👁🗨 De la rémanence du mensonge
Les affabulations au service de nos orthodoxies hégémoniques laissent des séquelles. Mais les mensonges sont rarement, voire jamais, éternels, et connaissent bien souvent une mort lente & douloureuse.
👁🗨 De la rémanence du mensonge
Par Patrick Lawrence*, Spécial Consortium News , le 12 juin 2024
La fumisterie du “viol militarisé” à Gaza essuie un revers fatal.
Vendredi dernier, alors que le président Joe Biden, le président français Emmanuel Macron et d’autres chefs d'État occidentaux, ainsi que les journalistes qui les représentent, se trouvaient en Normandie et s'affairaient à gommer l'héroïsme de l'Armée rouge qui a vaincu le Reich il y a 80 ans, un événement plus fidèle à l'histoire s'est produit dans les pages du Times de Londres.
Sous l’intitulé “Israël affirme que le Hamas a utilisé le viol comme une arme. Les preuves concordent-elles ?” deux journalistes d'investigation, Catherine Philp et Gabrielle Weiniger, ont résolument démonté le monumental tissu de mensonges sur le sujet, entretenu au cours des huit derniers mois par les Israéliens, les médias occidentaux, les sympathisants sionistes fanatiques et divers théoriciens du féminisme.
[Lire aussi : Evidence Missing in ‘Mass Rape’ Charge Against Hamas [Les preuves manquent dans l'accusation de “viols de masse” contre le Hamas].
Philp et Weiniger ont produit un travail journalistique exceptionnel, dont je vous présenterai les vertus dans quelques instants. Pour l'instant, je me contenterai de dire ceci : jamais vous ne lirez un article d'une telle intégrité de ce côté-ci de l'Atlantique - et certainement pas dans le New York Times, dont la malhonnêteté légendaire dans l'affaire des violences sexuelles présumées dans la crise de Gaza n'a que peu d'équivalent dans l'histoire du journal de référence qu’on ne présente plus.
Mais l'importance de l'article du Times va bien au-delà de la qualité d'un travail de premier ordre. Les grands médias ont enfin rendu compte de la monstrueuse opération de propagande qui a inventé de toutes pièces des allégations d'abus sexuels de la part des membres du Hamas. La chape de plomb a enfin sauté. Les historiens disposeront d'un dossier sur lequel travailler.
Et ce dossier inclura, comme autant de reflets du miroir, les basses dérélictions des autres grands médias - le New York Times, la BBC, les agences de presse, et ainsi de suite - qui ont collaboré avec l'État sioniste pour faire avancer cette usine à mensonges afin de pouvoir justifier la barbarie de l'armée d'occupation d'Israël. (Trois experts israéliens prétendent que leurs commentaires ont été déformés dans l'article du Times de Londres).
J'ai apprécié la remarque d'Aaron Maté lorsqu'il a posté un lien vers l'article du Times sur X peu après sa publication :
“Les médias de l'establishment commencent à rejoindre les journalistes indépendants et un compte Twitter”
- ce dernier faisant référence à l'homme, à la femme ou à l'entité qui a signalé l'article lorsqu'il a été publié vendredi dernier.
Et ce n'est qu'un aspect, ou l'un des nombreux aspects. Plusieurs publications indépendantes, notamment mais pas seulement The Grayzone, Mondoweiss, Electronic Intifada et The Intercept, ont été promptes à dénoncer l'opération de propagande musclée des Israéliens lorsque, avec les falsifications stupéfiantes de Jeffrey Gettleman dans le New York Times en décembre dernier, le mensonge est devenu totalement incontrôlable.
Ces publications ont contribué à braquer les projecteurs sur une histoire qui, sans elles, aurait sombré dans les ténèbres. Nous constatons dans leurs articles le pouvoir croissant des médias indépendants pour imposer des comptes-rendus exacts des événements dans les archives. Dans ce cas, comme dans beaucoup d'autres, ceux qui maquillent les évènements ont échoué.
