đâđš Explosions de Nord Stream : Nouvelles rĂ©vĂ©lations sur les motifs, les moyens et les opportunitĂ©s.
Les Américains doivent savoir si leur pays - avec plus de 113 milliards de dollars d'aide & assistance militaire - a délibérément pris pour cible les autres pays de l'OTAN & les peuples d'Europe.
đâđš Explosions de Nord Stream : Nouvelles rĂ©vĂ©lations sur les motifs, les moyens et les opportunitĂ©s
Par James Bamford / The Nation, le 9 mai 2023
Les Américains doivent savoir si le pays qu'ils soutiennent avec plus de 113 milliards de dollars d'aide & assistance militaire a délibérément pris pour cible les autres pays de l'OTAN & les peuples d'Europe par un acte de guerre massif.
Alors que de nouveaux détails émergent sur les explosions du gazoduc, ils suscitent également des questions : que savaient les services de renseignement américains à propos du plus grand polar du siÚcle, quand l'ont-ils su et comment l'ont-ils su ?
Ă 00h03 GMT, par un matin brumeux et sombre de septembre dernier, Peter Schmidt a Ă©tĂ© l'un des premiers Ă lancer l'alerte. Sismologue au Centre sismique national de SuĂšde, son travail consistait Ă lire de longues lignes ondulĂ©es sur un Ă©cran d'ordinateur et Ă donner l'alerte en cas de tremblement de terre. "Nos calculs indiquent une magnitude de 2,3", a dĂ©clarĂ© M. Schmidt. Mais curieusement, cela ne ressemblait pas Ă un tremblement de terre. Il s'agissait plutĂŽt d'une explosion extrĂȘmement puissante. "Avec une telle libĂ©ration d'Ă©nergie, il n'y a pas grand-chose d'autre qu'une explosion qui puisse la provoquer.â Son Ă©picentre se trouvait profondĂ©ment sous la mer Baltique, juste au large de l'Ăźle danoise de Bornholm, un vide noir et liquide Ă l'exception d'un long gazoduc recouvert de ciment, connu sous le nom de Nord Stream 2. Or, par les trous bĂ©ants de ce gazoduc et de son jumeau, Nord Stream 1, de gigantesques bulles de mĂ©thane remontaient Ă la surface au lieu d'atteindre les foyers de millions de personnes dans toute l'Europe, au dĂ©but d'un hiver long et froid.
Quelques heures plus tard, le Premier ministre danois, Mette Frederiksen, s'est adressĂ© Ă une foule de journalistes. "Les autoritĂ©s estiment qu'il s'agit d'actions dĂ©libĂ©rĂ©es. Il ne s'agit pas d'un accident", a-t-elle dĂ©clarĂ©. "La situation est on ne peut plus sĂ©rieuseâ. Le Premier ministre suĂ©dois, Magdalena Andersson, a abondĂ© dans le mĂȘme sens : "Nous avons conclu qu'il s'agit probablement d'un acte dĂ©libĂ©rĂ©, c'est-Ă -dire d'un acte de sabotage". Presque immĂ©diatement, mais sans fournir aucune preuve, la Russie et les Ătats-Unis ont commencĂ© Ă s'accuser mutuellement de cet acte de guerre dĂ©libĂ©rĂ©. Cette affaire allait bientĂŽt devenir le plus grand mystĂšre du siĂšcle.
