👁🗨 En visite à la prison de Belmarsh, où Julian Assange attend la décision de son dernier recours contre l'extradition vers les États-Unis
Assange craint que son incarcération, la surveillance exercée par le gouvernement américain & les restrictions au financement de Wikileaks contribuent à dissuader les lanceurs d’alerte potentiels.
👁🗨 En visite à la prison de Belmarsh, où Julian Assange attend la décision de son dernier recours contre l'extradition vers les États-Unis
Par Charles Glass, le 2 janvier 2024
HMP BELMARSH - Il est 14h30, le mercredi 13 décembre, lorsque Julian Assange entre à grands pas dans la zone réservée aux visiteurs. Il se distingue dans la colonne des 23 prisonniers par sa taille - 1,90 m -, ses mèches blanches souples et sa barbe taillée. Il plisse les yeux, cherchant un visage familier parmi les épouses, les sœurs, les fils et les pères des autres détenus. J'attends, comme prévu, à D-3, l'une des 40 petites tables basses entourées de trois chaises rembourrées - deux bleues, une rouge - vissées dans le sol de ce qui ressemble à un terrain de basket. Nous nous apercevons l'un l'autre, nous avançons et nous nous sommes embrassés. C'est la première fois que je le vois en six ans. Je lance : “Tu es pâle.” Avec le sourire malicieux qu'il affichait lors de nos rencontres passées, il me dit en plaisantant : “Ils appellent ça la pâleur carcérale.”
Depuis qu'il s'est réfugié dans la petite ambassade équatorienne de Londres en juin 2012, il n'est pas sorti, à l'exception d'une minute où la police l'a traîné dans un fourgon cellulaire . Les portes-fenêtres de l'ambassade laissaient entrevoir le ciel. Ici, à la prison de haute sécurité de Belmarsh, dans le sud-est de Londres, sa résidence depuis le 11 avril 2019, il ne voit pas la lumière du soleil. Les gardiens le confinent dans une cellule 23 heures sur 24. Son unique heure de promenade se déroule entre quatre murs, sous surveillance. On peut dire qu'il est d'une pâleur mortelle.
Je suis arrivé en train et en bus une heure et demie plus tôt pour l'enregistrement et l'inspection de sécurité. La procédure a commencé dans le centre des visiteurs de plain-pied situé à gauche de la prison, une salle de restauration des années 1950 aussi morne que celle dépeinte par Edward Hopper : tables bon marché, chaises ébréchées, éclairage faible et rangées de casiers à façade vitrée. Une femme aimable, pas plus jeune que mes 72 ans, m'a dit que j'étais en avance et m'a suggéré de prendre un café. Je l'ai commandé à un homme dans une cuisine rudimentaire, qui a versé de l'eau bouillante dans une tasse de café instantané. Vingt minutes plus tard, à 13h15, la porte d'un bureau attenant s'est ouverte pour permettre aux visiteurs de faire la queue pour obtenir leur laissez-passer. Lorsque mon tour est arrivé, j'ai donné mon nom à l'une des trois femmes en uniforme derrière un comptoir surélevé. Elle a examiné son ordinateur et m'a demandé : “Êtes-vous ici pour M. Assange ?”. Elle s'est montrée polie, presque amicale, en enregistrant les empreintes de mes index et en me demandant de regarder une caméra suspendue qui a pris ma photo.
J'ai présenté trois livres cartonnés à M. Assange : mon propre livre Soldiers Don't Go Mad [Les soldats ne deviennent pas fous], le nouveau roman de Sebastian Faulks, Seventh Son [Le septième fils], et “Pegasus. Démocraties sous surveillance”, de Laurent Richard et Sandrine Rigaud. Elle m'a demandé de les remettre à la femme corpulente assise à sa droite. Celle-ci a examiné mon livre, l'histoire d'un hôpital psychiatrique pour officiers traumatisés par les obus pendant la Première Guerre mondiale. En regardant la page de titre, que j'avais signée pour Assange, elle m'a interdit de le lui donner. J'ai posé la question qu'il ne faut pas poser dans une prison : pourquoi ? Rien ne doit être écrit dans un livre destiné aux détenus. J'ai dit que c'était ma signature sur un livre que j'avais écrit, pas un code secret. Peu importe. C'était la règle. Elle m'a ordonné d'attendre dans la salle à manger pendant qu'elle vérifiait si les deux autres livres pouvaient être admis.
