đâđš Du nouveau sur le sabotage de Nord Stream - immersion
Une enquĂȘte inĂ©dite rĂ©vĂšle de nouvelles preuves de l'implication potentielle de l'OTAN dans le sabotage du Nord Stream - soulignant le rĂŽle occultĂ© potentiellement jouĂ© par des sous-marins.
đâđš Du nouveau sur le sabotage de Nord Stream - immersion
Par Thomas Fazi, le 10 mars 2025
DâaprĂšs lâarticle de Maike Gosch, initialement publiĂ© dans le magazine allemand NachDenkSeiten et prĂ©sentĂ© ici dans une version dĂ©veloppĂ©e.
Les gazoducs Nord Stream font actuellement de nouveau la une des journaux. AprĂšs que des rumeurs de reprise des gazoducs par les Ătats-Unis ont rĂ©cemment fait sensation, le quotidien allemand Bild Zeitung a rapportĂ© que l'Allemagne examine actuellement attentivement les moyens dont elle dispose pour faire obstacle Ă la relance du projet Nord Stream 2. Alors qu'on pensait que l'absurditĂ© ne pouvait atteindre de nouveaux sommets, on continue de faire monter la pression.
Cependant, des rĂ©sultats d'enquĂȘte trĂšs intĂ©ressants sur cet attentat sur les gazoducs pourraient apporter un nouvel Ă©clairage sur le mode opĂ©ratoire et les Ă©ventuels auteurs. Comme on pouvait s'y attendre, ils ne proviennent pas des instances officielles, mais d'un journaliste indĂ©pendant français.
Tous les lecteurs de polars savent que l'une des étapes les plus cruciales dans la résolution d'une affaire est de poser les bonnes questions. L'une de celles qui me taraude depuis un certain temps concernant les attaques contre Nord Stream est de savoir pourquoi certains des endroits les plus profonds de la mer Baltique, pourtant trÚs peu profonde en de nombreux points, ont été choisis pour les attaques.
Pourquoi avoir choisi le bassin de Bornholm, d'une profondeur d'environ 80 Ă 100 mĂštres, comme scĂšne du crime, et non d'autres zones oĂč la profondeur de l'eau n'est que d'environ 20 Ă 30 mĂštres et qui auraient prĂ©sentĂ© l'avantage dâĂȘtre Ă proximitĂ© des deux gazoducs jumeaux Nord Stream 1 et Nord Stream 2, trĂšs proches l'un de l'autre, facilitant ainsi le sabotage des deux pipelines ?
Cette question, et une rĂ©ponse possible, sont au cĆur des nouvelles conclusions de recherche du journaliste d'investigation français Freddie Ponton, parues la semaine derniĂšre dans le journal en ligne 21Century Wire.
Il explore une explication possible et trÚs simple à cette question, qui peut se résumer en un mot : sous-marins.
AprĂšs que des rumeurs sur la prĂ©sence d'un sous-marin russe Ă proximitĂ© du lieu du crime ont circulĂ© dans les toutes premiĂšres heures suivant l'attaque, l'hypothĂšse d'un acte criminel commis Ă l'aide de sous-marins a curieusement jouĂ© un rĂŽle trĂšs secondaire, voire inexistant, dans les thĂ©ories et les spĂ©culations suivant le sabotage. Seymour Hersh ne mentionne pas non plus cette possibilitĂ©, mĂȘme si Thorsten Pörschmann, expert allemand trĂšs expĂ©rimentĂ© en matiĂšre de dĂ©fense, a par exemple dĂ©clarĂ© dans une interview le 10 octobre 2022, peu aprĂšs les attentats, qu'il estimait le recours Ă des sous-marins Ă©quipĂ©s pour poser des mines sous-marines comme Ă©tant le scĂ©nario le plus probable. Voici ses commentaires Ă ce sujet dans leur intĂ©gralitĂ© (Ă partir de la minute 14:37 environ) :
âIl existe des charges explosives spĂ©cialement conçues pour ces profondeurs pouvant ĂȘtre mises en place Ă l'aide de sous-marins. Et en termes de poids, ces charges correspondent Ă©galement Ă la puissance explosive enregistrĂ©e. On appelle ces charges des mines de fond. Elles sont cylindriques et peuvent ĂȘtre transportĂ©es dans les tubes lance-torpilles de sous-marins. [âŠ] Un tube lance-torpilles de sous-marin ne sert pas seulement Ă tirer des torpilles. Il peut Ă©galement permettre de transporter des nageurs de combat et de les libĂ©rer, mais ces tubes lance-torpilles peuvent aussi ĂȘtre utilisĂ©s comme dispositif de dĂ©ploiement de mines : on se rend discrĂštement quelque part et on y dĂ©pose des mines de fond. Chaque mine n'est censĂ©e exploser que lorsque vous passez dessus ou lorsqu'elle est dĂ©clenchĂ©e, mais chaque mine est Ă©galement un explosif efficace, utilisĂ© comme tel. Les mines antichars sont par exemple utilisĂ©es comme explosifs lorsqu'on ne dispose d'aucun autre moyen. Cela fonctionnerait de la mĂȘme maniĂšre pour une mine de fondâ.
