👁🗨 Crise au New York Times
Le “journal de référence” s'écroule, s’abîmant dans le tumulte généré par des reportages sur Israël & Gaza si minables qu'il risque, comme Israël, de ne jamais complètement rétablir sa réputation.
👁🗨 Crise au New York Times
De la propagande israélienne à la Une.
Par Patrick Lawrence / Original to ScheerPost, le 12 février 2024
Depuis le début du génocide à Gaza, le 7 octobre, beaucoup d'entre nous ont compris qu'Israël risquait d'en demander un peu trop à tous ceux prêts à se ranger à ses côtés. L'État sioniste demanderait ce que de nombreuses personnes ne peuvent pas donner : de renoncer à leur conscience, à leur sens de l'ordre moral, voire à leur décence intrinsèque, alors qu'il assassine, affame et disperse une population de 2,3 millions d'habitants, tout en rendant anéantissant leur terre.
Les Israéliens ont pris ce risque, et ils ont perdu. Nous sommes désormais en mesure de regarder des vidéos de soldats israéliens célébrant le meurtre de mères et d'enfants palestiniens, dansant et chantant tout en faisant exploser des quartiers entiers, se moquant des Palestiniens dans une débauche de dépravation raciste pire que tout ce qu'on aurait pu attendre de l'humanité - et certainement plus que ce qu'un Juif ferait à un autre être humain. Le journal israélien Haaretz rapporte, comme les médias américains ne le font pas, que les Forces de défense israéliennes parrainent secrètement un canal de réseaux sociaux diffusant ces images dégénérées dans le but d'entretenir une haine maximale.
C'est une nation psychologiquement malade qui se vante d'infliger cette souffrance à l'Autre qui l'obsède. Le monde est invité - le summum de la perversité - à participer à la maladie d'Israël, et a dit “non” dans une salle d'audience de La Haye il y a deux semaines.
Dans l'après-Gaza, l'Israël de l'apartheid ne retrouvera probablement jamais la place qu'il occupait, à juste titre ou non, dans la communauté des nations. Il fait désormais partie des parias. Le régime Biden a lui aussi pris ce risque, et il a également perdu. Son soutien aux brutalités quotidiennes des Israéliens a un coût politique élevé, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays, et déchire l'Amérique - ses universités, ses tribunaux, ses assemblées législatives, ses communautés - et, je dirais, la fierté qu'elle parvient encore à tirer d'elle-même. Lorsque l'histoire du déclin de l'Amérique en tant que puissance hégémonique sera écrite, la crise de Gaza y figurera certainement comme un marqueur décisif de la descente de la nation vers un marasme d'immoralité qui a déjà contribué à ruiner sa crédibilité.
Venons-en aux médias américains - médias grand public, médias d'entreprise, médias traditionnels. Quel que soit le nom qu'on leur donne, ils ont joué et perdu, eux aussi. Leur couverture de la crise de Gaza a été si manifestement et si imprudemment favorable à Israël que leurs manquements peuvent être perçus comme sans précédent. Lorsque les sondages seront réalisés et les résultats connus, leurs distorsions sans scrupules, leurs innombrables omissions et - la pire offense, à mon avis - leur déshumanisation des Palestiniens de Gaza auront encore porté atteinte à cette crédibilité déjà en chute libre.
Au tour du New York Times. Aucun média américain n'a eu à subir plus de revers en raison de ses reportages sur Israël et Gaza depuis octobre dernier. Et le journal de référence, qu’on ne présente plus, qui suffoque de son orgueil notoire, s'effondre au moment même où nous parlons. Il a plongé, selon de nombreux témoignages, y compris implicitement les siens, dans un tumulte interne provoqué par des reportages sur Israël et Gaza si minables, si manifestement négligents, qu'il risque, comme Israël, de ne jamais rétablir complètement sa réputation.
Max Blumenthal, rédacteur en chef de The Grayzone, a décrit la crise de la Huitième Avenue mieux que quiconque dans l'épisode du 30 janvier de l'émission quotidienne de The Hill, Rising. “Nous sommes face à l'un des plus grands scandales médiatiques de notre époque”, a-t-il déclaré à Briahna Joy Gray et Robby Soave. C'est vrai. Cet exemple illustre bien la gravité de la corruption délibérée du Times dans son utilisation prodigue de la propagande israélienne, et M. Blumenthal mérite bien ce micro pour le dire. Depuis la fin de l'année dernière, The Grayzone a mené une enquête exhaustive sur les “investigations” du Times concernant la soit-disant sauvagerie du Hamas et la prétendue innocence d'Israël.
