đâđš Crise au New York Times
Le âjournal de rĂ©fĂ©renceâ s'Ă©croule, sâabĂźmant dans le tumulte gĂ©nĂ©rĂ© par des reportages sur IsraĂ«l & Gaza si minables qu'il risque, comme IsraĂ«l, de ne jamais complĂštement rĂ©tablir sa rĂ©putation.
đâđš Crise au New York Times
De la propagande israélienne à la Une.
Par Patrick Lawrence / Original to ScheerPost, le 12 février 2024
Depuis le dĂ©but du gĂ©nocide Ă Gaza, le 7 octobre, beaucoup d'entre nous ont compris qu'IsraĂ«l risquait d'en demander un peu trop Ă tous ceux prĂȘts Ă se ranger Ă ses cĂŽtĂ©s. L'Ătat sioniste demanderait ce que de nombreuses personnes ne peuvent pas donner : de renoncer Ă leur conscience, Ă leur sens de l'ordre moral, voire Ă leur dĂ©cence intrinsĂšque, alors qu'il assassine, affame et disperse une population de 2,3 millions d'habitants, tout en rendant anĂ©antissant leur terre.
Les IsraĂ©liens ont pris ce risque, et ils ont perdu. Nous sommes dĂ©sormais en mesure de regarder des vidĂ©os de soldats israĂ©liens cĂ©lĂ©brant le meurtre de mĂšres et d'enfants palestiniens, dansant et chantant tout en faisant exploser des quartiers entiers, se moquant des Palestiniens dans une dĂ©bauche de dĂ©pravation raciste pire que tout ce qu'on aurait pu attendre de l'humanitĂ© - et certainement plus que ce qu'un Juif ferait Ă un autre ĂȘtre humain. Le journal israĂ©lien Haaretz rapporte, comme les mĂ©dias amĂ©ricains ne le font pas, que les Forces de dĂ©fense israĂ©liennes parrainent secrĂštement un canal de rĂ©seaux sociaux diffusant ces images dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©es dans le but d'entretenir une haine maximale.
C'est une nation psychologiquement malade qui se vante d'infliger cette souffrance Ă l'Autre qui l'obsĂšde. Le monde est invitĂ© - le summum de la perversitĂ© - Ă participer Ă la maladie d'IsraĂ«l, et a dit ânonâ dans une salle d'audience de La Haye il y a deux semaines.
Dans l'aprĂšs-Gaza, l'IsraĂ«l de l'apartheid ne retrouvera probablement jamais la place qu'il occupait, Ă juste titre ou non, dans la communautĂ© des nations. Il fait dĂ©sormais partie des parias. Le rĂ©gime Biden a lui aussi pris ce risque, et il a Ă©galement perdu. Son soutien aux brutalitĂ©s quotidiennes des IsraĂ©liens a un coĂ»t politique Ă©levĂ©, tant Ă l'intĂ©rieur qu'Ă l'extĂ©rieur du pays, et dĂ©chire l'AmĂ©rique - ses universitĂ©s, ses tribunaux, ses assemblĂ©es lĂ©gislatives, ses communautĂ©s - et, je dirais, la fiertĂ© qu'elle parvient encore Ă tirer d'elle-mĂȘme. Lorsque l'histoire du dĂ©clin de l'AmĂ©rique en tant que puissance hĂ©gĂ©monique sera Ă©crite, la crise de Gaza y figurera certainement comme un marqueur dĂ©cisif de la descente de la nation vers un marasme d'immoralitĂ© qui a dĂ©jĂ contribuĂ© Ă ruiner sa crĂ©dibilitĂ©.
Venons-en aux mĂ©dias amĂ©ricains - mĂ©dias grand public, mĂ©dias d'entreprise, mĂ©dias traditionnels. Quel que soit le nom qu'on leur donne, ils ont jouĂ© et perdu, eux aussi. Leur couverture de la crise de Gaza a Ă©tĂ© si manifestement et si imprudemment favorable Ă IsraĂ«l que leurs manquements peuvent ĂȘtre perçus comme sans prĂ©cĂ©dent. Lorsque les sondages seront rĂ©alisĂ©s et les rĂ©sultats connus, leurs distorsions sans scrupules, leurs innombrables omissions et - la pire offense, Ă mon avis - leur dĂ©shumanisation des Palestiniens de Gaza auront encore portĂ© atteinte Ă cette crĂ©dibilitĂ© dĂ©jĂ en chute libre.
Au tour du New York Times. Aucun mĂ©dia amĂ©ricain n'a eu Ă subir plus de revers en raison de ses reportages sur IsraĂ«l et Gaza depuis octobre dernier. Et le journal de rĂ©fĂ©rence, quâon ne prĂ©sente plus, qui suffoque de son orgueil notoire, s'effondre au moment mĂȘme oĂč nous parlons. Il a plongĂ©, selon de nombreux tĂ©moignages, y compris implicitement les siens, dans un tumulte interne provoquĂ© par des reportages sur IsraĂ«l et Gaza si minables, si manifestement nĂ©gligents, qu'il risque, comme IsraĂ«l, de ne jamais rĂ©tablir complĂštement sa rĂ©putation.
