đâđš Est-ce lĂ le monde que nous avons créé ?
Ce mouvement structurel des gouvernements est de la pire espĂšce. Il ne peut quâĂȘtre comparĂ© Ă la vague de fascisme qui a balayĂ© une grande partie de l'Europe dans les annĂ©es 1930.

đâđš Est-ce lĂ le monde que nous avons créé ?
Par Craig Murray, le 7 avril 2025
Le phĂ©nomĂšne est le mĂȘme partout. Les gouvernements occidentaux participent activement au gĂ©nocide Ă Gaza, on rĂ©duit les prestations pour personnes handicapĂ©es, le discours officiel est dĂ©libĂ©rĂ©ment russophobe, une islamophobie rampante favorise la montĂ©e des partis d'extrĂȘme droite alimentĂ©e par la rhĂ©torique anti-immigrĂ©s des gouvernements, on assiste Ă une incroyable accumulation de richesses par les ultra-riches, et Ă une Ă©rosion rampante des libertĂ©s de parole et d'expression.
Ce n'est pas un hasard si tout cela se produit en mĂȘme temps. C'est le signe d'une mĂ©tamorphose radicale de l'idĂ©ologie occidentale.
Ce changement n'est pas facile Ă cerner, car l'anti-intellectualisme est un Ă©lĂ©ment essentiel de la nouvelle idĂ©ologie. Par consĂ©quent, cette idĂ©ologie est dĂ©pourvue de tout Ă©quivalent Ă la Bertrand Russell ou Noam Chomsky, dont l'analyse sociĂ©tale et les idĂ©aux, fondĂ©s sur une comprĂ©hension globale du discours philosophique prĂ©cĂ©dent, sont en passe d'ĂȘtre supplantĂ©s.
Si l'on peut trouver un Ă©quivalent actuel, c'est peut-ĂȘtre chez Bernard Henri LĂ©vy, dont le rejet du collectivisme et le soutien aux droits individuels ont Ă©voluĂ© vers un soutien au capitalisme pur et dur, aux invasions des pays musulmans et, maintenant, au gĂ©nocide Ă Gaza. Sâil est une incarnation du changement qui s'opĂšre dans l'esprit occidental, c'est peut-ĂȘtre lui. Mais peu de gens prĂȘtent encore attention aux intellectuels universitaires enfermĂ©s dans leurs pensĂ©es. Le rĂŽle dĂ©sormais Ă©culĂ© d'âintellectuel publicâ en Occident Ă©choit Ă des personnalitĂ©s superficielles comme Jordan Peterson et Ă des islamophobes populistes comme Douglas Murray.
Ce phĂ©nomĂšne est en partie institutionnel. Dans ma jeunesse, Bertrand Russell ou AJP Taylor Ă©taient susceptibles de donner des confĂ©rences sĂ©rieuses sur la BBC, et John Pilger Ă©tait le documentariste le plus cĂ©lĂšbre des mĂ©dias britanniques. Mais aujourd'hui, les voix de gauche sont effectivement bannies des mĂ©dias grand public, tandis que les universitaires de gauche ont peu de chances de progresser dans le monde universitaire. L'universitĂ© elle-mĂȘme est dĂ©sormais entiĂšrement gĂ©rĂ©e sur un schĂ©ma d'entreprise au Royaume-Uni comme dans tout l'Occident.
Un jeune Noam Chomsky se verrait presque certainement dire par les autoritĂ©s universitaires de s'en tenir Ă la linguistique et de laisser de cĂŽtĂ© la philosophie et la politique, sous peine de ne pas dĂ©crocher de poste permanent. Chomsky Ă©tait dĂ©jĂ un linguiste renommĂ© en 1967, lorsqu'il a publiĂ© son essai rĂ©volutionnaire âDe la responsabilitĂ© des intellectuelsâ. Appelant essentiellement les universitaires Ă soutenir le mouvement de contestation, un jeune professeur qui publierait cet essai aujourd'hui serait presque certainement suspendu, voire licenciĂ© et, dans le climat actuel, peut-ĂȘtre mĂȘme arrĂȘtĂ©.

Les expulsions d'Ă©tudiants amĂ©ricains qui n'ont enfreint aucune loi mais ont protestĂ© contre le gĂ©nocide, les pĂ©nalitĂ©s infligĂ©es aux universitĂ©s qui garantissent la libertĂ© d'expression, lâexpulsions de citoyens europĂ©ens d'Allemagne pour avoir dĂ©noncĂ© la situation en Palestine, la descente de police dans les locaux des Quakers Ă Londres et les accusations gĂ©nĂ©ralisĂ©es de âterrorismeâ contre des journalistes pacifiques ne sont que quelques exemples de la vague de rĂ©pression qui dĂ©ferle sur les principaux pays occidentaux.
Ils sont tous interconnectĂ©s. Ce mouvement structurel des gouvernements est de la pire espĂšce. Il ne peut quâĂȘtre comparĂ© Ă la vague de fascisme qui a balayĂ© une grande partie de l'Europe dans les annĂ©es 1930.
La grande ironie, bien sĂ»r, c'est que c'est la destruction par l'Occident de l'Afghanistan, de l'Irak et de la Libye, ainsi que la dĂ©stabilisation par l'Occident de la Syrie, qui ont entraĂźnĂ© la vague massive d'immigration vers l'Europe Ă l'origine de la montĂ©e de l'extrĂȘme droite. Plus d'un million et demi de ârĂ©fugiĂ©sâ syriens ont obtenu l'asile dans l'UE, car ils prĂ©tendaient ĂȘtre du cĂŽtĂ© anti-Assad, soutenu par l'Occident. L'AfD est en grande partie la consĂ©quence de la dĂ©cision de Merkel d'accepter 600 000 rĂ©fugiĂ©s syriens en Allemagne.
