đâđš Des poursuites politiques de plus en plus frĂ©quentes : la dĂ©rive autoritaire se confirme sous le mandat Albanese
Ces affaires prouvent la motivation politique à sévÚrement punir ceux qui dénoncent les activités illégales des institutions sur la base d'allégations contestables sous couvert de sécurité nationale.
đâđš Des poursuites politiques de plus en plus frĂ©quentes : la dĂ©rive autoritaire se confirme sous le mandat Albanese
Par Paul Gregoire, le 28 juillet 2023
Ces affaires prouvent la motivation politique à sévÚrement punir ceux qui dénoncent les activités illégales des institutions sur la base d'allégations contestables dites de sécurité nationale.
L'Independent National Security Legislation Monitor a tenu la semaine derniĂšre des audiences publiques concernant la National Security Information (Criminal and Civil Proceedings) Act 2004 (Cth), dans le cadre d'une enquĂȘte sur l'impact sur des affaires rĂ©centes, en particulier les poursuites engagĂ©es contre Witness K et Bernard Collaery.
L'ancien procureur gĂ©nĂ©ral Christian Porter a dĂ©cidĂ© de poursuivre les accusations portĂ©es cinq ans plus tĂŽt contre âKâ et Collaery* courant 2018, aprĂšs avoir publiquement rĂ©vĂ©lĂ© que le gouvernement Howard avait illĂ©galement mis sur Ă©coute le cabinet du Timor-Leste pour obtenir un avantage dans les nĂ©gociations sur les combustibles fossiles en 2004.
Ces lois ont eu une incidence sur les affaires de K et de son avocat Collaery, car Porter a délivré un mandat en vertu de l'article 26 de la loi sur la NSI, garantissant qu'une grande partie des détails de la poursuite de l'ex-agent de l'ASIS, qui avait été chargé des écoutes au Timor-Oriental, et de son avocat, étaient couverts par le secret.
Bien que le gouvernement Albanese ait promis une réforme de la loi sur les lanceurs d'alerte, et qu'il ait mis fin à l'affaire Collaery, plus d'un an aprÚs le début du mandat de l'administration travailliste, les principales poursuites sont toujours en cours, tandis qu'une nouvelle forme d'affaire à motivation politique a vu le jour.
Lors des audiences la semaine derniĂšre, l'Ă©quipe juridique de Collaery a dressĂ© un bilan accablant de la maniĂšre dont la loi relative Ă la sĂ©curitĂ© nationale a entravĂ© l'affaire de son client, au point que lorsqu'elle a Ă©tĂ© abandonnĂ©e en juillet de l'annĂ©e derniĂšre, les dĂ©libĂ©rations sur ce qui pourrait ĂȘtre entendu en audience publique n'Ă©taient toujours pas finalisĂ©es quatre ans plus tard.
Une victime de la guerre froide
Le cas de Daniel Duggan, citoyen australien de 54 ans et ancien pilote de chasse des marines amĂ©ricains, dĂ©tenu en isolement extrĂȘme au centre pĂ©nitentiaire de Lithgow sur requĂȘte des Ătats-Unis, montre quâil est davantage visĂ© en tant que pion politique que lanceur dâalerte dans la campagne belliciste de la Maison-Blanche contre la Chine.
AprĂšs son retour de Chine en Australie en octobre dernier, oĂč il dirigeait une Ă©cole de pilotage, M. Duggan a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© dans la ville d'Orange, en Nouvelle-Galles du Sud, sur la base d'un acte d'accusation amĂ©ricain affirmant que la formation qu'il avait dispensĂ©e Ă des pilotes chinois dans lâĂ©cole de pilotage commercial sud-africaine au dĂ©but de la derniĂšre dĂ©cennie aurait enfreint la lĂ©gislation amĂ©ricaine en matiĂšre de contrĂŽle des armements.
Le sĂ©nateur des Verts australiens David Shoebridge a fait observer que la demande amĂ©ricaine d'extradition du citoyen australien, approuvĂ©e par le procureur gĂ©nĂ©ral Mark Dreyfus en dĂ©cembre, au moment oĂč les tensions militaires entre Washington et PĂ©kin s'intensifient, n'est pas une coĂŻncidence.
Cette semaine, les avocats de Duggan ont tentĂ© en vain d'obtenir un sursis, le temps que l'inspecteur gĂ©nĂ©ral du renseignement et de la sĂ©curitĂ© enquĂȘte pour dĂ©terminer si le Bureau de l'immigration et de la sĂ©curitĂ© (ASIO) a illĂ©galement fait revenir le pilote dans ce pays afin de l'arrĂȘter pour le compte des Ătats-Unis, et l'affaire a Ă©tĂ© ajournĂ©e jusqu'en octobre.
