đâđš Des documents divulguĂ©s rĂ©vĂšlent les projets dâingĂ©rence des Ătats-Unis en Iran
Si Washington garde le secret, c'est peut-ĂȘtre moins pour des raisons de sĂ©curitĂ© que pour masquer la nature douteuse de ces opĂ©rations secrĂštes.
đâđš Des documents divulguĂ©s rĂ©vĂšlent les projets dâingĂ©rence des Ătats-Unis en Iran
Par Kit Klarenberg, le 11 février 2025
Des documents ayant fait l'objet d'une nouvelle fuite rĂ©vĂšlent les pressions constantes et secrĂštes exercĂ©es par Washington en vue d'un changement de rĂ©gime en Iran. En injectant des millions de dollars dans des initiatives secrĂštes, les Ătats-Unis cherchent Ă infiltrer la sociĂ©tĂ© civile, Ă manipuler la participation politique et Ă provoquer des troubles, alors que leurs bĂ©nĂ©ficiaires iraniens restent dans l'ombre.
Une fuite explosive examinée par The Cradle révÚle l'ampleur de la campagne menée de longue date par Washington pour déstabiliser la République islamique.
Depuis des annĂ©es, le Fonds pour la dĂ©mocratie rĂ©gionale au Proche-Orient (NERD) du dĂ©partement d'Ătat amĂ©ricain consacre des centaines de millions de dollars Ă des opĂ©rations secrĂštes visant Ă renverser le gouvernement de TĂ©hĂ©ran - sans succĂšs. Les dĂ©tails concernant ces fonds et leurs bĂ©nĂ©ficiaires sont gĂ©nĂ©ralement dissimulĂ©s. Toutefois, cette fuite donne un rare aperçu du dernier projet de changement de rĂ©gime de la NERD.
Financement occulte de l'opposition iranienne
Le document en question est un appel d'offres classifiĂ© lancĂ© par le dĂ©partement d'Ătat amĂ©ricain Ă des entrepreneurs privĂ©s et Ă des entitĂ©s liĂ©es aux services de renseignement, telles que la National Endowment for Democracy (NED) et l'USAID.
Diffusé discrÚtement en août 2023, il sollicitait des propositions pour
âsoutenir la sociĂ©tĂ© civile iranienne, les dĂ©fenseurs des droits civiques et tout le peuple iranien dans l'exercice de ses droits civiques et politiques pendant et au-delĂ â de la pĂ©riode Ă©lectorale de l'annĂ©e suivante, âafin de multiplier les solutions viables pour une participation dĂ©mocratiqueâ.
La NERD a invitĂ© les candidats Ă
âproposer des activitĂ©sâ qui âconsolideraient les initiatives de la sociĂ©tĂ© civile pour s'organiser autour des questions essentielles pour le peuple iranien pendant la pĂ©riode Ă©lectorale et pour tenir les dirigeants Ă©lus et non Ă©lus pour responsables des revendications des citoyensâ.
Le dĂ©partement d'Ătat a Ă©galement voulu sensibiliser les citoyens aux prĂ©tendues âfailles des processus Ă©lectoraux iraniensâ. Les propositions devaient
âaccorder une attention particuliĂšre Ă l'Ă©laboration de stratĂ©gies et d'activitĂ©s visant Ă accroĂźtre la participation des femmes Ă la sociĂ©tĂ© civile, aux activitĂ©s de plaidoyer, Ă l'Ătat de droit et aux actions de la bonne gouvernanceâ.
Le document regorge de termes pompeux et euphémiques. Le NERD prétend défendre
âla gouvernance participative, la rĂ©forme Ă©conomique et le progrĂšs de l'Ă©ducationâ, dans le but de former âun gouvernement iranien plus rĂ©actif et responsable, stable dans ses frontiĂšres et, sur le plan extĂ©rieur, un membre pacifique et productif de la communautĂ© des nationsâ.