Mais revenons aux nouvelles dĂ©couvertes de Freddie Ponton pour 21CenturyWire : il souligne d'abord un point important, Ă savoir que ces zones profondes du bassin de Bornholm sont idĂ©ales pour les activitĂ©s d'un sous-marin, tant en termes de maniabilitĂ© que de possibilitĂ© d'agir sans ĂȘtre dĂ©tectĂ©.
Un autre point soulignĂ© par Ponton : certaines des zones oĂč les explosions ont eu lieu sont en fait des zones de manĆuvre sous-marine de l'OTAN, dĂ©limitĂ©es comme telles sur les cartes marines (comme le montrent les documents de l'Agence danoise de l'Ă©nergie, qui a dĂ©livrĂ© le permis pour le gazoduc Nord Stream 2 en octobre 2019, prĂ©sentĂ©s dans son article). Une autre information importante est que les opĂ©rations sous-marines en mer Baltique sont gĂ©rĂ©es et coordonnĂ©es par l'autoritĂ© d'exploitation des sous-marins de la marine allemande, ou SubOpAuth, en coopĂ©ration avec l'OTAN et les Ătats baltes.
Nous voici donc en prĂ©sence de sites pour partie au beau milieu de zones dĂ©signĂ©es pour les manĆuvres sous-marines et dont les activitĂ©s sont coordonnĂ©es par une entitĂ© de la marine allemande. Ponton entreprend ensuite d'enquĂȘter plus avant sur les activitĂ©s sous-marines de l'OTAN au moment de l'attaque de fin septembre 2022.
Dans son article de fĂ©vrier 2023, le journaliste amĂ©ricain Seymour Hersh affirme que des plongeurs de la marine amĂ©ricaine ont participĂ© au sabotage de Nord Stream et ont profitĂ© de l'exercice naval de l'OTAN BALTOPS 22, l'une des plus grandes manĆuvres maritimes de l'OTAN, qui s'est dĂ©roulĂ©e en mer Baltique du 5 au 22 juin 2022, pour placer des explosifs Ă plusieurs endroits le long du gazoduc. Mais contrairement Ă Freddy Ponton, Seymour Hersh n'a pas supposĂ© le recours aux sous-marins pour commettre le sabotage, mais plutĂŽt que des plongeurs hauturiers auraient placĂ© les explosifs sur les gazoducs.
Ponton s'intĂ©resse Ă©galement Ă BALTOPS 22, mais se concentre sur les activitĂ©s sous-marines. Comme il le souligne, il est Ă©videmment difficile d'obtenir des informations plus prĂ©cises sur la planification, le contenu et les structures de commandement de l'exercice militaire. Mais la chance lui a souri : des journalistes danois de la chaĂźne TV2 rĂ©alisaient un reportage sur les activitĂ©s de la marine danoise, qui montre un Ă©cran exposant la structure organisationnelle de l'exercice BALTOPS 22. Elle montrait que BALTOPS 22 a Ă©tĂ© commandĂ© par un AmĂ©ricain, mais qu'un officier militaire allemand Ă©tait responsable des exercices sous-marins prĂ©vus dans le cadre de la manĆuvre.
Cependant, au moment des attentats, on a pu assister Ă d'autres exercices en mer Baltique en plus de BALTOPS 22, que beaucoup connaissent grĂące Ă l'article de Seymour Hersh. L'exercice naval Northern Coasts 2022, dirigĂ© par l'Allemagne, qui a dĂ©butĂ© le 29 aoĂ»t 2022 et s'est terminĂ© le mercredi 28 septembre 2022, deux jours aprĂšs les explosions du Nord Stream, planifiĂ© et menĂ© avec le Commandement naval alliĂ© de l'OTAN (MARCOM) et d'autres partenaires de l'OTAN, prĂ©sente un intĂ©rĂȘt tout particulier pour notre enquĂȘte. Comme le souligne Freddie Ponton dans son article long et dĂ©taillĂ© :
âQue les explosions de Nord Stream se soient produites sous la surveillance de la marine allemande et du MARCOM pendant l'opĂ©ration Northern Coasts 2022 menĂ©e par l'Allemagne est particuliĂšrement prĂ©occupant. Non seulement il est impensable que l'Allemagne n'ait pas eu connaissance des activitĂ©s aĂ©roportĂ©es, de surface et sous-marines qui se dĂ©roulaient en mer Baltique Ă cette Ă©poque, mais il est encore plus difficile de croire, sinon inconcevable, que le MARCOM ait ignorĂ© ces activitĂ©sâ.
L'article de Ponton soutient donc qu'il est peu probable que quiconque en dehors de l'OTAN ait pu mener des attaques d'une telle ampleur dans la âmer de l'OTANâ - comme on nomme aussi la Baltique - sans ĂȘtre remarquĂ©, alors que des manĆuvres sây dĂ©roulaient simultanĂ©ment. Il met Ă©galement en Ă©vidence le degrĂ© de coordination des activitĂ©s navales des Ătats membres de l'OTAN.