Ătonnamment, alors que leur camp a âgagnĂ©â et qu'un gouvernement soutenu par l'Occident a Ă©tĂ© installĂ© Ă Damas, moins de 1 % de ces rĂ©fugiĂ©s sont rentrĂ©s en Syrie. MalgrĂ© les discours officiels anti-immigrĂ©s de presque tous les gouvernements occidentaux, on n'entend pas la moindre suggestion d'un Ă©ventuel retour. En effet, les politiciens occidentaux les plus dĂ©sireux d'expulser les immigrants se montrent les moins enclins Ă suggĂ©rer que les Syriens anti-Assad, dont on sait qu'ils sont de fervents sionistes, devraient partir, mĂȘme si ces mĂȘmes politiciens dĂ©peignent la Syrie d'âal-Jolaniâ comme un paradis libĂ©ral et se prĂ©cipitent pour lui verser des fonds.
Le discours néoconservateur sur l'immigration en Europe est particuliÚrement complexe et changeant. En effet, les immigrants considérés comme étant du cÎté de l'Occident dans ses guerres (Syriens sunnites, Ukrainiens) y sont les bienvenus.
L'immigration de masse en Europe est donc la conséquence directe de la politique étrangÚre impérialiste, et les effets en sont multiples : les victimes de l'Occident arrivent en dépit des désapprobations officielles, tandis que les clients de l'Occident sont accueillis à bras ouverts.
De mĂȘme, les bouleversements Ă©conomiques et la forte hausse de l'inflation, qui ont Ă©galement renforcĂ© la droite populiste, sont eux-mĂȘmes amplifiĂ©s par la politique Ă©trangĂšre occidentale. La guerre par procuration en Ukraine est en grande partie responsable de la hausse brutale des prix de l'Ă©nergie en Europe, avec la destruction du gazoduc Nordstream, qui a jouĂ© un rĂŽle clĂ© parmi les principales difficultĂ©s de l'industrie manufacturiĂšre allemande.
Aussi incroyable que cela puisse paraĂźtre, les mĂ©dias et la classe politique occidentaux ont tentĂ© pendant un an de faire gober le mensonge selon lequel la Russie aurait dĂ©truit son propre gazoduc â tout comme ils ont prĂ©tendu que le Hamas aurait fait exploser le premier des dizaines d'hĂŽpitaux et de centres de santĂ© dĂ©truits par IsraĂ«l.
Mais revenons justement Ă Gaza, qui doit ĂȘtre au cĆur de toute conversation sĂ©rieuse en ce moment. Il est inacceptable que la mainmise des intĂ©rĂȘts sionistes sur l'establishment politique â consĂ©quence de l'enrichissement massif des ultra-riches â permette le gĂ©nocide d'une barbarie sans prĂ©cĂ©dent au vu et au su du monde entier, avec le soutien actif de l'establishment occidental.
Non pas que les citoyens ne veuillent pas y mettre fin, mais aucun mĂ©canisme ne relie plus la volontĂ© populaire aux organes gouvernementaux. Dans presque toutes les âdĂ©mocratiesâ occidentales, les principaux partis soutiennent le gĂ©nocide perpĂ©trĂ© par IsraĂ«l.
On ne peut plus nier l'intention de génocide. Israël a intensifié ses massacres d'enfants, qui se comptent par dizaines chaque jour, exécute ouvertement des médecins et détruit tous les établissements de santé, bombarde les usines de dessalement et bloque toutes les voies d'approvisionnement alimentaire.
Le discours sioniste sur les réseaux sociaux est passé du déni du génocide à sa justification.
Je ne comprends tout simplement pas la tolérance générale à l'égard de cet Holocauste. Notre époque est marquée par des structures de pouvoir et des discours sociaux auxquels je ne reconnais pas le droit d'appartenir à un systÚme sociétal. Le Parti travailliste britannique soutient activement le génocide tout en ciblant les plus vulnérables du pays en réduisant leurs revenus. L'UE fait tout son possible pour promouvoir la troisiÚme guerre mondiale et se mue en une organisation militariste agressive aux tendances nazies.
Le Royaume-Uni, les Ătats-Unis et d'autres nations occidentales rĂ©duisent radicalement l'aide Ă l'Ă©tranger pour financer l'agression militaire impĂ©rialiste. Le consensus social-dĂ©mocrate du monde occidental de ma jeunesse impliquait de nombreux compromis ennuyeux, mais c'Ă©tait infiniment prĂ©fĂ©rable et plus prometteur que le cauchemar que nous sommes en train de crĂ©er.
Nous comprenons et partageons avec lâauteur lâincomprĂ©hension totale ressentie face aux bouleversements auxquels nous assistons, et Ă lâinversion radicale des valeurs morales universelles, le mĂ©pris de la lĂ©galitĂ© internationale et de la justice ainsi que lâimpuissance avĂ©rĂ©e des institutions internationales.Tous ces Ă©vĂšnements se dĂ©roulant dans des sphĂšres gĂ©ographiques Ă©loignĂ©es rĂ©pondent toutefois aux mĂȘmes dĂ©nominateurs communs et gĂ©nĂšrent les mĂȘmes effets dĂ©lĂ©tĂšres. Les sociĂ©tĂ©s occidentales sont loin dâĂȘtre Ă lâabri des consĂ©quences induites par les errements de leurs dirigeants, et âŠlâaddition sera salĂ©e!âŠ