Ăliminer le messager
M. Dreyfus a rĂ©cemment fait adopter des amendements Ă la loi de 2013 sur les divulgations d'intĂ©rĂȘts publics (Public Interest Disclosure Act 2013 (Cth)), car il a dĂ©clarĂ© au cours de ses derniĂšres annĂ©es dans l'opposition que les lois qu'il avait adoptĂ©es il y a dix ans, alors qu'il occupait pour la derniĂšre fois le poste de procureur gĂ©nĂ©ral, ne permettaient pas de protĂ©ger les lanceurs d'alerte des services publics.
Pourtant, les modifications récentes étaient destinées à mieux protéger les lanceurs d'alerte dans le cadre de la nouvelle Commission nationale anticorruption, qui a pris ses fonctions ce mois-ci, et elles ne font rien pour protéger les lanceurs d'alerte du service public déjà aux prises avec le systÚme de justice pénale.
L'ancien employĂ© de l'Australian Taxation Office, Richard Boyle, en est un bel exemple. Il a comparu devant le tribunal en octobre dernier pour faire valoir que les actions qu'il a engagĂ©es pour dĂ©noncer une pratique illĂ©gale au sein de la Direction gĂ©nĂ©rale des impĂŽts Ă©taient justifiĂ©es au titre de la loi sur la protection des renseignements personnels (PID Act) prĂ©-amendĂ©e, Ă©tant donnĂ© que la rĂ©vĂ©lation de cette pratique Ă©tait d'intĂ©rĂȘt public.
Les lois de 2013 rĂ©digĂ©es par Dreyfus ne l'ont pas protĂ©gĂ© contre les 24 chefs dâinculpation dont il fait toujours l'objet, et les lois amendĂ©es adoptĂ©es jusqu'Ă prĂ©sent par le procureur gĂ©nĂ©ral dans le but de clarifier la loi PID n'auraient pas non plus sauvĂ© Boyle, mĂȘme si elles sont censĂ©es protĂ©ger ceux qui divulguent des informations.
Le procureur gĂ©nĂ©ral n'a rien fait pour rĂ©soudre le cas de M. Boyle, malgrĂ© de nombreuses enquĂȘtes Ă©tayant son affirmation selon laquelle le bureau des impĂŽts agissait illĂ©galement, et la pratique incriminĂ©e a depuis lors Ă©tĂ© abandonnĂ©e. De plus, M. Dreyfus n'a tentĂ© de proposer ses amendements qu'aprĂšs la prĂ©sentation de la dĂ©fense de M. Boyle.
M. Boyle, qui vit en Australie-MĂ©ridionale, doit maintenant faire appel de l'issue de son procĂšs pour divulgation d'informations d'intĂ©rĂȘt public au mois d'aoĂ»t.
La vérité, un combat solitaire
L'autre grand procĂšs politique qui aurait pu ĂȘtre affectĂ© par les modifications de la loi sur la divulgation d'informations d'intĂ©rĂȘt public est celui de l'ancien avocat de la Force de dĂ©fense australienne (ADF) David McBride, qui a rĂ©vĂ©lĂ© Ă la chaĂźne ABC, au milieu de la derniĂšre dĂ©cennie, que les forces spĂ©ciales australiennes commettaient des crimes de guerre en Afghanistan.
McBride doit ĂȘtre jugĂ© en novembre pour cinq chefs d'accusation liĂ©s Ă la sĂ©curitĂ© nationale, malgrĂ© le soutien important de la communautĂ© et de la classe politique en faveur de l'abandon des poursuites, d'autant que l'enquĂȘte Brereton, commanditĂ©e par le gouvernement, a soutenu ses efforts pour dĂ©noncer les crimes de la guerre en Afghanistan.
L'ancien avocat militaire n'a mĂȘme pas Ă©tĂ© en mesure de prĂ©senter sa dĂ©fense en vertu de la loi sur l'identification des personnes physiques, car des restrictions ont Ă©tĂ© appliquĂ©es Ă son cas, ce qui signifie que les deux seuls tĂ©moins comparaissant pour sa dĂ©fense ont Ă©tĂ© empĂȘchĂ©s de dĂ©poser, et que l'accusation a Ă©tĂ© autorisĂ©e Ă supprimer toutes les preuves qu'il a prĂ©sentĂ©es.
