đâđš Ătre un enfant palestinien est une malĂ©diction, pas une bĂ©nĂ©diction
Son pÚre a disparu sous les décombres, sa mÚre est glacée et sans vie dans le couloir. Ses frÚres sont soit aux soins intensifs, soit au bloc opératoire, soit dans les frigos de la morgue.
đâđš Ătre un enfant palestinien est une malĂ©diction, pas une bĂ©nĂ©diction
Par Bahzad Al Akhras*, le 1er janvier 2024 Ă 17:12
Ces trois histoires de traumatismes d'enfants à Gaza sont au-delà des pires cauchemars. C'est pourtant la réalité vécue par les enfants qui vivent sous les bombardements meurtriers d'Israël.
âJ'aimerais pouvoir redevenir enfantâ. âRegardez le sourire de cet enfant.â âJ'aimerais pouvoir rire comme ça, aprĂšs toutes ces annĂ©es.â
Pour beaucoup d'entre nous, ce désir de revivre le monde comme un enfant, avec toute l'innocence que cela implique, est monnaie courante.
Ătre un enfant est l'une des plus grandes bĂ©nĂ©dictions de la vie, et c'est au cours de l'enfance que nous tombons amoureux de ce monde.
Mais câest loin dâĂȘtre le cas pour tous, et en particulier pour les enfants de Gaza, oĂč la rĂ©alitĂ© est toute autre.
Qu'est-ce quâĂȘtre un enfant Ă Gaza aujourd'hui, vivant sous les bombardements israĂ©liens ?
Imaginez-vous ĂȘtre Fatma, une enfant de Gaza qui ne se rĂ©veille pas grĂące aux sourires et aux cĂąlins de sa mĂšre et de son pĂšre, Ă la maison, mais sâĂ©veille seule dans un couloir d'hĂŽpital, dĂ©sorientĂ©e, effrayĂ©e et en Ă©tat de choc.
Elle a de la poussiĂšre dans les yeux et du sang sur les joues, et souffre de sa jambe due Ă une grave fracture est atroce.
Des fantĂŽmes de chair et d'os
Fatma se demande ce qu'elle a fait de mal pour vivre un tel cauchemar. Pourquoi sa mÚre ne l'a pas réveillée. Pourquoi son pÚre n'est pas là pour la consoler, la prendre dans ses bras, et la rassurer comme il le fait toujours lorsqu'elle a peur.
Fatma se dit : âJe sais que je ne suis pas toujours sage, mais ce n'est pas une excuse pour ĂȘtre punie de la sorteâ.
L'enfant attend, le temps passe. Lentement, Fatma commence à prendre conscience de sa nouvelle réalité. Son pÚre a disparu sous les décombres, sa mÚre est glacée et sans vie dans le couloir. Ses frÚres sont soit aux soins intensifs, soit au bloc opératoire, soit dans les frigos de la morgue.
Elle commence Ă percevoir les traits des visages qui l'entourent. Ce sont des humains, mais que leur est-il arrivĂ© pour qu'ils aient lâair de fantĂŽmes ? Pourquoi leurs visages sont-ils exsangues, sans expression ?
Elle entend une voix annoncer l'arrivĂ©e de sa sĆur aĂźnĂ©e, Bisan, celle qui suit une formation de mĂ©decin gĂ©nĂ©raliste.
Fatma va enfin voir un ĂȘtre cher : sa sĆur bien-aimĂ©e va pouvoir lui apporter un peu de rĂ©confort.
Fatma entend Ă nouveau une voix dire : âBisan arriveâ. Mais lorsque Bisan arrive, elle n'est plus qu'un morceau de chair carbonisĂ©e.
Fatma regarde fixement, pensant que c'est Bisan qui devrait ĂȘtre lĂ pour soigner et rĂ©parer ces blessures, ce corps brisĂ©. Que s'est-il passĂ© dans le monde pour que les choses soient Ă ce point bouleversĂ©es, pense-t-elle ?
Fatma se met à pleurer, à crier, à emplir ce monde de hurlements, dans une ultime tentative pour émerger de ce cauchemar qui dépasse de loin ce qu'elle avait imaginé.
