đâđš Enterrons (de nouveau) la vĂ©ritĂ©
Ce qui est en train de se passer nâest quâune Ă©niĂšme tentative de dĂ©ni, de dissimulation, de ce que beaucoup, des deux cĂŽtĂ©s, qualifient de â2Ăš Nakbaâ, pĂ©chĂ© suprĂȘme en plus du pĂ©chĂ© originel.
đâđš Enterrons (de nouveau) la vĂ©ritĂ©
Par Patrick Lawrence pour Consortium News, le 13 octobre 2025
La une de lâĂ©dition dominicale du New York Times a titrĂ© :
âUn nouveau test pour IsraĂ«l : peut-il rĂ©tablir ses relations avec les AmĂ©ricains ?â
Quelle question ! Passons sur notre indignation et réfléchissons-y.
Lâarticle est signĂ© David Halbfinger, dont le travail consiste depuis des annĂ©es Ă sembler impartial lorsquâil couvre lâĂtat sioniste, tout en passant sous silence son passif, qui est condamnable de bout en bout, et en justifiant constamment son actualitĂ©, qui â faut-il le prĂ©ciser â est Ă©galement condamnable de bout en bout.
David Halbfinger, qui vient dâentamer son deuxiĂšme mandat en tant que chef du bureau du Times Ă JĂ©rusalem, donne le ton :
âLa guerre Ă Gaza touche peut-ĂȘtre enfin Ă sa fin, aprĂšs deux ans de sang versĂ© et de destruction. Mais parmi les dĂ©gĂąts subis, on compte une sĂ©rie de coups dĂ©vastateurs portĂ©s aux relations entre IsraĂ«l et son alliĂ© le plus important et le plus fidĂšle : les Ătats-Unis.
âLa rĂ©putation dâIsraĂ«l aux Ătats-Unis est en lambeaux, et pas seulement sur les campus universitaires ou parmi les progressistes...
âLa question est de savoir si ces jeunes AmĂ©ricains seront perdus pour IsraĂ«l Ă long terme â et ce que les dĂ©fenseurs dâIsraĂ«l feront pour tenter de renverser cette tendanceâ.
Halbfinger ne cite aucun de ces âjeunes AmĂ©ricainsâ, ni aucune autre personne, quel que soit son Ăąge, qui sâoppose ouvertement Ă âlâĂtat juifâ en rĂ©ponse Ă la campagne de terreur, de meurtres et de famine quâil a orchestrĂ©e contre la population civile de Gaza ces deux derniĂšres annĂ©es.
Ses sources sont en rĂ©alitĂ© des universitaires, des membres de think tanks, ainsi que des sionistes israĂ©liens, amĂ©ricains et israĂ©lo-amĂ©ricains â la bonne vieille bande aux allĂ©geances douteuses.
Il cite notamment Shibley Telhami, un universitaire arabo-israĂ©lien qui a trouvĂ© refuge Ă la Brookings Institution et Ă lâuniversitĂ© du Maryland, qui dĂ©clare :
âNous observons aujourdâhui une gĂ©nĂ©ration paradigmatique de Gaza, comme nous avons eu une gĂ©nĂ©ration du Vietnam et une gĂ©nĂ©ration de Pearl Harbor. Les gens sont de plus en plus nombreux Ă estimer quâils assistent en temps rĂ©el Ă un gĂ©nocide, amplifiĂ© par les rĂ©seaux sociaux dont nous ne disposions pas au temps du Vietnam. Câest une nouvelle gĂ©nĂ©ration qui voit en IsraĂ«l un ennemi. Et je ne pense pas que cela soit prĂšs de disparaĂźtreâ.
VoilĂ un contexte historique judicieux qui mĂ©rite dâĂȘtre approfondi. Je suis dâaccord avec Telhami : il est impossible de persuader une majoritĂ© dâAmĂ©ricains, selon les rĂ©cents sondages, que les atrocitĂ©s commises au cours des deux derniĂšres annĂ©es peuvent ĂȘtre pardonnĂ©es et oubliĂ©es. Cette idĂ©e est aberrante.