J'ai bu le Nescafé tiède et lu les journaux. D'autres personnes, principalement des femmes, sont arrivées et ont rejoint la file d'attente. Certaines d'entre elles avaient des enfants en bas âge ou des bébés. L'une d'entre elles était accompagnée de son fils, un garçon souriant qui semblait avoir environ 12 ans. Une autre femme me rappelait Diana Dors, une actrice de cinéma britannique, dont les formes voluptueuses et le rouge à lèvres rouge cerise auraient donné à un détenu l'envie de retrouver les plaisirs de la vie à la maison. Une femme âgée originaire d'Asie du Sud boitait en s'appuyant sur une canne. Les cheveux d'une jeune femme étaient recouverts d'un hijab. Il y avait quelques hommes âgés, qui rendaient peut-être visite à leurs fils. Il semble que la plupart d'entre eux étaient déjà venus ici.
De retour au comptoir d'enregistrement, la femme corpulente m'a dit qu'Assange ne pouvait recevoir aucun des livres. Pourquoi ? Il devait retirer les livres de sa cellule avant d'en ajouter de nouveaux. Je pose à nouveau la question : pourquoi ? Elle a répondu sans sourciller : “Risque d'incendie”. Me rappelant Le Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov, je pense, mais n'ose pas dire : “Les manuscrits ne brûlent pas”.
J'ai déposé les livres et tout ce que j'avais dans un casier - téléphone, stylo, carnet de notes, journaux. J'ai gardé la limite autorisée de 25 livres sterling en liquide pour acheter des en-cas à l'intérieur. Les femmes m'ont donné un laissez-passer en papier et une étiquette à porter autour du cou : “H[is]. M[ajesty's]. Prison Belmarsh-Visiteur social 2199”. J'ai marché avec le groupe à travers le terrain jusqu'à l'entrée des visiteurs dans la prison elle-même. S'ensuivit une série de contrôles et de fouilles avec vérification des empreintes digitales, des radios et un beau golden retriever qui flairait les drogues. Enfin, nous sommes entrés dans le hall pour attendre les prisonniers.
Julian et moi nous sommes assis, face à face, moi sur la chaise rouge, lui sur l'une des bleues. Au-dessus de nous, des globes de verre nous dissimulaient des caméras qui enregistrent les interactions entre les détenus et leurs invités. Ne sachant comment entamer la conversation, je lui ai demandé s'il voulait quelque chose au snack-bar. Il m'a demandé deux chocolats chauds, un sandwich au fromage et aux cornichons et une barre Snickers. Je l'ai invité à venir avec moi et à faire ses propres choix. Il m'a répondu que c'était interdit. Je pars donc parti seul faire la queue au stand tenu par les bénévoles des samaritains de Bexley et de Dartford. Lorsque mon tour est arrivé, j'ai passé ma commande. Il n'y avait plus de sandwichs, m'a dit l'homme. Le reste des produits était de la cochonnerie : chips, barres chocolatées, cocas, muffins sucrés. Je suis retourné auprès de Julian, qui avait changé de place. La chaise rouge est réservée aux prisonniers, la bleue aux visiteurs, et un garde lui a ordonné de s'asseoir au bon endroit. J'ai posé sur la table le plateau contenant ses chocolats chauds, les Snickers, quelques muffins et mon café instantané. Je lui ai demandé pourquoi il n'y avait que de la nourriture peu saine à disposition. Il sourit et me dit que je devrais voir ce qu'ils mangent à l'intérieur avec un budget de 2 livres sterling par détenu et par jour [2,30€]. Comment ça, par jour ? Du porridge pour le petit-déjeuner, une soupe maigre pour le déjeuner et pas grand-chose d'autre pour le dîner.
Julian pensait que la prison était synonyme de repas en commun autour de longues tables, comme dans les films. Les gardiens de Belmarsh apportent les repas dans les cellules pour que les prisonniers mangent seuls. Il est difficile de se faire des amis de cette façon. Il est là depuis plus longtemps que n'importe quel autre prisonnier, à l'exception d'un vieil homme qui a purgé sept ans de prison contre quatre ans et demi pour lui. Il y a parfois des suicides, me dit-il, dont un la nuit précédente.
Je me suis excusé de ne pas lui avoir apporté de livres, expliquant qu'on m'avait dit qu'il avait dépassé sa limite. Il a de nouveau souri. Au cours des premiers mois, ils l'ont autorisé à garder à peine une douzaine de livres. Plus tard, ils sont passés à 15. Il a insisté pour en avoir plus. Combien en a-t-il aujourd'hui ? “Deux cent trente-deux”. À mon tour de sourire.