Les agences de renseignement amĂ©ricaines et europĂ©ennes auraient obtenu des informations indiquant que l'attaque Ă©tait parrainĂ©e par l'Ătat et menĂ©e par un groupe affiliĂ© Ă l'Ukraine, peut-ĂȘtre une unitĂ© de renseignement. Quatre jours aprĂšs le sabotage, la publication allemande Spiegel International a rapportĂ© que la CIA avait prĂ©venu plusieurs mois auparavant ses partenaires allemands du renseignement, le BND, d'une possible attaque. "Les services de renseignement amĂ©ricains ont affirmĂ© avoir interceptĂ© des communications russes dans lesquelles des inquiĂ©tudes Ă©taient exprimĂ©es au sujet d'Ă©ventuelles attaques ukrainiennes contre des infrastructures occidentales", indique le reportage. "Les Ukrainiens auraient tentĂ© de louer un bateau en SuĂšde Ă cette fin.â
D'autres interceptions, également obtenues avant les explosions mais découvertes seulement aprÚs les attentats, ont permis de recueillir des communications similaires entre des individus pro-ukrainiens discutant d'un éventuel sabotage de l'oléoduc. Selon le journal allemand Die Zeit, une agence de renseignement occidentale aurait transmis aux agences de renseignement européennes partenaires, peu aprÚs l'attentat, une information selon laquelle un commando ukrainien était responsable de la destruction. Le journal ajoute qu'au moins un des bateaux utilisés dans l'opération secrÚte a été loué à une société basée en Pologne, et appartiendraient apparemment à deux Ukrainiens. Enfin, le New York Times a rapporté en mars que les renseignements examinés par les responsables américains suggéraient qu'un groupe pro-ukrainien avait mené l'attaque.
Mais au-delà de ces allégations, peu d'informations ont été publiées sur les capacités secrÚtes et les intentions hostiles de l'Ukraine en ce qui concerne l'oléoduc, ou sur la question de savoir si d'autres pays auraient pu agir en tant que co-conspirateurs. L'Ukraine avait-elle les moyens, le motif et l'occasion de commettre un acte aussi violent et audacieux ? On ne sait pas non plus ce que les services de renseignement américains ont pu savoir avant et aprÚs les explosions, ni comment ils l'ont su.
LE MOTIF
L'Ukraine avait certainement un motif. Pendant des années, le pays a réalisé d'importants bénéfices grùce aux frais de transit du gaz russe qui passait par ses gazoducs vers l'Europe. Mais cette situation a pris fin avec l'achÚvement des projets Nord Stream 1 (activé en 2011) et 2, d'une valeur de 23 milliards de dollars. Ces deux projets ont été conçus pour transporter directement et à moindre coût environ 55 milliards de mÚtres cubes de gaz naturel par an à travers la mer Baltique, de Vyborg et Narva Bay en Russie à Lubmin et Greifswald en Allemagne, en vue d'une distribution dans toute l'Europe. En plus de priver l'Ukraine de revenus indispensables, le projet rendrait l'Europe beaucoup plus dépendante de la Russie, l'ennemi acharné de l'Ukraine depuis l'annexion de la Crimée et le soutien du Kremlin aux séparatistes pro-russes du Donbas en 2014. Pour cette raison, et parce que Nord Stream serait également en concurrence avec les expéditions de gaz naturel liquéfié américain vers l'Europe, le président Trump a imposé en décembre 2019 des sanctions aux navires et aux entreprises qui construisent le gazoduc, détenu et exploité par un consortium dont l'actionnaire majoritaire est l'entreprise publique russe Gazprom. L'effet de ces sanctions a retardé la construction du second gazoduc, Nord Stream 2, d'environ un an.
Mais le 6 février 2021, les travaux ont repris, désormais avec les propres navires poseurs de conduites de la Russie, dont l'énorme Fortuna, qui a jeté sa douzaine d'ancres à environ 28 kilomÚtres au sud de l'ßle danoise de Bornholm et a immédiatement commencé les travaux préparatoires pour l'achÚvement du Nord Stream 2. à cette date, les deux pipelines de 1 200 kilomÚtres étaient achevés à 94 %.