Mais Halbfinger se garde bien de dĂ©velopper cette observation intĂ©ressante de Telhami. Elle reste ce que lâon pourrait appeler âle problĂšmeâ. Il consacre le reste de son article aux rĂ©flexions de ceux qui tentent de redorer le blason du rĂ©gime sioniste ou de le dĂ©barrasser de ses ârelents nausĂ©abondsâ, pour reprendre les mots de lâun dâentre eux.

Lâune des sources dâHalbfinger, Halie Soifer, directrice gĂ©nĂ©rale du Jewish Democratic Council of America, qui soutient les candidats dĂ©mocrates
âqui partagent nos valeurs fondamentalesâ, cherche Ă âamĂ©liorer quelque peu la perception dâIsraĂ«lâ. Dahlia Scheindlin, une universitaire israĂ©lo-amĂ©ricaine, pense que ârebondir est encore possibleâ :
Le professeur Scheindlin précise :
âLes gens ont tendance Ă surestimer lâampleur des dĂ©gĂąts. Le simple fait dâarrĂȘter le massacre permettra Ă certaines personnes de retrouver leur zone de confort et leurs opinions favorablesâ.
Seigneur, si je peux me permettre de citer lâun des Juifs les plus cĂ©lĂšbres de lâhistoire. On rebondit dans sa zone de confort, câest ça ?
On voit bien ce qui se passe, jâespĂšre.
Je pressentais depuis de longs mois, sans faire preuve dâune grande perspicacitĂ©, que lorsque la terreur israĂ©lienne Ă Gaza prendrait fin, aucun de ses alliĂ©s occidentaux, et certainement aucun de ses soutiens sionistes, ne songerait Ă rendre des comptes au nom de la justice.
Non, une âguerreâ prendra fin, pas une campagne raciste dâextermination, ni un gĂ©nocide. Le trĂšs honorable Cost of War Project de lâuniversitĂ© Brown a publiĂ© un article le 7 octobre estimant le nombre total de victimes Ă Gaza (morts et blessĂ©s) Ă 236 505, soit plus de 10 % de la population dâavant-guerre. Ces faits reposent sur des recherches sĂ©rieuses.
Nous connaissons ces faits.
âPas besoin dâĂȘtre un gĂ©nie pour comprendre la situationâ,
a dĂ©clarĂ© Norman Finkelstein lors dâune confĂ©rence Ă lâuniversitĂ© du Massachusetts, cinq jours avant lâannonce du âplan de paixâ Netanyahou-Trump.
Il a ajoutĂ© : âĂ ce stade, tout le monde connaĂźt la situation, Ă moins dâavoir un intĂ©rĂȘt personnel Ă se mentir Ă soi-mĂȘme et Ă mentir aux autresâ.
âTout le monde connaĂźt la situationâ

Oui, nous connaissons la situation et les faits. Nous sommes invitĂ©s Ă vivre avec, sans la moindre enquĂȘte, sans dĂ©marche de vĂ©ritĂ© et de rĂ©conciliation, comme celle menĂ©e en Afrique du Sud Ă la fin des annĂ©es 1990, ni aucun autre effort en faveur de la justice rĂ©paratrice.
Non, nous sommes invitĂ©s Ă regagner nos zones de confort pendant quâun rĂ©gime de meurtriers racistes poursuit sur sa lancĂ©e.
Les menteurs proposent de nous faire taire, autrement dit.
Quel que soit lâautre objectif que peut servir cet article, je lâutilise pour Ă©lever ma voix en signe de protestation contre cet Ă©tat de fait. Cette profanation de la cause humaine.
Quand je songe au projet des menteurs, je repense Ă la Nakba â et mĂȘme aux pĂ©riodes prĂ©cĂ©dentes. David Ben Gourion et dâautres de son Ă©poque ont reconnu lâinjustice et la violence sur lesquelles lâĂtat dâIsraĂ«l sâest fondĂ© en juillet 1948.