Il ne s'agit pas seulement de “délits d'entre-soi”, comme le dit l'adage. Nous disposons désormais de l’anatomie complexe et édifiante d'un journal à la réputation imméritée, qui abandonne au pouvoir, de manière abjecte, la souveraineté qu'il est de son devoir de revendiquer et d'affirmer dans ses éditions quotidiennes. On ne saurait trop insister sur les implications, pour nous tous, de ce que The Grayzone vient de mettre en lumière. C'est le journalisme indépendant dans ce qu'il a de meilleur qui dénonce le journalisme d'entreprise dans ce qu'il a de pire.
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Ce que nous découvrons en lisant les reportages quotidiens du Times en Israël et à Gaza, lorsque ses correspondants acceptent imprudemment des invitations à intégrer les Forces de défense israéliennes, c'est que ce journal ne remet en question ni sa fidélité de longue date à Israël, ni sa disponibilité à la puissance américaine. Ces deux inclinaisons idéologiques - bien plus enracinées que ce que ses journalistes ne voient et entendent - ont défini la couverture de cette crise par le journal. C'est du mauvais journalisme sur toute la ligne.
Il était donc inévitable que le Times se fasse l'apologiste d'Israël dès que les Forces de défense israéliennes ont commencé leur série de meurtres en octobre dernier. Il ne s'agissait pas d'un déchaînement digne des Wisigoths, comme l'ont révélé les nombreuses vidéos diffusées sur les réseaux sociaux et dans les publications indépendantes : il a été qualifié de “guerre”, une guerre menée non pas contre les Palestiniens mais “contre le Hamas”, et Israël l'a menée par “légitime défense”. Le Hamas est une “organisation terroriste”, ce qui signifie qu'il n'y a pas de complexité ni de signification, et qu'il n'est donc pas nécessaire d’essayer de comprendre quoi que ce soit à son sujet.
Dans les pages du Times, il s'agit de minimiser et de maximiser. L'intention génocidaire d'Israël est indéchiffrable pour quiconque se fie à sa couverture. La destruction physique de Gaza n'est jamais décrite comme systématique. Les militaires de l'armée israélienne ne prennent pas pour cible les non-combattants. Le journal a rapporté les déclarations choquantes de responsables israéliens, dont certains prônent ouvertement le génocide, le nettoyage ethnique et et autres crimes, uniquement lorsque ces déclarations ont été à ce point évidentes ailleurs que le Times ne pouvait plus prétendre que de telles choses n'avaient jamais été dites.
La palme dans ce domaine revient à un article publié le 22 janvier par David Leonhardt, qui semble être l'un de ces journalistes de New York qui écrivent tout ce qu'on leur commande d'écrire. Sous le titre “Le nombre de morts en recul à Gaza”, on peut lire que le nombre de morts palestiniens a diminué “de près de la moitié depuis le début du mois de décembre”. Si l'on met de côté le fait que le bilan ne va pas dans ce sens, inviter les lecteurs du Times à se réjouir d'un bilan quotidien de 150 morts au lieu de 300 se situe quelque part entre le manque de réflexion et le mauvais goût. Mais tout est bon, semble-t-il, pour lifter l'aspect des choses à Gaza.
Il y a aussi la question de l'humanisation et de la déshumanisation. Nous avons lu dans le Times de très nombreux articles extrêmement détaillés sur les Israéliens attaqués le 7 octobre dernier - l'individualisation étant essentielle pour façonner ce type de couverture - alors que les Palestiniens sont un flou obscur, si tant est que les correspondants du Times fassent des reportages sur eux. Le Times s'est pleinement laissé aller à prétendre que l'histoire a commencé le 7 octobre, effaçant les 76 années précédentes, ou le siècle précédent, selon la façon dont on compte - l'histoire, c'est-à-dire le récit fait de l'histoire palestinienne. Il n'y a pas d'histoire palestinienne dans les pages du New York Times, comme le montre clairement une lecture des archives des quatre derniers mois. Le Times a récemment commencé à publier des exceptions à ces tendances dans sa couverture, et j'y reviendrai en temps voulu.
