👁🗨 Dans les geôles de l’ennemi : prisonniers palestiniens et israéliens
Depuis 1967, Israël a arrêté plus d'un million de Palestiniens dont des enfants. Les cas de torture, d'abus sexuels & de traumatismes ont été documentés lors des décennies d'occupation de la Palestine
👁🗨 Dans les geôles de l’ennemi : prisonniers palestiniens et israéliens
Par Robert Inlakesh, le 7 décembre 2023
La question des prisonniers de guerre capturés par les forces de résistance palestiniennes dirigées par le Hamas est devenue l'une des principales justifications de l'assaut militaire d'Israël sur la bande de Gaza.
Alors que le public occidental a souvent l'impression que ces groupes sont des terroristes sanguinaires, un examen plus approfondi révèle que le Hamas et d'autres factions ont sans doute traité les prisonniers israéliens de manière plus humaine qu'Israël ne le fait pour les prisonniers politiques palestiniens.
Alors que la question des prisonniers de guerre israéliens remonte à huit semaines, le sort des captifs palestiniens perdure depuis au moins 1967. Quelque 137 Israéliens seraient actuellement retenus en captivité à Gaza, et le Hamas affirme qu'il s'agit tous d'hommes et/ou de soldats.
Lors de la trêve de sept jours conclue en novembre entre le Hamas et Israël, la résistance palestinienne a libéré 108 femmes et enfants retenus en captivité à Gaza. En contrepartie, Israël devait libérer 300 femmes et enfants palestiniens détenus et permettre à l'aide indispensable d'entrer à Gaza par le point de passage de Rafah avec l'Égypte.
Stanley Cohen, un avocat américain qui a représenté des membres du Hamas et du Hezbollah, explique à The Cradle que “les lois de la guerre ne cantonnent pas les prisonniers de guerre dans la catégorie des agents de l'État”. Il ajoute que “l’ensemble des lois de la guerre s'applique, qu'il s'agisse d'acteurs étatiques ou non étatiques'“.
Cela signifie que les mêmes obligations juridiques relatives au traitement des prisonniers de guerre devraient s'appliquer à la fois au Hamas et à Israël, même si les États membres des Nations unies sont souvent soumis à des exigences morales plus strictes.
Comment le Hamas traite les prisonniers de guerre israéliens
L'accès aux entretiens avec les détenus est limité en raison des restrictions imposées par le gouvernement israélien aux relations entre les médias et les captifs récemment libérés, en particulier depuis l'embarrassante bourde de relations publiques survenue fin octobre lorsque l'une des quatre Israéliennes libérées sans condition avant la trêve - Yocheved Lifshitz, âgée de 85 ans - a déclaré lors d'une conférence de presse qu’“ils nous ont très bien traité” à Gaza, mais qu'ils avaient enduré “l'enfer des bombardements” lors de leur captivité.
Malgré les difficultés rencontrées pour obtenir leurs récits complets, certains faits ressortent. De récents enregistrements audio cités par les médias israéliens ont révélé des déclarations de prisonniers libérés qui affirment qu'ils craignaient davantage les attaques israéliennes que celles du Hamas. Un ancien otage, critiquant le gouvernement israélien, a souligné le manque de soutien et les difficultés rencontrées pendant leur captivité :
“Nous étions installés dans les tunnels, et avions terriblement peur d'être tués, non pas par le Hamas, mais par les bombardements d'Israël, qui disait alors : ‘C'est le Hamas qui a tué’”.
Une autre ancienne captive israélienne est allée plus loin en exprimant son dédain pour les réactions du gouvernement israélien pendant et après les événements du 7 octobre :
“Le sentiment que nous avions là-bas était que personne ne faisait rien pour nous. Le fait est que j'étais dans une cachette qui a été bombardée, que nous avons dû sortir clandestinement et que nous avons été blessés. Sans parler de l'hélicoptère qui nous a tiré dessus sur le chemin de Gaza. Vous prétendez disposer de renseignements, mais le fait est que nous sommes bombardés. Mon mari a été séparé de nous trois jours avant notre retour en Israël et emmené dans les tunnels. Et vous parlez de noyer les tunnels avec de l'eau de mer ? Vous bombardez l'itinéraire des tunnels dans la zone exacte où ils se trouvent.”
Les rapports sur la santé des détenus suggèrent qu'il y a eu une diminution progressive de la quantité de nourriture à l'intérieur de Gaza, et que les prisonniers ont perdu entre 10 et 15 % de leur masse corporelle. Le Dr Yael Mozer-Glassberg, pédiatre israélienne, a décrit l'expérience des enfants comme une “terreur psychologique”, bien que son récit doive être considéré avec un certain scepticisme.