âNous sommes venus et nous avons volĂ© leur terreâ, a dĂ©clarĂ© Ben Gourion.
â[Si jâĂ©tais un dirigeant arabe, je ne signerais jamais dâaccord avec IsraĂ«l. Câest normal, nous avons pris leur terre. Il est vrai que Dieu nous lâa promis, mais en quoi cela peut-il les intĂ©resser ? Notre Dieu nâest pas le leur. Il y a eu lâantisĂ©mitisme, les nazis, Hitler, Auschwitz, mais Ă©tait-ce leur faute ? Ils ne voient quâune seule chose : nous sommes venus et nous leur avons volĂ© leur pays. Pourquoi lâaccepteraient-ils ?â â CitĂ© par Nahum Goldmann dans Le Paradoxe Juif, p. 121.]
On ne saurait mieux dire. Et tout ce qui sâest passĂ© depuis en est le rĂ©sultat, une dissimulation, un dĂ©ni du pĂ©chĂ© originel.
Et maintenant, ça recommence.
Je ne tiens pas Ă stigmatiser David Halbfinger, mĂȘme sâil le mĂ©rite sans doute au vu de ses antĂ©cĂ©dents, pour avoir manipulĂ© la vĂ©ritĂ© dans ses reportages sur la question palestinienne.
Ce quâil a publiĂ© dimanche dernier dans le New York Times correspond tout Ă fait Ă la situation actuelle : une nouvelle dissimulation, un nouveau dĂ©ni de ce que beaucoup, des deux cĂŽtĂ©s, appellent âla deuxiĂšme Nakbaâ, un pĂ©chĂ© en plus du pĂ©chĂ© originel. Câest lĂ que je veux en venir.
Mon esprit en pilote automatique mâamĂšne Ă repenser Ă cette cĂ©lĂšbre remarque de Hegel dans lâintroduction de ses Leçons sur la philosophie de lâhistoire, publiĂ©s Ă titre posthume.
âCe que lâexpĂ©rience et lâhistoire nous enseignent, câest que les peuples et les gouvernements nâont jamais rien retenu de lâhistoire, ni agi selon les principes qui en dĂ©coulentâ,
écrivait le grand penseur allemand peu avant sa mort en 1831.
Selon la traduction gĂ©nĂ©ralement admise, ce que nous retenons de lâhistoire, câest que nous nâen retenons rien. Et aujourdâhui, ça recommence.
Comme tout le monde, je ne sais pas, Ă lâheure oĂč jâĂ©cris ces lignes, si le plan de paix pour Gaza tiendra, ou quand il sâeffondrera, comme tous ceux qui lâont prĂ©cĂ©dĂ©.
Mais, et câest lĂ un constat triste, je suis certain de ceci : si les enseignements des deux derniĂšres annĂ©es sont enterrĂ©s comme lâont Ă©tĂ© ceux des sept derniĂšres dĂ©cennies, cela finira mal. Lâesprit humain ne fonctionne tout simplement pas ainsi.
En vérité, cela ne finira probablement jamais.
Traduit par Spirit of Free Speech
Patrick Lawrence, correspondant Ă lâĂ©tranger pendant de nombreuses annĂ©es, principalement pour lâInternational Herald Tribune, est chroniqueur, essayiste, confĂ©rencier et auteur, dont le dernier ouvrage, Journalists and Their Shadows, est disponible chez Clarity Press ou via Amazon. Parmi ses autres livres, citons Time No Longer: Americans After the American Century. Son compte Twitter, @thefloutist, a Ă©tĂ© rĂ©tabli aprĂšs avoir Ă©tĂ© censurĂ© de maniĂšre permanente pendant des annĂ©es.
https://consortiumnews.com/2025/10/13/patrick-lawrence-let-us-now-bury-the-truth-again/