Max Blumenthal, rĂ©dacteur en chef de The Grayzone, a dĂ©crit la crise de la HuitiĂšme Avenue mieux que quiconque dans l'Ă©pisode du 30 janvier de l'Ă©mission quotidienne de The Hill, Rising. âNous sommes face Ă l'un des plus grands scandales mĂ©diatiques de notre Ă©poqueâ, a-t-il dĂ©clarĂ© Ă Briahna Joy Gray et Robby Soave. C'est vrai. Cet exemple illustre bien la gravitĂ© de la corruption dĂ©libĂ©rĂ©e du Times dans son utilisation prodigue de la propagande israĂ©lienne, et M. Blumenthal mĂ©rite bien ce micro pour le dire. Depuis la fin de l'annĂ©e derniĂšre, The Grayzone a menĂ© une enquĂȘte exhaustive sur les âinvestigationsâ du Times concernant la soit-disant sauvagerie du Hamas et la prĂ©tendue innocence d'IsraĂ«l.
Il ne s'agit pas seulement de âdĂ©lits d'entre-soiâ, comme le dit l'adage. Nous disposons dĂ©sormais de lâanatomie complexe et Ă©difiante d'un journal Ă la rĂ©putation immĂ©ritĂ©e, qui abandonne au pouvoir, de maniĂšre abjecte, la souverainetĂ© qu'il est de son devoir de revendiquer et d'affirmer dans ses Ă©ditions quotidiennes. On ne saurait trop insister sur les implications, pour nous tous, de ce que The Grayzone vient de mettre en lumiĂšre. C'est le journalisme indĂ©pendant dans ce qu'il a de meilleur qui dĂ©nonce le journalisme d'entreprise dans ce qu'il a de pire.
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Ce que nous découvrons en lisant les reportages quotidiens du Times en Israël et à Gaza, lorsque ses correspondants acceptent imprudemment des invitations à intégrer les Forces de défense israéliennes, c'est que ce journal ne remet en question ni sa fidélité de longue date à Israël, ni sa disponibilité à la puissance américaine. Ces deux inclinaisons idéologiques - bien plus enracinées que ce que ses journalistes ne voient et entendent - ont défini la couverture de cette crise par le journal. C'est du mauvais journalisme sur toute la ligne.
Il Ă©tait donc inĂ©vitable que le Times se fasse l'apologiste d'IsraĂ«l dĂšs que les Forces de dĂ©fense israĂ©liennes ont commencĂ© leur sĂ©rie de meurtres en octobre dernier. Il ne s'agissait pas d'un dĂ©chaĂźnement digne des Wisigoths, comme l'ont rĂ©vĂ©lĂ© les nombreuses vidĂ©os diffusĂ©es sur les rĂ©seaux sociaux et dans les publications indĂ©pendantes : il a Ă©tĂ© qualifiĂ© de âguerreâ, une guerre menĂ©e non pas contre les Palestiniens mais âcontre le Hamasâ, et IsraĂ«l l'a menĂ©e par âlĂ©gitime dĂ©fenseâ. Le Hamas est une âorganisation terroristeâ, ce qui signifie qu'il n'y a pas de complexitĂ© ni de signification, et qu'il n'est donc pas nĂ©cessaire dâessayer de comprendre quoi que ce soit Ă son sujet.
Dans les pages du Times, il s'agit de minimiser et de maximiser. L'intention génocidaire d'Israël est indéchiffrable pour quiconque se fie à sa couverture. La destruction physique de Gaza n'est jamais décrite comme systématique. Les militaires de l'armée israélienne ne prennent pas pour cible les non-combattants. Le journal a rapporté les déclarations choquantes de responsables israéliens, dont certains prÎnent ouvertement le génocide, le nettoyage ethnique et et autres crimes, uniquement lorsque ces déclarations ont été à ce point évidentes ailleurs que le Times ne pouvait plus prétendre que de telles choses n'avaient jamais été dites.
La palme dans ce domaine revient Ă un article publiĂ© le 22 janvier par David Leonhardt, qui semble ĂȘtre l'un de ces journalistes de New York qui Ă©crivent tout ce qu'on leur commande d'Ă©crire. Sous le titre âLe nombre de morts en recul Ă Gazaâ, on peut lire que le nombre de morts palestiniens a diminuĂ© âde prĂšs de la moitiĂ© depuis le dĂ©but du mois de dĂ©cembreâ. Si l'on met de cĂŽtĂ© le fait que le bilan ne va pas dans ce sens, inviter les lecteurs du Times Ă se rĂ©jouir d'un bilan quotidien de 150 morts au lieu de 300 se situe quelque part entre le manque de rĂ©flexion et le mauvais goĂ»t. Mais tout est bon, semble-t-il, pour lifter l'aspect des choses Ă Gaza.
Il y a aussi la question de l'humanisation et de la dĂ©shumanisation. Nous avons lu dans le Times de trĂšs nombreux articles extrĂȘmement dĂ©taillĂ©s sur les IsraĂ©liens attaquĂ©s le 7 octobre dernier - l'individualisation Ă©tant essentielle pour façonner ce type de couverture - alors que les Palestiniens sont un flou obscur, si tant est que les correspondants du Times fassent des reportages sur eux. Le Times s'est pleinement laissĂ© aller Ă prĂ©tendre que l'histoire a commencĂ© le 7 octobre, effaçant les 76 annĂ©es prĂ©cĂ©dentes, ou le siĂšcle prĂ©cĂ©dent, selon la façon dont on compte - l'histoire, c'est-Ă -dire le rĂ©cit fait de l'histoire palestinienne. Il n'y a pas d'histoire palestinienne dans les pages du New York Times, comme le montre clairement une lecture des archives des quatre derniers mois. Le Times a rĂ©cemment commencĂ© Ă publier des exceptions Ă ces tendances dans sa couverture, et j'y reviendrai en temps voulu.