En d'autres termes, un autre Ătat client occidental complaisant servant les intĂ©rĂȘts impĂ©riaux en Asie occidentale au lieu de les contester.
Le NERD avait prévu que les candidats retenus coordonnent leur action avec
âles gouvernements, les organisations de la sociĂ©tĂ© civile, les dirigeants des collectivitĂ©s, les jeunes et les femmes activistes, ainsi que les groupes du secteur privĂ©â dans le cadre de ces grands projets.
Le financement du dĂ©partement d'Ătat se traduirait par
âune plus grande diversitĂ© de mĂ©dias non censurĂ©sâ en Iran, tout en Ă©largissant âl'accĂšs aux mĂ©dias numĂ©riques grĂące Ă l'utilisation d'infrastructures, d'outils et de technologies de communication sĂ©curisĂ©sâ. Selon les prĂ©visions, cela aurait amĂ©liorĂ© âla capacitĂ© de la sociĂ©tĂ© civile Ă s'organiser et Ă dĂ©fendre les intĂ©rĂȘts des citoyensâ.
Des âthĂšmes humanistesâ
Le NERD a jugĂ© que les Ă©lections iraniennes de 2024 et la pĂ©riode de campagne constituaient des âopportunitĂ©sâ pour infiltrer de la sociĂ©tĂ© civile. Le plan envisageait un rĂ©seau d'âacteurs citoyensâ engagĂ©s dans des stratĂ©gies Ă©lectorales allant de la âparticipation Ă©lectoraleâ Ă la ânon-participation Ă©lectoraleâ- en d'autres termes, soit en mobilisant les Ă©lecteurs, soit en sapant le taux de participation.
ParallĂšlement, un âsoutien technique et une formationâ seraient proposĂ©s aux femmes, aux jeunes et aux minoritĂ©s ethniques aspirant Ă devenir des leaders Ă tous les niveaux de gouvernance - bien qu'aucun fonctionnaire iranien âactuellement en fonctionâ ne puisse prĂ©tendre Ă une aide.
Une fois en place, ce rĂ©seau d'agents iraniens opĂ©rant pour un changement de rĂ©gime devait, espĂ©rait-on, organiser des ârĂ©fĂ©rendums nationaux fictifsâ et d'autres actions politiques ânon officiellesâ en dehors des structures officielles de la RĂ©publique islamique, afin de mettre en Ă©vidence la prĂ©tendue disparitĂ© entre l'action du gouvernement et la volontĂ© du public.
Les Iraniens seraient Ă©galement encouragĂ©s Ă rĂ©diger des âmanifestesâ sur les âbesoins et prioritĂ©s non satisfaitsâ de la population locale. Comme on pouvait s'y attendre, aucune rĂ©fĂ©rence n'a Ă©tĂ© faite Ă la maniĂšre dont les sanctions paralysantes imposĂ©es par les Ătats-Unis et l'Union europĂ©enne contribuent de maniĂšre significative au mĂ©contentement de la population Ă TĂ©hĂ©ran. Au lieu de cela, il a dĂ©clarĂ© :
âLes activitĂ©s doivent ĂȘtre non partisanes et ouvertes Ă la participation d'un large Ă©ventail de groupes afin d'encourager divers acteurs Ă s'organiser autour d'intĂ©rĂȘts communs... Toutes les activitĂ©s proposĂ©es doivent clairement dĂ©montrer un impact sur les citoyens et les groupes de la sociĂ©tĂ© civile Ă l'intĂ©rieur de l'Iran. Le soutien peut ĂȘtre apportĂ© dans le pays, par le biais d'activitĂ©s dans des pays tiers avec des participants iraniens, ou virtuellement par le biais de canaux en ligne, mais le demandeur doit dĂ©montrer un lien direct avec les acteurs de la sociĂ©tĂ© civile Ă l'intĂ©rieur de l'Iran et la capacitĂ© de s'engager avec ces personnes en toute sĂ©curitĂ© et de maniĂšre efficaceâ.
