👁🗨 Eve Ottenberg: Le complexe militaro-industriel a encore frappé
Les Européens mécontents de l'OTAN et de la guerre en Ukraine ont été écartés de la couverture médiatique nord-américaine.
👁🗨 Le complexe militaro-industriel a encore frappé
📰 Par Eve Ottenberg / CounterPunch, le 28 octobre 2022
écrit Eve Ottenberg.
Des dizaines de milliers de personnes ont manifesté contre la montée en flèche du coût de la vie et contre Macron en France le 16 octobre, sous la houlette du politicien de gauche Jean Luc Mélenchon, mais il y a eu peu de gros titres en première page ou en tête d'affiche aux États-Unis. D'énormes manifestations ont eu lieu à Rome le même jour pour demander la fin de la participation de l'Italie à l'OTAN, mais aucune couverture sur la rive ouest de l'Atlantique. Des milliers de personnes manifestent à Paris le 22 octobre contre l'OTAN, mais peu d'écho en Amérique du Nord. Manifestations massives contre l'OTAN et l'inflation due aux sanctions sur l'énergie russe en France, en Allemagne et en Autriche en septembre, mais peu de nouvelles ici au cœur de l'empire. La police allemande a battu des citoyens qui protestaient contre les pénuries d'énergie et l'inflation record, toutes deux dues aux sanctions contre la Russie, la semaine du 17 octobre, mais cela n'a pas été couvert aux États-Unis. Soixante-dix mille Tchèques ont manifesté à Prague le 3 septembre contre l'implication de l'OTAN en Ukraine, réclamant du gaz russe (avant qu'un mystérieux impérial ayant les moyens et le mobile ne fasse sauter Nordstream 1 et 2, probablement pour étouffer dans l'œuf les effets politiques de ces protestations) et mettant fin à la guerre, mais cela a été peu couvert par les médias corporatifs américains.
Avez-vous déjà eu le sentiment que nos médias nous cachent des choses ? Hmm. Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi les énormes protestations contre les politiques du Grand Empire et de son molosse, l'OTAN, semblent, euh, être minimisées ? N'avez-vous jamais pensé que nos organes de presse se comportent plus comme le bras propagandiste de notre département d'État néoconservateur et de notre armée, plutôt que comme une presse libre ? Eh bien, si c'est le cas, vous êtes peut-être sur la bonne voie.
Beaucoup d'Européens se plaignent de l'OTAN, de la guerre en Ukraine, des sanctions contre la Russie et de l'inflation sauvage et de la désindustrialisation - qui se traduira par un chômage gargantuesque - causées par ces sanctions. Alors que leur niveau de vie chute comme une pierre, les Européens savent qui est à blâmer, à savoir leur soi-disant grand allié d'outre-Atlantique, et beaucoup se sont détournés de leur supposée alliance avec l'hégémon. Mais Washington ne semble pas s'en soucier. Laissons les Européens faire faillite et protester. L'important est de ne pas rapporter cette nouvelle au peuple américain qui, s'il l'apprenait, pourrait se faire la réflexion subversive que son gouvernement ne s'est pas comporté de manière tout à fait honorable.