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Une caractĂ©ristique de la couverture du Times doit ĂȘtre soulignĂ©e, car elle est essentielle Ă l'ensemble du processus. Il s'agit de la question des preuves. La quasi-totalitĂ© des reportages rĂ©alisĂ©s en IsraĂ«l, et en de rares occasions Ă Gaza, s'appuient sur des preuves que les correspondants du Times ont obtenues auprĂšs de l'armĂ©e israĂ©lienne, de fonctionnaires du gouvernement israĂ©lien, de la police israĂ©lienne ou de personnes reprĂ©sentant d'autres secteurs de la structure du pouvoir israĂ©lien. Parfois, les journalistes du Times s'inspirent d'une idĂ©e ou d'un thĂšme des responsables de l'information israĂ©liens et font ensuite leur propre reportage - ce que Blumenthal appelle le âprĂ©tendu reportageâ - pour faire passer l'article publiĂ© par la suite pour un travail indĂ©pendant. Il y a deux choses Ă dire Ă ce sujet.
PremiĂšrement, les IsraĂ©liens ont eu dĂšs le dĂ©but l'intention de manipuler l'imagerie de la crise de Gaza - ce Ă quoi elle ressemble - et un contrĂŽle trĂšs Ă©troit des preuves, y compris de nombreuses âpreuvesâ inventĂ©es, a Ă©tĂ© essentiel pour y parvenir. Pour les IsraĂ©liens, faire d'eux-mĂȘmes la source principale de leurs correspondants - ou la seule source la plupart du temps - et pour les correspondants, accepter cet arrangement implique des relations d'un certain type. Il est Ă©vident que cette relation a Ă©tĂ© banalisĂ©e au cours des quatre derniers mois.
DeuxiĂšmement, les correspondants du Times - et, lĂ encore, leurs confrĂšres d'autres journaux et diffuseurs occidentaux - ne soulĂšvent jamais les questions de la qualitĂ©, de la vĂ©racitĂ©, de la provenance ou du respect de la chaĂźne des responsabilitĂ©s lorsqu'ils s'appuient sur des preuves ou des âĂ©lĂ©ments de preuveâ fournis par les autoritĂ©s israĂ©liennes. De maniĂšre formelle, ils noteront occasionnellement que tel ou tel rĂ©cit d'Ă©vĂ©nements âne peut ĂȘtre vĂ©rifiĂ© de maniĂšre indĂ©pendanteâ. Mais la procĂ©dure - les IsraĂ©liens fournissent des preuves, les correspondants les transforment en reportages - est totalement occultĂ©e. Les lecteurs n'ont droit qu'Ă âselon des responsables israĂ©liensâ, âdes sources militaires israĂ©liennes ont dĂ©clarĂ©â, etc. C'est Ă partir de lĂ que se poursuit le reportage, dans lequel les preuves ou âpreuvesâ fournies par les IsraĂ©liens sont prĂ©sentĂ©es comme telles.
A ma connaissance, les articles de ce type sont toujours rĂ©digĂ©s Ă partir d'une seule source, mĂȘme s'ils font intervenir plusieurs voix qui disent la mĂȘme chose dans un langage diffĂ©rent. Il s'agit d'un vieux truc du Times et d'autres mĂ©dias grand public : 5 et 2 font 7, 4 et 3 font Ă©galement 7, tout comme 6 et 1, et ainsi de suite. Je viens de qualifier la relation impliquĂ©e ici de routiniĂšre. Je vais maintenant la qualifier de relation hautement rĂ©prĂ©hensible : il s'agit d'une symbiose dans laquelle le Times abandonne sa souverainetĂ© et, accessoirement, dissimule cet abandon Ă ses lecteurs.
Le traitement non professionnel des preuves et des âpreuvesâ par le Times, pour dire ce qui est maintenant une Ă©vidence, en a fait un instrument de la propagande officielle alors que les crimes d'IsraĂ«l Ă Gaza se sont multipliĂ©s ces derniers mois. C'est un fait avĂ©rĂ©, comme le montre le dossier. Il ne s'agit pas pour le Times de circonstances exceptionnelles : il est inĂ©vitable qu'un journal dont les idĂ©ologies dĂ©terminent ce qui est publiĂ© assume ce rĂŽle, ailleurs comme en IsraĂ«l.
Mais la propagande, comme je lâai dĂ©jĂ rapportĂ©, est le plus souvent grossiĂšre. Le propagandiste prĂ©fĂšre de loin la simplicitĂ© et l'impact Ă la sophistication ou, qui sait, Ă la nuance. Les IsraĂ©liens ne font pas exception Ă cette rĂšgle. Le correspondant qui fait du trafic de propagande doit donc faire trĂšs attention Ă ne pas reproduire ce qui est manifestement de la camelote. C'est particuliĂšrement vrai lorsque l'on travaille dans le cadre de la relation que le Times entretient avec la machine de propagande israĂ©lienne, dont la production depuis le dĂ©but de l'assaut sur Gaza a souvent Ă©tĂ© primaire et manifestement exagĂ©rĂ©e. MĂ©fiez-vous, il y a de quoi le perdre le contrĂŽle de la situation.