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Une caractéristique de la couverture du Times doit être soulignée, car elle est essentielle à l'ensemble du processus. Il s'agit de la question des preuves. La quasi-totalité des reportages réalisés en Israël, et en de rares occasions à Gaza, s'appuient sur des preuves que les correspondants du Times ont obtenues auprès de l'armée israélienne, de fonctionnaires du gouvernement israélien, de la police israélienne ou de personnes représentant d'autres secteurs de la structure du pouvoir israélien. Parfois, les journalistes du Times s'inspirent d'une idée ou d'un thème des responsables de l'information israéliens et font ensuite leur propre reportage - ce que Blumenthal appelle le “prétendu reportage” - pour faire passer l'article publié par la suite pour un travail indépendant. Il y a deux choses à dire à ce sujet.
Premièrement, les Israéliens ont eu dès le début l'intention de manipuler l'imagerie de la crise de Gaza - ce à quoi elle ressemble - et un contrôle très étroit des preuves, y compris de nombreuses “preuves” inventées, a été essentiel pour y parvenir. Pour les Israéliens, faire d'eux-mêmes la source principale de leurs correspondants - ou la seule source la plupart du temps - et pour les correspondants, accepter cet arrangement implique des relations d'un certain type. Il est évident que cette relation a été banalisée au cours des quatre derniers mois.
Deuxièmement, les correspondants du Times - et, là encore, leurs confrères d'autres journaux et diffuseurs occidentaux - ne soulèvent jamais les questions de la qualité, de la véracité, de la provenance ou du respect de la chaîne des responsabilités lorsqu'ils s'appuient sur des preuves ou des “éléments de preuve” fournis par les autorités israéliennes. De manière formelle, ils noteront occasionnellement que tel ou tel récit d'événements “ne peut être vérifié de manière indépendante”. Mais la procédure - les Israéliens fournissent des preuves, les correspondants les transforment en reportages - est totalement occultée. Les lecteurs n'ont droit qu'à “selon des responsables israéliens”, “des sources militaires israéliennes ont déclaré”, etc. C'est à partir de là que se poursuit le reportage, dans lequel les preuves ou “preuves” fournies par les Israéliens sont présentées comme telles.
A ma connaissance, les articles de ce type sont toujours rédigés à partir d'une seule source, même s'ils font intervenir plusieurs voix qui disent la même chose dans un langage différent. Il s'agit d'un vieux truc du Times et d'autres médias grand public : 5 et 2 font 7, 4 et 3 font également 7, tout comme 6 et 1, et ainsi de suite. Je viens de qualifier la relation impliquée ici de routinière. Je vais maintenant la qualifier de relation hautement répréhensible : il s'agit d'une symbiose dans laquelle le Times abandonne sa souveraineté et, accessoirement, dissimule cet abandon à ses lecteurs.
Le traitement non professionnel des preuves et des “preuves” par le Times, pour dire ce qui est maintenant une évidence, en a fait un instrument de la propagande officielle alors que les crimes d'Israël à Gaza se sont multipliés ces derniers mois. C'est un fait avéré, comme le montre le dossier. Il ne s'agit pas pour le Times de circonstances exceptionnelles : il est inévitable qu'un journal dont les idéologies déterminent ce qui est publié assume ce rôle, ailleurs comme en Israël.
Mais la propagande, comme je l’ai déjà rapporté, est le plus souvent grossière. Le propagandiste préfère de loin la simplicité et l'impact à la sophistication ou, qui sait, à la nuance. Les Israéliens ne font pas exception à cette règle. Le correspondant qui fait du trafic de propagande doit donc faire très attention à ne pas reproduire ce qui est manifestement de la camelote. C'est particulièrement vrai lorsque l'on travaille dans le cadre de la relation que le Times entretient avec la machine de propagande israélienne, dont la production depuis le début de l'assaut sur Gaza a souvent été primaire et manifestement exagérée. Méfiez-vous, il y a de quoi le perdre le contrôle de la situation.
