đâđš Des fichiers disparaissent du tĂ©lĂ©phone de l'ancien militaire qui espionnait Julian Assange pour la CIA
La police n'a pas remis au juge les conversations WhatsApp, Signal, Telegram, Proton Mail et Skype de David Morales. Le magistrat a ordonné leur récupération immédiate.
đâđš Des fichiers disparaissent du tĂ©lĂ©phone de l'ancien militaire espagnol qui espionnait Julian Assange pour la CIA
Par JosĂ© MarĂa Irujo, le 19 juin 2024
L'une des principales preuves contre David Morales, l'ancien soldat espagnol dont la sociĂ©tĂ© a espionnĂ© Julian Assange et ses avocats pendant son sĂ©jour prolongĂ© Ă l'ambassade d'Ăquateur Ă Londres, a disparu. La police espagnole n'a pas remis au juge Santiago Pedraz le dossier complet du tĂ©lĂ©phone Samsung S7 utilisĂ© par M. Morales pour communiquer avec les agents prĂ©sumĂ©s de la CIA auxquels il a fourni la stratĂ©gie de dĂ©fense des fondateurs de WikiLeaks, selon des documents de l'enquĂȘte judiciaire auxquels El PaĂs a eu accĂšs. Ă la suite de requĂȘtes judiciaires rĂ©itĂ©rĂ©es, les officiers ont rĂ©pondu qu'âils ne savent pasâ oĂč se trouve lâintĂ©gralitĂ© du dossier. Le juge Pedraz a ordonnĂ© sa rĂ©cupĂ©ration immĂ©diate.
Le procureur Carlos Bautista s'est plaint de la disparition de ce dossier, qu'il qualifie d'âindispensableâ Ă lâinstruction de l'affaire. Il a exigĂ© qu'il soit retrouvĂ© âparce qu'il contient plus de donnĂ©es que celles mises Ă la disposition des intĂ©ressĂ©sâ. Le ministĂšre public a dĂ©clarĂ© :
âIl est particuliĂšrement frappant que l'unitĂ© de police ait livrĂ© les fichiers UFDR (Universal Forensic Data Report) et UFDX (Universal Forensic Data Exchange) des autres appareils et qu'elle ne l'ait pas fait prĂ©cisĂ©ment pour celui-ciâ.
Auparavant, le bureau du procureur s'Ă©tait Ă©galement plaint d'une âcertaine paralysieâ causĂ©e par âla lenteur exaspĂ©rante des forces de police impliquĂ©es dans l'analyse de tous les Ă©lĂ©ments saisisâ.
Le juge Pedraz a convoqué les agents de l'unité de lutte contre la cybercriminalité pour qu'ils comparaissent devant le tribunal et fassent une copie - en sa présence - des deux fichiers du Samsung S7 afin de tenter de récupérer les informations omises et de découvrir qui est responsable de leur disparition. La police nationale espagnole n'a pas souhaité répondre aux questions du journal.
Le Samsung S7, preuve cruciale
Lors de la perquisition du domicile et des bureaux de Morales dans la ville espagnole de Jerez de la Frontera, en septembre 2019, l'objectif premier des enquĂȘteurs Ă©tait prĂ©cisĂ©ment de saisir le tĂ©lĂ©phone Samsung S7 G930F que des tĂ©moins protĂ©gĂ©s (des salariĂ©s de l'entreprise) avaient configurĂ© pour Morales afin qu'il puisse supposĂ©ment communiquer avec la CIA. Ce dĂ©tail a Ă©tĂ© communiquĂ© aux officiers qui ont dĂ©tenu Morales avant l'arrestation. Mais la police a remis les fichiers complets de tous les tĂ©lĂ©phones, ordinateurs et appareils Ă©lectroniques saisis au domicile et au bureau de Morales, Ă l'exception des fichiers du tĂ©lĂ©phone Samsung. Cette action de la police a eu pour consĂ©quence que le dossier Userdata - qui contenait les conversations de Morales sur WhatsApp, Signal, Telegram, Proton Mail et Skype - a Ă©tĂ© Ă©cartĂ© de l'affaire.
M. Morales, propriĂ©taire d'UC Global SL, une sociĂ©tĂ© chargĂ©e de la sĂ©curitĂ© de l'ambassade d'Ăquateur Ă Londres, a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© deux mois aprĂšs qu'une enquĂȘte d'El PaĂs a rĂ©vĂ©lĂ© les enregistrements audio et vidĂ©o de l'activiste australien rĂ©alisĂ©s par ses employĂ©s Ă l'intĂ©rieur de l'ambassade. Ce matĂ©riel a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© comme preuve dans une plainte pĂ©nale dĂ©posĂ©e par l'Ă©quipe de dĂ©fense d'Assange, et la Haute Cour d'Espagne, l'Audiencia Nacional, a ouvert une enquĂȘte pour violation du secret professionnel, dĂ©tournement de fonds et blanchiment d'argent.
