👁🗨 Eric Lichtblau: Biden confronté à une pression croissante pour un abandon des procédures contre Julian Assange.
C'est un seuil juridique inquiétant pour Assange, & tous les journalistes. Pour la première fois, le gouvernement américain recourt à l'Espionage Act pour un éditeur avec des répercussions colossales.
👁🗨 Biden confronté à une pression croissante pour un abandon des procédures contre Julian Assange.
📰 Par Eric Lichtblau, le 12 décembre 2022
C'est un seuil juridique très inquiétant, pour Assange, et tous les journalistes. "C'est la première fois que le gouvernement américain recourt à l'Espionage Act pour poursuivre un éditeur, et les répercussions sont colossales".
M. Biden est confronté à une pression renouvelée, tant au niveau national qu'international, en faveur de l'abandon des poursuites contre Julian Assange, qui dépérit dans une prison britannique.
L'administration Biden ne cesse de répéter qu'il faut respecter une presse libre et vivace, après quatre années d'attaques incessantes contre les médias et d'agressions juridiques sous Donald Trump.
Le procureur général, Merrick Garland, a même mis en place des protections élargies pour les journalistes cet automne, affirmant qu'"une presse libre et indépendante est essentielle au fonctionnement de notre démocratie".
Mais le plus grand test de l'engagement de Biden reste incarcéré dans une cellule de prison à Londres, où le fondateur de WikiLeaks Julian Assange est détenu depuis 2019, alors qu'il fait l'objet de poursuites aux États-Unis en vertu de l'Espionage Act, une loi centenaire qui n'a jamais été utilisée auparavant pour la publication d'informations classifiées.
La question de savoir si le ministère américain de la justice poursuit les accusations de l'ère Trump contre le célèbre auteur des fuites, dont la plateforme a publié des informations secrètes sur les guerres en Irak et en Afghanistan, Guantánamo Bay, la diplomatie américaine, et la politique démocrate interne précédant l'élection de 2016, contribuera clairement à déterminer si l'administration actuelle a vraiment l'intention de tenir ses promesses de protéger la presse.
M. Biden est maintenant confronté à une pression croissante, tant aux États-Unis qu'à l'étranger, en faveur de l'abandon des poursuites judiciaires contre Julian Assange.
Cinq grandes organisations médiatiques, qui se sont appuyées sur sa collection de secrets gouvernementaux, dont le Guardian et le New York Times, ont publié une lettre ouverte au début du mois, affirmant que son inculpation "crée un dangereux précédent", et menace de saper le premier amendement.
Au même moment, des responsables en Australie, où Assange est né et demeure citoyen, ont rencontré leurs homologues américains pour demander sa libération. "Ma position est claire et a été communiquée clairement à l'administration américaine : il est temps de mettre un terme à cette affaire", a déclaré le Premier ministre australien, Anthony Albanese, au Parlement australien à la fin du mois dernier.
Au Brésil, pendant ce temps, le président élu Luis Inácio Lula da Silva a exigé la fin de ce qu'il a appelé "l'emprisonnement injuste" d'Assange après une réunion avec les rédacteurs de WikiLeaks qui font pression pour obtenir sa liberté.
Certains des défenseurs d'Assange, qui ont dénoncé les poursuites engagées contre lui comme portant atteinte au Premier Amendement, se disent optimistes quant à la possibilité que l'affaire ait atteint un tournant qui pourrait conduire à sa libération.
"Cette affaire est lourde de sens", a déclaré dans une interview Jameel Jaffer, professeur de droit à l'université Columbia, qui dirige le Knight First Amendment Institute de l'université. " Au bout du compte, j'ai du mal à croire que l'administration Biden désire faire de ce procès son héritage en matière de liberté de la presse, et cela constituera bel et bien son héritage si elle continue à le poursuivre. Cela éclipsera tout le reste en matière de liberté de la presse."
Les responsables du ministère de la justice ne se prononcent pas sur l'issue éventuelle des poursuites contre Assange, qui continue de contester son extradition vers les États-Unis devant une cour d'appel britannique. Le Ministère de la justice a refusé de commenter tous les appels extérieurs à abandonner l'affaire, mais un fonctionnaire, s'exprimant sous couvert d'anonymat, a déclaré que M. Garland "a clairement indiqué qu'il suivrait la loi où qu'elle mène", comme il l'a fait dans d'autres affaires politiquement sensibles.
Malgré toutes les pressions extérieures exercées sur le Ministère de la justice pour qu'il abandonne l'affaire, un facteur critique pourrait s'avérer être la règlementation interne annoncée par Garland en octobre, interdisant l'utilisation de saisies d'enregistrements et d'autres mesures d'investigation contre "les médias d'information agissant dans le cadre de la collecte d'informations", excepté pour ce que le ministère a défini être des circonstances limitatives à cette nouvelle réglementations.
La nouvelle réglementation est le fruit de tout un processus engagé il y a un an, à la suite de nombreuses et fréquentes plaintes de la part d'organes de presse concernant les tactiques intrusives pratiquées par le ministère sous l'administration Trump pour saisir les dossiers de journalistes et s'immiscer dans les pratiques de collecte d'informations dans le cadre d'enquêtes sur des fuites et autres sujets sensibles.