Jeffrey Gettleman semble avoir manquĂ© de prudence dans ses reportages aprĂšs avoir transitĂ© de l'Ukraine Ă IsraĂ«l juste aprĂšs les Ă©vĂ©nements du 7 octobre. En toute honnĂȘtetĂ©, il n'a rien fait d'autre que ce que les correspondants du Times font habituellement lorsqu'ils couvrent âl'Ătat juifâ. Il a ouvert grand ses yeux et avalĂ© ce que les autoritĂ©s israĂ©liennes lui ont fait avaler - le beurre et l'argent du beurre. Mais lorsqu'il a lancĂ© une grande enquĂȘte pour dĂ©noncer l'utilisation odieuse par les milices du Hamas de la violence sexuelle comme arme de terreur, le 7 octobre, il ne semble pas avoir vu clair dans les histoires d'horreur invraisemblables lorsque les IsraĂ©liens les lui ont racontĂ©es. De mĂȘme, Jeffrey Gettleman n'a pas mesurĂ©, apparemment, les immenses implications de son article une fois soumis Ă un examen minutieux qu'il n'avait peut-ĂȘtre pas anticipĂ©.
Jeffrey Gettleman, peu prudent, porte aujourd'hui le chapeau et s'efforce, pour autant que l'on puisse en juger, de sauver un reportage qui semble trop douteux pour ĂȘtre sauvĂ©. Son journal est aujourd'hui en Ă©bullition. Il ne s'agit pas seulement de l'article de Gettleman : c'est l'ensemble de la couverture de la crise de Gaza par le Times qui est en cause. La relation routiniĂšre entre le Times et les autoritĂ©s israĂ©liennes est maintenant exposĂ©e Ă plus de lumiĂšre qu'elle n'aurait dĂ» l'ĂȘtre. Il en va de mĂȘme pour les mĂ©diocritĂ©s laxistes, nĂ©gligentes et non professionnelles que les mĂ©dias grand public ont fait d'eux-mĂȘmes.
Les IsraĂ©liens ont commencĂ© Ă affirmer que les milices du Hamas s'Ă©taient rendues coupables de viols et de violences sexuelles lors de leur incursion du 7 octobre dans le sud d'IsraĂ«l, plus ou moins immĂ©diatement aprĂšs les Ă©vĂ©nements de cette journĂ©e. Ils ont affirmĂ© dĂ©tenir des âpreuves considĂ©rablesâ - l'expression de Gettleman dans son article initial, le 4 dĂ©cembre - avec tĂ©moins, photographies et Ă©quipes mĂ©dicales d'urgence. Dans ce mĂȘme article, Gettleman cite un responsable de la police affirmant que des femmes et des hommes, par dizaines, avaient Ă©tĂ© violĂ©s le 7 octobre. Les dĂ©fenseurs des droits des femmes qui se rĂ©unissaient Ă l'ONU Ă cette Ă©poque ont commencĂ© Ă penser que les abus sexuels prĂ©sumĂ©s s'inscrivaient dans un schĂ©ma : des armes de terreur systĂ©matiques.
AprĂšs ces premiĂšres affirmations, les autoritĂ©s policiĂšres israĂ©liennes semblent s'ĂȘtre subtilement mais rapidement adoucies. Non, il n'y a pas eu d'autopsie, les tĂ©moins ont Ă©tĂ© difficiles Ă localiser, les personnes prĂ©sentes sur les lieux des incidents prĂ©sumĂ©s n'ont pas recueilli de preuves, non, elles n'avaient rien Ă dire sur l'interrogatoire des victimes de viols prĂ©sumĂ©s. Le dossier de Gettleman du 4 dĂ©cembre Ă©tait, du moins par rapport Ă ce qui allait suivre, raisonnablement prudent - ce que nous savons, ce que nous ne savons pas. Mais la dĂ©rive Ă©tait lĂ . âDe nombreux tĂ©moignages et preuves documentaires d'assassinats, y compris des vidĂ©os postĂ©es par les combattants du Hamas eux-mĂȘmesâ, Ă©crit Gettleman, âĂ©tayent les allĂ©gationsâ.
Si j'ai bien lu le dossier de coupures de presse de Gettleman, c'est avec cette phrase qu'il a commencĂ© Ă s'attirer des ennuis. Il s'est avĂ©rĂ© que les tĂ©moignages qu'il a citĂ©s Ă©taient flous et peu exhaustifs, que les preuves documentaires ne prouvent pas grand-chose et que les vidĂ©os, Ă moins qu'il n'y ait des vidĂ©os dont nous n'avons pas connaissance, ne prouvent rien du tout. L'expression âtĂ©moignages et preuves documentairesâ comprend un lien vers un long article sur le Hamas aprĂšs les dĂ©bats politiques du 7 octobre, qui ne mentionne ni le viol ni la violence sexuelle et qui n'a rien Ă voir avec le sujet de l'article de Gettleman.
La signature de Gettleman n'est pas rĂ©apparue dans le Times avant le 28 dĂ©cembre, date Ă laquelle sa vaste enquĂȘte a Ă©tĂ© publiĂ©e sous le titre âDes cris sans paroles : Comment le Hamas a instrumentalisĂ© la violence sexuelle le 7 octobreâ. Il a choisi comme personnage central âla femme en robe noireâ. Il s'agit d'un cadavre retrouvĂ© et filmĂ© sur le bord d'une route le 8 octobre.
âDans une vidĂ©o de mauvaise qualitĂ©â, Ă©crit M. Gettleman, âon peut la voir, allongĂ©e sur le dos, la robe dĂ©chirĂ©e, les jambes Ă©cartĂ©es, le sexe Ă l'air. Son visage est brĂ»lĂ© au point d'ĂȘtre mĂ©connaissable et sa main droite lui cache les yeuxâ.