Réfutations sans ambiguïté aucune
À la question posée dans le titre de leur article, Philp et Weiniger répondent par un “non” sans la moindre ambiguïté : il n'existe aucune preuve tangible que les militants du Hamas, et ceux qui ont investi avec eux le sud d'Israël le 7 octobre dernier, se seraient livrés à des violences sexuelles systématiques et officiellement planifiées contre des Israéliens, hommes et femmes, lors de leurs attaques contre divers kibboutzim juste de l'autre côté de la frontière entre la bande de Gaza et Israël.
Ces affabulations ont commencé à être diffusées dans les jours suivant les événements du 7 octobre, et ont depuis souillé le discours public dans l'intégralité de l'Occident. Désormais, un nouvel acronyme bureaucratique, CRSV, “conflict-related sexual violence” [violences sexuelles liées aux conflits], est venu ancrer la gravité de ces accusations dans nos esprits.
D'éminentes pseudo-féministes - Hillary Clinton et Sheryl Sandberg en tête - continuent de se livrer à la “politisation du viol”, comme la qualifie l'une des sources de Philp et Weiniger.
Mais la lumière commence à se faire. Désormais, ceux qui continueront à colporter les inepties de la machine de propagande israélienne s'exposeront simplement comme des bouffons sans cervelle au service d'un État d'apartheid. Grand bien leur fasse.
Philps et Weiniger consacrent de nombreuses colonnes au rapport publié le 4 mars par Pramila Patten, représentante spéciale des Nations unies pour les violences sexuelles dans les zones de conflit.
Comme on pouvait s'y attendre, les médias occidentaux ont longuement commenté le rapport de Pramila Patten, qui fait état de “motifs raisonnables de croire que des violences sexuelles liées à des conflits se sont produites en de multiples occasions”.
Dans la frénésie que ce langage a suscitée dans la presse grand public, on a perdu de vue la conclusion de l'ONU selon laquelle il existe par ailleurs des preuves accablantes, et en grand nombre, de tels abus de la part de l'armée d'occupation israélienne (IOF). Et comme le rapportent Philps et Weiniger, les Israéliens ont catégoriquement refusé de coopérer à une enquête officielle sur ces accusations - les allégations contre le Hamas ou l'OIF - lorsque Patten, dont la mission précédait une enquête officielle, en a préconisé une.
Le trou béant que creusent Philps et Weiniger dans le jeu des propagandistes émane également du rapport Patten. Quoi que son équipe ait pu citer en matière de violences sexuelles au cours de sa mission du 19 janvier au 14 février, elle n'a pu fournir aucune preuve que le Hamas les ait ordonnées en tant qu'arme de guerre systématique.
Il n'en reste pas moins que les violences sexuelles en temps de guerre sont aussi fréquentes et déplorables que les guerres elles-mêmes.
Les paysans de l'infanterie de l'Armée rouge en ont été accusés pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais cette pratique ne relevait pas de la politique militaire soviétique, loin s'en faut, pas plus qu'elle n'était ou n'est celle des autorités du Hamas.
La distinction est essentielle pour démolir la machine des propagandistes. L'article le plus scandaleux publié sur ce point - le long article de Jeffrey Gettleman du 28 décembre, celui qui a mis le feu aux poudres - s'intitulait “Screams Without Words: How Hamas Weaponized Sexual Violence on October 7.” [“Des cris sans paroles : Comment le Hamas a instrumentalisé la violence sexuelle le 7 octobre”].
Le traumatisme en héritage
Philps et Weiniger, qui ont révélé la fraude dans un grand journal influent, n'ont pas leur pareil pour enquêter sur l'origine des images qui ont permis à l'opération de propagande israélienne d'être aussi explosive.
Ils l'attribuent au ”traumatisme en héritage” - l'expression est de Gabor Maté, pas de Philps et Weinger - inscrit dans la psyché juive européenne depuis tous ces siècles de pogroms et les camps de concentration du Reich.
