👁🗨 De la couleur dans la grisaille, de l'espoir dans les décombres, du défi dans le récit
“L'espoir lui-même est douloureux quand il est tout ce qui reste”.
👁🗨 De la couleur dans la grisaille, de l'espoir dans les décombres, du défi dans le récit
Par Donya Ahmad Abu Sitta pour The Electronic Intifada 17 juin 2024
Les jeunes de Gaza sont en quête de tout ce qui peut leur redonner espoir.
C’est l’espoir qui leur fait arpenter les rues, mais ils ne trouvent que destruction, où qu’ils aillent.
Alors, ils ont choisi d'être un symbole d'espoir.
La bande de Gaza n’est que grisaille. Tout n'est que décombres après la longue série de destructions et de bombardements. Mais après l'invasion de Rafah, les gens sont retournés dans certaines villes chercher ce qui reste de leurs maisons, pour tenter de consacrer de nouveau du temps à leurs enfants.
Certains ont décidé de passer un coup de peinture, tentant ainsi de colorer leurs maisons avec un graphisme et des graffitis traduisant leurs sentiments et ce qui leur vient à l’esprit.
Chaque peinture a un sens et une histoire.
La plupart montrent que l'espoir est tout ce qui nous reste dans une situation apparemment sans issue.
Une peinture en particulier fait peine. C'est celle d'un jeune homme dont la famille a été broyée sous les décombres de leur maison. Il a dessiné les membres de sa famille, et a écrit à côté de l'image : “Mon père est mort ici”.
On pourrait presque croire que le dessin a été peint avec le sang des victimes ...
Nos foyers se sont transformés en tentes. Nos vies ont presque été détruites.
Israël est inventif en matière de destruction, créatif lorsqu'il s'agit d’effacer les maisons, les rêves, la vie, la quiétude, le confort, le sommeil, les études et la famille.
Les temps sont durs, et Israël exerce une pression destructrice intense, brûlant, attaquant et ciblant toutes choses de manière systématique.
Qalaat Barquq
Au centre de Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, se trouve le fort de Qalaat Barquq.
Le fort date de l'ère mamelouke et a été construit sous le règne du sultan mamelouk Barquq en 1387.
Seule la façade du fort a survécu à l'époque moderne, ainsi que l'une de ses tours, affectueusement surnommée la Tour de Bisa par les habitants.
Mais l'armée israélienne a pris la zone pour cible et a réduit la tour en miettes.
Les attaques israéliennes contre des sites archéologiques et historiques - notamment l'église Porphyrius, vieille de près de 800 ans, ainsi que les Archives Centrales de Gaza, qui recèlent des documents historiques datant de 150 ans - ne représentent pas seulement une atteinte à notre histoire et à notre patrimoine.
C'est une guerre psychologique. Une volonté de destruction de notre identité et du lien qui nous unit à notre terre.
C'est même un aspect central du génocide israélien.
Il joue un rôle aussi essentiel que le bombardement systématique de nos maisons, de nos industries et de nos entreprises. Les Nations unies estiment que plus de 50 % des bâtiments de Gaza ont été totalement rasés par les bombardements aveugles d'Israël depuis le 7 octobre.
Nous nous étonnions de la résistance de nos bâtiments lors des précédents assauts israéliens. Certes, des toits et des murs ont pu être dégradés, mais en général, au moins les piliers et la plupart des murs avaient survécu et pu être reconstitués.
Mais pas cette fois. Israël a planifié sa dévastation avec un soin tout particulier, ne laissant ni pilier ni mur témoigner du meurtre de l'amour, tout comme il s'en est pris aux enfants de Gaza, tuant près de 15 000 d'entre eux et laissant quelque 19 000 orphelins.
Seul comme les piliers.
Triste comme les larmes.
Gris comme les cendres.
Sombre comme le ciel.
Il ignore de quoi demain sera fait.
L'isolement
À Gaza, nous ne vivions pas comme les habitants d'autres pays, même avant le génocide israélien.
Mais la vie était supportable, et même parfois douce. Les choses les plus simples étaient à notre portée : de quoi manger, de l'eau courante - même si elle était polluée -, de l'électricité au moins quelques heures par jour.
Avec cette guerre génocidaire, nous sommes privés de tout cela. Nous sommes même privés d'internet.
Les conséquences se font sentir. Alors que de plus en plus de familles et de particuliers tentent de fuir Gaza, l'absence de communication signifie que ceux qui partent et ceux qui restent ne peuvent pas communiquer.
Les familles sont déchirées de bien des façons.
Un de mes frères étudie en Égypte. Mais nous n'avons que rarement l'occasion de nous parler. Ce n'est pourtant qu'à ces occasions que mon frère entend parler de sa famille restée au pays.
De même, de nombreux indépendants de Gaza ont perdu leur travail faute de pouvoir compter sur une connexion fiable.
La misère ajoute à la misère.
Le 21 mai, je suis sortie dans les rues de Khan Younis pour essayer de trouver une connexion internet. J'ai marché du sud au nord avant de capter un signal.
J'étais heureuse comme un enfant qui retrouve un jouet perdu depuis des jours. Et surtout, j'ai reçu un message de Dave, un des rédacteurs d'Electronic Intifada, m'informant qu'un de mes articles allait être publié.
Je l'avais envoyé depuis Rafah, où le réseau passe bien.
Alors que je discutais avec mon frère, qui fait médecine en Égypte, j'ai vu un reportage sur l'évacuation de l'hôpital Kamal Adwan.
J'ai aussitôt travaillé sur cet article et suis revenue le lendemain pour l'envoyer. Mais la connexion ne passait plus, je suis donc allée dans un autre quartier dont je savais que la connexion n'était pourtant pas stable.
Au bout de trois heures, j'ai capté une connexion assez puissante pour pouvoir envoyer, ma mère et moi, des messages via WhatsApp.
Le lendemain, ma mère a appelé une amie pour lui demander si elle savait d’où il était possible de se connecter à Khan Younis. Elle a parlé d'un quartier que nous avons mis trois heures à rejoindre à pied.
Il n'y avait pas de réseau.
Nous sommes rentrées à notre refuge, après une nouvelle journée perdue.
* Donya Ahmad Abu Sitta est écrivaine à Gaza.
https://electronicintifada.net/content/color-gray-hope-rubble-defiance-telling/47146