Gettleman indique que cette femme s'appelle Gal Abdush, 34 ans, mĂšre de deux enfants, qui faisait la fĂȘte avec son mari le long de la frontiĂšre de Gaza aux premiĂšres heures du 7 octobre et qui a ensuite Ă©tĂ© assassinĂ©e, tout comme son mari. Dans les sept paragraphes qui suivent, il apparaĂźt clairement que Gettleman a mordu Ă l'hameçon des âpreuvesâ fournies par les responsables israĂ©liens :
âEn se basant en grande partie sur les preuves vidĂ©o - vĂ©rifiĂ©es par le New York Times - les responsables de la police israĂ©lienne ont dĂ©clarĂ© qu'ils pensaient que Mme Abdush avait Ă©tĂ© violĂ©e, et elle est devenue un symbole des horreurs infligĂ©es aux femmes et aux jeunes filles israĂ©liennes lors des attaques du 7 octobre.â
Ătudions briĂšvement ce passage. Ătes-vous intĂ©ressĂ© par ce que la police israĂ©lienne dit croire ? Non, pas du tout. Je ne m'intĂ©resse jamais Ă ce que les fonctionnaires occupant de telles positions croient, ressentent ou, la plupart du temps, pensent : ce qui m'intĂ©resse, c'est ce qu'ils savent, et ils n'ont pas dit Ă M. Gettleman qu'ils savaient quoi que ce soit. De mĂȘme, le Times a âvĂ©rifiĂ©â la vidĂ©o, n'est-ce pas ? De quelle maniĂšre ? Qu'a-t-il vĂ©rifiĂ©, exactement ? L'existence de la vidĂ©o ? Gettleman suggĂšre-t-il que le Times a vĂ©rifiĂ© Ă partir de la vidĂ©o qu'Abdush a Ă©tĂ© violĂ©e ? Aucune vidĂ©o d'un cadavre ne pourrait le vĂ©rifier.
L'histoire de cette vidĂ©o est Ă©trange, pour rester briĂšvement dans le sujet. Gettleman a Ă©crit qu'elle Ă©tait âdevenue viraleâ, mais elle est introuvable sur Internet, et personne ne se souvient d'avoir appelĂ© Abdush âla femme Ă la robe noireâ. Cette vidĂ©o pose Ă©galement un problĂšme de chronologie, comme l'analyse un article paru le 3 janvier dans Mondoweiss. Gettleman raconte le dernier texto, avec l'heure, que Gal Abdush a envoyĂ© Ă sa famille. Pendant ce temps, le mari d'Abdush, Nagy, Ă©tait avec elle et a envoyĂ© ses propres messages Ă la famille, Ă©galement horodatĂ©s. Quatre minutes se sont Ă©coulĂ©es entre le dernier message de Gal Abdush et le moment oĂč Nagy Abdush a envoyĂ© un message Ă la famille pour annoncer le dĂ©cĂšs de sa femme - un message que Gttleman n'a pas mentionnĂ©. Nagy Abdush n'a pas fait rĂ©fĂ©rence au viol. Il a envoyĂ© son propre message final 44 minutes plus tard - un message mentionnĂ© dans lâarticle de Gettleman.
Un ou plusieurs guerriers du Hamas ont-ils violĂ© une femme en prĂ©sence de son mari, puis, dans l'une ou l'autre sĂ©quence, l'ont-ils assassinĂ©e et brĂ»lĂ©e, puis ont-ils assassinĂ© le mari, tout cela non pas en 44 minutes, comme le laisse entendre l'article de Gettleman, mais en quatre minutes ? Depuis la publication de l'article de Gettleman, la famille d'Abdush, manifestement irritĂ©e, l'a accusĂ© de dĂ©former les preuves et de les manipuler dans le cadre de son reportage. âElle n'a pas Ă©tĂ© violĂ©eâ, a Ă©crit Mira Alter, la sĆur de Gal Abdush, sur les rĂ©seaux sociaux quelques jours aprĂšs la publication de l'article de Gettleman. âIl n'y avait aucune preuve de viol. Ce n'Ă©tait qu'une vidĂ©oâ.
C'est ainsi que se prĂ©sentent les 3 700 mots que Gettleman a consacrĂ©s Ă son enquĂȘte, qui porte Ă©galement les signatures d'Anat Schwartz et d'Adam Sella. Il y a des tĂ©moins qui changent leur histoire une, deux ou plusieurs fois. Il y a un tĂ©moin dont il est prouvĂ© qu'il a menti dans des circonstances similaires. Il y a le tĂ©moignage d'une structure de sauvetage dont les liens avec l'armĂ©e israĂ©lienne sont douteux et dont les mĂ©dias israĂ©liens ont largement rapportĂ© la corruption qui l'entoure. Il y a un tĂ©moin qui a dit Ă Gettleman qu'il avait vu deux adolescentes allongĂ©es nues et seules sur le sol d'une maison, l'une d'elles avec du sperme sur le dos, alors qu'il a Ă©tĂ© prouvĂ© plus tard qu'elles avaient Ă©tĂ© tellement brĂ»lĂ©es qu'il Ă©tait difficile de les identifier, et qu'elles n'ont pas Ă©tĂ© trouvĂ©es seules mais dans les bras de leur mĂšre Ă©galement brĂ»lĂ©e.
Et ainsi de suite. Vous avez des descriptions de toutes sortes de perversitĂ©s inimaginables, dignes d'un film de sĂ©rie B - des combattants jouant avec des seins coupĂ©s, des miliciens se promenant avec des bras chargĂ©s de tĂȘtes coupĂ©es - qui reposent sur des âtĂ©moinsâ dont les rĂ©cits, Ă©tant donnĂ© le nombre de modifications ou de divergences par rapport Ă ce qui a finalement Ă©tĂ© dĂ©terminĂ©, ne peuvent tout simplement pas ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme fiables.