Ă Kiev, la reprise des travaux a Ă©tĂ© considĂ©rĂ©e comme un vĂ©ritable acte de guerre. Andrey Kobolev, prĂ©sident du producteur et distributeur public de gaz ukrainien Naftohaz Ukrainy, a dĂ©clarĂ© dans un message sur les rĂ©seaux sociaux que "l'arrĂȘt de Nord Stream 2 est une question de vie ou de mort" pour les citoyens ukrainiens. Par consĂ©quent, l'arrĂȘt de Nord Stream est rapidement devenu une prioritĂ© absolue du service de renseignement extĂ©rieur ukrainien, le SZRU, et de son nouveau directeur, Oleksandr Lytvynenko, diplĂŽmĂ© de l'acadĂ©mie moscovite du FSB. AprĂšs sa promotion, il a passĂ© des mois Ă tenter de forcer l'arrĂȘt de l'opĂ©ration. L'agence d'espionnage a averti que les menaces posĂ©es par le gazoduc allaient de l'espionnage - "NS2 est Ă©galement un outil de renseignement potentiel. Le Kremlin pourrait placer des capacitĂ©s de surveillance le long du gazoduc" - Ă la guerre : "Le lancement du NS2 augmentera la probabilitĂ© d'une nouvelle action militaire russe contre l'Ukraineâ. La solution : "Il faut reprendre la lutte pour empĂȘcher la mise en service de Nord Stream 2", affirme la SZRU. "L'arrĂȘt ou le report de NS2 est un bon point de dĂ©part, mĂȘme aujourd'hui." Avec un budget de 4 milliards de dollars en 2021, l'agence d'espionnage Ă©tait bien Ă©quipĂ©e financiĂšrement pour mener une grande variĂ©tĂ© d'opĂ©rations secrĂštes.
En outre, l'Ukraine a peut-ĂȘtre reçu l'aide de son plus proche alliĂ© europĂ©en dans sa lutte contre Nord Stream : la Pologne. Autre ennemi acharnĂ© de Moscou, la Pologne voyait son territoire traversĂ© par des pipelines russes rentables et craignait elle aussi que le nouvel itinĂ©raire n'augmente les coĂ»ts et ne renforce l'emprise de Moscou sur l'Europe. En consĂ©quence, la Pologne est devenue la premiĂšre nation europĂ©enne Ă introduire des sanctions contre Nord Stream 2, sanctions qui visaient spĂ©cifiquement le dĂ©testĂ© Fortuna, l'Ă©norme navire russe qui Ă©tait alors en train de poser les 75 derniers kilomĂštres du gazoduc.
Le 22 fĂ©vrier 2021, quelques semaines aprĂšs que le Fortuna a commencĂ© Ă travailler au large de l'Ăźle de Bornholm, les ministres des affaires Ă©trangĂšres polonais et ukrainien, Zbigniew Rau et Dmytro Kuleba respectivement, ont Ă©crit un article d'opinion commun dans Politico intitulĂ© "Nord Stream 2 a suffisamment endommagĂ© l'Occident. Il est temps d'y mettre fin". Ils y affirment que "la Russie est dangereusement proche de l'achĂšvement du double gazoduc Nord Stream 2" et appellent conjointement le prĂ©sident Joe Biden Ă "utiliser tous les moyens Ă sa disposition pour empĂȘcher l'achĂšvement du projet". Quelques jours plus tard, Mykyta Poturayev, chef d'une dĂ©lĂ©gation de lĂ©gislateurs ukrainiens, a dĂ©clarĂ© : "Nord Stream 2... consiste Ă soutenir la machine militaire de la Russie".