Mardi, M. McBride Ă©tait d'ailleurs prĂ©sent au Parlement, accompagnĂ© du sĂ©nateur Shoebridge, pour obtenir des autoritĂ©s du MĂ©morial australien de la guerre lâautorisation d'afficher une copie de l'acte d'accusation de l'ex-avocat des forces armĂ©es australiennes sur le lieu de commĂ©moration, car, son tĂ©moignage n'est que la manifestation de son devoir de dĂ©fense, selon lui.
La vérité réprimée
Les poursuites politiques les plus mĂ©diatisĂ©es se dĂ©roulent actuellement en dehors de notre juridiction. Il s'agit de lâinterminable tentative de la Maison Blanche d'extrader le citoyen australien et Ă©diteur Julian Assange du Royaume-Uni, pour avoir publiĂ© en 2010 des milliers de fuites de dossiers amĂ©ricains classifiĂ©s.
La persécution du fondateur de WikiLeaks par les deux plus proches alliés de notre nation présente des similitudes avec toutes les affaires actuellement en cours sur le territoire australien, en particulier celle de M. Duggan, puisque dans les deux cas, c'est Washington qui cherche à placer en détention et à poursuivre un citoyen australien sur la base de motifs contestables.
Contrairement à McBride, Boyle et Duggan, le gouvernement Albanese a publiquement remis en question la procédure engagée contre Assange, qui n'a fait que publier des documents qui lui ont été remis dans le cadre d'une démarche journalistique ordinaire, mais cette intervention a été tardive.
Le Premier ministre Anthony Albanese a déclaré à plusieurs reprises que "Trop c'est trop", jusqu'à ce que cela devienne sa ligne de conduite envers Assange. Toutefois, la ministre des affaires étrangÚres, Penny Wong, a anéanti tous les espoirs d'intervention de son gouvernement il y a quinze jours, en spécifiant que notre capacité d'action serait épuisée.
L'affaire Assange reprĂ©sente une menace pour les libertĂ©s fondamentales de la presse dans le monde entier, la position des Ătats-Unis crĂ©ant un prĂ©cĂ©dent selon lequel les gouvernements peuvent intervenir au-delĂ de leurs frontiĂšres pour sanctionner des Ă©trangers ayant publiĂ© Ă leur sujet des informations qu'ils jugent dĂ©rangeantes. Le Royaume-Uni envisage d'ailleurs d'adopter des lois allant dans le mĂȘme sens.
De mĂȘme, les affaires McBride et Boyle prouvent que ceux qui dĂ©noncent la corruption du gouvernement sont sĂ©vĂšrement punis. Et si les poursuites contre Collaery ont Ă©tĂ© abandonnĂ©es, c'est qu'il Ă©tait sur le point de rĂ©vĂ©ler des dĂ©tails clĂ©s de l'affaire que le gouvernement voulait garder secrets.
En ce qui concerne Duggan, les choses se présentent différemment. L'ancien marine formait des étrangers au pilotage aérien, une pratique courante chez les pilotes britanniques et australiens.
Pourtant, il semble aujourd'hui devoir jouer le rĂŽle de bouc Ă©missaire, dans un scĂ©nario oĂč la Chine est prĂ©sentĂ©e comme l'agresseur.
* Bernard Collaery, avocat australien, est connu pour avoir acceptĂ© la dĂ©fense du tĂ©moin K. Ce lanceur dâalertes a dĂ©noncĂ© la mise sur Ă©coute, par les services secrets australiens, des bureaux du cabinet du Timor-Leste lors des nĂ©gociations, prĂ©alables Ă lâindĂ©pendance de ce petit pays indonĂ©sien, pour un traitĂ© sur le pĂ©trole et le gaz en 2004. En 2013, les bureaux de Bernard Collaery sont perquisitionnĂ©s et lâAgence pour la sĂ©curitĂ© nationale emporte des dossiers et fichiers informatiques, Ă©videmment couverts par le secret professionnel, relatifs Ă cette affaire. Bernard Collaery est alors accusĂ© de trahison. Deux anciens prĂ©sidents de Timor-Leste et un ancien ministre australien ont tĂ©moignĂ© en faveur de Bernard Collaery, qui plaide non coupable contre toutes les accusations portĂ©es contre lui. Extrait de latribune.avocats.be
* Paul Gregoire est un journaliste et écrivain basé à Sydney. Il s'intéresse particuliÚrement aux questions de justice sociale et aux atteintes aux libertés civiles. Avant de rejoindre Sydney Criminal LawyersŸ, il a écrit pour VICE et a été rédacteur en chef du City Hub de Sydney. Paul est le lauréat du prix 2021 du Conseil des libertés civiles de la Nouvelle-Galles du Sud pour l'excellence dans le journalisme sur les libertés civiles.