Pendant ce temps, les mensonges pullulent un peu partout. Certains sont involontaires, d'autres non. Tout récemment, le président de l'état-major interarmées américain, Mark Milley, a affirmé que si l'Ukraine tombe, l'ordre mondial actuel s'effondrera. Malheureusement, c'est de la foutaise. Ce qui s'effondrera, ce sont les egos tumescents des politiciens et des militaires américains et européens. Il n'est pas surprenant qu'ils confondent cela avec l'ordre mondial. Mais il existe d'autres raisons, bien plus sinistres, de faire des déclarations aussi incendiaires, à savoir préparer la population américaine à l'impensable - et c'est impensable, car si les États-Unis attaquent la Russie à l'arme nucléaire, les États-Unis et la Russie seront anéantis. Biden et ses généraux obtiendront-ils une guerre nucléaire ? Pas sûr. Mais ce qui est clair comme de l'eau de roche, c'est que les Américains se dirigent, tels des lemmings, droit vers leur perte, et ce grâce aux mensonges de leurs gouvernants, et des médias
Apparemment, on occulte l'actualité brûlante. Comme le fait que la Chine vient de liquider pour 100 milliards de dollars de bons du Trésor américain et ce que cela implique si cela devient une tendance (je vais vous dire ce que cela signifie : nous sommes endettés de 30 000 milliards de dollars et nous ne pouvons pas payer, alors quand nous transporterons des SUV remplis d'argent au supermarché, les brouettes de Weimar paraîtront dérisoires). Ou comment les sanctions contre l'énergie russe se sont retournées contre nous, provoquant une inflation dévastatrice en Europe, une inflation assez horrible ici aux États-Unis, propulsant ainsi l'Occident tout entier vers la récession... ou peut-être finalement vers la dépression. Ou comment les sanctions de plus en plus imprudentes de Biden à l'égard de la Chine pourraient finir par nous mettre tous en faillite. La Chine est, après tout, le principal partenaire commercial des États-Unis. Sanctionner la Chine, comme Biden l'a fait récemment pour son secteur des puces et des semi-conducteurs, et les prix de tout explosent.
Mais l'argent n'est pas tout. Qu'en est-il de l'attitude insouciante de Biden à l'égard de la vie sur terre, qu'il met en danger chaque fois qu'il ouvre la bouche pour dire que les États-Unis lanceront leurs forces armées dans la bataille, si Taïwan et la Chine entrent en guerre ? Il est vrai que les déclarations belliqueuses de Biden font la une des journaux - il est, après tout, le dirigeant de l'un des empires les plus violents de l'histoire de l'humanité - mais les détails de leurs implications mondiales en termes de vie et de mort, à savoir qu'elles pourraient tous nous tuer ? Pas vraiment.
Non, ces nouvelles n'intéressent pas les gros bonnets de la rédaction qui nous disent quoi penser. Ils sont trop occupés à nous bourrer le crâne avec du chewing-gum pour neurones, les inepties sur Tik Tok, les inepties sur les célébrités ou n'importe quoi d'assez stupide pour crétiniser les téléspectateurs et les lecteurs, afin qu'ils ne remarquent pas que leurs factures d'électricité ont doublé ces derniers mois, que le pourcentage de leur facture d'épicerie a augmenté de plusieurs points, ou que le monde est plus près que jamais d'être carbonisé dans une apocalypse nucléaire.
Mais ils le remarquent quand même. Et même s'ils ne disposent pas de la grille de lecture affinée qui leur permettrait de faire la part des choses, grâce à leurs habitudes de consommation d'informations, beaucoup de gens ont commencé à entrevoir que l'idiotie de Washington pourrait les faire exploser d'un coup et que, pendant ce temps, elle va les saigner à blanc, et c'est pour très bientôt. D'où la réticence croissante du public à continuer à donner des chèques en blanc à l'Ukraine, le pays le plus corrompu d'Europe. Le GOP a même pris le train en marche et annoncé qu'il ne financera pas cette guerre malencontreuse s'il reprend le Congrès. Pour ma part, je serai étonné que les républicains aient le cran de tenir cette promesse. Quoi qu'il en soit, Biden prévoit de devancer ce serment en versant dès maintenant des milliards supplémentaires à Kiev. Cela n'aidera pas, a priori, les démocrates, ce sur quoi les républicains comptent probablement. Mais Biden aura l'air d'être un homme de principe ( the show must go on ), tandis que nous autres sommes ruinés et évaluons la distance qui nous sépare du point zéro atomique. Les Américains se débattent avec des factures d'électricité, des prix d'épicerie et d'essence, des dettes médicales et éducatives. Ils n'ont pas à financer des contractants de la Défense à hauteur de milliards de dollars pour que les Ukrainiens et les Russes puissent s'entretuer à l'autre bout du monde. Et ils n'ont certainement pas non plus besoin d'une guerre qui fait chanceler l'humanité au bord de l'Armageddon nucléaire.
