đâđš Devenir mĂšre des quatre enfants de sa sĆur
âMa sĆur Alaa ne l'a reconnu [son mari] qu'Ă ses vĂȘtements et ses chaussures. Ils ont tuĂ© Raed de sang-froid, laissant sa femme et ses quatre enfants seuls face aux horreurs de la guerreâ.
đâđš Devenir mĂšre des quatre enfants de sa sĆur
Par Imad Abu Seif pour The Electronic Intifada, 17 avril 2025
Les attaques génocidaires d'Israël contre Gaza ont reculé les limites du pire que les Palestiniens croyaient possible.
Avant octobre 2023, Hiba al-Namnam, 32 ans, n'aurait jamais imaginĂ© qu'elle vivrait dans un abri de fortune dans une Ă©cole de l'ONU au cĆur du camp de rĂ©fugiĂ©s de Jabaliya.
Elle ne s'attendait certainement pas avoir la responsabilité de quatre enfants orphelins.
Le 27 octobre 2023, la famille de Hiba, ses parents et ses deux frĂšres et sĆurs, ont Ă©vacuĂ© leur maison Ă Jabaliya, dans le nord de la bande de Gaza, alors que l'armĂ©e israĂ©lienne s'apprĂȘtait Ă envahir le territoire.
Jâai refusĂ© de partir, a-t-elle dĂ©clarĂ© Ă The Electronic Intifada en mars Ă Jabaliya, dans les dĂ©combres d'une salle de classe d'une Ă©cole de l'UNRWA oĂč elle et les quatre enfants de sa sĆur ont trouvĂ© refuge.
Il n'y avait qu'un tapis au sol dans cette piĂšce vide, qui portait les traces incontestables d'un violent incendie.
Elle s'exprimait avec calme, mais ses yeux ne quittaient pas les enfants qu'elle surveillait attentivement. Le plus jeune, Elias, était assis sur ses genoux.
Elle n'est pas restĂ©e seule trĂšs longtemps. Quelques jours aprĂšs le dĂ©part de ses parents, la sĆur aĂźnĂ©e de Hiba, Alaa, 34 ans, son mari Raed, 42 ans, et leurs quatre enfants : Ibrahim, 14 ans, Lana, 12 ans, Ella, 10 ans, et Elias, 8 ans, qui avaient eux-mĂȘmes dĂ» fuir leur maison Ă Beit Lahiya, les ont rejoints.
Leur présence a été source de force et d'espoir pour Hiba.
âC'est terrifiant d'ĂȘtre seule sous les bombardements incessants d'IsraĂ«l, avec les missiles, les tirs et la haine qui s'abattent sur vousâ, a-t-elle confiĂ©.
Mais les bombardements israĂ©liens n'ont fait que s'intensifier, obligeant Hiba et la famille de sa sĆur Ă se rĂ©fugier dans une Ă©cole situĂ©e Ă cinq minutes Ă pied, oĂč des centaines de familles avaient dĂ©jĂ trouvĂ© refuge.
Pas le temps de faire son deuil
Le 26 janvier 2024, Raed, parti chercher de l'eau et de quoi nourrir ses enfants, a disparu.
âSon tĂ©lĂ©phone Ă©tait Ă©teintâ, raconte Hiba. âNous n'avions pas la moindre idĂ©e de l'endroit oĂč il pouvait ĂȘtre. Les frappes aĂ©riennes faisaient rage et la guerre s'intensifiait de jour en jourâ.
Elle, Alaa et leurs amis ont ratissĂ© tous les endroits possibles â hĂŽpitaux, cliniques de fortune et tout le nord de Gaza â craignant que Raed ait Ă©tĂ© blessĂ© ou tuĂ©.
âSon absence n'a fait qu'aggraver nos souffrancesâ, a dĂ©clarĂ© Hiba.
Vingt-deux jours aprÚs sa disparition, une fois les troupes israéliennes retirées, le corps en décomposition de Raed a été retrouvé prÚs de son domicile à Beit Lahiya.
âMa sĆur Alaa ne l'a reconnu qu'Ă ses vĂȘtements et Ă ses chaussuresâ, raconte Hiba. âIls ont tuĂ© Raed de sang-froid, laissant sa femme et ses quatre enfants seuls face aux horreurs de la guerreâ.
DĂ©terminĂ©e Ă soutenir sa sĆur et ses enfants endeuillĂ©s, Hiba a dĂ©cidĂ© de rester Ă leurs cĂŽtĂ©s.
L'école transformée en refuge est devenue leur seul abri et, à mesure que le génocide israélien s'intensifiait, la catastrophe humanitaire empirait. La violence d'Israël s'est vite accompagnée d'une famine meurtriÚre qui a frappé le nord de Gaza durant des mois.
