đâđš Entre un soleil Ă la craie & lâoeil de la camĂ©ra
Nous sommes toujours lĂ . LĂ oĂč le pouvoir a cru pouvoir dĂ©truire & anĂ©antir. Dans les dessins Ă la craie. Et ni l'argent, ni le pain, ni la pseudo-charitĂ© ne sauront jamais acheter notre silence.
đâđš Entre un soleil Ă la craie & lâoeil de la camĂ©ra
Par Story Ember leGaĂŻe, le 30 avril 2025
Acte I : Témoin
"Ils ont distribuĂ© cent shekels aujourd'hui. Imaginez un peu : vingt-cinq dollars distribuĂ©s comme des os jetĂ©s Ă des chiens affamĂ©s.Je l'ai vu. Je les ai vus, ces mĂ©decins, infirmiĂšres, radiologues, ces gens qui autrefois se tenaient droits, qui portaient leur souffrance d'une fiertĂ© tranquille, ont travaillĂ© toute la guerre sans ĂȘtre payĂ©s, dans le sang, la fumĂ©e et les nuits interminables, et maintenant font la queue, tĂȘte baissĂ©e, mains tendues comme des mendiants dans la rue.Et tout cela a Ă©tĂ© filmĂ© 2. Bien sĂ»r que cela a Ă©tĂ© filmĂ©. Ă quoi sert la charitĂ© sans l'humiliation ? Ă quoi servent les miettes sans le spectacle de la servilitĂ© ?J'ai regardĂ©, et un malaise m'a saisie, un dĂ©goĂ»t si profond qu'il s'est insinuĂ© sous ma peau et s'y est installĂ©, pour y pourrir.J'ai appelĂ© un ami, un infirmier. "Comment avez-vous pu vous laisser filmer ainsi ?" lui ai-je demandĂ©.Il m'a rĂ©pondu sans colĂšre, sans honte, mĂȘme â c'est ce qui m'a bouleversĂ©e â il m'a dit : "Tu n'as pas vu le reste. Tu n'as pas vu ceux qui n'ont rien eu. Ils les ont suivis. Ils les ont suppliĂ©s".Mais oui, ils les ont suppliĂ©s.J'Ă©tais assise lĂ , gorge serrĂ©e, le tĂ©lĂ©phone lourd dans ma main. Trois mois sans salaire. Des nuits interminables sous les bombes. Et maintenant, aujourd'hui, ils poursuivent un Ă©tranger armĂ© d'une camĂ©ra pour quelques piĂšces de monnaie pour un peu de dignitĂ©.DignitĂ© ? Non, mĂȘme pas. Les derniers lambeaux de dignitĂ© humaine, emportĂ©s par la poussiĂšre.Imaginez : un mĂ©decin, un homme qui a eu autrefois pouvoir de vie et de mort, rĂ©duit Ă traquer un inconnu pour une aumĂŽne dont il n'aurait jamais dĂ» avoir besoin.VoilĂ ce qu'il nous reste. VoilĂ ce qui subsiste.Gaza est le seul lieu oĂč la guerre nous a tous humiliĂ©s : mĂ©decins, infirmiĂšres, enfants et mĂšres, tous traĂźnĂ©s dans le mĂȘme bourbier.Nous ne sommes pas seulement vaincus. Nous sommes ridiculisĂ©s, monstrueux, pitoyables, mĂȘme Ă nos propres yeux.Ceux qui, loin d'ici, le ventre plein et les mains propres, parlent de paix, parlent d'aide, parlent et parlent encore, tandis qu'ici, ici, l'Ăąme mĂȘme est foulĂ©e aux pieds.Je voudrais m'arracher la peau. Je voudrais hurler. Je voudrais arracher les yeux de ceux qui regardent sans rien faire. Mais je suis lĂ , seule dans le noir, Ă Ă©crire des mots que personne ne lira, sentant tout pourrir en moi.Nous ne sommes plus des hommes. Nous sommes tout autre chose. Une chose qui rampe, qui supplie, et qui a oubliĂ© ce que veut dire ĂȘtre debout".
Interlude : De la valeur de la souffrance
L'aide, nous dit-on, n'est que bonté.
Mais dans la machine impérialiste, elle se fait spectacle,
une mise en scĂšne qui n'a pas pour but de sauver, mais d'humilier.
Ce dont nous avons Ă©tĂ© tĂ©moins Ă Gaza â des mĂ©decins filmĂ©s alors qu'ils font la queue pour quelques centimes, main tendue devant l'objectif â n'est pas de l'aide humanitaire. C'est une humiliation ritualisĂ©e. Et ce n'est pas nouveau.