Dans un entrefilet inespéré de bonnes nouvelles, le Washington Post a rapporté, le 24 octobre, qu'une trentaine de membres du caucus progressiste avaient exhorté Biden à mettre en place une diplomatie pour mettre fin à la guerre. Le lendemain, ils ont pleurniché et se sont rétractés. C'est la première fois que des démocrates ont eu le courage de ne pas applaudir à un nouveau bain de sang et à une nouvelle guerre contre Moscou. Je ne sais pas ce qui a provoqué ce revirement initial. Mais c'était une bonne nouvelle. Mieux vaut tard que jamais, peut-on croire. Cela semblait signifier que certains membres de la soi-disant gauche de Washington avaient finalement recouvré la raison et ne se comportaient peut-être pas aussi honteusement que tant de socialistes européens l'ont fait au début de la Première Guerre mondiale, abandonnant leur pacifisme d'antan. Il a longtemps semblé, en toute sincérité, que c'était l'héritage que les démocrates progressistes voulaient revendiquer, un héritage non seulement de honte et de meurtres de masse, mais, si la guerre en Ukraine se transformait en troisième guerre mondiale, d'extinction de l'humanité.
Le soleil de la raison et de la bonté n'a pas brillé plus d'une journée. Brièvement, ceux qui se considèrent de gauche ont décidé que ce danger d'extinction massive de l'humanité valait la peine d'être dénoncé, et que la diplomatie en faveur de la paix était la seule voie saine pour sortir de ce fiasco. Mais le lendemain, ils se sont dégonflés pour ne pas s'opposer à la soif de sang de leur parti. Même leur geste discret était trop demander. Ces gens ne sont pas de gauche. Ce sont des lâches. Ils sont une honte pour la gauche. Si quelqu'un dans le caucus progressiste se prononce à nouveau pour la diplomatie, je serai très impressionnée.
À ce propos, que pensez-vous du Washington Post qui a fait grand cas de cette histoire de progressistes appelant à la diplomatie, au lieu de l'enterrer ? C'était inattendu, c'est le moins qu'on puisse dire. Parce qu'il est depuis longtemps évident et écoeurant que nos grands médias ne montrent qu'un aspect de l'histoire : le côté OTAN, Washington, impérial et belliciste. Et c'est ce qu'ils font, sans vergogne, depuis une génération. (Ils l'ont fait auparavant aussi, mais avec un minimum de confusion, chaque fois qu'ils ont été dénoncés). Vous vous souvenez des fameuses armes de destruction massive de l'Irak ? Les rédacteurs qui ont colporté ce mensonge pendant des mois sont passés à plus gros et plus avantageux, tout comme les politiciens - Biden est même devenu président ! - alors qu'un pays entier, l'Irak, a été bombardé, en grande partie sur la base de reportages mensongers et de chicaneries politiques, et qu'aujourd'hui, des décennies plus tard, il a tout simplement sombré dans l'oubli.
Et qui peut oublier la frénésie déclenchée pour justifier le bombardement criminel de la Serbie par l'OTAN en 1999 ? Et aujourd'hui, Biden et le chef de l'OTAN, Jens Stoltenberg, voudraient vous faire croire que l'OTAN est une organisation "défensive". Ce qu'elle a fait à la Serbie aurait dû faire disparaître cette erreur depuis longtemps. Au lieu de cela, l'erreur persiste (et ce n'est pas un hasard). Lorsque la Russie a réagi au risque que l'Ukraine rejoigne l'OTAN et donc à la proximité d'un axe hostile adepte de la bombe à ses frontières, les dirigeants occidentaux ont protesté en disant que l'OTAN était "défensive". C'est ce que clament également nos médias, en tergiversant comme ils le font chaque fois qu'ils mentionnent le Ministère de la Défense américain, qui devrait abandonner ce terme et revenir à l'ancien, tellement plus honnête, "Ministère de la Guerre".