Curieusement, certaines dĂ©penses Ă©taient explicitement interdites, notamment le soutien Ă âdes partis politiques individuels ou des tentatives de faire avancer un programme politique particulier en Iranâ, les activitĂ©s basĂ©es aux Ătats-Unis, la recherche universitaire, les programmes d'aide sociale, les entreprises commerciales, les festivals culturels et mĂȘme les âfrais de divertissementâ, tels que âles rĂ©ceptions, les activitĂ©s sociales, les cĂ©rĂ©monies, les boissons alcoolisĂ©es [et] les visites guidĂ©esâ.
Plus Ă©tonnant encore, l'embargo s'Ă©tend Ă âla recherche mĂ©dicale et psychologique ou aux Ă©tudes cliniques sur des sujets humainsâ. Cela soulĂšve des questions troublantes sur les projets antĂ©rieurs financĂ©s par la NERD : Des projets impliquant des expĂ©rimentations humaines sur des citoyens iraniens ou d'autres Ă©trangers ont-ils Ă©tĂ© envisagĂ©s ? Des projets portant sur l'utilisation de l'alcool en tant qu'outil de dĂ©stabilisation ont-ils Ă©tĂ© envisagĂ©s par le passĂ© ?
Manifestations âpopulairesâ
On ne sait toujours pas quels groupes ont finalement obtenu un financement de la NERD pour ces tentatives de changement de rĂ©gime. Les grands mĂ©dias affirment que ces informations sont classĂ©es secrĂštes, soi-disant en raison du ârisque encouru par les activistes en Iranâ. Cependant, si Washington garde le secret, c'est peut-ĂȘtre moins pour des raisons de sĂ©curitĂ© que pour masquer la nature douteuse de ces opĂ©rations secrĂštes.
Il y a longtemps que TĂ©hĂ©ran a judicieusement interdit les activitĂ©s subversives des agences du renseignement et des agences gouvernementales amĂ©ricaines sur son sol. Toutefois, Washington a continuĂ© Ă soutenir de nombreux groupes d'âexilĂ©sâ iraniens et de la diaspora basĂ©s en Occident, ainsi que les ONG, les groupes de la sociĂ©tĂ© civile et les plateformes de propagande qui leur sont rattachĂ©s Ă l'Ă©tranger.
Bien que les responsables américains aient publiquement reconnu ces activités, les détails - y compris l'identité des groupes et des individus organisés - sont systématiquement passés sous silence.
Par exemple, des documents publics supprimĂ©s depuis montrent que la NED a investi Ă elle seule au moins 4,6 millions de dollars dans 51 opĂ©rations contre-rĂ©volutionnaires distinctes en Iran entre 2016 et 2021. Cela comprenait le financement de syndicats, le âsoutien au journalisme indĂ©pendantâ, la crĂ©ation d'une Ă©dition juridique pour encourager âles avocats, les Ă©tudiants en droit et les religieuxâ Ă militer pour des rĂ©formes âdĂ©mocratiquesâ, et de multiples initiatives concernant âla valorisation des femmes iraniennesâ dans le monde des affaires, de la politique et de la sociĂ©tĂ©.
L'organisation chargĂ©e de mettre en Ćuvre ces initiatives n'a Ă©tĂ© citĂ©e que dans sept cas, Ă savoir le Abdorrahman Boroumand Center, basĂ© Ă Washington.
L'identitĂ© des 44 autres bĂ©nĂ©ficiaires reste inconnue. Une autre rubrique effacĂ©e de la NED rĂ©vĂšle qu'au cours de l'annĂ©e qui a prĂ©cĂ©dĂ© les manifestations de septembre 2022 en Iran, l'agence a dĂ©pensĂ© prĂšs d'un million de dollars pour des projets non divulguĂ©s axĂ©s sur la dĂ©fense des âdroits de l'hommeâ.