L'aide sous le colonialisme de peuplement rĂ©pond rarement aux besoins. Elle assoit le contrĂŽle. Elle dit au monde : "Nous sommes bons. Nous donnons". Elle dit aux bĂ©nĂ©ficiaires : "Vous ĂȘtes faibles. Vous ĂȘtes dĂ©pendants. Vous avez de la chance que nous vous ayons remarquĂ©s".
C'est de l'aide performative, une assistance mĂȘlĂ©e de coercition, cadrĂ©e par l'oeil du bienfaiteur, subordonnĂ©e Ă la docilitĂ© et au silence. Pour la recevoir, il faut se comporter correctement. Il faut avoir l'air d'un d'indigent. Il faut montrer sa souffrance, mais seulement comme le permet le pouvoir. Pas de maniĂšre brutale. Pas avec colĂšre. Pas dans l'exigence. Juste avec gratitude.
D'aprÚs ce schéma, l'aide n'est jamais simplement de l'aide. C'est une transaction. Et le prix à payer, c'est la dignité.
Et le monde consomme sans honte ces images de médecins de Gaza mendiant, de mÚres noires aux banques alimentaires, de réfugiés s'agrippant aux colis largués par des drones. Car dans un monde façonné par l'empire, la souffrance des autres est preuve de notre vertu.
Il n'y a aucune justice là -dedans. Seulement une hiérarchie déguisée en compassion.
Acte II : Les corps, ces victimes
Quand je l'ai quitté, je n'avais rien d'autre que cinq petits corps accrochés à moi et un silence si assourdissant qu'il me résonnait dans les os.
Pas de meubles. Pas de photos. Pas de passé à sauver.
Seuls les vĂȘtements que nous portions et les bleus gravĂ©s dans notre mĂ©moire.
Il a trouvĂ© d'autres moyens de nous atteindre, mĂȘme aprĂšs notre dĂ©part. Pas de mains qui nous retiennent cette fois. Pas de portes enfoncĂ©es ni de promesses brisĂ©es. Cette fois, il a fait de l'absence une arme.
La pension alimentaire planait comme un couteau au-dessus de nos tĂȘtes : Signe ces papiers. Rends-toi. Incline-toi. J'ai refusĂ©.
Pendant un temps, la fierté m'a fait tenir. Pendant un temps, la fierté fut plus douce que la faim.
Mais la fierté ne réchauffe pas les enfants quand l'électricité se coupe. La fierté ne paie pas le loyer quand les avis d'expulsion fleurissent sur la porte comme des condamnations à mort. La fierté ne comble pas le vide qui creuse cinq petits ventres la nuit.
[Sa] famille a toujours dit que l'Ăglise mormone est un refuge, un lieu pour les fidĂšles et les pĂ©cheurs. Je n'Ă©tais pas mormone, mais j'avais entendu des histoires sur leur entraide et leur amour. Je m'accrochais Ă ce mythe comme une femme qui se noie s'accroche Ă un bout de bois.
Quand je me suis assise en face de l'homme d'Ă©glise, le cĆur battant la chamade, la honte m'Ă©treignant les cĂŽtes, il m'a parlĂ© avec la douceur d'un berger aguerri. Il m'a dit qu'ils m'aideraient.
L'Ă©vĂȘque m'a souri avec cette chaleur de ceux qu'on croit misĂ©ricordieux. Il m'a dit que la prĂ©sidente de la SociĂ©tĂ© de Secours m'aiderait. Il l'a dit comme une bĂ©nĂ©diction, comme un cadeau. Je me suis raccrochĂ©e Ă cet espoir comme Ă une tasse fĂȘlĂ©e, qui fuirait mais serait toujours mienne.
Elle a choisi un parc pour notre rencontre. Des soleils tracés à la craie souriaient sur le trottoir. Des familles de bonhommes colorés marchaient sur le béton, leurs bras tracés à la craie dressés vers un ciel impossible.
Et je me tenais là , serrant ma honte à deux mains, noyée dans la clameur joyeuse des rires des enfants. Ses mots m'ont écorchée vive.
"Tu devrais avoir honte de lui avoir mis la pression", m'a-t-elle dit d'une voix mielleuse et tranchante comme du verre. "Nous n'aidons pas les gens comme toi". "Sois-en reconnaissante". "Sois-en reconnaissante".
Reconnaissante pour les miettes. Reconnaissante pour le jugement grimé en générosité. Reconnaissante pour le pain servi un sur plateau d'humiliation.
Elle m'a tendu la charité comme on tend un registre, chaque ligne lourde de mon indignité. Puis elle m'a demandé :
"Dis-moi pourquoi tu le mérites".
Et là , entre un soleil tracé à la craie et une maison qui ne m'abriterait jamais, je suis morte peu à peu.
