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Le nucléaire procure une illusion de sécurité. La posture US passant de la dissuasion à la menace, un scénario verra un jour Washington avoir recours au nucléaire. Et là , c'est l'extinction des feux.
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Par Scott Ritter, Special Consortium News, le 1er septembre 2024
Les administrations américaines successives ont renoncé à la maßtrise de l'armement au profit du maintien de l'avantage stratégique américain sur des adversaires réels ou imaginaires.
Pour ce faire, elles ont adopté des stratégies de recours aux armes nucléaires qui s'écartent de la simple dissuasion pour s'orienter vers la guerre à tous les niveaux de conflit, y compris dans des scénarios qui n'impliquent pas de menace nucléaire.
Alors que les Ătats-Unis prĂ©conisent des politiques qui exacerbent les tensions dĂ©jĂ fortes avec leurs adversaires dotĂ©s de l'arme nuclĂ©aire, tels que la Russie et la Chine, l'administration Biden a approuvĂ© un nouveau plan de dĂ©ploiement d'armes nuclĂ©aires qui augmente la probabilitĂ© d'un conflit nuclĂ©aire au lieu de la rĂ©duire.
Si elle n'est pas contrÎlée, cette politique ne peut avoir qu'un seul résultat possible : l'anéantissement nucléaire total de l'humanité et du monde dans lequel nous vivons.
Quelque chose de trÚs intéressant s'est produit sur les chemins qui mÚnent à l'Armageddon.
En janvier 2017, le vice-président de l'époque, Joe Biden, s'exprimant à la Fondation Carnegie pour la paix internationale, a mis en garde contre les dangers inhérents à l'augmentation du financement des armes nucléaires et, par extension, à l'accroissement de leur importance.
âSi les futurs budgets reviennent sur les choix que nous avons faits et consacrent des fonds supplĂ©mentaires au renforcement de l'arsenal nuclĂ©aireâ, a dĂ©clarĂ© M. Biden, faisant rĂ©fĂ©rence aux politiques de l'administration Obama qui ont notamment garanti le nouveau traitĂ© START limitant la taille des arsenaux nuclĂ©aires des Ătats-Unis et de la Russie, âcela nous ramĂšne Ă la guerre froide et n'amĂ©liorera en rien la sĂ©curitĂ© quotidienne des Ătats-Unis et de leurs alliĂ©sâ.
Plus tard, en 2019, Joe Biden, désormais candidat à l'élection présidentielle, a commenté la décision prise par le président Donald Trump de déployer deux systÚmes de missiles - un missile de croisiÚre encore en cours de développement et le missile balistique Trident, lancé par sous-marin et embarqué à bord des sous-marins de classe Ohio de la marine américaine - armés d'une nouvelle ogive nucléaire à faible puissance.
âLes Ătats-Unis n'ont pas besoin de nouvelles armes nuclĂ©airesâ, a dĂ©clarĂ© M. Biden dans une rĂ©ponse Ă©crite aux questions posĂ©es par le Conseil pour un monde vivable. âNotre arsenal actuel est suffisant pour rĂ©pondre Ă nos besoins en matiĂšre de dissuasion et d'alliance.â
Dans un article publiĂ© dans le numĂ©ro de mars/avril 2020 de la revue Foreign Affairs, le candidat Biden s'est engagĂ© Ă
ârenouveler notre engagement en faveur de la maĂźtrise des armements pour une nouvelle Ăšreâ, notamment en promettant de âchercher Ă Ă©tendre le nouveau traitĂ© START, point d'ancrage de la stabilitĂ© stratĂ©gique entre les Ătats-Unis et la Russie, et de l'utiliser comme base pour de nouveaux accords de maĂźtrise des armementsâ.