Ce sont les deux journalistes du Times qui nous expliquent ce souvenir traumatique transgénérationnel des pogroms. Dans ce passage, ils font référence à Sarai Aharoni, une universitaire de l'université Ben-Gurion qui collecte des archives sur les événements déclenchés le 7 octobre (et puissent ces archives s'avérer exactes lorsqu'elles seront accessibles après un moratoire de 50 ans) :
“Pour les Israéliens juifs, le spectre du viol est historiquement plus étroitement associé aux pogroms d'Europe de l'Est, au cours desquels des milliers de Juifs ont été tués et des femmes juives violées par des soldats chrétiens et des foules antisémites. Ces persécutions allaient devenir l'une des forces motrices du sionisme moderne et de la réinstallation des Juifs européens dans la province ottomane devenue la Palestine sous mandat britannique”.
“Ces ‘réminiscences historiques’”, note Aharoni, constituent désormais l'héritage culturel du peuple juif, notamment parmi tous les Juifs dépourvus d'éducation laïque, un facteur déterminant dans le compte rendu des événements du 7 octobre”.
Et l'article poursuit :
“Aharoni et d'autres ont été frappés par l’analogie entre les récits de Zaka et les récits transmis sur les horreurs des pogroms. Le premier cadrage du viol et de la violence sexuelle a été immédiatement associé à l'histoire européenne”, dit-elle, “en particulier par ceux ayant reçu une éducation religieuse.”
“Ainsi, un bénévole de Zaka [groupe de secouristes ultra-orthodoxes connus pour leur capacité à fabriquer des preuves] a reçu une éducation principalement religieuse. Ces secouristes ont étudié les textes juifs dépeignant le viol des femmes. Ces textes réapparaissent sans cesse dans les histoires juives et à chaque fois qu'un événement majeur affecte les communautés juives”.
Et plus avant :
“L'histoire de la femme enceinte et du fœtus massacré, aujourd'hui démentie, fait partie des récits familiers des pogroms. De nombreuses autres histoires erronées impliquaient des bébés - un membre de Zaka a affirmé avoir trouvé un bébé brûlé vif dans un four”.
Voilà de l'excellent journalisme. Philps et Weiniger ont également le mérite de se pencher sur la sociologie relative à l'aggravation du racisme omniprésent en Israël depuis que Benjamin Netanyahou, pour sa survie politique, a formé un gouvernement de détraqués hors normes dans les derniers jours de l'année 2022.
“L'idée que l'homme arabe représente une menace sexuelle explicite pour les femmes juives”, écrivent-ils, “s'est développée de pair avec le glissement de la politique israélienne vers l'extrême droite”.
Philps et Weiniger sont à mon sens trop gentils pour mettre sur le compte des traumatismes passés des Juifs la responsabilité du Hamas dans la perpétration d'abus sexuels. Cela me semble plutôt relever d'une propagande bâclée par l'amateurisme et constituer un nouveau cas - comme une épidémie se déclare - d'exploitation des souffrances historiques des Juifs pour alimenter la revendication cynique des sionistes d'être les éternelles victimes du monde.
Les révélations du Times inciteront-elles les propagandistes et les fanatiques sionistes à se calmer, maintenant qu'un journal grand public ajoute sa voix au travail remarquable des publications indépendantes mentionnées précédemment ? À long terme, oui. L'histoire des viols collectifs, des bébés cuits et des mères éventrées ne tient plus.
Préserver les apparences
Mais à court terme, non. L'une des caractéristiques des propagandistes réside en ceci qu'ils ne peuvent pas admettre leurs torts lorsqu'ils sont démasqués. La reddition est exclue quand l'objectif est non pas de transmettre la réalité, mais de fabriquer la façade qui la dissimule : les apparences s'effondrent comme un château de cartes au moindre petit accroc.
Sieur Jeffrey “Je n'ai même pas envie d'utiliser le terme ‘preuve’” Gettleman est notre cas d'école.
Bien qu'il soit hors de question pour le Times de le limoger - synonyme de discrédit du journal - j'avais prédit qu'il serait réaffecté à la rubrique “des chiens écrasés” à Trenton ou autre destin honteux de ce genre. J'avais tout faux. Gettleman est de retour en Ukraine, où il effectuait des reportages jusqu'au matin du 7 octobre.
Son premier article, après une interruption de trois mois et quelques, est paru le 11 mai et est en fait un très bon reportage sur les récentes avancées russes dans le nord-est de l'Ukraine. Plusieurs autres articles ont suivi, tous plus ou moins objectifs - ou plus objectifs, disons-le, que la propagande manifeste que le Times propose depuis longtemps à ses lecteurs dans ses articles sur l'Ukraine.