La question de savoir si Assange doit être considéré comme un journaliste couvert par le premier amendement, comme l'ont longtemps soutenu ses défenseurs, ou comme un agent secret qui, comme l'a dit un jour le sénateur républicain Ben Sasse (Nebraska), serait "un organe de propagande étrangère et ... un ennemi du peuple américain", a toujours été au cœur du conflit.
Barry J. Pollack, principal avocat d'Assange aux États-Unis, a déclaré au Guardian que "les nouvelles règles exigent certainement que quelqu'un au plus haut niveau du ministère de la justice porte un regard neuf sur cette procédure pour voir si elle est vraiment conforme à la nouvelle politique" et pour déterminer "si c'est le type d'affaire que nous voulons poursuivre".
" C'est le moment propice pour agir ainsi ", a déclaré M. Pollack.
Assange est une figure polarisante dans le monde entier depuis une douzaine d'années, depuis que WikiLeaks a commencé à publier et parfois à partager avec de grands médias, dont le Guardian et le New York Times, des millions de pages de documents souvent classifiés qu'il avait recueillis auprès de dénonciateurs gouvernementaux et d'autres sources. Ses partisans l'ont applaudi en tant que diseur de vérité audacieux, tandis que ses détracteurs - souvent au sein des agences de renseignement - l'ont attaqué pour le préjudice que, selon eux, les fuites ont fait peser sur les opérations en cours.
Les premières grandes révélations de son organisation, en 2010, ont documenté les exactions et les dérapages de l'armée américaine en Irak et en Afghanistan. Chaque lot ultérieur de documents divulgués, des câbles secrets du département d'État aux outils de piratage de la CIA, a valu à Assange une notoriété et une attention accrues.
Au-delà des fuites massives, Assange faisait également l'objet d'accusations d'agression sexuelle en Suède - accusations qui ont depuis été abandonnées car les procureurs suédois ont déclaré que les preuves n'étaient pas assez solides. Pour éviter d'être arrêté, il s'est réfugié en 2012 dans l'ambassade d'Équateur à Londres dans le cadre d'un accord lui accordant l'asile politique. La CIA et l'administration Trump ont fait une telle fixation sur les secrets qu'il avait exposés qu'elles ont discuté de la perspective de kidnapper Assange à l'ambassade et de l'assassiner, selon un rapport de Yahoo News de l'année dernière.
Le ministère de la Justice, sous Trump, a engagé des poursuites pénales contre Assange pour la première fois en 2019, lorsque les autorités britanniques l'ont arrêté et traîné hors de l'ambassade. Assange, l'air éperdu avec une longue barbe blanche, a crié : "C'est illégal, je ne partirai pas."
Moins de deux semaines après l'entrée en fonction de M. Biden en janvier 2021, son ministère de la Justice a sollicité à plusieurs reprises les tribunaux britanniques pour renouveler la requête américaine d'extradition d'Assange. Après une longue bataille devant les tribunaux britanniques, la Ministre de l'Intérieur de l'époque, Priti Patel, a validé la demande d'extradition américaine en juin, mais Assange a fait appel de cette décision, arguant qu'il était "poursuivi et sanctionné pour ses opinions politiques".
La quasi-totalité des 18 chefs d'accusation retenus contre Assange dans l'acte d'accusation de 2019 portent sur la publication en ligne de documents secrets militaires et gouvernementaux par WikiLeaks, dont une grande partie provient de l'ancienne dénonciatrice de l'armée américaine Chelsea Manning. Seul un des chefs d'accusation retient la responsabilité d'Assange pour avoir activement aidé Manning à obtenir des informations classifiées. Les procureurs accusent Assange d'avoir proposé à Manning de l'aider à déchiffrer le mot de passe d'un dispositif militaire classifié - tentative qui a échoué.
Manning a finalement été condamnée à 35 ans de prison pour avoir divulgué des secrets gouvernementaux avant que le président Barack Obama ait commué le reste de sa peine en 2017. Lors d'une audience en cour martiale en 2013, Manning a insisté sur le fait qu'il n'y a jamais eu de pression de la part de WikiLeaks pour saisir des documents secrets dans les systèmes informatiques de l'armée. "Les décisions que j'ai prises d'envoyer des documents et des informations à (WikiLeaks) et au site web étaient mes décisions propres, et j'assume l'entière responsabilité de mes actes", a déclaré Manning.
Les accusations portées contre Assange pour avoir obtenu et publié des informations classifiées, sans avoir joué un rôle actif dans leur vol, marquent "le franchissement d'un rubicon juridique", a déclaré M. Jaffer de l'université Columbia. C'est un seuil juridique très inquiétant, dit-il, pour Assange, et tous les journalistes.
"C'est la première fois que le gouvernement américain recourt à l'Espionage Act pour poursuivre un éditeur, et les répercussions sont colossales", a déclaré M. Jaffer. Assange "a été inculpé pour une activité pratiquée au quotidien par les journalistes, qui doivent s'y livrer tous les jours pour informer le public. Une telle procédure aurait des retombées dramatiques pour le journalisme de sécurité nationale."
Cet article a été modifié le 12 décembre 2022. L'investiture de Biden a eu lieu en 2021, et non en 2020.
https://www.theguardian.com/media/2022/dec/12/julian-assange-biden-press-freedom-legacy