Jeffrey Gettleman semble avoir manqué de prudence dans ses reportages après avoir transité de l'Ukraine à Israël juste après les événements du 7 octobre. En toute honnêteté, il n'a rien fait d'autre que ce que les correspondants du Times font habituellement lorsqu'ils couvrent “l'État juif”. Il a ouvert grand ses yeux et avalé ce que les autorités israéliennes lui ont fait avaler - le beurre et l'argent du beurre. Mais lorsqu'il a lancé une grande enquête pour dénoncer l'utilisation odieuse par les milices du Hamas de la violence sexuelle comme arme de terreur, le 7 octobre, il ne semble pas avoir vu clair dans les histoires d'horreur invraisemblables lorsque les Israéliens les lui ont racontées. De même, Jeffrey Gettleman n'a pas mesuré, apparemment, les immenses implications de son article une fois soumis à un examen minutieux qu'il n'avait peut-être pas anticipé.
Jeffrey Gettleman, peu prudent, porte aujourd'hui le chapeau et s'efforce, pour autant que l'on puisse en juger, de sauver un reportage qui semble trop douteux pour être sauvé. Son journal est aujourd'hui en ébullition. Il ne s'agit pas seulement de l'article de Gettleman : c'est l'ensemble de la couverture de la crise de Gaza par le Times qui est en cause. La relation routinière entre le Times et les autorités israéliennes est maintenant exposée à plus de lumière qu'elle n'aurait dû l'être. Il en va de même pour les médiocrités laxistes, négligentes et non professionnelles que les médias grand public ont fait d'eux-mêmes.
Les Israéliens ont commencé à affirmer que les milices du Hamas s'étaient rendues coupables de viols et de violences sexuelles lors de leur incursion du 7 octobre dans le sud d'Israël, plus ou moins immédiatement après les événements de cette journée. Ils ont affirmé détenir des “preuves considérables” - l'expression de Gettleman dans son article initial, le 4 décembre - avec témoins, photographies et équipes médicales d'urgence. Dans ce même article, Gettleman cite un responsable de la police affirmant que des femmes et des hommes, par dizaines, avaient été violés le 7 octobre. Les défenseurs des droits des femmes qui se réunissaient à l'ONU à cette époque ont commencé à penser que les abus sexuels présumés s'inscrivaient dans un schéma : des armes de terreur systématiques.
Après ces premières affirmations, les autorités policières israéliennes semblent s'être subtilement mais rapidement adoucies. Non, il n'y a pas eu d'autopsie, les témoins ont été difficiles à localiser, les personnes présentes sur les lieux des incidents présumés n'ont pas recueilli de preuves, non, elles n'avaient rien à dire sur l'interrogatoire des victimes de viols présumés. Le dossier de Gettleman du 4 décembre était, du moins par rapport à ce qui allait suivre, raisonnablement prudent - ce que nous savons, ce que nous ne savons pas. Mais la dérive était là. “De nombreux témoignages et preuves documentaires d'assassinats, y compris des vidéos postées par les combattants du Hamas eux-mêmes”, écrit Gettleman, “étayent les allégations”.
Si j'ai bien lu le dossier de coupures de presse de Gettleman, c'est avec cette phrase qu'il a commencé à s'attirer des ennuis. Il s'est avéré que les témoignages qu'il a cités étaient flous et peu exhaustifs, que les preuves documentaires ne prouvent pas grand-chose et que les vidéos, à moins qu'il n'y ait des vidéos dont nous n'avons pas connaissance, ne prouvent rien du tout. L'expression “témoignages et preuves documentaires” comprend un lien vers un long article sur le Hamas après les débats politiques du 7 octobre, qui ne mentionne ni le viol ni la violence sexuelle et qui n'a rien à voir avec le sujet de l'article de Gettleman.
La signature de Gettleman n'est pas réapparue dans le Times avant le 28 décembre, date à laquelle sa vaste enquête a été publiée sous le titre “Des cris sans paroles : Comment le Hamas a instrumentalisé la violence sexuelle le 7 octobre”. Il a choisi comme personnage central “la femme en robe noire”. Il s'agit d'un cadavre retrouvé et filmé sur le bord d'une route le 8 octobre.
“Dans une vidéo de mauvaise qualité”, écrit M. Gettleman, “on peut la voir, allongée sur le dos, la robe déchirée, les jambes écartées, le sexe à l'air. Son visage est brûlé au point d'être méconnaissable et sa main droite lui cache les yeux”.
