👁🗨 Frédéric Lordon : De la république policière à la république fasciste ?
Macron, dit-on, aspire à entrer dans l’Histoire. Qu’il se rassure, il y a désormais matière. Il suffit d’avoir vu parader sa BRAV pour savoir exactement dans quoi nous vivons & vers où nous allons.
👁🗨 De la république policière à la république fasciste ?
Par Frédéric Lordon, 26 juillet 2023
On savait déjà très exactement où en est le signifiant « républicain » après un communiqué ouvertement raciste et factieux de syndicats policiers d’extrême droite, invoquant comme il se doit « l’ordre républicain » pour lancer la chasse à l’homme, plus précisément à ceux des hommes considérés comme des « nuisibles ». Tout à son habitude de confondre modération et aveuglement, le journal Le Monde avait jugé le communiqué « révélateur de l’exaspération des troupes », là où il aurait plutôt fallu y voir la fascisation caractérisée de l’appareil de force — et en concevoir un chouïa plus d’inquiétude.
Lire aussi Benoît Bréville, « La religion sécuritaire », Le Monde diplomatique, août 2023.
Mais jamais Le Monde ne dira un mot de la fascisation en cours : consentir à l’aveu qu’elle se déroule sous les auspices d’un pouvoir qu’il a si longtemps encensé, c’est sans doute trop lui demander. Le Monde peut à la rigueur comprendre le fascisme comme malheureuse irruption venue de nulle part, ou comme curiosité historique sans suite possible, mais jamais n’accédera à l’idée que le fascisme naît « du dedans ». Car notre « dedans », pour Le Monde, c’est « la république » et « la démocratie ». Or comment la république et la démocratie pourraient-elles accoucher du fascisme puisqu’elles en représentent le principe opposé ? Voilà la bouillie qui traîne dans les têtes formées à l’Institut d’Études Politiques, école où l’on n’a notoirement jamais rien compris à ce qu’est la politique.
L’idéalisme éditorialiste qui, se plaisant à répéter « république-démocratie », tient les mots pour des forces réelles et agissantes, ajoute généralement l’inculture historique à l’ineptie intellectuelle. Il ne sait pas que, si elle a été brève, il y a eu une République de Salò et que c’était une république fasciste. Il n’a pas lu Brecht et ne sait pas que « le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie mais son évolution en temps de crise ». Tout ce que nous voyons aujourd’hui confirme pourtant la justesse de cette idée.
Avec la sortie du DGPN réclamant l’extraterritorialité légale pour la police, reprise à son compte par le préfet de police Nuñez, avec la bénédiction du ministre de l’intérieur, un cran supplémentaire a été franchi. Même le besoin de s’envelopper de l’oripeau républicain est tombé. On ne veut plus qu’une chose, celle qu’on a toujours voulue d’ailleurs, et maintenant on ne s’embarrasse plus de circonlocutions pour la dire : l’exception permanente et la licence intégrale.
Passée dans une économie morale séparée, la police a totalement perdu de vue la nature exorbitante des prérogatives qui sont les siennes dans une société : être mandatée pour détenir des armes et possiblement s’en servir. Des prérogatives aussi extraordinaires ne sauraient aller sans la conscience d’une responsabilité extraordinaire. Mais non : la police veut pouvoir tirer à tuer sans être empêchée, ou cogner jusqu’à laisser pour mort sans être réprimandée. De responsabilité spéciale, la police, entièrement adonnée à ses pulsions violentes, ne veut plus entendre parler — « nous avons les armes, nous nous en servons, fin de la discussion ». Et ceci maintenant — c’est bien la nouveauté effrayante — jusqu’au sommet de la hiérarchie. Ministre compris.
Hypothèses
Ici commence la divergence des interprétations possibles — pour maintenant ou pour plus tard.
Première lecture : la tétanie – comme il se doit pour un pouvoir qui, tout à sa passion d’offenser socialement et symboliquement la population, n’a plus aucune légitimité politique et ne tient plus que suspendu à sa police. On demande à Dupond-Moretti ce qu’il pense du communiqué syndical policier raciste et factieux. Réponse : « rien ». Du cœur de l’État surgit un discours d’un immonde racisme, et tout ce que le garde des Sceaux, c’est-à-dire le conservateur de la Constitution et de sa Déclaration des droits de l’homme, trouve à répondre, c’est : « rien ».