On sait que les choses vont mal lorsque des bouffons absurdes comme l'ancien Premier ministre italien Silvio Berlusconi sont ceux qui nous assènent la dure réalité. C'est ce qu'il a fait le 20 octobre en déclarant que l'Ukraine avait provoqué l'invasion de la Russie. On pourrait faire valoir que Kiev l'a fait en massacrant 14 000 russophones dans le Donbass depuis 2014, puis, l'hiver dernier, en massant des effectifs considérables à la frontière avec cette région, en préparation de ce que Moscou a pris pour un génocide. Mais en réalité, la prétendue impulsion de l'Ukraine a bénéficié de multiples aides. Il aurait été plus exact de dire que le marionnettiste de l'Ukraine, les États-Unis, a provoqué Moscou avec ses incitations incessantes à étendre l'OTAN vers l'est depuis la chute de l'Union soviétique, comme de nombreux experts et diplomates américains - de George Kennan, sommité de la guerre froide, à Jack Matlock, ancien ambassadeur en URSS, en passant par William Burns, chef de la CIA, et John Mearsheimer, expert en grandes puissances, entre autres - l'avaient annoncé, et plus récemment a incité Moscou à attaquer avec le coup d'État de 2014 à Kiev et les huit années de violence insensée qui ont suivi, et que Washington l'a fait dans le but bien réel de dissoudre les relations économiques entre la Russie et l'Europe ; mais néanmoins Berlusconi a fait atterrir sa fléchette verbale dans le mille sur l'échiquier. Et lorsque vous devez vous adresser à Berlusconi pour obtenir des commentaires éclairés, c'est que vous êtes dans le pétrin, car il a récemment choisi son camp au sein du gouvernement italien, et c'était le camp fasciste. Alors maintenant, les choses vont si mal que les fascistes font partie des personnes qui s'opposent à la propagande impériale. C'est la fête.
Mais nous assistons au même désordre désastreux ici aux États-Unis, où la prochaine élection présidentielle pourrait s'avérer être un choix entre le fascisme de Trump et la guerre nucléaire de Biden. Un choix ? Ho, ho. Ce n'est pas un choix. C'est la mort à crédit, ou la mort imminente. Dans les deux cas, c'est désastreux pour les gens ordinaires, parce que le Trumpisme met fin à la civilisation que nous avons en Amérique, ce qui a un impact désastreux, global parce qu'impérial, ou le Bidenisme met directement fin à la civilisation sur terre.
Au début de la guerre en Ukraine, Biden a fait la promesse de ne pas lancer la troisième guerre mondiale. Il a rompu cette promesse en inondant l'Ukraine d'armes, d'agents de la CIA et de quelques forces spéciales. Qualifier cela d'imprudent est un euphémisme. Le refus de Biden d'exercer son influence considérable pour promouvoir les négociations de paix a tué des milliers d'Ukrainiens et de Russes, en tuera probablement beaucoup d'autres, et met également en danger la vie de milliards d'autres personnes sur terre - 5,3 milliards de personnes souffrant d'une famine provoquée par un hiver nucléaire, qui connaîtraient une mort lente et atroce. Et je ne parle pas du canular selon lequel la Russie pourrait utiliser un dispositif nucléaire à faible portée sur le champ de bataille. Je parle de Moscou et de Washington jugeant qu'ils sont vraiment dans une guerre chaude et des missiles nucléaires à longue portée et à haut rendement qui pourraient alors commencer à voler.
L'unique tâche de Biden est d'empêcher cela. Son désir d'être considéré comme le nouveau FDR, comme un ami des syndicats, comme une sorte de social-démocrate, ne signifie rien s'il ne peut pas désamorcer cette guerre avec Moscou. Si Biden veut laisser un héritage autre que celui de destructeur de la planète, laissant à l'humanité une planète radioactive, glaciale et calcinée, il faut qu'il arrête immédiatement ses conneries guerrières et mette son autorité présidentielle au service des négociations de paix avec Moscou. Et Washington se doit de participer en personne à ces négociations. Sans cela, tout ce qu'il fera entrera dans l'histoire, si tant est qu'il y en ait une, comme autant de temps perdu.
* Eve Ottenberg est romancière et journaliste. Son dernier livre s'intitule Hope Deferred. Vous pouvez la joindre sur son site web.
https://scheerpost.com/2022/10/28/the-military-industrial-complex-strikes-again/