M. Biden a poursuivi en déclarant que
âl'arsenal nuclĂ©aire amĂ©ricain devrait avoir pour seul objectif de dissuader une attaque nuclĂ©aire et, si nĂ©cessaire, d'exercer des reprĂ©sailles contre celle-ci. En tant que prĂ©sident, je m'efforcerai de mettre cette conviction en pratique, en consultation avec l'armĂ©e amĂ©ricaine et les alliĂ©s des Ătats-Unis.â
Biden l'a emportĂ© sur Trump lors de l'Ă©lection prĂ©sidentielle de 2020 et, le 21 janvier 2021, il a prĂȘtĂ© serment en tant que 46e prĂ©sident des Ătats-Unis.
Et puis... plus rien.
Imiter la frappe préventive de Trump
En mars 2022, aprĂšs de nombreuses spĂ©culations sur la question de savoir si Biden irait jusqu'au bout de sa promesse de mettre en Ćuvre une politique nuclĂ©aire âĂ des fins spĂ©cifiquesâ, l'administration Biden a publiĂ© lâĂ©dition 2022 de la Nuclear Posture Review (NPR), un document mandatĂ© par le CongrĂšs qui dĂ©crit la stratĂ©gie, la politique, la posture et les forces nuclĂ©aires des Ătats-Unis en soutien Ă la StratĂ©gie de sĂ©curitĂ© nationale (NSS) et Ă la StratĂ©gie de dĂ©fense nationale (NDS).
Il s'agissait de la copie presque conforme du NPR de fĂ©vrier 2018 publiĂ© par l'administration Trump, y compris les termes qui consacrent en tant que doctrine la capacitĂ© des Ătats-Unis Ă utiliser des armes nuclĂ©aires Ă titre prĂ©ventif, mĂȘme dans des scĂ©narios qui n'impliquent pas de menace nuclĂ©aire.
En dĂ©cembre 2022, lors d'une rĂ©union du personnel impliquĂ© dans la nĂ©gociation et la mise en Ćuvre du traitĂ© historique de 1987 sur les forces nuclĂ©aires intermĂ©diaires, un haut responsable du contrĂŽle des armements de l'administration Biden s'est vu demander par un contrĂŽleur des armements chevronnĂ© pourquoi Biden Ă©tait revenu sur sa promesse concernant la doctrine des âfins exclusivesâ.
âL'âinter-agenceâ n'Ă©tait pas prĂȘteâ, a rĂ©pondu ce fonctionnaire.
L'âinter-agenceâ Ă laquelle le fonctionnaire faisait rĂ©fĂ©rence est l'amalgame de dĂ©partements et d'agences, composĂ© de fonctionnaires de carriĂšre non Ă©lus et de professionnels militaires qui servent d'exĂ©cutants Ă la politique concernant le programme nuclĂ©aire de l'AmĂ©rique.
Il s'agit d'un aveu surprenant et extrĂȘmement dĂ©cevant de la part d'un fonctionnaire dont le serment professionnel le lie au principe constitutionnel fondamental de l'autoritĂ© exĂ©cutive et du contrĂŽle civil de l'armĂ©e.
Avant mĂȘme d'avoir prĂȘtĂ© serment, Joe Biden avait reçu des critiques concernant toute modification de la doctrine nuclĂ©aire des Ătats-Unis.
En septembre 2020, l'amiral Charle Richard, commandant de l'U.S. Strategic Command, responsable de l'arsenal nucléaire américain, a lancé un avertissement :
âPour la premiĂšre fois dans l'histoire de notre pays, nous sommes sur une trajectoire qui nous permettra de faire face Ă deux adversaires dotĂ©s d'une capacitĂ© nuclĂ©aireâ.
Richard faisait référence aux arsenaux nucléaires de la Russie et de la Chine.
Une fois prĂ©sident, Joe Biden a Ă©tĂ© immĂ©diatement confrontĂ© Ă deux dĂ©fis majeurs pour lesquels il Ă©tait mal prĂ©parĂ© : la crise russo-ukrainienne, et les intĂ©rĂȘts nationaux de la Chine sur TaĂŻwan et la mer de Chine mĂ©ridionale.