Deuxième lecture : le coup. Darmanin, pour dire le moins, arme un dispositif : laisser faire (hypothèse haute : encourager en sous-main) le grand débrayage de la police ; le pouvoir de Macron, cette fois-ci à poil pour de bon, à la merci du moindre trouble ; Darmanin indispensable pour rebrancher la police – Macron connaît son maître. Peut servir pour Matignon si une crise aigüe se redéclenche, voire le cran d’après.
À la confluence de la première et de la deuxième hypothèse, on notera l’évaporation soudaine de l’éditorialisme, qui avait sali son linge à hurler « Jupiter » pendant six ans, mais n’a pas un commentaire au moment où Jupiter se fait rouler dessus par deux sous-fifres du ministère de l’intérieur qui lui dictent leur nouvelle lecture des institutions. Il faut que la peur au sommet de l’État soit saisissante pour que le président avale ainsi de se faire dépouiller de toute souveraineté régalienne, camouflet sans précédent dans la Ve République. Mais on a encore rien vu avant d’apprendre que Macron est tombé d’une carafe en découvrant que tout ceci avait été orchestré dans son dos par son ministre de l’intérieur, humiliation elle aussi sans précédent, qui aurait valu normalement limogeage instantané du ministre, et devrait mettre en ébullition tous les fondus de la « popol » (1). Ne connaissant de la politique que les « chocs d’egos », les coulisses et les manœuvres, ne sont-ils pas ici servis au-delà de toute espérance — cette fois d’ailleurs pour une bonne raison ? Et cependant regardent ailleurs. Les menées ouvertes du ministre de l’intérieur contre son président devraient être à la une de tous les médias, tourner en boucle. Rien.
Troisième lecture : la bascule délibérée. De l’observation passive de la dérive autoritaire jusqu’ici, le régime passe à l’accompagnement actif — prend la tête du processus et, selon son expression favorite, l’« assume ». La pensée se remanie en temps réel pour s’ajuster, ce qui est d’autant plus facile que la clique est inculte et sans principe : l’ordre est bon, l’ordre est désirable, l’ordre est même le seul désirable, rien ne doit venir en atténuer l’exercice. Que la logique des institutions y périsse n’a aucune importance — au bout de cette logique, n’y a-t-il pas d’ailleurs l’article 16, alors ? « L’ordre, l’ordre, l’ordre » : la république policière a trouvé sa devise.
Les vrais territoires perdus de la république
Il n’y a plus que le maintien du signifiant « républicain », dans une fuite en avant qui abolit la république, pour poser encore quelques problèmes, mais essentiellement cosmétiques. Au reste on peut toujours compter sur la veulerie, la complaisance et l’inculture (toujours la même) de l’éditorialisme capitaliste pour continuer de tenir l’intenable. La vérité est qu’il n’est plus un usage du mot « républicain » qui ne soit frauduleux.
Dès le départ, il faut l’avouer, la confusion était installée. Car « république » n’ayant jamais rien dit d’autre que « chose publique », elle est en elle-même une catégorie qui ne préjuge rien quant à sa forme, et peut tout aussi bien s’accommoder, selon les catégories usuelles de la philosophie politique, de la monarchie, de l’oligarchie ou de la démocratie — et même de Salò. Sans doute en France, le mot a-t-il reçu sa signification de la Révolution. Au moins la « république » d’alors, à défaut du tour qu’elle prit ensuite, était toute marquée des idéaux de démocratie et d’égalité, dont il est patent que la Ve République finissante leur est devenue totalement étrangère.
Lire aussi Tristan de Bourbon-Parme, « Banlieues, sermonner et punir », Le Monde diplomatique, août 2023.
C’est bien pourquoi, sans aucun contresens conceptuel ni aucune contradiction, nous pouvons nous rendre au constat irréfragable que nous sommes passés dans une république policière. En réalité nous connaissons désormais parfaitement les vrais territoires perdus de la république : ce sont les commissariats, les fourgons de police, la préfecture et l’IGPN, mais aussi le bureau du garde des sceaux d’où sortent des circulaires de talion, les tribunaux qui les exécutent en leur donnant la forme d’une justice d’abattage, dont les minutes sidèrent d’ignominie, les instituts médico-légaux qui falsifient les comptes-rendus, comme celui d’Adama Traoré, les prisons et les CRA bien sûr, et l’on pourrait y ajouter tous ces médias où le racisme a pris la consistance d’une ligne éditoriale. Voilà les vrais territoires perdus de la république — à l’exact envers de ceux qui sont usuellement donnés pour tels, ces quartiers d’où monte pourtant la demande d’égalité la plus authentiquement républicaine, où la valeur de la république — car dans une république démocratique et sociale il n’y en a qu’une : l’égalité — est prise au sérieux.