Gettleman indique que cette femme s'appelle Gal Abdush, 34 ans, mère de deux enfants, qui faisait la fête avec son mari le long de la frontière de Gaza aux premières heures du 7 octobre et qui a ensuite été assassinée, tout comme son mari. Dans les sept paragraphes qui suivent, il apparaît clairement que Gettleman a mordu à l'hameçon des “preuves” fournies par les responsables israéliens :
“En se basant en grande partie sur les preuves vidéo - vérifiées par le New York Times - les responsables de la police israélienne ont déclaré qu'ils pensaient que Mme Abdush avait été violée, et elle est devenue un symbole des horreurs infligées aux femmes et aux jeunes filles israéliennes lors des attaques du 7 octobre.”
Étudions brièvement ce passage. Êtes-vous intéressé par ce que la police israélienne dit croire ? Non, pas du tout. Je ne m'intéresse jamais à ce que les fonctionnaires occupant de telles positions croient, ressentent ou, la plupart du temps, pensent : ce qui m'intéresse, c'est ce qu'ils savent, et ils n'ont pas dit à M. Gettleman qu'ils savaient quoi que ce soit. De même, le Times a “vérifié” la vidéo, n'est-ce pas ? De quelle manière ? Qu'a-t-il vérifié, exactement ? L'existence de la vidéo ? Gettleman suggère-t-il que le Times a vérifié à partir de la vidéo qu'Abdush a été violée ? Aucune vidéo d'un cadavre ne pourrait le vérifier.
L'histoire de cette vidéo est étrange, pour rester brièvement dans le sujet. Gettleman a écrit qu'elle était “devenue virale”, mais elle est introuvable sur Internet, et personne ne se souvient d'avoir appelé Abdush “la femme à la robe noire”. Cette vidéo pose également un problème de chronologie, comme l'analyse un article paru le 3 janvier dans Mondoweiss. Gettleman raconte le dernier texto, avec l'heure, que Gal Abdush a envoyé à sa famille. Pendant ce temps, le mari d'Abdush, Nagy, était avec elle et a envoyé ses propres messages à la famille, également horodatés. Quatre minutes se sont écoulées entre le dernier message de Gal Abdush et le moment où Nagy Abdush a envoyé un message à la famille pour annoncer le décès de sa femme - un message que Gttleman n'a pas mentionné. Nagy Abdush n'a pas fait référence au viol. Il a envoyé son propre message final 44 minutes plus tard - un message mentionné dans l’article de Gettleman.
Un ou plusieurs guerriers du Hamas ont-ils violé une femme en présence de son mari, puis, dans l'une ou l'autre séquence, l'ont-ils assassinée et brûlée, puis ont-ils assassiné le mari, tout cela non pas en 44 minutes, comme le laisse entendre l'article de Gettleman, mais en quatre minutes ? Depuis la publication de l'article de Gettleman, la famille d'Abdush, manifestement irritée, l'a accusé de déformer les preuves et de les manipuler dans le cadre de son reportage. “Elle n'a pas été violée”, a écrit Mira Alter, la sœur de Gal Abdush, sur les réseaux sociaux quelques jours après la publication de l'article de Gettleman. “Il n'y avait aucune preuve de viol. Ce n'était qu'une vidéo”.
C'est ainsi que se présentent les 3 700 mots que Gettleman a consacrés à son enquête, qui porte également les signatures d'Anat Schwartz et d'Adam Sella. Il y a des témoins qui changent leur histoire une, deux ou plusieurs fois. Il y a un témoin dont il est prouvé qu'il a menti dans des circonstances similaires. Il y a le témoignage d'une structure de sauvetage dont les liens avec l'armée israélienne sont douteux et dont les médias israéliens ont largement rapporté la corruption qui l'entoure. Il y a un témoin qui a dit à Gettleman qu'il avait vu deux adolescentes allongées nues et seules sur le sol d'une maison, l'une d'elles avec du sperme sur le dos, alors qu'il a été prouvé plus tard qu'elles avaient été tellement brûlées qu'il était difficile de les identifier, et qu'elles n'ont pas été trouvées seules mais dans les bras de leur mère également brûlée.
Et ainsi de suite. Vous avez des descriptions de toutes sortes de perversités inimaginables, dignes d'un film de série B - des combattants jouant avec des seins coupés, des miliciens se promenant avec des bras chargés de têtes coupées - qui reposent sur des “témoins” dont les récits, étant donné le nombre de modifications ou de divergences par rapport à ce qui a finalement été déterminé, ne peuvent tout simplement pas être considérés comme fiables.