Et puis il y a les dĂ©clarations officielles. L'une des plus catĂ©goriques est celle de la police israĂ©lienne, publiĂ©e aprĂšs que le Times a publiĂ© âDes cris sans parolesâ le 28 dĂ©cembre, et affirmant qu'elle n'a trouvĂ© aucun tĂ©moin oculaire des viols du 7 octobre, et qu'elle ne voit rien dans les rapports des mĂ©dias tels que ceux du Times qui constitue la preuve d'une violence sexuelle systĂ©matique.
Il est rare que j'incite les lecteurs de cette rubrique Ă lire le New York Times - certains m'Ă©crivent d'ailleurs pour me remercier de le lire afin qu'ils n'aient pas Ă le faire. En l'occurrence, je pense que la lecture des articles de Gettleman pourrait ĂȘtre une bonne idĂ©e, mais seulement en parallĂšle avec le travail de The Grayzone. Mondoweiss, une publication amĂ©ricaine qui traite d'IsraĂ«l et de la Palestine, a Ă©galement rĂ©alisĂ© un travail qui mĂ©rite d'ĂȘtre lu. C'est l'occasion de voir Ă quoi ressemble cette sclĂ©rose lorsqu'elle cĂŽtoie la vitalitĂ©.
Blumenthal et Aaron MatĂ©, son collĂšgue de The Grayzone, ont commencĂ© Ă examiner de prĂšs les articles du Times sur les allĂ©gations de violence sexuelle immĂ©diatement aprĂšs la publication du premier article de Gettleman, le 4 dĂ©cembre. Deux jours plus tard, The Grayzone a publiĂ© un compte rendu dĂ©taillĂ© de ZAKA, l'organisation de sauvetage discrĂ©ditĂ©e qui figurait en bonne place parmi les sources de Gettleman. Trois jours aprĂšs la publication de âDes cris sans parolesâ le 28 dĂ©cembre, Blumenthal et MatĂ© ont diffusĂ© un podcast de 42 minutes exposant la longue liste d'incohĂ©rences qu'ils avaient identifiĂ©es dans l'article. Deux semaines plus tard, le 10 janvier, The Grayzone a publiĂ© une longue lettre adressĂ©e au Times pour l'exhorter Ă corriger les nombreuses erreurs et manquements Ă l'Ă©thique des articles de Gettleman.
âLe rĂ©cit du Times, commençait la lettre, est entachĂ© de sensationnalisme, de fausses pistes logiques et d'une absence de preuves concrĂštes Ă l'appui de sa conclusion gĂ©nĂ©raleâ.
Depuis, le Times est resté silencieux - publiquement, voire en interne.
Le Times aurait difficilement pu se mettre dans une position plus dĂ©licate Ă propos du dĂ©sastre de âDes cris sans parolesâ s'il l'avait voulu. Il semble que la situation ait Ă©tĂ© longue Ă mettre en place, et qu'elle ait explosĂ© en mĂȘme temps que le dĂ©sastre que nous vivons aujourd'hui.
Le malaise concernant la couverture d'Israël par le Times, à l'intérieur et à l'extérieur de ses locaux, est une longue histoire. Des correspondants du Times dont les enfants servent dans les forces de défense israéliennes, des correspondants entretenant des relations apparemment inappropriées avec des groupes de pression tels que la Ligue anti-diffamation : au fil des ans, ce genre de faits a incité les critiques à remettre en question les liens étroits entre le journal et Israël, ainsi que la pertinence de sa couverture de l'actualité. Plus précisément, la couverture de Gaza par le journal a fait l'objet de critiques soutenues de la part de la rédaction bien avant la publication de l'article de M. Gettleman. Un article du le 26 janvier dans The Intercept, citant des sources de la salle de rédaction, décrivait
âun combat permanent ravivĂ© presque au quotidien Ă propos de la teneur du traitement de la guerre Ă Gaza par le Timesâ.
Ce conflit semble avoir atteint des sommets de virulence lorsque The Daily, le premier podcast du Times, s'en est mĂȘlĂ©. Le Daily est la vitrine de ce que le journal est censĂ© prĂ©senter comme ses meilleurs articles de fond, c'est-Ă -dire ceux qui contiennent beaucoup de reportages originaux, et il a programmĂ© un Ă©pisode basĂ© sur âDes cris sans parolesâ pour une diffusion le 9 janvier. Joe Kahn, rĂ©dacteur en chef du Times, avait dĂ©jĂ vantĂ© le reportage dans un mĂ©morandum interne comme l'un des âarticles phares de l'entreprise sur la guerre entre IsraĂ«l et le Hamasâ et l'avait dĂ©crit comme Ă©tant conçu âde maniĂšre sensible et dĂ©taillĂ©eâ. Kahn a peut-ĂȘtre sautĂ© avant mĂȘme de regarder. Les producteurs du Daily ont rapidement retirĂ© la sĂ©quence lorsque les erreurs ont commencĂ© Ă s'accumuler dans le document dĂ©posĂ© par Gettleman et ses collĂšgues. Ils ont par la suite rĂ©digĂ© un script rĂ©visĂ© pour rĂ©soudre certains des problĂšmes - en insĂ©rant des qualificatifs, selon The Intercept, et en laissant une large place Ă la remise en question, voire au doute, de la certitude factuelle que Gettleman a inscrite dans sa prose.