La bascule
Dans l’état actuel de violence dégondée et de racisme incrusté où se trouve la police, il y a tout lieu de craindre que la république policière ne soit qu’une configuration transitoire dans un mouvement appelé à se poursuivre : vers la république fasciste. On a longtemps réfléchi aux formes nouvelles que pourrait prendre un fascisme contemporain, qui permettraient de le qualifier sans qu’il ait à ressembler trait pour trait à celui des années 1930 — à l’image d’Orwell qui l’imaginait possiblement en chapeau melon et parapluie roulé. Ces exercices d’imagination sont en voie de devenir superflus. Quand des milices d’extrême droite prennent la rue pour y faire régner la terreur avec la bénédiction des forces de police qui regardent ailleurs, si elles ne les accompagnent pas, y en a-t-il encore à qui il faut faire un dessin ? Y a t-il encore beaucoup de questions à se poser quand ces mêmes forces de police votent à plus des deux tiers pour un parti d’extrême droite raciste, ou quand s’y répandent des insignes ouvertement fascistes voire néo-nazis ? Quand elles sont surreprésentées dans les projets d’attentats d’extrême droite ? Quand par ailleurs des éléments nazis s’affichent en toute décontraction autour du parti d’extrême droite promis au pouvoir ?
Car c’est sans doute ce qu’il y a de plus terrifiant dans la situation présente, à savoir la convergence d’une police raciste hors de contrôle et des groupes de rue fascistes, convergence de deux milices en quelque sorte, qui signe le possible devenir « république fasciste » de la désormais bien établie république policière.
« La police qui protège » était depuis un moment déjà une fiction en lambeaux, elle est complètement en cendres maintenant que nous avons vu le Raid, supposément nos « sauveurs » des jours d’attentat, tirant de bon cœur au fusil à pompe sur des émeutiers racisés. La confirmation est venue de Jean-Michel Fauvergues lui-même, ancien commandant du Raid devenu député Renaissance, et qui réclame lui aussiune « excuse de violence » pour le confort psychologique des cogneurs. Sauf l’aveuglement des forcenés, il saute maintenant aux yeux que la police, dans un nombre croissant de ses unités, n’est plus qu’une milice sadique ivre de violence, livrée à ses vendettas personnelles, contre la famille Traoré par exemple ou contre des journalistes, se faisant un point d’honneur et de provocation de médailler, de promouvoir en son sein, les cogneurs et les racistes patentés, totalement autonomisée, ne répondant plus de rien à personne. « Police républicaine » est devenu le plus sinistre des oxymores.
L’État hors les libertés et hors la loi
Mais c’est bien le bâtiment entier de la Ve « République », dans toutes ses structures, qui est en train de s’effondrer. Dans la main de la police, le gouvernement, croyant trouver son salut dans la fuite en avant, ne cesse plus d’installer un climat qui resserre la main de la police, dont l’intervention est en train de devenir la première des politiques publiques, en tout cas l’adjuvant nécessaire de toutes les autres. Alors le registre « policier » imprègne et sature toute la vie publique — et c’est bien ainsi que se qualifie une république policière.
L’une des tendances les plus frappantes de ce climat général réside bien sûr dans la destruction avancée des libertés fondamentales. La restriction de fait du droit de manifester par l’intimidation policière violente, qui depuis longtemps aurait dû à soi seule scandaliser n’importe quel démocrate, s’accompagne des interdictions par arrêtés à des fins manifestes d’étouffer toute démonstration critique, comme le prouvent par ailleurs les arrestations ahurissantes qui suivent même la plus bénigne des atteintes symboliques à la majesté gouvernementale, présidentielle en tête.
Sans surprise la restriction des libertés politiques fondamentales prend de plus en plus souvent la forme d’une illégalité d’État — entre arrêtés d’interdiction manifestement abusifs, ou bien publiés après coup, interventions policières totalement hors droit, comme la censure de la devanture d’une librairie au prétexte que le ministre de l’intérieur ne pouvait supporter son contenu. La partie de la justice qui ne s’est pas entièrement rendue à la ligne de répression totale finit par condamner, mais combien de temps encore ? Les redispositions légales suivront de près les abus extralégaux, à l’image des drones, de la reconnaissance faciale ou de la censure des réseaux sociaux, « manières de faire » qui rangent donc la France de Macron au côté de l’Égypte, du Pakistan ou de la Chine. Et de nouveau : comment appelle-t-on un pouvoir qui veut que le silence règne ? Dans un lapsus fameux, au tout début de son premier mandat, Macron voulant parler de la sortie de l’état d’urgence, avait dit : « Nous sortirons de l’État de droit ». Voilà.