Dans les deux cas, il existait un risque d'escalade militaire menant à un conflit direct entre l'armée américaine et ses homologues russes et chinois, avec dans les deux cas la possibilité d'une guerre nucléaire.
Le déclenchement par la Russie de son « opération militaire spéciale » contre l'Ukraine, en février 2022, a entraßné le risque inhérent d'une escalade avec l'OTAN, donnant lieu à des menaces russes concernant l'utilisation potentielle d'armes nucléaires si l'OTAN décidait d'intervenir directement en Ukraine.
Par ailleurs, un rapport du Pentagone datant de novembre 2022 prévoit que la Chine augmentera son arsenal nucléaire d'environ 400 armes à plus de 1 500 d'ici 2035.
Le traitĂ© New START limite le nombre d'ogives nuclĂ©aires dĂ©ployĂ©es Ă 1 550 pour les Ătats-Unis et la Russie. Le traitĂ© a Ă©tĂ© nĂ©gociĂ© sur le principe de la rĂ©ciprocitĂ© bilatĂ©rale.
Les Ătats-Unis Ă©tant confrontĂ©s Ă un arsenal nuclĂ©aire chinois potentiel de 1 500 armes et Ă l'arsenal russe existant d'environ la mĂȘme taille, il Ă©tait clair que, si rien n'Ă©tait fait, les Ătats-Unis allaient se retrouver dans une position pĂ©nalisante pour leurs forces nuclĂ©aires stratĂ©giques.
Si le NPR constitue une déclaration de politique générale concernant l'arsenal nucléaire américain, il existe deux autres documents - les directives du président en matiÚre de recours aux armes nucléaires et les directives du Secrétaire à la Défense en matiÚre de planification et de stratégie d'emploi des armes nucléaires - qui orientent la planification du recours effectif aux armes nucléaires conformément à la politique nationale.
Le dernier document de directives sur l'emploi des armes nuclĂ©aires, publiĂ© en 2019, rĂ©pondait Ă la NPR de 2018. Ces orientations ont pleinement intĂ©grĂ© la nouvelle ogive nuclĂ©aire Ă faible puissance W-76-2 dans les plans de recours Ă l'arme nuclĂ©aire des Ătats-Unis. Il en a Ă©tĂ© de mĂȘme pour la nouvelle gĂ©nĂ©ration de bombes Ă gravitation B-61 qui constituent la force de dissuasion nuclĂ©aire de l'OTAN.
Les plans d'emploi, basĂ©s sur le concept âescalade pour la dĂ©sescaladeâ (c'est-Ă -dire qu'en utilisant une petite arme nuclĂ©aire, les Ătats-Unis et l'OTAN dissuaderaient la Russie d'aller plus loin de peur d'entraĂźner un Ă©change nuclĂ©aire gĂ©nĂ©ral), ont Ă©tĂ© intĂ©grĂ©s dans les plans stratĂ©giques des Ătats-Unis et de l'OTAN.
En bref, les plans de guerre nucléaire américains ont été conçus pour permettre le recours à des armes nucléaires localisées contre une menace russe et chinoise.
Ce plan de guerre nucléaire américain reposait sur la capacité de dissuader l'escalade nucléaire russe et de dissuader ou neutraliser la force nucléaire chinoise en utilisant le nombre d'ogives nucléaires autorisé dans le cadre des plafonds fixés par le nouveau traité START.
Face à une Chine nucléaire plus forte
Toutefois, l'administration Biden est dĂ©sormais confrontĂ©e Ă la possibilitĂ© ou Ă la probabilitĂ© d'une force nuclĂ©aire stratĂ©gique chinoise beaucoup plus importante et non seulement prĂȘte Ă survivre Ă une premiĂšre frappe limitĂ©e des Ătats-Unis, mais aussi Ă lancer une charge nuclĂ©aire meurtriĂšre sur le sol amĂ©ricain en guise de reprĂ©sailles.
