đâđš Devenir grand-pĂšre au temps du gĂ©nocide
âJ'ai pleurĂ© de bonheur quand Jalal est nĂ©. Il y a tant d'autres histoires Ă raconter, mais la plupart ne seront jamais Ă©crites. Elles sont trop douloureuses Ă dire, et souvent synonymes de mortâ.
đâđš Devenir grand-pĂšre au temps du gĂ©nocide
Par Jalal al-Hallaq, The Electronic Intifada, le 4 janvier 2024
Je suis nĂ© Ă Gaza en juillet 1967, au milieu de la Naksa, ou ârechuteâ. Ă cette Ă©poque, les forces d'occupation israĂ©liennes ont imposĂ© un blocus sur Gaza et ont pris le contrĂŽle dâune plus grande part de davantage de terres palestiniennes.
Une sĂ©rie de batailles a eu lieu dans le quartier de Shujaiya, Ă Gaza, oĂč vivait ma famille. L'armĂ©e d'occupation utilisait des haut-parleurs pour menacer de violence toute personne qui quittait sa maison, si bien que je suis nĂ© sans l'aide d'un mĂ©decin.
Mon pÚre a été la sage-femme de ma mÚre, présence sage et bienveillante.
Notre famille était originaire de Majdal, dans la Palestine historique. Pendant la Nakba de 1948, la famille a été expulsée de force vers Gaza par Israël.
J'ai Ă©tĂ© prĂ©nommĂ© Jalal - ce qui se traduit approximativement par âla grandeurâ - en l'honneur de mon pĂšre.
J'étais encore jeune quand il est mort, et j'ai commencé à travailler pour subvenir aux besoins de ma famille.
En 1985, lorsque j'ai terminé mes études secondaires, je n'avais pas les moyens d'entrer à l'université. Cependant, j'étais un joueur de football talentueux et j'ai pu m'inscrire à l'université de Bethléem grùce à une bourse.
J'aimais beaucoup aller en cours, et j'ai obtenu d'excellentes notes en littĂ©rature anglaise. Mais l'occupation israĂ©lienne m'a privĂ© du rĂȘve d'obtenir un diplĂŽme.
J'ai été emprisonné par Israël pendant quatre ans, huit mois et vingt jours. Ma mÚre est morte 40 jours avant mon arrestation.
La sortie de prison
Ă ma libĂ©ration en 1992, je n'ai pas trouvĂ© de travail. L'occupation israĂ©lienne m'a empĂȘchĂ© de retourner Ă l'universitĂ©, car il m'Ă©tait interdit de quitter Gaza.
J'ai ouvert un petit restaurant et j'ai travaillĂ© avec mes frĂšres et sĆurs. Je me suis mariĂ© et nous avons eu trois enfants : Yousef, Nader et Younes.
En 1998, j'ai obtenu un diplÎme de droit. J'ai suivi une formation auprÚs de l'Association du barreau palestinien pendant deux ans. Ces années ont été difficiles, et je n'étais pas payé.
Mais nous avons eu la chance d'avoir une fille, Wedad, ainsi prénommée en hommage à ma mÚre.
C'est ma mÚre qui m'a inculqué la patience et la ténacité.
J'ai vu mes enfants grandir et j'ai éprouvé beaucoup de tristesse en pensant que leur grand-mÚre ne les avait pas vus grandir.
J'ai exercé le métier d'avocat dans une grande entreprise et je me suis spécialisé dans la résolution des conflits. Nous avons pu envoyer nos enfants à l'université et acheter une maison plus grande.
Deux de mes fils - Nader et Yousef - se sont mariés en 2023.
J'Ă©tais fier de mes enfants et heureux dans ma vie.
Mon premier petit-enfant, Jalal
En octobre 2023, IsraĂ«l a dĂ©moli tout ce pour quoi j'avais travaillĂ© dans ma vie. Mes efforts et mes rĂȘves se sont effondrĂ©s sous mes yeux.
Je remercie simplement Dieu d'avoir sauvé ma famille.
Ce mois-là , j'ai emmené ma famille à Khan Younis pour nous protéger des attaques de de l'occupant.
La femme de Nader était enceinte de prÚs de neuf mois. Elle avait besoin de traitements médicaux et d'un médecin, mais l'intensité des bombardements l'a privée de soins adéquats.
Néanmoins, elle a tenu bon. Nous hésitions à nous rendre dans un hÎpital parce qu'Israël les bombardait.
Au fur et Ă mesure que le travail avançait, nous Ă©tions de plus en plus prĂ©occupĂ©s par le bien-ĂȘtre de la mĂšre et du bĂ©bĂ©.
Puis le moment de la naissance est arrivé. Nous nous sommes rendus au complexe médical Nasser à Khan Younis.
Le seul véhicule que nous avons pu trouver pour nous y emmener était une camionnette de livraison de pain. Le livreur nous a emmenés une partie du trajet et, pour le reste, nous avons pris une charrette tirée par un ùne.
La femme de mon fils était paniquée. J'ai repensé à ma propre naissance pendant la Naksa et à la force de ma mÚre pendant les attaques d'Israël.
Mon petit-fils Jalal est né le 9 novembre 2023. Il est mon premier petit-enfant et, comme moi, il est né en temps de guerre, de blocus et de déplacement.
Nous avons pleuré de bonheur lorsque Jalal est venu au monde et que nous avons su que sa mÚre allait bien.
Un peu plus d'un mois plus tard, Israël a attaqué le complexe médical Nasser, tuant à la fois les personnes déplacées et les patients.
Notre histoire n'est pas la seule histoire de dĂ©placements et de naissances au cĆur des attaques israĂ©liennes. Il y a tant d'autres histoires Ă raconter, mais la plupart d'entre elles ne seront jamais Ă©crites.
Elles sont trop douloureuses Ă dire, et souvent synonymes de mort.
Jalal al-Hallaq vit Ă Gaza.
https://electronicintifada.net/content/becoming-grandfather-time-genocide/43496