Et puis il y a les déclarations officielles. L'une des plus catégoriques est celle de la police israélienne, publiée après que le Times a publié “Des cris sans paroles” le 28 décembre, et affirmant qu'elle n'a trouvé aucun témoin oculaire des viols du 7 octobre, et qu'elle ne voit rien dans les rapports des médias tels que ceux du Times qui constitue la preuve d'une violence sexuelle systématique.
Il est rare que j'incite les lecteurs de cette rubrique à lire le New York Times - certains m'écrivent d'ailleurs pour me remercier de le lire afin qu'ils n'aient pas à le faire. En l'occurrence, je pense que la lecture des articles de Gettleman pourrait être une bonne idée, mais seulement en parallèle avec le travail de The Grayzone. Mondoweiss, une publication américaine qui traite d'Israël et de la Palestine, a également réalisé un travail qui mérite d'être lu. C'est l'occasion de voir à quoi ressemble cette sclérose lorsqu'elle côtoie la vitalité.
Blumenthal et Aaron Maté, son collègue de The Grayzone, ont commencé à examiner de près les articles du Times sur les allégations de violence sexuelle immédiatement après la publication du premier article de Gettleman, le 4 décembre. Deux jours plus tard, The Grayzone a publié un compte rendu détaillé de ZAKA, l'organisation de sauvetage discréditée qui figurait en bonne place parmi les sources de Gettleman. Trois jours après la publication de “Des cris sans paroles” le 28 décembre, Blumenthal et Maté ont diffusé un podcast de 42 minutes exposant la longue liste d'incohérences qu'ils avaient identifiées dans l'article. Deux semaines plus tard, le 10 janvier, The Grayzone a publié une longue lettre adressée au Times pour l'exhorter à corriger les nombreuses erreurs et manquements à l'éthique des articles de Gettleman.
“Le récit du Times, commençait la lettre, est entaché de sensationnalisme, de fausses pistes logiques et d'une absence de preuves concrètes à l'appui de sa conclusion générale”.
Depuis, le Times est resté silencieux - publiquement, voire en interne.
Le Times aurait difficilement pu se mettre dans une position plus délicate à propos du désastre de “Des cris sans paroles” s'il l'avait voulu. Il semble que la situation ait été longue à mettre en place, et qu'elle ait explosé en même temps que le désastre que nous vivons aujourd'hui.
Le malaise concernant la couverture d'Israël par le Times, à l'intérieur et à l'extérieur de ses locaux, est une longue histoire. Des correspondants du Times dont les enfants servent dans les forces de défense israéliennes, des correspondants entretenant des relations apparemment inappropriées avec des groupes de pression tels que la Ligue anti-diffamation : au fil des ans, ce genre de faits a incité les critiques à remettre en question les liens étroits entre le journal et Israël, ainsi que la pertinence de sa couverture de l'actualité. Plus précisément, la couverture de Gaza par le journal a fait l'objet de critiques soutenues de la part de la rédaction bien avant la publication de l'article de M. Gettleman. Un article du le 26 janvier dans The Intercept, citant des sources de la salle de rédaction, décrivait
“un combat permanent ravivé presque au quotidien à propos de la teneur du traitement de la guerre à Gaza par le Times”.
Ce conflit semble avoir atteint des sommets de virulence lorsque The Daily, le premier podcast du Times, s'en est mêlé. Le Daily est la vitrine de ce que le journal est censé présenter comme ses meilleurs articles de fond, c'est-à-dire ceux qui contiennent beaucoup de reportages originaux, et il a programmé un épisode basé sur “Des cris sans paroles” pour une diffusion le 9 janvier. Joe Kahn, rédacteur en chef du Times, avait déjà vanté le reportage dans un mémorandum interne comme l'un des “articles phares de l'entreprise sur la guerre entre Israël et le Hamas” et l'avait décrit comme étant conçu “de manière sensible et détaillée”. Kahn a peut-être sauté avant même de regarder. Les producteurs du Daily ont rapidement retiré la séquence lorsque les erreurs ont commencé à s'accumuler dans le document déposé par Gettleman et ses collègues. Ils ont par la suite rédigé un script révisé pour résoudre certains des problèmes - en insérant des qualificatifs, selon The Intercept, et en laissant une large place à la remise en question, voire au doute, de la certitude factuelle que Gettleman a inscrite dans sa prose.
