aparthotel Adagio. J'en avais assez de la nourriture des restaurants et je voulais être capable de cuisiner moi-même quelque chose de très simple. Je me suis rendu dans le supermarché le plus proche, et j'ai pu me préparer une simple sauce tomate au bacon pour accompagner des spaghettis et une baguette. Un grand soulagement.
Une des choses que j'ai appréciées en Allemagne, c'est que la musique ambiante était beaucoup plus à mon goût que celle que j'entends généralement au Royaume-Uni. Le taxi qui nous a emmenés au cinéma écoutait Bachmann Turner Overdrive. Celui qui nous ramenait passait Fleetwood Mac. Au supermarché où j'ai acheté les spaghettis, c'était Supertramp. Rien de tout cela n'est très allemand.
J'ai finalement capitulé. Le lendemain, nous allions à Halle, un voyage compliqué en train, mais tout simple par la route. J'ai donc accepté que Niels puisse enfin louer une voiture.
Et tandis que je m'endormais, je croyais l'entendre au loin faire "vroum ! vroum !"
https://www.craigmurray.org.uk/archives/2023/01/trains-mostly-planes-and-automobiles-part-5/