Le dernier article de Gettleman, daté du 8 juin - un jour après que le Times l'a mis à mal sans mentionner son nom - est un reportage étrangement long sur le succès des boissons énergisantes à base de caféine auprès des soldats ukrainiens sur le front.
Cette correspondance de guerre, dans sa forme la plus acerbe, m'a semblé être le signe de la réhabilitation par le Times d’un journaliste dont il s'est longtemps glorifié.
Ferez-vous à nouveau confiance à la signature de Gettleman ? Pas moi. Un utilisateur de X nommé Mazen Labban l'a joliment exprimé lorsque l'article du Times a fait le tour de la toile :
“Chaque jour passé par le NYT à maintenir Gettleman dans son staff, et à ne pas rétracter les inepties de ses écrits, est une insulte aux journalistes et au journalisme en général”.
Non, Mazen, impossible de faire oublier une honte de l'ampleur de celle de Gettleman. Mais Gettleman ne partira pas - il le faut. Son rôle consiste désormais à préserver la façade et éviter sa dislocation.
Par ailleurs, mentionnons également le cas, au moins aussi flagrant que celui de Gettleman, de Sheryl Sandberg, la propagatrice de longue date du féminisme d'entreprise.
Sandberg s'est lancée dans l'escroquerie des violences sexuelles avec ce qu'il faut bien appeler un enthousiasme imprudent, compte tenu de son empressement à adhérer à la propagande israélienne non étayée et de l'indifférence manifestée depuis face aux faits qui la démentent.
Le 2 mai, Sandberg a publié un documentaire de 60 minutes sur la “militarisation” de la violence sexuelle par le Hamas, intitulé “Screams before silence”. Si ce titre évoque pour vous une réplique de tous les bobards de la fameuse affaire Gettleman, restez vigilants.
Sandberg présente son film comme un documentaire, comme le travail le plus précieux qu'elle ait jamais réalisé. Il ne s'agit que de la reprise pure et simple de la version israélienne initiale, avec Zaka et tous les autres non-témoins et menteurs peu scrupuleux que les lecteurs attentifs auront croisés dans l'article de Gettleman et de nombreux autres comme lui.
Screams Before Silence a été publié deux mois après le rapport Patten et le journalisme indépendant mentionné précédemment, mais peu importe.
Sandberg continuera malgré tout sur sa lancée. Elle est déterminée à faire de la haine du Hamas, et par extension des Palestiniens, une sorte de cause féministe. C'est pathétique. Pas de référence aux quelque 20 000 femmes massacrées par l'armée israélienne, Mme Sandberg ?
Il s'agit là d'un féminisme mis purement et simplement au service de la cause sioniste. Le féminisme authentique et louable, le féminisme en tant que sous-ensemble de l'humanisme, a été oublié depuis longtemps, j'en suis parfaitement conscient. Il me semble toutefois qu'il s'agit là d'une dégradation trop radicale, même si l'on tient compte de l'histoire navrante d'une cause jadis si ambitieuse.
Les motivations obsessionnelles de Sandberg et la récurrence de tant de faux récits expliquent peut-être pourquoi Screams Before Silence n'a reçu que peu d'éloges de la part des médias grand public.
CNN et le Wall Street Journal ne l’ont évoqué qu’à demi-mot. Peu d'autres ont eu quoi que ce soit à en dire.
Il est certain que les mensonges au service de nos orthodoxies hégémoniques laissent des séquelles. Mais les mensonges sont rarement, voire jamais, éternels, et connaissent bien souvent une mort lente et douloureuse.
* Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger pendant de nombreuses années, principalement pour l'International Herald Tribune, est chroniqueur, essayiste, conférencier et auteur, plus récemment de “Journalists and Their Shadows”, disponible auprès de Clarity Press. Parmi ses autres ouvrages, citons “Time No Longer : Americans After the American Century”. Son compte Twitter, @thefloutist, a été définitivement censuré.
https://consortiumnews.com/2024/06/12/patrick-lawrence-the-afterlives-of-lies/