Au-delĂ des discours, la Pologne a Ă©galement commencĂ© Ă prendre des mesures. DĂ©but avril, Andrey Minin, haut responsable du consortium Nord Stream 2 AG, a dĂ©clarĂ© que le Fortuna et d'autres navires impliquĂ©s dans le projet avaient Ă©tĂ© la cible de "provocations rĂ©guliĂšres", y compris la pĂ©nĂ©tration du pĂ©rimĂštre de sĂ©curitĂ© de 1,5 mile entourant le chantier. "Nous parlons de provocations clairement planifiĂ©es et prĂ©parĂ©es, utilisant des bateaux de pĂȘche ainsi que des navires de guerre, des sous-marins et des avions pour entraver la mise en Ćuvre du projet Ă©conomique. Il s'agit peut-ĂȘtre d'un cas sans prĂ©cĂ©dent dans l'histoire", a-t-il dĂ©clarĂ©. Selon M. Minin, l'un des incidents concerne un chalutier polonais, le SWI-106, qui a tentĂ© d'Ă©peronner le Fortuna, mais qui en a Ă©tĂ© empĂȘchĂ© par l'intervention d'un navire de soutien, le brise-glace russe Vladislav Strizhov, qui a absorbĂ© la collision. Le capitaine polonais s'est ensuite excusĂ© pour l'accident.
De plus, selon Minin, un navire de guerre polonais a Ă©tĂ© vu en train de manĆuvrer prĂšs du Fortuna, et un avion anti-sous-marin polonais a effectuĂ© des survols rĂ©guliers du chantier du Fortuna. Ă un autre moment, un sous-marin non identifiĂ© a Ă©mergĂ© Ă moins d'un kilomĂštre du Fortuna. Selon un rapport, il s'agissait d'un sous-marin polonais (la marine polonaise exploite actuellement un sous-marin de classe Kilo datant de l'Ăšre soviĂ©tique et deux sous-marins de classe Kobben). Selon M. Minin, le sous-marin visait probablement la douzaine de lignes d'ancrage du Fortuna, dĂ©ployĂ©es pour maintenir le navire stable pendant l'opĂ©ration de pose du tuyau. Finalement, malgrĂ© les protestations, les sanctions et le harcĂšlement, en septembre 2021, l'Ă©quipage du Fortuna a posĂ© la derniĂšre section du tuyau, mettant ainsi fin au projet.
LES MOYENS
En 2022, l'Ukraine avait certainement un motif pour "mettre fin" Ă Nord Stream 2. Et au-delĂ des apparences, elle avait Ă©galement les moyens de mener Ă bien une telle opĂ©ration. L'agence d'espionnage militaire sĆur de la SZRU, la Main Intelligence Directorate (MID), est l'une des entitĂ©s avec lâexpĂ©rience de faire exploser les choses que l'Ukraine voulait faire disparaĂźtre. C'est cette organisation qui serait responsable de l'explosion massive qui a dĂ©truit une partie du pont du dĂ©troit de Kertch, qui relie la Russie Ă la CrimĂ©e, ainsi que des frappes de drones Ă l'intĂ©rieur de la Russie. Y compris, peut-ĂȘtre, la double attaque de drone contre le Kremlin mercredi, qui pourrait dĂ©clencher une frappe de reprĂ©sailles dĂ©vastatrice sur Kiev.
Selon le chef du MID, Kyrylo Budanov, "les services de renseignement ukrainiens sont en mesure de mener des opérations dans n'importe quelle partie du globe, si nécessaire". Parmi ces opérations, il y aurait eu l'assassinat à la voiture piégée, prÚs de Moscou, de Daria Dugina, la fille d'Alexandre Dugin, un éminent partisan russe de la guerre, la cible visée par l'attentat. Bien que les autorités de Kiev aient nié toute responsabilité, les services de renseignement américains pensent que des "éléments" du gouvernement ukrainien - euphémisme désignant souvent les services de renseignement - ont approuvé l'opération. Une autre opération secrÚte du MID, révélée dans la récente fuite de documents classifiés du Pentagone (prétendument par l'aviateur Jack Teixeira sur un groupe de discussion Discord), était un complot, qui a été annulé par la suite, visant à lancer un certain nombre d'attaques secrÚtes et niables contre les forces russes en Syrie, avec l'aide de mercenaires kurdes.