Le sujet rĂ©visĂ© est maintenant âmis en pauseâ, quoi que cela signifie. Le journal se trouve donc confrontĂ© Ă un choix qui m'Ă©tonne : il peut publier le contenu original, en prĂ©tendant que le travail discrĂ©ditĂ© reste valable, ou il peut publier le contenu rĂ©Ă©crit, ce qui discrĂ©dite le reportage Gettleman en soi.
Max Blumenthal pense que la crise au sein du Times reflĂšte un profond clivage entre la salle de rĂ©daction, oĂč semble survivre une cohorte de journalistes consciencieux, et les Ă©chelons supĂ©rieurs de la direction, oĂč rĂ©sident les grands prĂȘtres idĂ©ologiques du journal. Je n'ai pas mis les pieds dans le bĂątiment du Times depuis plus de dix ans, mais l'histoire vient Ă©tayer cette thĂšse. Elle remonte au moins aux annĂ©es 1950, lorsque Aurthur Hays Sulzberger, en tant qu'Ă©diteur, a signĂ© un accord de secret avec la Central Intelligence Agency et a donnĂ© son accord tacite aux correspondants qui voulaient travailler pour l'agence.
Mais il faut aller bien au-delĂ du grand immeuble de verre de la HuitiĂšme Avenue pour saisir l'ampleur de la crise que Jeffery Gettleman a dĂ©clenchĂ©e. Son travail nĂ©gligent, et c'est un euphĂ©misme, a mis en lumiĂšre un processus qui prĂ©vaut dans l'ensemble des mĂ©dias grand public. CNN, The Guardian, MSNBC, PBS et bien d'autres : tous ont suivi la mĂȘme procĂ©dure en reproduisant l'histoire des âabus sexuels systĂ©matiquesâ telle que les IsraĂ©liens la leur ont transmise. Nous sommes aujourd'hui confrontĂ©s au pouvoir destructeur des mĂ©dias d'entreprise, qui se consacrent Ă servir les intĂ©rĂȘts des cliques politiques qui dirigent l'imperium et ses auxiliaires. Nous sommes Ă©galement confrontĂ©s aux responsabilitĂ©s qui incombent aux publications indĂ©pendantes du fait d'une corruption aussi basique que celle-ci.
âCe sont des mensonges qui tuentâ, a fait remarquer Blumenthal Ă propos du passage de Rising mentionnĂ© plus haut, âparce que ces mensonges, affabulations, distorsions, demi-vĂ©ritĂ©s et exagĂ©rations des faits sont destinĂ©s Ă gĂ©nĂ©rer un consentement politique Ă l'assaut gĂ©nocidaire d'IsraĂ«l Ă Gaza. Ils doivent ĂȘtre dĂ©noncĂ©s.â
Existe-t-il une façon plus vraie d'exprimer ce point de vue ?
â
Il faut rendre Ă CĂ©sar ce qui lui appartient.
Au cours des deux derniĂšres semaines, le Times a publiĂ© une poignĂ©e d'articles exceptionnels, du moins relativement, pour leur traitement Ă©quilibrĂ© de la crise israĂ©lo-palestinienne dans toute son ampleur. Soudainement, l'histoire de ce conflit remonte Ă plus de quatre mois. Tout Ă coup, les Palestiniens ont des voix qui ont des choses Ă dire. Brusquement, ils sont des ĂȘtres humains vivants, qui respirent. Est-ce si rare dans les pages du Times ?
J'ai Ă©tĂ© alertĂ© par cette sĂ©rie d'articles - qui ne peuvent ĂȘtre lus comme une sĂ©rie intentionnelle - le dernier jour de janvier, lorsque Roger Cohen a publiĂ© un long reportage en Cisjordanie sous le titre âNous ne sommes pas trĂšs loin de l'explosionâ, dans lequel le chef du bureau parisien du journal, longtemps favorable aux perspectives israĂ©liennes, dĂ©crit la laideur vicieuse des colons israĂ©liens fanatiques et des soldats de Tsahal qui attaquent sans cesse les habitants de Cisjordanie qui tentent simplement de s'accrocher Ă ce qu'ils ont. C'est un travail Ă©mouvant.
Un jour plus tard, le Times a publiĂ© âLa Route vers 1948â, qui consiste en un dĂ©bat Ă multiples rebondissements animĂ© par Emily Bazelon, professeur de droit Ă l'universitĂ© de Yale. Les personnes qui s'expriment dans cette longue discussion - et Bazelon gĂšre l'Ă©change avec lĂ©gĂšretĂ© et sans ingĂ©rence - font remonter la question d'IsraĂ«l et de la Palestine au mandat britannique de 1920. L'article explique clairement comment les Britanniques ont favorisĂ© les organisations sionistes en tant que prĂ©curseurs d'un Ătat, alors qu'ils n'ont pas accordĂ© un tel statut aux Palestiniens. Mais l'idĂ©e simplificatrice selon laquelle âil s'agit d'un conflit national avec des Ă©lĂ©ments religieuxâ, ou que les colons sionistes et les Palestiniens ont des revendications Ă peu prĂšs Ă©quivalentes, me semble ĂȘtre une vision dangereuse. Le Times a tout de mĂȘme ramenĂ© ses lecteurs un siĂšcle en arriĂšre.