Je lui ai demandé s'il avait encore la radio qu'il s'était efforcé d'obtenir la première année. Oui, mais elle ne fonctionnait pas à cause d'une prise défectueuse. Le règlement permet à chaque prisonnier d'avoir une radio achetée dans les magasins de la prison. Les autorités ont cependant déclaré qu'aucune radio n'était disponible pour lui. Lorsque j'en ai entendu parler, je lui ai envoyé une radio. Elle m'a été retournée. Je lui ai ensuite envoyé un livre sur la fabrication d'une radio. Il m'a également été retourné. Les mois ont passé et j'ai contacté l'un des anciens otages du Hezbollah les plus connus de Grande-Bretagne pour lui demander son aide. Écouter BBC World Service sur un poste de radio que ses ravisseurs lui avaient donné lui a permis de ne pas perdre la tête. À ma demande, ai-je raconté à Julian, il a écrit au directeur de la prison. Une histoire dans les médias selon laquelle Belmarsh refusait à Assange un privilège que le Hezbollah accordait aux otages aurait fait de la mauvaise publicité. La prison a donné sa radio à Julian. Veut-il que je l'aide à les persuader de réparer ou de remplacer la prise défectueuse ? Non, cela ne ferait que lui causer des ennuis inutiles.
Comment fait-il, lui qui est accro à l'information, pour garder le contact ? La prison lui permet de lire des dépêches imprimées et ses amis lui écrivent. Avec les invasions de l'Ukraine et de Gaza, je lui ai dit que c'était le moment pour les lanceurs d'alerte de transmettre des documents à WikiLeaks. Il regrette que WikiLeaks ne soit plus en mesure de dénoncer les crimes de guerre et la corruption comme par le passé. Son emprisonnement, la surveillance exercée par le gouvernement américain et les restrictions imposées au financement de WikiLeaks dissuadent les lanceurs d'alerte potentiels. Il craint que d'autres médias ne comblent pas ce vide.
Belmarsh ne lui propose pas de programmes éducatifs ni d'activités communautaires, comme des séances de musique, des activités sportives ou la publication d'un journal de prison, qui sont la norme dans de nombreuses autres prisons. Le régime est punitif, bien que les quelque 700 détenus de Belmarsh soient en détention provisoire, dans l'attente d'un procès ou d'un appel. Il s'agit de prisonniers de catégorie A, ceux qui “représentent la plus grande menace pour le public, la police ou la sécurité nationale” et sont accusés de terrorisme, de meurtre ou de violence sexuelle.
Nous parlons de Noël, un jour comme les autres à Belmarsh : pas de dinde, pas de chants de Noël, pas de cadeaux. La prison est fermée aux visiteurs le jour de Noël et le lendemain, et la prison a informé son épouse, Stella Moris, qu'elle et leurs deux jeunes fils, Gabriel et Max, ne pourraient pas le voir la veille de Noël. Il peut assister à la messe catholique célébrée par l'aumônier polonais, devenu un ami.
L'heure des visites s'achève. Nous nous levons et nous nous embrassons. Je le regarde, incapable de lui dire au revoir. Nous nous embrassons à nouveau, sans voix.
Les visiteurs se dirigent vers la sortie, tandis que les prisonniers restent assis. Je suis libre de sortir, mais lui doit retourner dans sa cellule. Hormis les visites occasionnelles, ses journées se ressemblent toutes : l'espace confiné, la solitude, les livres, les souvenirs, l'espoir que l'appel de ses avocats contre l'extradition et l'emprisonnement à vie aux États-Unis aboutisse.
Alors que je franchis les portes automatiques donnant sur le monde extérieur, les derniers mots d'Un jour dans la vie d'Ivan Denissovitch d'Alexandre Soljenitsyne, traduits par mon regretté ami et agent littéraire, Gillon Aitken, me reviennent en mémoire :
“Des journées comme ça, dans sa peine, il y en avait, d'un bout à l'autre, trois mille six cent cinquante-trois. Les trois de rallonge, c'était la faute aux années bissextiles.”
Ceux qui souhaitent écrire à Julian Assange peuvent le faire en adressant leur courrier à M. Julian Assange, Prisoner #A9379AY, HMP Belmarsh, Western Way, London SE28, United Kingdom. Les dons au fonds de défense de Julian Assange peuvent être envoyés ici.
* Charles Glass est écrivain, journaliste, diffuseur et éditeur. Depuis quarante-cinq ans, il écrit sur les conflits au Moyen-Orient, en Afrique et en Europe. Son dernier livre s'intitule Soldiers Don't Go Mad : A Story of Brotherhood, Poetry, and Mental Illness During the First World War (Les soldats ne deviennent pas fous : une histoire de fraternité, de poésie et de maladie mentale pendant la Première Guerre mondiale).
https://www.thenation.com/article/activism/julian-assange-wikileaks-belmarsh-prison/
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