Le sujet révisé est maintenant “mis en pause”, quoi que cela signifie. Le journal se trouve donc confronté à un choix qui m'étonne : il peut publier le contenu original, en prétendant que le travail discrédité reste valable, ou il peut publier le contenu réécrit, ce qui discrédite le reportage Gettleman en soi.
Max Blumenthal pense que la crise au sein du Times reflète un profond clivage entre la salle de rédaction, où semble survivre une cohorte de journalistes consciencieux, et les échelons supérieurs de la direction, où résident les grands prêtres idéologiques du journal. Je n'ai pas mis les pieds dans le bâtiment du Times depuis plus de dix ans, mais l'histoire vient étayer cette thèse. Elle remonte au moins aux années 1950, lorsque Aurthur Hays Sulzberger, en tant qu'éditeur, a signé un accord de secret avec la Central Intelligence Agency et a donné son accord tacite aux correspondants qui voulaient travailler pour l'agence.
Mais il faut aller bien au-delà du grand immeuble de verre de la Huitième Avenue pour saisir l'ampleur de la crise que Jeffery Gettleman a déclenchée. Son travail négligent, et c'est un euphémisme, a mis en lumière un processus qui prévaut dans l'ensemble des médias grand public. CNN, The Guardian, MSNBC, PBS et bien d'autres : tous ont suivi la même procédure en reproduisant l'histoire des “abus sexuels systématiques” telle que les Israéliens la leur ont transmise. Nous sommes aujourd'hui confrontés au pouvoir destructeur des médias d'entreprise, qui se consacrent à servir les intérêts des cliques politiques qui dirigent l'imperium et ses auxiliaires. Nous sommes également confrontés aux responsabilités qui incombent aux publications indépendantes du fait d'une corruption aussi basique que celle-ci.
“Ce sont des mensonges qui tuent”, a fait remarquer Blumenthal à propos du passage de Rising mentionné plus haut, “parce que ces mensonges, affabulations, distorsions, demi-vérités et exagérations des faits sont destinés à générer un consentement politique à l'assaut génocidaire d'Israël à Gaza. Ils doivent être dénoncés.”
Existe-t-il une façon plus vraie d'exprimer ce point de vue ?
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Il faut rendre à César ce qui lui appartient.
Au cours des deux dernières semaines, le Times a publié une poignée d'articles exceptionnels, du moins relativement, pour leur traitement équilibré de la crise israélo-palestinienne dans toute son ampleur. Soudainement, l'histoire de ce conflit remonte à plus de quatre mois. Tout à coup, les Palestiniens ont des voix qui ont des choses à dire. Brusquement, ils sont des êtres humains vivants, qui respirent. Est-ce si rare dans les pages du Times ?
J'ai été alerté par cette série d'articles - qui ne peuvent être lus comme une série intentionnelle - le dernier jour de janvier, lorsque Roger Cohen a publié un long reportage en Cisjordanie sous le titre “Nous ne sommes pas très loin de l'explosion”, dans lequel le chef du bureau parisien du journal, longtemps favorable aux perspectives israéliennes, décrit la laideur vicieuse des colons israéliens fanatiques et des soldats de Tsahal qui attaquent sans cesse les habitants de Cisjordanie qui tentent simplement de s'accrocher à ce qu'ils ont. C'est un travail émouvant.
Un jour plus tard, le Times a publié “La Route vers 1948”, qui consiste en un débat à multiples rebondissements animé par Emily Bazelon, professeur de droit à l'université de Yale. Les personnes qui s'expriment dans cette longue discussion - et Bazelon gère l'échange avec légèreté et sans ingérence - font remonter la question d'Israël et de la Palestine au mandat britannique de 1920. L'article explique clairement comment les Britanniques ont favorisé les organisations sionistes en tant que précurseurs d'un État, alors qu'ils n'ont pas accordé un tel statut aux Palestiniens. Mais l'idée simplificatrice selon laquelle “il s'agit d'un conflit national avec des éléments religieux”, ou que les colons sionistes et les Palestiniens ont des revendications à peu près équivalentes, me semble être une vision dangereuse. Le Times a tout de même ramené ses lecteurs un siècle en arrière.