En plus de ses organisations de renseignement secrÚtes SZRU et MID, l'Ukraine a également développé secrÚtement une capacité de guerre sous-marine trÚs avancée. Un mois aprÚs l'explosion du Nord Stream, le 73e centre d'opérations maritimes spéciales de l'Ukraine a lancé une attaque à grande échelle sans précédent contre la flotte russe de la mer Noire à Sébastopol en utilisant à la fois des véhicules aériens sans pilote et des véhicules sous-marins sans pilote (UUV). Une semaine plus tard, le président Zelensky a annoncé : "Nous allons lancer une nouvelle campagne de collecte de fonds la semaine prochaine, pour une flotte complÚte de drones marins".
Parmi les nombreux UUV armĂ©s de l'Ukraine figure le Toloka, qui est Ă©quipĂ© d'une camĂ©ra de vision nocturne, d'un sonar, d'un hydrophone, d'un pilote automatique GPS et mĂȘme d'un dispositif de type pĂ©riscope. Connu Ă©galement sous le nom de « torpille rĂŽdeuse », le TLK 1000 peut rester en mode veille jusqu'Ă trois mois ; il est capable de parcourir 2 000 kilomĂštres sous l'eau et est dotĂ© d'une ogive pouvant contenir plus de 5 000 kilogrammes d'explosifs. Le TLK 400, plus petit, peut transporter 500 kilogrammes d'explosifs. Selon les responsables de l'OTAN, les olĂ©oducs ont Ă©tĂ© endommagĂ©s par deux explosions, chacune ayant la force d'environ 1 100 livres de TNT. Une source de la dĂ©fense britannique a dĂ©clarĂ© au London Times qu'un sabotage "prĂ©mĂ©ditĂ©" aurait pu ĂȘtre prĂ©parĂ© par des drones sous-marins qui auraient dĂ©posĂ© les explosifs plusieurs semaines Ă l'avance.
LES OPPORTUNITĂS
Enfin, il y a la question de l'opportunité. Au cours de l'été 2022, quelques mois avant le sabotage, les marines américaine et britannique ont commencé à former des dizaines de membres de la marine ukrainienne à l'utilisation d'UUV et à la guerre sous-marine de haute technologie. L'opération, menée par le groupe de plongée et d'exploitation des menaces de la marine britannique, a permis d'enseigner au personnel de la marine ukrainienne un large éventail de méthodes et de techniques de lancement et de récupération de véhicules sous-marins sans pilote sophistiqués, parmi lesquels le MK-18 Kingfish et le REMUS 300. L'analyse des données faisait également partie du programme. Selon l'OTAN, une grande partie de l'entraßnement, y compris "des missions complexes à plusieurs véhicules UUV... a eu lieu au large de Bornholm, au Danemark", dans le cadre des exercices BALTOPS 22 de l'organisation. "Le groupe de travail BALTOPS sur les mesures de lutte contre les mines s'est aventuré dans toute la région de la Baltique pour s'entraßner à localiser, exploiter et désarmer des munitions dans des points d'étranglement maritimes critiques", indique un communiqué de presse publié par la SixiÚme flotte américaine.
Une partie importante du programme consistait à former les Ukrainiens à l'utilisation d'UUV pour la recherche et le déminage. Pour la marine britannique, cela implique l'utilisation d'UUV tels que le SeaFox COBRA télécommandé qui s'approche d'une cible et la fait exploser à l'aide d'une charge puissante, telle que du C4. En outre, la marine britannique a offert aux Ukrainiens six de ses UUV de haute technologie. Ces cadeaux ont été utiles à tous ceux qui cherchaient à localiser un oléoduc à proximité, dont les coordonnées figurent simplement sur les cartes marines publiques, tout comme la formation au déminage et à la démolition sous-marine a été utile à tous ceux qui voulaient le faire exploser. "Les compétences spécialisées enseignées ici", a déclaré l'amiral Sir Ben Key, premier Lord de la marine, aideront l'Ukraine à "repousser l'agression russe".