Le récit de Mozer-Glassberg est ce qui se rapproche le plus d'une explication détaillée de la manière dont les captifs israéliens libérés ont été traités. Selon un rapport publié par Haaretz, le médecin a répété l'histoire suivante de deux enfants, déclarant que
“le plus âgé ne mangeait pas tant que le plus jeune n'avait pas fini de manger et n’était pas rassasié”, ajoutant que “c'est le genre d'histoires que j'ai entendues de mon grand-père, un survivant de l'Holocauste”.
En lisant les termes qu'elle emploie pour décrire les conditions de vie des anciens captifs, il est évident que son récit tend à l'exagération, et que le médecin n'est pas une source neutre.
Des affirmations contradictoires
De l'autre côté du spectre, on trouve les vidéos publiées par le Hamas montrant la remise à la Croix-Rouge internationale de détenus, israéliens pour la plupart. Les images sont caractérisées par des high-five, des sourires, des accolades et même des expressions arabes de gratitude envers leurs geôliers - des images que le gouvernement israélien rejette comme étant de la propagande.
Le porte-parole du gouvernement, Eylon Levy, a déclaré que le Hamas “diffuse des images de foules terrorisant les otages dans leurs derniers instants de captivité”, affirmant que les vidéos montrent comment le groupe “continue à documenter ses propres atrocités”. Le moins que l'on puisse dire, c'est que le portrait dressé par M. Levy est clairement caricatural.
Le ministère de la santé de Tel-Aviv est même allé jusqu'à suggérer que les prisonniers de guerre se voyaient administrer des “drogues” pour paraître heureux. Pourtant, contrairement aux images de terreur présentées par Mozer-Glassberg, ces vidéos donnent un aperçu plus direct des expériences vécues par les Israéliens libérés.
Emily Hand, une fillette israélienne de 9 ans détenue par le Hamas, a été rendue à son père lors des récents échanges de prisonniers. Son père, Thomas, largement médiatisé en Occident après avoir été informé à tort que sa fille avait été tuée le 7 octobre, a déclaré qu’“elle [Emily] a perdu beaucoup de poids, mais qu'elle se porte globalement mieux que ce à quoi nous nous attendions”.
Le Dr Lerpong Sayed, négociateur thaïlandais, a affirmé que les personnes qu'il avait contribué à libérer avaient été bien traitées, qu'elles avaient reçu abri, vêtements, nourriture et eau, et qu'un soutien psychologique avait été apporté de la même manière aux détenus thaïlandais et israéliens - qui, selon lui, étaient détenus ensemble. Il a également été fait état d'amitiés nées dans les tunnels de détention des groupes de résistance palestiniens, dont une entre une Israélienne et un travailleur thaïlandais. Les allégations de blessures intentionnelles pendant le transport et une lettre exprimant la gratitude de la famille d'un captif libéré restent non vérifiées et en attente de confirmation.
Le Hamas affirme que les frappes aériennes israéliennes ont tué une soixantaine d'otages israéliens, y compris leurs gardes palestiniens, et que 23 des corps sont toujours coincés sous les décombres. L'armée israélienne, qui accuse le Hamas, a découvert deux de ces corps.
D'après les différents témoignages des familles et des médecins, il semble que les conditions de vie dans les installations où étaient détenus les Israéliens étaient déplaisantes, probablement exacerbées par le fait qu'Israël a coupé tous les services essentiels au début de la guerre.
Le manque d'hygiène, d'eau, de nourriture, de médicaments et d'électricité sont autant de réalités pour les 2,3 millions de civils palestiniens qui vivent actuellement à Gaza. Les conditions de détention des prisonniers israéliens étaient comparables, voire meilleures, à celles des civils de Gaza.
Comment Israël (mal)traite les prisonniers palestiniens
Contrairement aux détenus israéliens, les prisonniers politiques palestiniens libérés se sont adressés directement aux médias internationaux et ont fourni des récits horribles de sévices physiques, notamment de tortures, de coups et même de viols. Selon un certain nombre de femmes et d'enfants palestiniens libérés lors des derniers échanges, ils ont été menacés par les Israéliens de représailles s’ils évoquent leur traitement en détention.
“Il n'y a pas de lois. Tout est permis”, a déclaré aux médias Lama Khater, une captive palestinienne libérée. “On m'a conduite à l’interrogatoire menottée et les yeux bandés, on m'a menacée d'être brûlée, on m'a explicitement menacée de viol et de déportation dans la bande de Gaza”, a-t-elle ajouté.
La journaliste palestinienne Baraah Abu Ramouz, également été libérée d'une détention israélienne, a témoigné de ce qu'elle a vu :
“La situation dans les prisons est catastrophique. Les prisonniers sont maltraités. Ils sont constamment battus. Ils sont agressés sexuellement. Des femmes sont violées. Je n'exagère pas. Les prisonniers sont violés”.