Je n'ai pas discutĂ©. Je n'ai pas suppliĂ©. Je n'ai pas racontĂ© les nuits passĂ©es Ă saigner derriĂšre la porte verrouillĂ©e de la salle de bain, ni les matins oĂč j'ai appris aux enfants Ă rire plus fort que la rage de leur pĂšre.
J'ai hochĂ© la tĂȘte. J'ai ravalĂ© ma honte. J'ai troquĂ© mes derniers lambeaux de dignitĂ© contre un sac de provisions et le droit Ă survivre.
Et quand je suis partie, j'ai laissĂ© derriĂšre moi sur ce trottoir ensoleillĂ© une ombre, une tache, un fragment de moi-mĂȘme trop petit, trop brisĂ© pour pouvoir le porter encore.
Interlude : La violence narrative & le prix de âl'aideâ
Il est de ces violences qui ne laissent pas de bleus sur la peau, mais qui fracturent l'Ăąme. Elles ne frappent pas Ă coups de poing. Elles frappent Ă coups d'histoires.
La violence narrative, c'est le vol de votre survie â la réécriture de votre agonie comme preuve de la vertu d'autrui.
Comme lorsque les détenteurs du pouvoir vous offrent leur "aide", mais exigent que vous exprimiez vos besoins de la bonne maniÚre : en silence, avec gratitude, en vous faisant tout petits.
Comme l'objectif de la caméra zoomant sur des médecins brandissant des factures à Gaza, occultant les mois passés à recoudre des corps ensanglantés dans les hÎpitaux sombres. Comme le bureau de l'homme d'église, avec ses meubles de bois ciré, et son regard, comme si mon désespoir allait souiller son tapis. Comme la femme dans le parc, ses mains manucurées jugeant les soleils pastel dessinés à la craie.
Flash :
Je me souviens ĂȘtre restĂ©e lĂ , tĂȘte baissĂ©e, Ă l'Ă©couter parler de gratitude.
Au loin, mes enfants riaient aux éclats, se poursuivant dans des nuages de poussiÚre.
Ils ne savaient pas encore que survivre a un prix.
Ils ne savaient pas encore que la faim fait de vous des menteurs â qu'elle vous oblige Ă sourire, Ă hocher la tĂȘte, Ă faire semblant de remercier ceux qui vous humilient.
La violence narrative ne se contente pas d'exiger votre souffrance. Elle exige aussi vos excuses. Elle exige d'ĂȘtre cadrĂ©e comme il faut, ce qui, pour le public â les donateurs, les puissants â permet de se prĂ©senter sous un jour misĂ©ricordieux.
L'aide spectacle n'a que faire de ceux qui sont dans le besoin.
Elle concerne ceux qui veulent ĂȘtre vus en train d'aider.
Flash :
Je sens encore la poussiĂšre de la craie sous mes chaussures.
J'entends encore sa voix me demander : "Pourquoi le mérites-tu ?"
Et je me souviens avoir réalisé, ce que les mots peuvent difficilement exprimer, que la survie est désormais monnaie d'échange.
Mon corps, mon histoire â ma honte sont dĂ©sormais des valeurs Ă troquer contre des miettes.
Voilà ce que le colonialisme a perfectionné : faire des conquis des accessoires de gratitude. faire de la survie une dette.
Et lorsque l'histoire est terminée, lorsque les mains du donateur se sont essuyées, le survivant n'a plus rien, si ce n'est l'écho, la honte rampante de survivre aux conditions d'un autre.
Acte III : Des ombres parallĂšles
Il est de ces cruautés transatlantiques. Une violence au langage universel, aussi dissemblables soient les ruines.
Quand j'ai lu les mots du Dr Ezzideen, leur brutalitĂ©, leur rĂ©signation silencieuse face Ă une honte jamais mĂ©ritĂ©e â j'ai senti cette souffrance ancienne ressurgir dans ma poitrine, comme la cicatrice d'une blessure qui vibre encore sous la pluie froide.
LĂ -bas, Ă Gaza, des mĂ©decins courent aprĂšs la menue monnaie, filmĂ©s comme des bĂȘtes de cirque. Ici, en AmĂ©rique, une mĂšre debout sur un trottoir Ă©change sa fiertĂ© contre du pain.
Des continents diffĂ©rents. Des tragĂ©dies autres. Le mĂȘme mĂ©canisme de l'humiliation.
Car le pouvoir ne se contente pas d'affamer les corps. Il détruit la dignité.
Il crée la pénurie, puis vous force à mendier ce qu'il vous a volé. Il cumule l'abondance, puis maquille la charité en grùce.
Ă Gaza, on traque l'homme Ă la camĂ©ra â car survivre n'est plus un droit, mais une compĂ©tition. Une lutte. Un rituel d'humiliation publique.