Par ailleurs, les services de renseignement allemands pensent qu'au moins l'un des bateaux utilisés dans l'attaque était un sloop de 15,57 mÚtres à un seul mùt, l'Andromeda. Il a été loué le 6 septembre par six personnes, dont plusieurs Ukrainiens et d'autres détenteurs de faux passeports, dans une petite marina de la mer Baltique à Rostock, en Allemagne. Curieusement, les frais de location ont été payés par une société enregistrée en Pologne, mais dont on pense qu'elle est contrÎlée par des Ukrainiens. Une fouille du bateau a ensuite permis de découvrir de petites traces d'explosifs "de qualité militaire" correspondant au lot d'explosifs utilisés sur l'oléoduc. Mais les spéculations se sont presque exclusivement concentrées sur la question de savoir si les plongeurs du bateau ont effectué des plongées dangereuses et répétées à 200 pieds de profondeur jusqu'à l'oléoduc pour y déposer les quelques milliers de livres d'explosifs - un scénario trÚs improbable, surtout en l'absence d'un caisson de décompression.
Il aurait Ă©tĂ© beaucoup plus facile d'utiliser un UUV contrĂŽlĂ© par un ordinateur portable, comme le REMUS 300 avec lequel les Ukrainiens se sont entraĂźnĂ©s. Il est rĂ©pertoriĂ© comme "transportable par deux hommes", avec une profondeur maximale de 305 mĂštres et une durĂ©e de mission de 30 heures. Il est Ă©quipĂ© pour le renseignement, la surveillance et la reconnaissance, ainsi que pour la lutte anti-sous-marine. Il peut ĂȘtre lancĂ© simplement en le plaçant dans l'eau. Ătant donnĂ© le Toloka, les Ukrainiens savent certainement comment armer les UUV.
Nous savons que le 26 septembre 2022, peu aprĂšs la fin des sĂ©ances d'entraĂźnement avec l'UUV, de puissantes explosions ont dĂ©chirĂ© les conduites en acier et en bĂ©ton de Nord Stream. Un ou plusieurs pays ont "mis fin Ă cette situation", exactement comme les ministres des affaires Ă©trangĂšres polonais et ukrainien l'avaient rĂ©clamĂ© dans leur article d'opinion. Le premier point de rupture se trouvait sur le Nord Stream 2, juste au large de l'Ăźle de Bornholm, sur le segment exact du gazoduc construit par la sociĂ©tĂ© russe Fortuna : la mĂȘme zone que celle qui a Ă©tĂ© ciblĂ©e Ă plusieurs reprises par les navires aĂ©riens et maritimes polonais, ainsi que par un Ă©ventuel sous-marin polonais, et oĂč s'est dĂ©roulĂ©e une grande partie de l'entraĂźnement UUV.
Le moment Ă©tait Ă©galement bien choisi pour la Pologne. Le lendemain du sabotage, le prĂ©sident polonais Andrzej Duda a cĂ©lĂ©brĂ© l'ouverture, prĂ©vue de longue date, de l'olĂ©oduc commun polonais. Le "Baltic Pipe" a Ă©tĂ© conçu pour concurrencer le gazoduc Nord Stream en envoyant du gaz norvĂ©gien de la mer du Nord Ă travers la Baltique jusqu'en Pologne, Ă un coĂ»t infĂ©rieur Ă celui du gaz russe. Lors de la cĂ©rĂ©monie d'ouverture du 27 septembre, alors que d'Ă©normes volumes de gaz s'Ă©chappaient encore des trous bĂ©ants de Nord Stream, un prĂ©sident Duda souriant, accompagnĂ© du premier ministre Mateusz Morawiecki, a symboliquement ouvert la vanne d'un tuyau jaune vif. "L'Ăšre de la domination russe dans le domaine du gaz touche Ă sa fin", a dĂ©clarĂ© joyeusement M. Morawiecki. "Une Ă©poque marquĂ©e par le chantage, les menaces et l'extorsion.â
Bien entendu, ce problÚme est désormais définitivement résolu avec la destruction des gazoducs Nord Stream, à quelques encablures des cÎtes polonaises. Anders Puck Nielsen, chercheur au Centre des opérations maritimes du CollÚge royal danois de défense, a déclaré que le moment choisi pour les explosions était "évident", compte tenu de la cérémonie pour le Baltic Pipe. Tout comme la marine ukrainienne, la marine polonaise est équipée de divers UUV, notamment de Gluptaks, conçus pour exploser à proximité d'une cible, et d'Ukwials, utilisés pour placer un explosif sur une cible.