Pour s'adapter Ă cette nouvelle rĂ©alitĂ©, les Ătats-Unis devraient affecter Ă la Chine les ogives nuclĂ©aires actuellement destinĂ©es Ă la Russie. Pour ce faire, les Ătats-Unis devraient non seulement Ă©tablir des listes de cibles rĂ©visĂ©es pour la Russie et la Chine, mais Ă©galement repenser les stratĂ©gies de ciblage en gĂ©nĂ©ral, en privilĂ©giant une destruction physique maximale plutĂŽt qu'un impact politique.
Plus dangereux encore, les Ătats-Unis devraient envisager des stratĂ©gies qui maximisent l'effet de surprise afin de s'assurer que toutes les cibles sont atteintes par les armes appropriĂ©es. Cela implique une modification du dispositif opĂ©rationnel et des limites de dĂ©ploiement effectif des forces nuclĂ©aires amĂ©ricaines.
Un meilleur niveau de prĂ©paration implique une vigilance accrue Ă l'Ă©gard de tout Ă©ventuel mouvement de la part d'un adversaire nuclĂ©aire potentiel, de sorte que les capacitĂ©s nuclĂ©aires des Ătats-Unis seront placĂ©es en Ă©tat d'alerte accru.
En bref, le risque de guerre nucléaire, accidentel ou non, augmente de façon exponentielle.
En mars, l'administration Biden a publié un nouveau document contenant des lignes directrices sur le nucléaire, révélateur de cette réalité.
Ce document ne mentionne nulle part que le contrÎle des armements serait un moyen de gérer l'équation nucléaire, que ce soit en élargissant les dispositions du nouveau traité START ou en collaborant avec la Chine pour écarter le risque qu'elle ne se dote du nucléaire.
Au contraire, les Ătats-Unis semblent prĂ©occupĂ©s par le dĂ©clin de la dissuasion nuclĂ©aire rĂ©sultant de la rĂ©affectation d'armes destinĂ©es Ă des opĂ©rations non chinoises. Vu sous cet angle, la rĂ©ponse au problĂšme consiste Ă augmenter le nombre d'armes nuclĂ©aires, et non Ă le rĂ©duire.
VoilĂ pourquoi les Ătats-Unis vont laisser le traitĂ© New START expirer en fĂ©vrier 2026 - une fois le traitĂ© caduc, le plafond du nombre d'ogives dĂ©ployĂ©es le sera Ă©galement, et l'establishment nuclĂ©aire amĂ©ricain sera en mesure de dĂ©velopper l'arsenal nuclĂ©aire opĂ©rationnel des Ătats-Unis de sorte qu'il y ait suffisamment d'armes pour chaque cible voulue.
Ce monde devient trĂšs dangereux.
Les armes nucléaires offrent l'illusion de la sécurité.
En permettant au dispositif nuclĂ©aire amĂ©ricain de dĂ©laisser la dissuasion au profit de la guerre, tout ce qui vient Ă lâesprit, c'est qu'un scĂ©nario guerrier verra un jour les Ătats-Unis faire usage de l'arme nuclĂ©aire.
Et lĂ , nous mourrons tous.
Nous sommes littéralement en route pour l'enfer.
* Scott Ritter est un ancien officier de renseignement du corps des marines amĂ©ricains qui a servi dans l'ex-Union soviĂ©tique pour mettre en Ćuvre les traitĂ©s de contrĂŽle des armements, dans le golfe Persique pendant l'opĂ©ration TempĂȘte du dĂ©sert et en Irak pour superviser le dĂ©sarmement des armes de destruction massive. Son dernier ouvrage est Disarmament in the Time of Perestroika, publiĂ© par Clarity Press.
https://consortiumnews.com/2024/09/01/scott-ritter-on-a-highway-to-hell/