En Amérique, j'ai été jugée pour mon existence menée à l'ombre d'un soleil tracé à la craie. On m'a poussée à justifier le droit de mes enfants à manger.
Flash :
Désormais, le parc est flou dans ma mémoire.
Une tache de couleur, un éclat de rire, une voix de femme condescendante.
Flash :
Les couloirs de l'hĂŽpital Ă Gaza sont flous, eux aussi, dans les vidĂ©os â des corps recroquevillĂ©s Ă mĂȘme le sol, des blouses blanches grises de poussiĂšre et de dĂ©sespoir, la dignitĂ© silencieuse de ceux qui travaillent encore, mĂȘme si le plafond se fissure juste au-dessus d'eux.
Quand survivre devient spectacle, Quand souffrir est le trophĂ©e pour d'autres, Quand seule l'humiliation tatouĂ©e sur la peau soulage â
Ce n'est pas de l'aide. C'est une conquĂȘte via d'autres moyens.
L'aide spectacle ne relÚve pas ceux qui tombent. Elle exige d'eux qu'ils rampent. Elle exige d'eux qu'ils remercient leur bourreau d'avoir allégé le tourment, aujourd'hui.
Et elle laisse en vous une gangrÚne que ni l'eau potable, ni les sacs de farine, ni les poignées de shekels ne pourront jamais guérir.
Je ne compare pas mon expĂ©rience au blocus de Gaza. Mais je vois bien que câest la mĂȘme blessure. Je reconnais le mĂ©canisme de l'humiliation.
Je sais ce qu'est la dignitĂ© conditionnelle. Je sais le sentiment de se voir offrir une ligne de vie avec un nĆud coulant au bout.
Et je sais que dans chaque nation violentĂ©e par un empire, sous les bombes, les blocus ou les bureaucraties dĂ©guisĂ©es en salut â on peut trouver des soleils dessinĂ©s Ă la craie par des enfants qui croient encore que le monde est bon.
Et il y a ceux, comme nous, qui restent debout dans la poussiÚre, ravalant leur fierté, priant pour ne jamais avoir à en savoir davantage.
Et pour finir, nous n'avons jamais été misérables
Ils nous ont fait ramper. Ils nous ont filmé. Ils ont rédigé des rapports. Ils se sont congratulés.
Mais écoutez-moi bien :
Nous n'avons jamais été misérables.
Ni les médecins qui recousent des corps déchiquetés à la lueur des bougies tandis que du ciel pleuvent les flammes. Ni les mÚres debout dans des parcs, leur fierté ruisselant comme le sang. Ni les enfants dont les soleils dessinés à la craie éclipsent toute la cruauté alentour.
Les misĂ©rables sont ceux qui se nourrissent de nos souffrances pour ĂȘtre adulĂ©s. Les misĂ©rables sont ceux qui se gavent de richesses pillĂ©es, prĂ©tendant n'ĂȘtre que gĂ©nĂ©rositĂ© Les misĂ©rables sont ceux qui exigent notre gratitude pour panser les blessures qu'ils ont contribuĂ© Ă infliger.
Nous â nous, nous avons juste tentĂ© de vivre.
Le monde exige de Gaza qu'elle dise sa souffrance pour ĂȘtre jugĂ©e digne de survie. Le monde a exigĂ© que je dise ma dĂ©tresse pour une once de misĂ©ricorde trop maigre pour nourrir cinq enfants qui grandissent.
Mais nous ne sommes pas lĂ pour satisfaire leur quĂȘte de rĂ©demption.
Nous sommes lĂ parce que nous refusons de mourir en silence. Nous sommes lĂ parce qu'aucune camĂ©ra, aucun Ă©vĂȘque, aucun empire, aucune frappe aĂ©rienne n'a encore trouvĂ© d'arme assez puissante pour tuer la rage de vivre qui nous anime.
Et mĂȘme quand il a fallu ramper â mĂȘme quand il a fallu courber l'Ă©chine pour survivre â on a trouvĂ© en nous la force silencieuse et brĂ»lante de ne jamais renoncer
Ils ont cru filmer notre humiliation. Mais ce qu'ils ont filmé, c'est notre refus de disparaßtre.
Nous sommes toujours lĂ .
à Gaza. Dans les parcs peuplés de dessins à la craie. Dans ces lieux de désolation que le pouvoir a cru pouvoir détruire et mettre à mort.
Nous sommes toujours lĂ .
Et ni l'argent, ni le pain, ni la charité dictée par la pitié ne sauront jamais acheter notre silence.
1 Soutien au Dr Ezzideen Shehab https://chuffed.org/project/128550-dr-ezzideen-shehab 2 Von la vidéo ICI
Traduit par Spirit of Free Speech