Pourtant, presque immĂ©diatement aprĂšs les explosions, et sans fournir la moindre preuve, un haut conseiller du prĂ©sident ukrainien Volodymyr Zelensky a rapidement commencĂ© Ă affirmer que la destruction Ă©tait un acte de terrorisme orchestrĂ© par Moscou. Pour Zelensky, tout le monde y gagnait : la destruction de l'olĂ©oduc dĂ©testĂ© et le blĂąme jetĂ© sur son ennemi mortel, probablement suivi de nouvelles sanctions. Mais Mats Ljungqvist, procureur principal chargĂ© de l'enquĂȘte suĂ©doise sur le sabotage, n'accorde aucune crĂ©dibilitĂ© Ă une telle accusation. "C'est mon travail de trouver ceux qui ont fait exploser Nord Stream", a-t-il dĂ©clarĂ©. "Est-ce que je pense que c'est la Russie qui a fait sauter Nord Stream ? Je ne l'ai jamais pensĂ©. Ce n'est pas logique.â De mĂȘme, au-delĂ des allĂ©gations Ă©laborĂ©es par le journaliste Seymour Hersh, en grande partie non sourcĂ©es et publiĂ©es Ă compte d'auteur, il n'existe aucune preuve ou indication que les Ătats-Unis eux-mĂȘmes Ă©taient derriĂšre les explosions. Mais la question reste ouverte : Que savaient les Ătats-Unis, et quand l'ont-ils su ?
Dans des dĂ©clarations soigneusement formulĂ©es, les responsables amĂ©ricains ont affirmĂ© que le prĂ©sident et ses principaux collaborateurs n'avaient pas autorisĂ© de mission visant Ă dĂ©truire les gazoducs Nord Stream, et que les Ătats-Unis n'Ă©taient pas impliquĂ©s. La question de savoir si les Ătats-Unis Ă©taient dĂ©jĂ au courant - soit directement, soit par le biais d'indications recueillies par la communautĂ© du renseignement, comme certains Ă©lĂ©ments le montrent - ou s'il y a eu des tentatives pour arrĂȘter l'opĂ©ration, est restĂ©e sans rĂ©ponse. Sans parler de ce que les services de renseignement amĂ©ricains ont appris au cours des nombreux mois qui ont suivi les attentats. Selon Mats Ljungqvist, qui dirige l'enquĂȘte suĂ©doise, des restes d'explosifs ont Ă©tĂ© trouvĂ©s sur certains dĂ©bris de l'explosion, indices qui pourraient permettre de dĂ©terminer quel Ătat-nation pourrait ĂȘtre impliquĂ©.
Outre l'Ă©coute des satellites dans l'espace et des avions de surveillance dans le ciel, les services de renseignement amĂ©ricains surveillent en permanence la Russie et d'autres pays en temps quasi rĂ©el depuis le fond des mers, y compris sous la Baltique, oĂč des rĂ©seaux de capteurs acoustiques fixĂ©s au fond de la mer auraient certainement Ă©tĂ© en mesure de dĂ©terminer l'heure et le lieu exacts des explosions sous-marines massives. En fait, dans les heures qui ont suivi les explosions, deux avions de reconnaissance de la marine amĂ©ricaine, envoyĂ©s d'Islande, ont tournĂ© autour d'une zone proche des explosions, d'aprĂšs les donnĂ©es de suivi examinĂ©es par Reuters.