Mais le cauchemar perdure. Elle ne se réveille toujours pas.
Un mĂ©decin commence Ă nettoyer le visage de Fatma, essuyant la poussiĂšre et le sang. Un autre sâoccupe de ses fractures, une infirmiĂšre la soulage pendant que cette folie se poursuit.
Enterrée sous les décombres
Ă quelques centaines de mĂštres de lĂ , Ahmad, le cousin de Fatma, du mĂȘme Ăąge qu'elle, gĂźt dans l'obscuritĂ© la plus totale, alors qu'il crie Ă l'aide sans obtenir de rĂ©ponse. Il est coincĂ©, agitĂ©, paniquĂ© : il ne rĂ©alise pas encore qu'il est enseveli sous les dĂ©combres de leur immeuble de six Ă©tages.
Ahmad essaie de se calmer et se réconforte en pensant que son pÚre, son véritable super-héros, celui qui l'a toujours protégé, finira par le trouver, et le sauver.
Alors qu'il attend, il commence Ă sentir les contours dâun corps humain, sous lui. Il se souvient lentement de ce qui s'est passĂ© lors du bombardement. Son pĂšre l'a attrapĂ© et ils ont essayĂ© de fuir l'appartement, mais ils n'en ont pas eu le temps : les murs et le plafond s'effondraient, implosant autour d'eux.
Son pÚre, son super-héros, a fait de son corps un bouclier humain, protégeant Ahmad des explosions, du métal et du béton, gardant son fils en sécurité, mais perdant la vie au passage. Il a accompli sa mission, il a gardé son enfant en vie.
La tùche de récupérer Ahmad sous les décombres incombe désormais aux équipes de secours.
Non loin de lĂ , Hanan, 11 mois, a peut-ĂȘtre Ă©tĂ© le premier enfant au monde Ă s'envoler dâun immeuble de quatre Ă©tages.
Elle Ă©tait avec sa mĂšre sur le toit de leur maison censĂ©e ĂȘtre sĂ»re, lorsque le souffle de lâexplosion du mĂȘme bombardement l'a projetĂ©e dans les airs, telle un cerf-volant, jusqu'Ă une ferme voisine, oĂč elle a atterri saine et sauve, bercĂ©e entre les branches d'un arbre, qui a pris le relais des bras de sa mĂšre.
Qui a dit que le temps des miracles était révolu ? Mais ce fut le seul miracle dont bénéficia la famille. Les autres ont péri, massacrés par la frappe aérienne, leurs corps brisés et enterrés dans les décombres, laissant leur petit ange seul survivant d'un miracle et d'un massacre à la fois.
Réalités quotidiennes
Il ne s'agit pas d'histoires inventées, de cauchemars d'enfants ou de contes de fées, mais d'événements réels, survenus au cours d'une seule nuit dans un quartier de Gaza.
De nombreuses autres tragédies de ce type se produisent chaque jour dans des lieux d'hébergement, des endroits supposés sûrs, et il faudra raconter ces histoires.
Telles sont les rĂ©alitĂ©s vĂ©cues par les enfants de Gaza. En tant que lecteur, vous, et vous seul, ĂȘtes libre de les lire comme des histoires, ou comme de vĂ©ritables drames.
Souvenez-vous de mes propos, en dĂ©but dâarticle, sur la bĂ©nĂ©diction d'ĂȘtre un enfant dans ce monde. Ce n'est pas une bĂ©nĂ©diction d'ĂȘtre un enfant Ă Gaza aujourd'hui. C'est une malĂ©diction.
* Bahzad Al Akhras est un médecin palestinien et un chercheur en politique de santé spécialisé dans les traumatismes de l'enfance et la santé mentale collective. Il a obtenu la bourse Chevening en 2019-2020 afin de poursuivre un master au Royaume-Uni. En 2020, il a obtenu son MSc en santé mentale de l'enfant et de l'adolescent avec distinction au King's College de Londres. Il souhaite poursuivre une future carriÚre en pédopsychiatrie.
https://www.middleeasteye.net/opinion/war-gaza-palestinian-child-curse-not-blessing