Mohammed Nazal a eu les doigts cassés, le dos meurtri et les mains fracturées par les gardiens de prison israéliens.
“Il y a une semaine, nous avons été sauvagement battus avec des barres métalliques. J'ai mis mes mains sur ma tête pour la protéger, mais les soldats ne se sont arrêtés que lorsqu'ils m'ont cassé les mains”,
a déclaré ce prisonnier libéré âgé de 18 ans. Malgré ses blessures évidentes et le témoignage terrifiant qu'il a livré aux médias, dans lequel il affirme avoir été laissé à même le sol en proie à la douleur et s'être vu refuser tout traitement médical, les autorités israéliennes ont tenté de prétendre qu'il mentait et ont publié une vidéo affirmant qu'il n'avait subi aucune blessure. Ses témoignages et les rapports médicaux ont été vérifiés par la suite, révélant qu'Israël avait menti, et non Mohammed.
Ahed Tamimi, icône et militante palestinienne qui était détenue sans inculpation, semblait ébranlée et affaiblie après sa libération, déclarant :
“Les conditions dans la prison sont très difficiles, avec des abus quotidiens à l'encontre des prisonnières. Les autorités israéliennes m'ont menacée de s'en prendre à mon père si je parlais de ce qui se passe en prison”.
Leurs témoignages soulignent systématiquement que les conditions dans les prisons israéliennes se sont encore détériorées après le 7 octobre. Les détenus libérés ont parlé d'abus physiques et psychologiques, et de privation de denrées essentielles telles que la nourriture, l'eau, les soins médicaux et des conditions de sommeil correctes.
L'association palestinienne de soutien aux prisonniers et de défense des droits de l'homme, Adameer, signale que plus de 7 600 prisonniers politiques sont détenus par l'armée israélienne, dont plus de 3 000 civils capturés depuis le 7 octobre, ce qui dépasse de loin le nombre total d'Israéliens détenus à Gaza.
La lutte palestinienne passée sous silence
L'affirmation de Tel-Aviv selon laquelle ces Palestiniens sont tous des “terroristes condamnés” est une farce. Le système judiciaire militaire israélien maintient un taux de condamnation des Palestiniens proche de 100 %, tandis que des milliers d'autres sont détenus dans le cadre de ce que l'on appelle la “détention administrative” - jargon désignant les personnes détenues sans aucune accusation. L'un des témoignages enregistrés l'année dernière est celui d'Abdul-Khaliq Burnat, aujourd'hui âgé de 22 ans, qui a raconté l'histoire poignante de sa détention dans le centre de détention israélien d'al-Moskobiyya, dont la brutalité est notoire :
“Ils m'ont hurlé dessus, m'ont donné des coups de poing, m'ont giflé et ont frappé avec des objets. Pendant trois jours, ils m'ont enfermé dans une cellule minuscule et nauséabonde ; il y faisait si froid et il n'y avait pas de lumière, j'ai été dépouillé de tous mes vêtements pendant tout ce temps et attaché nu, ils ne m'ont pas donné de nourriture, et je n'ai même pas pu utiliser les toilettes.”
Pendant sa détention en mai 2021, Abdul-Khaliq dit avoir été informé quotidiennement par les interrogateurs israéliens du nombre de femmes et d'enfants tués à Gaza à cette époque. Ses ravisseurs ont ensuite enfermé son frère Mohammed, alors âgé de 17 ans, dans le même centre de détention et l'ont battu si brutalement qu'il a été hospitalisé à trois reprises.
Mohammed Burnat dépérit toujours dans une prison israélienne, où il est détenu sans inculpation depuis son arrestation en 2021. Abdul-Khaliq, d'abord retenu en captivité pendant 13 mois, à l'âge de 17 ans, a de nouveau été fait prisonnier par les forces israéliennes à la suite de l'opération du 7 octobre, et est actuellement maintenu en détention administrative.
Quand on sait que le sort des prisonniers politiques palestiniens représente l'une des questions majeures de la société palestinienne contemporaine, on peut alors mieux comprendre la logique et la stratégie qui sous-tendent l'opération Al-Aqsa Flood menée par la résistance pour capturer ces prisonniers de guerre israéliens.
Depuis 1967, Israël a arrêté plus d'un million de Palestiniens, dont des dizaines de milliers d'enfants, selon les Nations unies.
Les cas de torture, d'abus sexuels et de traumatismes psychologiques ont été bien documentés tout au long des décennies d'occupation de la Palestine par Israël et de séquestration de son peuple, mais ils n'ont pas reçu un minimum d'attention de la part des médias, contrairement aux Israéliens emprisonnés il y a seulement deux mois.
https://new.thecradle.co/articles/behind-enemy-bars-palestinian-and-israeli-prisoners