👁🗨 Émoi pour Navalny, bilan aride pour Assange
Les reportages sur les cas de Julian Assange d'une part et (actuellement) d'Alexej Navalny d'autre part : de nouveaux exemples du double standard inacceptable de nombreux médias allemands.
👁🗨 Émoi pour Navalny, bilan aride pour Assange
Par Tobias Riegel, le 13 avril 2023
Ces derniers jours, le sort réservé à Alexej Navalny, emprisonné en Russie, a fait l'objet de nombreux reportages de sympathie. Ainsi, la radio Deutschlandfunk a diffusé mercredi plusieurs articles sur le fait que Navalny était "apparemment à nouveau gravement malade", mais qu'il avait néanmoins "été à nouveau transféré en cellule individuelle". Il n'y a en principe rien à redire à cette préoccupation - qui devient douteuse lorsqu'on la compare à la mobilisation politico-médiatique autour du sort de Julian Assange.
La comparaison Navalny/Assange ne remplit pas les critères du "whataboutism" déloyal. Le traitement de Julian Assange par de nombreux médias et hommes politiques occidentaux au cours des dernières années dépasse l'entendement - surtout si l'on mesure ce traitement à l'aune des poncifs relatifs à leurs propres "valeurs" : dans cette affaire, l'auto-congratulation concernant la liberté d'expression occidentale et le traitement des crimes de guerre occidentaux ne tient plus debout.
Les positions politiques de Nawalny, à mon avis très discutables, ne devraient pas jouer de rôle dans cet article lors de l'évaluation des procès contre lui et de la couverture médiatique de ces derniers.
Deux poids, deux mesures politiques et éthiques dans de nombreux médias
Si l'on considère l'ensemble des dernières années, les récents reportages des grands médias sur le triste quatrième anniversaire de l'enlèvement d'Assange à l'ambassade d'Équateur à Londres ne changent pas grand-chose aux doubles standards médiatiques. Il faut cependant reconnaître qu'il y a eu de légers changements : de l'ignorance presque totale du cas Assange, on est passé à un reportage de temps en temps (généralement avec beaucoup de retenue), probablement pour ne pas perdre le peu de crédibilité restant en matière de liberté d'expression.
La différence entre de nombreux reportages sur Assange et la défense des "critiques russes du Kremlin" réside dans la classification politico-morale des personnes, dans le degré d'attention et dans le degré d'implication émotionnelle. Même si, comme nous l'avons dit, l'attitude des médias a légèrement changé : Assange fait principalement l’objet de mises à jour arides, tandis que le cas Navalny est souvent plutôt consacré aux reportages émotionnels. Nous avons décrit un autre exemple de ce double standard en 2019 dans l'article "Si seulement Assange était russe". Pour comparer le traitement médiatique de Navalny d'une part et d'Assange d'autre part, nous avons écrit en 2020 dans l'article "De grands sentiments pour Navalny - une froideur glaciale pour Assange" :
"Mais en comparaison avec le mépris froid à l’égard de Julian Assange, l'agitation autour de Navalny semble une farce à motivation politique. Le cas est l'occasion d'une campagne d'opinion antirusse massive - le rôle de moralisateur semble grotesque chez de nombreux journalistes occidentaux".
L'injustice flagrante qui existe au sein de l'affaire Assange apparaît clairement lorsqu'il est décrit que les criminels de guerre démasqués par Assange ne sont en partie pas inquiétés, tandis que l'enquêteur est détenu au secret. En février déjà, Moritz Müller écrivait à ce sujet dans cet article :
"Entre-temps, le fondateur de WikiLeaks Julian Assange, menacé d'extradition vers les Etats-Unis, est privé de liberté depuis 4.455 jours. Les Etats-Unis sont la nation dont il a contribué à dévoiler la corruption et les crimes de guerre. Nombre de leurs criminels de guerre n'ont jamais été jugés ou ont été graciés entre-temps, tandis que le révélateur Assange est menacé de 175 ans de prison par cette nation. Seuls quelques politiciens ou journalistes s'expriment sporadiquement sur cette injustice".
Le traitement d'Assange ne justifie celui d’autres
Que le traitement d'Assange puisse être qualifié de "persécution politique, d'arbitraire judiciaire et de torture" a été souligné une fois de plus en 2021 par le rapporteur spécial de l'ONU Nils Melzer dans une interview :
"Le cas d'Assange est l'histoire d'un homme qui doit payer par la torture psychologique le fait d'avoir révélé au public, via la plateforme Wikileaks, les sales secrets des puissants et d'avoir ainsi dévoilé des crimes de guerre, de la torture et de la corruption. C'est l'histoire du plus grave arbitraire judiciaire dans les démocraties occidentales qui, dans le domaine de la protection des droits de l'homme, aiment habituellement se présenter comme des États modèles".
Le cas Assange ne justifie évidemment pas un mauvais traitement d'autres détenus, comme Alexeï Navalny en Russie. Il en va de même pour le journaliste américain accusé d'espionnage par les Russes. Dans l'article Navalny, médias & hypocrisie, nous avons souligné que :
"L'intervention des médias et des politiques occidentaux contre l'arrestation de Navalny ne doit donc pas être critiquée - même si le traitement occidental de l'homme politique nationaliste soulève par ailleurs de nombreuses questions, mais nous y reviendrons plus tard. L'excès de couverture médiatique en faveur de Navalny devient un scandale indirect, surtout en comparaison directe avec la manière dont de nombreux médias occidentaux traitent les personnes opprimées qui sont plus critiques vis-à-vis de la politique occidentale que Navalny".
Enlèvement d'Assange : quatre ans d'injustice
Il est grand temps ! Cela fait maintenant quatre ans qu'Assange a été enlevé à l'ambassade d'Equateur à Londres. A l'occasion de ce triste et scandaleux anniversaire, Moritz Müller vient d'écrire dans cet article :
"Depuis, les autorités des pays concernés font traîner son cas. Actuellement', c'est-à-dire depuis fin août dernier, Julian Assange attend dans sa petite cellule de 6 m² qu'un juge britannique anonyme décide si ses deux demandes d'appel seront acceptées par la Haute Cour de Londres".