Le lendemain est paru un article intitulĂ© âEn Cisjordanie, les Palestiniens luttent pour s'adapter Ă une nouvelle rĂ©alitĂ©â. Yara Bayoumy et Rami Nazzal y dĂ©crivent les nouvelles restrictions sĂ©vĂšres imposĂ©es par les IsraĂ©liens aux dĂ©placements des habitants de la Cisjordanie depuis le 7 octobre. Dimanche dernier, le journal a publiĂ© âPortraits de Gazaouisâ, des photographies de Samar Abu Elouf avec des textes de Declan Walsh et Abu Elouf. Ces photos me semblent un peu aseptisĂ©es, comme si elles Ă©taient destinĂ©es Ă dĂ©ranger les sensibilitĂ©s libĂ©rales amĂ©ricaines, mais pas assez pour les dĂ©goĂ»ter ou les faire descendre dans la rue avec des pancartes. C'est dĂ©jĂ bien, mais c'est trop banal par rapport aux images qui nous plongent dans l'horreur, et qu'on trouve facilement sur les rĂ©seaux sociaux et dans les publications indĂ©pendantes.
Mardi matin, une information intĂ©ressante. âCe que rĂ©vĂšlent les vidĂ©os des soldats israĂ©liens : La destruction et les moqueries Ă l'Ă©gard des habitants de Gazaâ, avec un petit dĂ©filĂ© de titres : le Times s'est enfin dĂ©cidĂ© Ă publier certaines des vidĂ©os Ă©tonnamment crues que les soldats de l'armĂ©e israĂ©lienne rĂ©alisent d'eux-mĂȘmes lorsqu'ils se dĂ©chaĂźnent dans la bande de Gaza. Pourquoi maintenant ? Cette question ne peut ĂȘtre Ă©ludĂ©e, Ă©tant donnĂ© l'assiduitĂ© avec laquelle le Times a Ă©vitĂ© ce type de support jusqu'Ă cette semaine. Pourquoi cette sĂ©rie d'articles plus ou moins inhabituels pour un journal qui s'est si longtemps prĂ©sentĂ© comme l'apologiste le plus influent d'IsraĂ«l parmi les mĂ©dias amĂ©ricains ?
La question est pertinente, et je n'ai pas de rĂ©ponse certaine. Si l'on examine ce phĂ©nomĂšne de prĂšs, ces articles en rafale pourraient reflĂ©ter le tumulte et la grogne dans la salle de rĂ©daction du journal. Les journalistes et les rĂ©dacteurs en chef indignĂ©s par la couverture de Gaza et irritĂ©s par l'article de Gettleman ont-ils changĂ© d'avis au niveau de la rĂ©daction ? Peut-ĂȘtre. C'est possible. Le journal s'est-il empressĂ© d'imprimer ces articles pour limiter les dĂ©gĂąts aprĂšs la publication de l'article de Gettleman ? C'est probable. Peut-ĂȘtre que le Times a finalement dĂ©cidĂ© qu'IsraĂ«l lui en demandait trop. C'est un peu tirĂ© par les cheveux, mais gardons cette hypothĂšse en tĂȘte.
Rappelons la couverture du Times aprÚs la crise de la mosquée al-Aqsa au printemps 2021. Comme aujourd'hui, il a publié de nombreux articles favorables aux Palestiniens et trÚs critiques à l'égard du comportement des Israéliens. Mais au fil du temps, il est devenu évident qu'il s'agissait simplement d'un tournant temporaire, d'une défense à reculons exigée par le moment. Trois ans plus tard, le Times nous offre Jeffrey Gettleman. Et ça change.
Je repense Ă la guerre du ViĂȘt Nam pour trouver une explication Ă ces articles. Certains lecteurs se souviendront peut-ĂȘtre que le Times - un journal bien diffĂ©rent Ă l'Ă©poque - a commencĂ© Ă la fin des annĂ©es 1960 Ă publier des articles trĂšs critiques rĂ©digĂ©s par des correspondants qui se sont rapidement fait remarquer pour cela : David Halberstam, Malcolm Browne, Neil Sheehan. Dans la profession et parmi les lecteurs, ces personnes se sont vu dĂ©cerner des distinctions pour leur courage et leur intĂ©gritĂ©, et ce Ă juste titre, bien qu'elles se soient opposĂ©es Ă la guerre moins par principe que par conviction partagĂ©e que les Ătats-Unis ne pouvaient pas la gagner.
J'ai longtemps pensĂ© que la teneur de la couverture du Vietnam par le Times avait changĂ© parce que, au moment oĂč les correspondants susmentionnĂ©s et d'autres comme eux publiaient des articles sur Saigon, une profonde fracture apparaissait entre les cliques politiques de Washington et qu'il Ă©tait alors permis d'Ă©crire contre la folie du Pentagone pour l'Asie du Sud-Est.
Le Times rĂ©agit-il de la mĂȘme maniĂšre aujourd'hui ? L'humeur a changĂ© Ă Washington, ou est en train de changer. La fracture au Capitole devient de plus en plus flagrante. Pensez Ă toutes ces lettres ouvertes que des fonctionnaires amĂ©ricains, dont certains hauts placĂ©s, signent et font circuler pour exprimer leurs objections au soutien inconsidĂ©rĂ© du rĂ©gime Biden aux crimes d'une nation inconsciente. Le Times, Ă sa maniĂšre typiquement dĂ©tournĂ©e, a-t-il Ă©crit et envoyĂ© sa propre lettre par le biais des articles qui ne correspondent pas du tout Ă l'IsraĂ«l que Jeffrey Gettleman prĂ©sente aux lecteurs du Times ?
https://scheerpost.com/2024/02/12/patrick-lawrence-the-crisis-at-the-new-york-times/