Le lendemain est paru un article intitulé “En Cisjordanie, les Palestiniens luttent pour s'adapter à une nouvelle réalité”. Yara Bayoumy et Rami Nazzal y décrivent les nouvelles restrictions sévères imposées par les Israéliens aux déplacements des habitants de la Cisjordanie depuis le 7 octobre. Dimanche dernier, le journal a publié “Portraits de Gazaouis”, des photographies de Samar Abu Elouf avec des textes de Declan Walsh et Abu Elouf. Ces photos me semblent un peu aseptisées, comme si elles étaient destinées à déranger les sensibilités libérales américaines, mais pas assez pour les dégoûter ou les faire descendre dans la rue avec des pancartes. C'est déjà bien, mais c'est trop banal par rapport aux images qui nous plongent dans l'horreur, et qu'on trouve facilement sur les réseaux sociaux et dans les publications indépendantes.
Mardi matin, une information intéressante. “Ce que révèlent les vidéos des soldats israéliens : La destruction et les moqueries à l'égard des habitants de Gaza”, avec un petit défilé de titres : le Times s'est enfin décidé à publier certaines des vidéos étonnamment crues que les soldats de l'armée israélienne réalisent d'eux-mêmes lorsqu'ils se déchaînent dans la bande de Gaza. Pourquoi maintenant ? Cette question ne peut être éludée, étant donné l'assiduité avec laquelle le Times a évité ce type de support jusqu'à cette semaine. Pourquoi cette série d'articles plus ou moins inhabituels pour un journal qui s'est si longtemps présenté comme l'apologiste le plus influent d'Israël parmi les médias américains ?
La question est pertinente, et je n'ai pas de réponse certaine. Si l'on examine ce phénomène de près, ces articles en rafale pourraient refléter le tumulte et la grogne dans la salle de rédaction du journal. Les journalistes et les rédacteurs en chef indignés par la couverture de Gaza et irrités par l'article de Gettleman ont-ils changé d'avis au niveau de la rédaction ? Peut-être. C'est possible. Le journal s'est-il empressé d'imprimer ces articles pour limiter les dégâts après la publication de l'article de Gettleman ? C'est probable. Peut-être que le Times a finalement décidé qu'Israël lui en demandait trop. C'est un peu tiré par les cheveux, mais gardons cette hypothèse en tête.
Rappelons la couverture du Times après la crise de la mosquée al-Aqsa au printemps 2021. Comme aujourd'hui, il a publié de nombreux articles favorables aux Palestiniens et très critiques à l'égard du comportement des Israéliens. Mais au fil du temps, il est devenu évident qu'il s'agissait simplement d'un tournant temporaire, d'une défense à reculons exigée par le moment. Trois ans plus tard, le Times nous offre Jeffrey Gettleman. Et ça change.
Je repense à la guerre du Viêt Nam pour trouver une explication à ces articles. Certains lecteurs se souviendront peut-être que le Times - un journal bien différent à l'époque - a commencé à la fin des années 1960 à publier des articles très critiques rédigés par des correspondants qui se sont rapidement fait remarquer pour cela : David Halberstam, Malcolm Browne, Neil Sheehan. Dans la profession et parmi les lecteurs, ces personnes se sont vu décerner des distinctions pour leur courage et leur intégrité, et ce à juste titre, bien qu'elles se soient opposées à la guerre moins par principe que par conviction partagée que les États-Unis ne pouvaient pas la gagner.
J'ai longtemps pensé que la teneur de la couverture du Vietnam par le Times avait changé parce que, au moment où les correspondants susmentionnés et d'autres comme eux publiaient des articles sur Saigon, une profonde fracture apparaissait entre les cliques politiques de Washington et qu'il était alors permis d'écrire contre la folie du Pentagone pour l'Asie du Sud-Est.
Le Times réagit-il de la même manière aujourd'hui ? L'humeur a changé à Washington, ou est en train de changer. La fracture au Capitole devient de plus en plus flagrante. Pensez à toutes ces lettres ouvertes que des fonctionnaires américains, dont certains hauts placés, signent et font circuler pour exprimer leurs objections au soutien inconsidéré du régime Biden aux crimes d'une nation inconsciente. Le Times, à sa manière typiquement détournée, a-t-il écrit et envoyé sa propre lettre par le biais des articles qui ne correspondent pas du tout à l'Israël que Jeffrey Gettleman présente aux lecteurs du Times ?
https://scheerpost.com/2024/02/12/patrick-lawrence-the-crisis-at-the-new-york-times/