👁🗨 Et des centaines de millions de personnes continuent de mourir de faim
La production alimentaire mondiale suffit à nourrir 11 milliards de personnes. Alors pourquoi tant de gens souffrent-ils de la faim dans un monde qui compte 8 milliards d'habitants ?

👁🗨 Et des centaines de millions de personnes continuent de mourir de faim
Par Vijay Prashad pour Tricontinental : Institut de recherche sociale, le 31 mai 2025
J'ai déjà écrit cet article. En fait, je pourrais l'écrire tous les ans, lors de la publication du nouveau Rapport mondial sur les crises alimentaires. Ce rapport repose sur quatre points :
Le nombre de personnes qui souffrent de la faim est plus élevé aujourd'hui que l'année dernière.
La quantité de nourriture produite cette année est supérieure à celle produite l'année dernière.
On peut nourrir toute la population mondiale, et même plus.
Comment expliquer alors que des gens souffrent de la faim ?
Complétons ces données.
Point n° 1 : 733 millions de personnes souffraient chroniquement de la faim en 2023, selon des études de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), du Programme alimentaire mondial, de l'Organisation mondiale de la santé, du Fonds international de développement agricole et du Fonds des Nations unies pour l'enfance.
Point n° 2 : les agriculteurs et les entreprises agroalimentaires du monde entier ont produit 11 milliards de tonnes de nourriture (y compris viande, poisson et 9,6 milliards de tonnes de cultures de base telles que maïs, riz et blé) en 2022, comme le rapporte la FAO.
Le point n° 3 est clairement démontré par un simple calcul basé sur une prémisse.
Prémisse : une personne consomme une tonne, soit 1 000 kg, de nourriture par an (la norme de la FAO pour la consommation alimentaire moyenne mondiale est de 2 800 kcal par personne et par jour).
Déduction : si une tonne de nourriture est nécessaire pour une personne et que 11 milliards de tonnes de nourriture sont produites, on peut nourrir 11 milliards de personnes.
Conclusion : il y a actuellement 8 milliards d'habitants sur la planète. On peut donc nourrir l'ensemble de la population mondiale, avec un excédent suffisant pour nourrir 3 milliards de personnes supplémentaires.
Point n° 4 : comment expliquer que l'on meure de faim ?
Les causes de la famine sont nombreuses, mais aucune ne peut être attribuée à un manque de nourriture dû à la croissance démographique, comme le prétendent les malthusiens, qui pensent que la croissance démographique dépasse la production alimentaire.
Au moins trois raisons expliquent pourquoi la famine persiste dans de nombreuses régions du monde.
Premièrement, les guerres détruisent les moyens de production agricole et les systèmes de distribution alimentaire. C'est la cause première de la faim. C'est la raison pour laquelle on peut parler de famine au Soudan, un pays qui possède la plus grande superficie agricole de toute l'Afrique et qui, s'il n'y avait pas la guerre, pourrait devenir le grenier de l'Afrique. Malgré la guerre, le Soudan est le plus grand exportateur mondial de graines oléagineuses (arachides, carthame, sésame, soja et tournesol).
Environ 80 % de la gomme arabique mondiale est produite dans les campagnes soudanaises. Mais la plupart des champs ne peuvent être cultivés et de nombreux agriculteurs ont été chassés de leurs terres ou contraints de prendre les armes à cause de la guerre.

Deuxièmement, la vieille et fâcheuse habitude du gaspillage a la vie dure. Un cinquième de notre nourriture est perdu ou gâché (l'équivalent d'un milliard de repas par jour), les deux tiers de tous les déchets liés à la consommation sont produits dans les pays riches, et les ménages sont responsables de 60 % du gaspillage alimentaire mondial. Dans les pays riches, la plupart des déchets alimentaires sont générés au cours des étapes de la distribution et de la consommation, essentiellement en raison du niveau élevé de transformation et d'emballage, ainsi que du gaspillage dans les assiettes des ménages et des restaurants.

Troisièmement, la principale raison des privations est que beaucoup n'ont pas les moyens de se nourrir. En d'autres termes, les inégalités sont le moteur de la faim. Énumérons une fois encore les faits :
Plus de 700 millions de personnes dans le monde vivent avec moins de 2,15 dollars par jour et n'ont pas les moyens d'acheter de quoi se nourrir.
En 2023, les richesses totales mondiales s'élevaient à environ 432 000 milliards de dollars. Sur ce montant, 1 % de la population adulte mondiale détient collectivement 47,5 % des richesses mondiales, soit 213 800 milliards de dollars (une moyenne de 2,7 millions de dollars par personne). Les 50 % les plus pauvres, soit 4 milliards de personnes, détiennent moins de 1 % de la richesse mondiale, soit 4 500 milliards de dollars (1 125 dollars par personne). Les inégalités de richesse continuent de se creuser chaque année.
Les personnes à faibles revenus n'ont tout simplement pas les moyens de se nourrir, car l'inflation des prix des denrées alimentaires et des carburants absorbe la totalité de leur budget.
Le taux de souffrance de la faim est plus élevé chez les femmes que chez les hommes, car lorsque la nourriture se fait rare dans un foyer, ce sont les femmes qui mangent le moins. Dans les foyers où la femme est chef de famille, le taux de souffrance de la faim est plus élevé.
Alors que les peuples autochtones représentent moins de 5 % de la population mondiale, ils constituent 15 % des plus pauvres et souffrent davantage de la faim que les autres communautés.
3,4 milliards de personnes vivent avec moins de 5,50 dollars par jour, un budget qui ne leur permet guère de se nourrir.
Comme l'a fait valoir la FAO en 2021,
“la pauvreté reste la principale cause de l'insécurité alimentaire dans le monde, car les populations n'ont pas les ressources nécessaires pour accéder à une alimentation adéquate, même lorsqu'elle est disponible”.