Bien sĂ»r, sans ĂȘtre un expert en la matiĂšre, il est difficile de se prononcer. Ces derniĂšres enquĂȘtes et recherches dĂ©montrent-elles dĂ©jĂ sans Ă©quivoque la responsabilitĂ© d'un Ătat ou d'un acteur en particulier ? Malheureusement non, mais elles fournissent un contexte d'intĂ©rĂȘt et pertinent pour Ă©valuer la situation et clarifier les probabilitĂ©s quant Ă l'identitĂ© des auteurs potentiels. Ces enquĂȘtes peuvent Ă©galement apporter une rĂ©ponse Ă la question de savoir qui Ă©tait le plus susceptible de disposer des moyens nĂ©cessaires pour mener Ă bien cet attentat.
Malheureusement, nous attendrons encore longtemps les conclusions des enquĂȘteurs allemands, et le journalisme citoyen devra donc combler cette lacune. Le mandat d'arrĂȘt contre un ressortissant ukrainien nommĂ© Volodymyr Z., qui aurait placĂ© les explosifs sur les pipelines avec d'autres suspects en plongeant depuis le voilier âAndromedaâ, relĂšve de plus en plus de la diversion, cette histoire du voilier Ă©tant plutĂŽt improbable du point de vue de nombreux experts.
L'article de Freddie Ponton n'est que le premier d'une sĂ©rie. Selon l'auteur, la deuxiĂšme partie devrait ĂȘtre publiĂ©e vers juin 2025. Nous sommes impatients d'en savoir plus. Dans une interview accordĂ©e Ă Patrick Henningsen sur X au sujet de ses dĂ©couvertes, l'auteur a dĂ©jĂ prĂ©cisĂ© qu'il expliquerait, entre autres, pourquoi il y a eu un Ă©cart de 17 heures entre les diffĂ©rentes explosions, l'un des nombreux mystĂšres encore non rĂ©solus liĂ©s Ă la plus grave attaque terroriste (heureusement sans victimes humaines) de l'histoire de la RĂ©publique fĂ©dĂ©rale d'Allemagne.
Dans son article, il déclare en outre :
âL'idĂ©e qu'une opĂ©ration secrĂšte impliquant une unitĂ© de dĂ©minage expĂ©ditionnaire [Note du MG : ExMCM signifie Expeditionary Mine Countermeasures. Ce terme est utilisĂ© dans la sphĂšre militaire et maritime pour dĂ©signer des unitĂ©s spĂ©cialisĂ©es dans la dĂ©tection, le dĂ©minage ou la neutralisation de mines sous-marines] ait Ă©tĂ© menĂ©e avec le soutien d'un groupe aĂ©roportĂ© amphibie et d'un ou plusieurs sous-marins (ou mini-sous-marins) lors d'exercices navals de l'OTAN peut sembler improbable Ă premiĂšre vue. Cependant, notre enquĂȘte sur le sabotage du Nord Stream fournit dĂ©sormais des preuves irrĂ©futables de l'existence d'opĂ©rations militaires de dĂ©minage des fonds marins et de destructions sous-marines. Ces activitĂ©s ont Ă©tĂ© menĂ©es lors d'exercices navals dirigĂ©s par des Ătats membres de l'OTAN, s'alignant ainsi parfaitement sur les principes de la guerre maritime non conventionnelle.
âIl est de notoriĂ©tĂ© publique que la marine amĂ©ricaine mĂšne des opĂ©rations secrĂštes, non reconnues et non programmĂ©es lors des exercices maritimes de l'OTAN de lutte contre les mines (MCM) et de neutralisation des explosifs et munitions (EOD) en Europe. Cette affirmation est Ă©tayĂ©e par des informations accessibles au public, et Ă©galement corroborĂ©e par des conversations officieuses de notre Ă©quipe chargĂ©e de l'enquĂȘte avec des officiers de l'OTAN, en activitĂ© ou Ă la retraite, et des commandants de l'EODâ.
Je vous recommande vivement la lecture de l'article complet et extrĂȘmement dĂ©taillĂ© de Freddie Ponton. Il contient de nombreuses informations sur les Ă©volutions du secteur militaire malheureusement rarement soumises Ă un examen critique par les mĂ©dias, comme l'intĂ©gration particuliĂšrement Ă©tendue de l'armĂ©e allemande aux structures de l'OTAN. On y trouve Ă©galement des informations trĂšs intĂ©ressantes sur les moyens et mĂ©thodes utilisĂ©s dans le cadre d'opĂ©rations massives de nettoyage des fonds marins, menĂ©es en secret aprĂšs les attentats.
Cependant, j'ai du mal à imaginer l'implication d'unités de la marine allemande dans l'explosion de Nord Stream, ou tout du moins leur complicité, mais attendons de voir comment les choses évoluent. Quoi qu'il en soit, sous la surface, bien des choses restent à découvrir.
Site web : thomasfazi.net Twitter : @battleforeurope
Dernier livre : The Covid Consensus: The Global Assault on Democracy and the PoorâA Critique from the Left (coĂ©crit avec Toby Green)