La bourgeoisie et ses partis
Mais le séisme est total, emporte tout. Tel un immeuble effondré, tous les étages de la politique institutionnelle se sont écroulés les uns sur les autres, et tous sur le Rassemblement National. Nul ne pourrait plus dire en quoi Les Républicains s’en distinguent. Ni, par transitivité, la fausse majorité LREM qui d’une part aspire à s’allier avec LR, d’autre part traite avec la dernière complaisance le RN à l’Assemblée. Ainsi s’est constitué un bloc quasi-unifié, en tout cas idéologiquement, de la droite extrême : même idéologie économique et sociale, même racisme — et que ceux dans ses rangs qui ne disent mot sur une matière aussi grave sachent qu’ils sont comptés comme consentants —, même tropisme pour la conduite policière de la société, même mépris pour les réels principes d’une démocratie libérale.
Alors la présidente Braun-Pivet offre au RN sa sympathie en plus des vice-présidences, le député Sitzenstuhl ne pense pas du tout qu’on puisse dire que CNews est d’extrême droite, le ministre Guérini non plus à propos d’Europe 1, la députée Petel demande qu’on dise « le jeune délinquant » plutôt que « le petit Nahel ». En fait tout Renaissance passe à l’extrême droite et sa base électorale avec.
On mesure très exactement la dérive générale vers l’extrême droite quand la qualification d’« extrême-gauche » pour un parti aussi platement social-démocrate (au sens historique du terme) que la FI devient une sorte de cela va de soi — abondamment propagé par les journalistes comme il se doit. Logiquement, dans ce complet dérèglement des catégories, l’un des ilotes de France Info explique qu’un important leader du « Centre » vient de disparaître en Italie — il s’agissait de Berlusconi.
La fusion de toutes les droites dans l’extrême droite devient en tout cas patente à l’effort de faire de la FI une sorte de paria institutionnel au motif d’un « arc républicain », appellation renversante de ce qui est plutôt en train de s’affirmer comme arc autoritaire-fasciste. Disons tout de même à ces gens que mettre du rouge à lèvre à un cochon ne fait pas oublier qu’on a affaire à un cochon. De fait, il n’est plus que la FI qui se différencie clairement de cet agglomérat infâme, où l’on trouve en position de satellite, c’est à peine un paradoxe, le PC de Roussel, passé sans l’ombre d’une hésitation du côté de la république policière, ainsi que la fraction du PS typique de la gauche d’extrême droite — Cazeneuve, Valls et consorts.
Mais le lieu où le renversement des catégories et des valeurs, l’abolition des principes et le déni d’humanité font des ravages, c’est la bourgeoisie elle-même. En réalité elle n’a jamais trouvé personnage si adéquat que Macron pour la représenter. C’est qu’il fallait un individu particulièrement « libéré » pour lui autoriser un tel retour du refoulé. Car Macron a verbalisé le fond de sa pensée en explicitant la différence « de ceux qui ont réussi et de ceux qui ne sont rien », c’est-à-dire en installant formellement la catégorie des « riens ». D’où suit que, dessinant au passage en creux le traitement possible des « riens », il a posé la structure élémentaire de la pensée raciste : une sous-humanité expendable.
S’il faut en passer par la pure ignominie politique pour défendre l’ordre bourgeois, ainsi sera-t-il.
On comprend que la bourgeoisie y verse tête première, racisme tout court à la suite du racisme social, quand la crise organique s’aiguise, que l’ambiance xénophobe se répand dans le pays, et que tous les éléments de la conjoncture viennent se solidariser avec la défense aveugle de son ordre : régime policier, police raciste, acclamations racistes. Selon une configuration qui n’a rien d’une nouveauté historique, s’il faut en passer par la pure ignominie politique pour défendre l’ordre bourgeois, ainsi sera-t-il. Tout ce que la situation générale offre est bon à prendre, sans distinction, sans réserve. Voilà donc la bourgeoisie qui, sur les réseaux sociaux ou dans les médias, hurle de rage et de jouissance contre les Arabes et les Noirs — en plus de se déverser par contributions à centaines, voire milliers d’euros, dans la cagnotte de la honte pour un meurtrier d’enfant. Arabe.