Plus important encore, en analysant les bruits distincts des moteurs des navires, des sous-marins et des UUV qui passaient au-dessus dans les jours qui ont prĂ©cĂ©dĂ© le sabotage, les services de renseignement amĂ©ricains auraient probablement Ă©tĂ© en mesure de prendre leurs empreintes digitales et de dĂ©terminer leur nationalitĂ© et leur identitĂ© exacte. Bien que le transpondeur d'un navire puisse ĂȘtre dĂ©sactivĂ©, ce qui le rend invisible aux satellites, tant que ses moteurs tournent, il peut ĂȘtre dĂ©tectĂ© par le systĂšme mondial intĂ©grĂ© de surveillance sous-marine, peu connu et trĂšs secret, de la marine amĂ©ricaine. Il s'agit de la version actualisĂ©e et beaucoup plus sophistiquĂ©e du prĂ©cĂ©dent systĂšme de surveillance sonore, placĂ© Ă des endroits clĂ©s au fond des ocĂ©ans, des mers et des dĂ©troits du monde entier.
Dans la mer Baltique, les réseaux ont été installés avec l'aide secrÚte de la marine suédoise. L'amiral Elmo R. Zumwalt, ancien chef des opérations navales américaines, a été cité dans une émission de télévision suédoise explorant l'aide secrÚte de la SuÚde, déclarant qu'il y avait "un accord des deux cÎtés pour qu'il n'y ait aucune trace officielle de cette liaison".
Une fois collectĂ©es, les donnĂ©es auraient Ă©tĂ© transmises en temps quasi rĂ©el aux analystes travaillant au Theater Undersea Surveillance Command, Atlantic (TUSC LANT) - un bĂątiment hautement sĂ©curisĂ©, entourĂ© d'une double clĂŽture de sĂ©curitĂ©, situĂ© sur la rive du lac Tecumseh Ă Dam Neck, dans l'Ătat de Virginie. Ă l'instar de la base de donnĂ©es d'empreintes digitales humaines du FBI, le TUSC LANT dispose d'une Ă©norme collection d'empreintes digitales maritimes, de sons de moteurs enregistrĂ©s, y compris ceux d'adversaires et de nations amies.
Ătant donnĂ© que les Ătats-Unis disposent depuis longtemps d'Ă©coutes secrĂštes des fonds marins de la Baltique, avec la possibilitĂ© d'identifier et de gĂ©olocaliser les navires de passage, et compte tenu de la prĂ©sence d'avions de reconnaissance quelques heures aprĂšs les explosions, il est trĂšs probable que les Ătats-Unis en savent beaucoup plus sur ce qui s'est passĂ© et sur les responsables qu'ils ne le disent. Bien qu'il y ait peu de preuves de l'implication directe des Ătats-Unis, et encore moins que la Russie ait fait exploser son propre olĂ©oduc, un certain nombre d'indices pointent clairement vers l'Ukraine et la Pologne.
L'implication de proches alliés dans la destruction de l'oléoduc expliquerait également le silence déterminant de Washington sur l'attaque. Et la récente fuite de documents du Pentagone montre combien de secrets sur la guerre l'administration cache au public. Mais les Américains doivent savoir si le pays qu'ils soutiennent avec plus de 113 milliards de dollars d'aide et d'assistance militaire a délibérément pris pour cible les autres pays de l'OTAN et les peuples d'Europe par un acte de guerre massif.
* James Bamford est auteur de best-sellers, cinéaste nommé aux Emmy Awards et lauréat du National Magazine Award for Reporting. Son dernier ouvrage s'intitule Spyfail : Foreign Spies, Moles, Saboteurs, and the Collapse of America's Counterintelligence, publié par Twelve Books.