Puis, d'autres tragĂ©dies ont suivi. Le 6 octobre 2024, juste aprĂšs la nouvelle invasion du nord par IsraĂ«l, Alaa et ses enfants ont dĂ©cidĂ© de s'aventurer jusqu'Ă leur maison Ă Beit Lahiya pour rĂ©cupĂ©rer des vĂȘtements. Mais un obus d'artillerie israĂ©lien a frappĂ© avant leur retour.
Alaa a été tuée sur le coup. Ses quatre enfants ont été blessés dans l'attaque.
âJe les attendais Ă l'Ă©cole. J'ai eu un mauvais pressentiment. Quand j'ai appris qu'ils avaient Ă©tĂ© touchĂ©s, j'ai couru Ă l'hĂŽpital Kamal Adwanâ, se souvient Hiba.
âJ'ai pas supportĂ© de voir ma sĆur drapĂ©e dans un linceul blanc. Je nâai mĂȘme pas pu lui dire au revoir avant ses funĂ©raillesâ.
Rétablie et déterminée
Mais elle n'avait pas le temps de faire son deuil. âLes enfants n'avaient plus que moiâ.
Ibrahim a Ă©tĂ© gravement blessĂ© Ă l'Ćil droit. Ella risque Ă©galement de perdre la vue d'un Ćil. Lana a Ă©tĂ© lĂ©gĂšrement blessĂ©e Ă la jambe, tandis qu'Elias ne souffre que d'une blessure mineure au pied droit.
Mais IsraĂ«l a tuĂ© leurs deux parents, ajoutant ainsi leur nom Ă la liste des plus de 38 000 enfants de Gaza orphelins dâun ou de deux parents dans le gĂ©nocide perpĂ©trĂ© par IsraĂ«l.
âLe jour oĂč Alaa est morte, alors que nous Ă©tions Ă l'hĂŽpital avec ses enfants blessĂ©s, j'ai enfin compris pourquoi Dieu m'a retenue dans le nord de Gaza alors que ma famille avait fui vers le sudâ,
raconte-t-elle en parlant de ses parents et de ses autres frĂšres et sĆurs rĂ©fugiĂ©s dans le sud.
Les hÎpitaux étant débordés, Ibrahim et Elias ont été transférés à l'hÎpital Al-Awda, à 10 minutes à pied de l'hÎpital Kamal Adwan.
Bravant les bombardements, Hiba a fait la navette entre les deux hÎpitaux, veillant à ce que les enfants soient soignés.
Finalement, faute de place, les enfants ont Ă©tĂ© confiĂ©s Ă Hiba. Ella souffrait toujours de sa blessure Ă l'Ćil et les mĂ©decins ont averti qu'il lui faut un traitement qui n'est tout simplement pas disponible Ă Gaza.
L'intensification des attaques israéliennes dans le nord a contraint les quatre enfants et leur tante à se déplacer de nouveau. Ils ont trouvé refuge dans une autre école des Nations Unies, dans le camp de réfugiés de Beach, à environ 4 kilomÚtres de Jabaliya.
Le courage
Pendant des semaines, Hiba a pris soin des enfants, leur procurant de l'eau, de quoi manger et les soins médicaux indispensables. Lorsque le cessez-le-feu a été décrété à la mi-janvier, ils sont retournés dans le nord, mais leurs maisons avaient été détruites.
N'ayant nulle part oĂč aller, ils sont retournĂ©s Ă l'Ă©cole de Jabaliya, oĂč ils ont amĂ©nagĂ© une salle de classe incendiĂ©e qui leur sert dĂ©sormais d'abri.
Dans cet abri sommaire, les enfants tentent de se reconstruire. Ibrahim rĂȘve de devenir mĂ©decin. Mais il a encore besoin de soins pour sa blessure Ă l'Ćil, tout comme Ella, une petite fille joyeuse qui adore dessiner, mais qui risque de perdre la vue.
Lana, une enfant douce et attentionnĂ©e et passionnĂ©e de lecture, essaie d'ĂȘtre forte pour ses jeunes frĂšres et sĆurs. Elias, le plus jeune, souffre de l'absence de sa mĂšre. Assis sur les genoux de Hiba, il dit se sentir âperduâ sans elle.
Quant à Hiba, elle attend d'obtenir des autorisations de voyage pour Ella et Ibrahim afin qu'ils puissent recevoir les soins médicaux dont ils ont besoin, qui ne sont disponibles qu'à l'étranger.
Pour elle, l'agression génocidaire d'Israël, le chagrin, les deuils, le déplacement et la lutte pour la survie auraient pu l'accabler sans sa nouvelle mission.
âCe sont Ibrahim, Lana, Ella et Elias qui me donnent chaque jour la force nĂ©cessaire. Ils m'ont appris ce que signifie vraiment ĂȘtre responsableâ, conclut Hiba.
Traduit par Spirit of Free Speech
* Imad Abu Saif est journaliste Ă Gaza.
https://electronicintifada.net/content/how-hiba-became-mother-her-sisters-four-children/50593