Le « courage de la nuance »
Mais dira-t-on, tout ceci est très exagéré. Car il y a une bourgeoisie éclairée, une bourgeoisie humaniste et cultivée — une bourgeoisie-de-gauche. C’est vrai : statufiée dans le déni. On se souvient de cette séquence récente, c’était au printemps, où le mot maudit, « illibéralisme », a commencé à émerger, pour la première fois dans une application possible à la France de Macron. La séquence est également connue sous le nom de « bal des cocus » puisque c’est à la même époque, en effet, qu’on a commencé aussi à faire parler les « intellectuels déçus du macronisme » — manière de voir où en était leur enthousiasme libéral après un 49.3, une répression féroce des manifestations, la chasse aux casseroles, aux cartons rouges et l’entrée dans les arrêtés d’interdiction tombés de la lune.
Bien sûr tous ces aigles de la pensée, de Jean Viard (sociologue de France Info) jusqu’à Jean Garrigues (historien de télé) sont un peu gênés aux entournures mais tout de même nous appellent, comme Leila Slimani, Jean Birnbaum et tout le journal Le Monde à avoir « le courage de la nuance ». Marc Lazar, invité giratoire des médias raisonnables s’alarme presque sur C Ce soir : « illibéralisme », et puis quoi encore ? pourquoi pas dictature pendant qu’on y est. « Dictature » : c’est le motif de s’esclaffer grassement de toute la bourgeoisie macroniste, qui pense que « élections formelles » et « presse privée » épuisent tout ce qu’il y a à entendre par démocratie. Le reste n’existe pas. « Allez donc voir en Corée du nord ». Le macronisme n’est pas que la république policière en voie de fascisation : c’est aussi l’empire des débiles.
Malheureusement, ils ne sont pas les seuls à qui il faut faire comprendre la différence entre un état et une évolution, un point et une trajectoire — et une vitesse de parcours de la trajectoire à partir du point. Le problème avec les emplois du mot fascisme contraints de coller parfaitement à la situation du moment et à elle seulement, c’est qu’en effet avant l’heure c’est pas l’heure, mais qu’après l’heure c’est trop tard.
Ça n’est pas en lisant La Nuance qu’on se réveillera à temps. Françoise Fressoz qui y chronique sa passion du macronisme tire des émeutes la conclusion qu’on attendait d’elle : « La gravité des faits, combinée à la forte demande de l’opinion, commande [à Macron] d’aller plus loin pour contrer la surenchère sécuritaire de la droite et de l’extrême droite ». Comme c’est brillant, comme c’est bien pensé : pour empêcher la survenue de l’extrême droite, menons nous-mêmes la politique de l’extrême droite — soyons nous-mêmes l’extrême droite. Aveugle, dénégatrice et possédée : la bourgeoisie macronienne.
On reconnaît la « pensée » bourgeoise à ce qu’aucune méditation sérieuse de l’histoire — c’est-à-dire porteuse de leçons — ne peut y trouver sa place. Pire encore, toute évocation de l’histoire y fonctionne presque nécessairement comme une neutralisation, quand ça n’est pas comme une complète défiguration. Gageons qu’aucun des grands esprits qui éditorialisent à La Nuance ne manque d’avoir les années 1930 en tête. Celles-ci n’y figurent cependant que comme une pièce de musée dont il n’y a rien à tirer pour le temps présent. Admettons qu’entre la bourgeoisie ouvertement raciste qui fait activement advenir le pire, et la bourgeoisie pharisienne incapable de voir le pire advenir, nous ne sommes pas très bien partis.
On ne dirait pas sans abus que le macronisme en tant que tel est un fascisme. On peut en revanche affirmer avec certitude qu’il aura tout installé, et tout préparé. Les régimes monstrueux ne prennent jamais que sur des terreaux adéquats. En six ans, le macronisme, totalement ignorant de ce qu’est une société, des forces qui la composent, de ce qui peut s’y réveiller, répandant partout une violence inouïe, aura déposé une épaisse et confortable couche de fumier. Tout va y pousser avec une déconcertante facilité.
Macron, dit-on, aspire à entrer dans l’Histoire. Qu’il se rassure, il y a désormais matière. « Antichambre », c’est assurément une position dans l’Histoire. Il suffit d’avoir vu parader sa BRAV, cette unité antonyme faite de lâches, garde prétorienne devenue la métonymie de tout un régime, pour savoir très exactement dans quoi nous vivons et vers où nous allons.
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