Une newsletter comme celle-ci, qui s'appuie sur des statistiques, ne peut expliquer les ravages que la pauvreté inflige au moral des populations. La morosité de la pauvreté engendre une sorte de fatalisme qui empêche les personnes démunies de s'expliquer leur situation, les statistiques brutes ne traduisant pas la détresse qu'ils ne connaissent que trop bien. Parfois, la poésie est le meilleur moyen d'exprimer la structure capitaliste de la pauvreté et son impact sur le moral des populations.
Nicolás Guillén (1902-1989) était l'un des plus grands poètes cubains avant et après la révolution. En 1931, il a publié le poème “Caña” (Canne à sucre) dans son recueil Sóngoro Cosongo, dont le titre s'inspire du son des tambours afro-cubains :
“Le Noir Dans la cannaie. Le Yankee Détient la cannaie. Sous la cannaie, notre sang Nous échappe ! L'homme noir Dans de la cannaie. Le Yankee Domine la cannaie. La terre sous la cannaie imbibée De notre sang ! N'est-ce pas là la vérité ?”

Si on veut éradiquer la faim, il faut éradiquer la pauvreté. En 2021, le peuple chinois a éliminé la misère dans son pays. D'ici novembre 2025, la population du Kerala, en Inde, aura mis fin à l'extrême pauvreté, avec un an d'avance sur son objectif. Le Vietnam est en passe d'éliminer la misère.
C'était également l'ambition du Burkina Faso sous Thomas Sankara (1949-1987) et elle renaît sous la houlette du nouveau dirigeant du pays, le capitaine Ibrahim Traoré.
Non pas grâce à la charité ou à l'aide étrangère, mais grâce à l'autosuffisance. Lors de la Conférence nationale des Comités de défense de la révolution à Ouagadougou, le 4 avril 1986, Sankara a affirmé :
“Nous devons réussir à produire plus, car il est naturel que celui qui vous nourrit impose également sa volonté”.
En 2023, Traoré a fait revivre l'esprit de Sankara en déclarant :
“Nos prédécesseurs nous ont enseigné une chose : un esclave incapable de se révolter ne mérite pas la pitié. Nous ne nous apitoyons pas sur notre sort, nous ne demandons à personne de nous plaindre. Le peuple burkinabé a décidé de se battre, de lutter contre le terrorisme, pour relancer son développement. Le peuple burkinabè, a-t-il ajouté, se pose aujourd'hui les questions suivantes :
“Nous ne comprenons pas comment l'Afrique, avec toutes les richesses que recèle son sol, sa nature généreuse, l'eau, le soleil en abondance, comment l'Afrique est aujourd'hui le continent le plus pauvre. L'Afrique est un continent affamé. Comment se fait-il que les chefs d'État mendient partout dans le monde ? Telles sont les questions que nous nous posons, et nous n'avons pas encore la réponse”.
Mais les réponses viendront bientôt, et lorsqu'elles feront surface, de nouvelles questions se poseront, et l'histoire continuera d'avancer.
Traduit par Spirit of Free Speech
* Vijay Prashad est un historien, éditeur et journaliste indien. Il est rédacteur en chef et correspondant en chef chez Globetrotter. Il est éditeur chez LeftWord Books et directeur de Tricontinental : Institute for Social Research. Il est chercheur senior non résident au Chongyang Institute for Financial Studies, à l'université Renmin de Chine. Il a écrit plus de 20 livres, dont The Darker Nations et The Poorer Nations. Ses derniers livres sont Struggle Makes Us Human: Learning From Movements for Socialism et, avec Noam Chomsky, The Withdrawal: Iraq, Libya, Afghanistan and the Fragility of U.S. Power.Cet article est tiré de Tricontinental : Institut de recherche sociale.
Oui, à chaque fois qu’un pays avancait vers l'autosuffisance et donc vers l’indépendance, l’occident réagissait pour détruire cette belle envolée. La Lybie est l'exemple ultime d’un adolescent turbulent qui devient adulte en devenant le prochain leader du continent Africain. Mais voilà...c’est insupportable pour l’esprit belliqueux du marchand de canon, de carburant ou de tout autre denrée ! Il a fallu y mettre un terme. Par la brutalité, évidemment, sous un vernis de mensonges et de déclarations. L’occident a toute une panoplie de mots pour désigner les cibles qui osent se libérer du joug colonialiste...'terroristes, pro-russes, pro-chinois, régime autoritaire (sic), etc....Et quand ce n'est pas par la rétorsion armée, il y a toute une procédure qui peut contraindre un pays pauvre....la simple corruption parfois suffit, il y a aussi les sanctions (illégales en droit international pourtant) le sabotage (par la géo-ingenierie) ou le putsch.
Les russo-chinois ont compris depuis longtemps l’esprit de Bandung mais peinent à le faire comprendre aux principaux intéressés. Il faut dire qu’ à la décharge des pays en 'voie de développement', les futurs cadres politiques sont en majorité formés et financés dès l’université en Occident (principalement aux USA, Canada et Europe) donc dans un univers capitaliste et prédateur. Ce modèle de société est dans leur tête.
L’ancienne AOF se rebelle, le Ghana, le Zimbabwé, d’autres regardent et réfléchissent...
'Debout, les damnés de la terre' pour paraphraser ....Debout, il est temps de la cultiver!