👁🗨 Évacuer
“Évacuez !” Les ordres pleuvent. Un torrent d'ordres, Un torrent de sang, Un torrent de corps déchiquetés & un torrent de décombres : la bête n'est jamais rassasiée. Et pourtant, évacuer. Évacuer où ?

👁🗨 Évacuer
Par Hansen Alisawi, le 20 avril 2025
“Évacuez !” Les ordres pleuvent. Un torrent d'ordres d'évacuation, Un torrent de sang, Un torrent de corps déchiquetés, et un torrent de décombres : La bête n'est jamais rassasiée. Et pourtant, évacuez. Évacuez où ?
Une image tombée du ciel
“Évacuez”
Ils me disent d'évacuer ma maison, ma terre.
Comme si ma maison avait des jambes,
Comme si l'olivier, solidement enraciné depuis des décennies,
Allait se lever et nous suivre,
Comme si les échos des berceuses de ma mère
Allaient faire leurs valises et partir avec nous.
“Évacuez”, ordonnent-ils,
Tandis que le ciel vomit du feu
Et que les rues se teintent de rouge.
Marchez ! Mais où ?
Vers la froide étreinte du rivage ?
Vers les décombres d'une autre maison ?
Vers une prochaine cible qu'on bombardera bientôt, qu'on fera disparaître ?
Israël dévore la terre comme une bête voraces.
Avant de détruire un foyer,
L'ordre est donné d'engloutir la maison voisine et celles d'à côté, et il lorgne déjà sur la troisième.
“Évacuez”
“Évacuez”
“Évacuez”
“Évac...
Les ordres pleuvent.
Un torrent d'ordres d'évacuation,
Un torrent de sang,
Un torrent de corps déchiquetés,
et un torrent de décombres :
La bête n'est jamais rassasiée.
Et pourtant, évacuez.
Évacuez où ?
Nul lieu n'est sûr, plus ou moins dangereux peut-être.
Et quand, le cœur brisé et le corps las,
nous sommes déplacés vers des lieux moins dangereux,
mon petit frère ne cesse de demander :
“Maman, quand est-ce qu'on rentre à la maison ?”
Cette question me hante sans cesse,
Tout comme ma famille, je le sais.
Et ma mère, brisée par le deuil
Hoche la tête,
enserrant sa poitrine, étouffant un sanglot
“Plus tard,
quand ce sera sûr.
Quand ce sera sûr”.
“Sûr”
Je me raccroche à ce mot.
Que veut dire “sûr” ?
Je rêve de lui donner vie.
N'est-ce pas une insulte à tout ce que nous perdons depuis tant d’années ?
PARFOIS, oui, nous évacuons
le dernier souffle de notre âme
traînant nos souvenirs,
nos martyrs,
et notre avenir volé.
Et quand la soif de sang sera assouvie,
quand la terre relâchera un peu son étreinte,
et que le ciel se teintera d'orange
et cessera de nous dévorer tout entiers,
ils diront :
“Au moins, ils sont maintenant ‘en sécurité’.
Ils ont évacué pour leur sécurité. Tant mieux pour eux !”
Comme si nous avions le choix,
Comme si nos pieds n'étaient pas entravés
Par les chaînes de leur barbarie,
Par le poids de leurs bombes.
Comme si nos maisons, nos arbres, nos biens,
Pouvaient un jour partir, pour être eux aussi “en sécurité”.
Je ne suis pas en sécurité.
Je n'étais pas en sécurité.
Je ne veux pas être en sécurité.
Je ne veux pas quitter ma maison.
Je veux être chez moi.
Avec mon chagrin tapi dans le silence.
Pour pleurer mes martyrs.
Pour cacher mes peurs quand pleuvent les bombes,
En me tapotant le dos comme ils le font toujours.
Laissez-moi rentrer chez moi
Je suis une Palestinienne de Gaza, mon ami : Israël me tuera quoi qu'il arrive.
Alors, que ma maison m'accueille pour la dernière fois.
* Haneen Alisawi est une écrivaine indépendante basée à Gaza.
😪😖