Le Samsung S7 est le seul téléphone à partir duquel des informations ont été extraites in situ au cours des perquisitions et des fouilles de l'opération de police. Cela n'a été le cas pour aucun des autres téléphones et appareils saisis, selon la réponse de la police au magistrat, qui a attendu des mois pour recevoir une explication de la part des officiers. La réponse de la police envoyée au tribunal d'instruction n° 5 de l'Audience nationale, en charge de l'affaire, contraste avec le témoignage de l'avocat de l'administration judiciaire, qui a enregistré la saisie de tous les téléphones.
La consĂ©quence de cette anomalie est que le fichier tĂ©lĂ©chargĂ© par l'unitĂ© de police sur le cloud - oĂč les preuves sont tĂ©lĂ©chargĂ©es et consultĂ©es par les parties impliquĂ©es dans l'affaire - n'est pas le fichier original et complet UFDX, mais seulement le fichier UFDR, dĂ©rivĂ© du prĂ©cĂ©dent mais une version incomplĂšte des donnĂ©es. Le fichier UFDR fourni par les agents ne contient pas le dossier Userdata, qui stocke les donnĂ©es des applications de messagerie. En outre, l'Ă©quipe de dĂ©fense d'Assange souligne que le fichier UFDR tĂ©lĂ©chargĂ© sur le nuage ne provient pas de la machine de vidage UFED Touch, comme c'est le cas pour tous les autres tĂ©lĂ©phones de l'enquĂȘte, mais d'un ordinateur personnel qui a Ă©tĂ© saisi.
L'agent âPaisaâ
Le tĂ©lĂ©phone Samsung S7 Ă©tait Ă©quipĂ© d'un clavier externe alternatif appelĂ© Swiftkey qui enregistre les mots tapĂ©s sur l'appareil et, grĂące Ă cette fonction, les experts ont pu partiellement sauver certaines conversations en anglais sur l'ambassade, Assange, la CIA et l'agent âPaisaâ, un collaborateur de Morales aux Ătats-Unis qui serait liĂ© Ă la CIA. Mais ces conversations ne semblent enregistrĂ©es nulle part ailleurs que sur le clavier, puisque le dossier Userdata qui stockait les conversations manquantes des applications de messagerie a Ă©tĂ© supprimĂ©.
Le Commissariat général de la police judiciaire espagnole a indiqué au juge Pedraz, dans un document de police, que le 7 février,
âtoutes les copies des appareils ont Ă©tĂ© livrĂ©es et qu'il n'en reste plus aucune dans le dossier de police. Par consĂ©quent, on ne sait pas oĂč ces fichiers pourraient se trouver ni oĂč ils pourraient ĂȘtre localisĂ©s dans les appareils livrĂ©sâ.
Le magistrat a ordonnĂ© Ă l'unitĂ© de lutte contre la cybercriminalitĂ©, qui a tĂ©lĂ©chargĂ© les donnĂ©es, d'examiner les disques durs livrĂ©s par les enquĂȘteurs et d'extraire une copie des fichiers UFDX et UFDR du Samsung S7 de M. Morales.
C'est la deuxiÚme fois que l'on découvre que la police a omis de transférer des informations pertinentes contenues dans les appareils électroniques saisis chez le propriétaire d'UC Global, SL. L'année derniÚre, l'équipe d'Assange a été autorisée à faire une deuxiÚme copie des documents saisis par les agents. La nouvelle copie a révélé plus de 213,1 gigaoctets, 551 616 fichiers et 973 fichiers de courrier électronique qui avaient été retenus par la police.
Parmi les nouveaux fichiers, un dossier intitulĂ© âOperations & Projectsâ a Ă©tĂ© sauvegardĂ©, contenant des rĂ©pertoires organisĂ©s par zone gĂ©ographique. Chaque rĂ©gion ou pays est spĂ©cifiĂ©, ainsi que les dĂ©tails des services Ă fournir. Dans la zone correspondant Ă l'AmĂ©rique du Nord - dans le rĂ©pertoire âUSAâ - se trouve un fichier intitulĂ© âCIAâ. Ă l'intĂ©rieur, dans un dossier intitulĂ© âVideosâ, sont stockĂ©es des images. Elles ont Ă©tĂ© obtenues grĂące aux camĂ©ras et microphones qu'UC Global a installĂ©s et dissimulĂ©s dans l'ambassade de l'Ăquateur Ă Londres pour surveiller les rĂ©unions du fondateur de WikiLeaks.