Aucune organisation participante n'a Ă©tĂ© nommĂ©e. Par exemple, des dizaines de milliers de dollars amĂ©ricains ont Ă©tĂ© injectĂ©s dans une entitĂ© anonyme pour âsurveiller, documenter et rendre compte des violations des droits de l'hommeâ. L'organisation devait en outre
âTravailler en Ă©troite collaboration avec son rĂ©seau de militants des droits de l'homme [en Iran] afin de renforcer leurs capacitĂ©s en matiĂšre d'information, de plaidoyer et de sĂ©curitĂ© numĂ©riqueâ.
Influence Ă©trangĂšre et instrumentalisation des mobilisations iraniennes
Il n'est pas certain que ces fonds aient influencĂ© de quelque maniĂšre que ce soit les manifestations de septembre 2022 en Iran, mais il est clair que la NED a surveillĂ© de trĂšs prĂšs les Ă©vĂ©nements locaux dĂšs le dĂ©but de la crise. Une semaine aprĂšs le dĂ©but des rassemblements, la Fondation a incitĂ© toute personne intĂ©ressĂ©e par une âcouverture de la vague de protestationsâ Ă suivre le Centre Abdorrahman Boroumand, bĂ©nĂ©ficiaire rĂ©current des subventions susmentionnĂ©es. Si les manifestations iraniennes ont d'abord fait l'objet d'une vaste couverture mĂ©diatique occidentale, elles ont cessĂ© aussi rapidement et brusquement qu'elles avaient commencĂ©.
Comble de l'ironie, la mobilisation des manifestants a Ă©tĂ© considĂ©rablement ralentie par l'exploitation Ă©hontĂ©e de la rĂ©volte par les acteurs occidentaux. Les militants amers se sont ouvertement plaints que leur cause soit âprise en otageâ par des acteurs Ă©trangers.
Le plus connu de ces agitateurs basĂ©s aux Ătats-Unis est Masih Alinejad, une exilĂ©e iranienne qui a rĂ©coltĂ© des centaines de milliers de dollars auprĂšs d'agences gouvernementales amĂ©ricaines pour des opĂ©rations de propagande anti-TĂ©hĂ©ran. Se prĂ©senter frauduleusement comme âleaderâ du mouvement de protestation dans la RĂ©publique islamique a, semble-t-il, suffi Ă dĂ©courager toute initiative de la part des habitants sur le terrain.
VoilĂ pourquoi Washington dissimule les bĂ©nĂ©ficiaires de ses fonds destinĂ©s au changement de rĂ©gime : l'histoire de la RĂ©sistance, qui refuse l'ingĂ©rence occidentale, incite les citoyens iraniens Ă se mĂ©fier de l'influence Ă©trangĂšre. Le soutien occulte des Ătats-Unis Ă©rode la lĂ©gitimitĂ© des mouvements d'opposition et attise la poussĂ©e nationaliste.
Le Washington Post a récemment rapporté que de nombreux Iraniens, toutes idéologies confondues, considÚrent le gel des financements destinés au changement de régime par l'administration du président américain Donald Trump comme une opportunité d'évolution politique significative.
Au cours de la derniÚre année du mandat de l'ancien président américain Joe Biden, la Maison-Blanche a réclamé 65 millions de dollars supplémentaires pour les opérations du NERD, comme indiqué dans l'appel d'offres qui a fait l'objet d'une fuite. Toutefois, ce financement étant désormais dans les limbes, l'opposition iranienne, soutenue par l'Occident et largement dépendante des subventions étrangÚres, est aujourd'hui réduite à la paralysie.
L'un des principaux obstacles à un véritable engagement diplomatique entre Washington et Téhéran pourrait donc avoir été levé. Les mois à venir nous diront si ce changement ouvre de nouvelles voies de dialogue ou s'il marque simplement une pause temporaire dans l'interminable stratégie américaine de changement de régime en Iran.
https://thecradle.co/articles/leaked-documents-expose-us-interference-projects-in-iran