đâđš FrĂšres d'armes : le renouveau de la rĂ©sistance chiite-sunnite contre IsraĂ«l
Le choix du Groupe islamique de rallier la rĂ©sistance sunnite & chiite est un tournant bienvenu, servant non seulement la juste cause palestinienne, mais aussi l'intĂ©rĂȘt national de l'Ătat libanais.
đâđš FrĂšres d'armes : le renouveau de la rĂ©sistance chiite-sunnite contre IsraĂ«l
Par Bilal Nour Al-Deen, le 4 avril 2024
Le retour de la Jama'a al-Islamiyya sur les lignes de front contre Israël peut n'avoir que des effets immédiats minimes, mais il entraßnera d'importantes répercussions à long terme sur la dynamique communautaire du Liban et sur les tentatives de division des partis sunnites occidentaux et soutenus par les pays du Golfe.
RĂ©cemment, la Jama'a al-Islamiyya (JI ou âGroupe islamiqueâ) - un parti libanais affiliĂ© aux FrĂšres musulmans - a fait une rĂ©apparition remarquĂ©e sur la scĂšne politique et militaire. Ce retour a Ă©tĂ© marquĂ© par l'implication active de sa branche armĂ©e, les Forces Fajr, créées en 1982, dans les rĂ©cents affrontements le long de la frontiĂšre sud du Liban avec IsraĂ«l.
Ces affrontements ont entraßné la perte de dix membres du groupe, victimes des forces israéliennes dans le village d'Al-Habbariyeh, au sud du Liban, entre le 10 et le 24 mars.
Le groupe islamique, implanté au Liban depuis 1964, exerce une influence considérable au sein de la communauté sunnite libanaise. Il dispose d'un réseau de sympathisants qui s'étend sur plusieurs régions, notamment Beyrouth, la Bekaa, Sidon, Tripoli et Al-Arqoub.
Chafik Choucair, chercheur Ă lâAl-Jazeera Center for Studies, affirme que le groupe a une influence considĂ©rable au Liban, Ă©tant donnĂ© qu'il âse classe deuxiĂšme aprĂšs le Mouvement pour lâAvenirâ de Saad Hariri. Cependant, il ne dispose pas d'une reprĂ©sentation parlementaire proportionnelle.
âDans le parlement actuel, par exemple, il n'a qu'un seul reprĂ©sentant, Imad al-Houtâ, explique-t-il.
Coopération avec le Hezbollah
La reprise des opĂ©rations de rĂ©sistance du groupe islamique a suscitĂ© un certain malaise au sein de la communautĂ© sunnite libanaise, en particulier dans les Ătats arabes alliĂ©s des Ătats-Unis, qui considĂšrent les FrĂšres musulmans avec scepticisme, ainsi que dans les milieux laĂŻcs de cette communautĂ©.
Aussi, lorsque le secrétaire général de la JI, le cheikh Muhammad Takkoush, a déclaré à l'agence AP le 29 mars que la coopération militaire avec le Hezbollah était vitale dans la lutte contre Israël à la frontiÚre sud, le Liban sunnite s'est réveillé et en a pris note.
âUne partie (des attaques du JI contre les forces israĂ©liennes) a Ă©tĂ© menĂ©e en coordination avec le Hamas, qui se coordonne avec le Hezbollahâ, a rĂ©vĂ©lĂ© M. Takkoush Ă propos des opĂ©rations militaires de son groupe, ajoutant que la coopĂ©ration directe du JI avec le Hezbollah âse dĂ©veloppe, et se rĂ©percute sur le terrainâ.
Le Hezbollah est considĂ©rĂ© comme une âorganisation terroristeâ dans de nombreux Ătats arabes du golfe Persique, qui sont depuis longtemps les principaux bailleurs de fonds du Liban, en particulier pour les partis politiques sunnites du pays.
En fĂ©vrier 2024, Saad Hariri, chef du Mouvement pour lâAvenir a dĂ©clarĂ© : âSi je sens que les sunnites libanais penchent vers l'extrĂ©misme, j'interviendraiâ. Nombreux sont ceux qui ont compris qu'il s'agissait d'un feu vert des Ătats du golfe Persique pour que l'ancien Premier ministre - en retrait de la vie politique en 2022 - reprenne son rĂŽle de leader dans la politique libanaise si d'autres mouvements sunnites, y compris le Groupe islamique, commençaient Ă bĂ©nĂ©ficier d'un soutien trop important de la part de l'opinion publique sunnite du pays.
Les sunnites soutiennent la Résistance
Sur le plan rĂ©gional et international, le Groupe islamique est considĂ©rĂ© comme faisant partie de l'organisation mondiale des âFrĂšres musulmansâ, fondĂ©e en 1928 en Ăgypte par le cheikh Hassan al-Banna. Cette organisation regroupe plusieurs partis et mouvements rĂ©partis dans le monde islamique, notamment au KoweĂŻt, en Syrie, au Soudan, au Qatar, en Malaisie et ailleurs.
Le plus connu est sans doute le Hamas, créé en 1987 par le cheikh Ahmed Yassine en Palestine. Comme le Hamas, le groupe des âFrĂšresâ est Ă©troitement liĂ© Ă des pays tels que la Turquie, le Qatar et l'Iran.
Qasim Kassir, un chercheur libanais, a cité des sources du Groupe islamique qui nient toute relation entre leur organisation et la présence qatarie et turque au Liban. Comme l'a déclaré une source à Kassir,
âIl est vrai que le groupe entretient des relations positives avec le Qatar, ainsi qu'avec la Turquie et ses institutions politiques et religieuses, et que la prĂ©sence des dirigeants des FrĂšres musulmans est active dans ces deux pays... Mais les programmes politiques du groupe au Liban n'ont rien Ă voir avec ceux du Qatar et de la Turquie.â
Selon l'ancien secrétaire général du groupe, Azzam al-Ayoubi,
âles musulmans sunnites du Liban se tournent vers toute force susceptible de les soutenir dans l'intĂ©rĂȘt de l'Ă©quilibre interne, pour leur quĂȘte d'un moyen de rĂ©tablir l'Ă©quilibre perdu au Libanâ.
Il va sans dire que la position des principaux acteurs rĂ©gionaux tels que l'Arabie saoudite, les Ămirats arabes unis et l'Ăgypte Ă l'Ă©gard du Groupe islamique est Ă©troitement liĂ©e Ă une vision nĂ©gative des FrĂšres musulmans, les trois pays qualifiant l'organisation d'entitĂ© terroriste.
Toutefois, l'idéologie du Groupe islamique met l'accent sur l'unité plutÎt que sur les divisions sectaires, et favorise la cohésion entre communautés sunnites et chiites.
Cela peut expliquer sa volonté d'établir de bonnes relations avec la communauté chiite au Liban, en particulier avec le Hezbollah, et avec l'Iran dans l'ensemble de la région.
Dans ce contexte, le conseiller culturel iranien au Liban, Kamil Baqir, a soulignĂ© lors d'une visite avec Takkoush que TĂ©hĂ©ran soutient tous les mouvements de libĂ©ration et de rĂ©sistance âpour parvenir Ă la justice et libĂ©rer la Palestineâ. L'ambassadeur d'Iran Ă Beyrouth, Mojtaba Amani, a Ă©galement fait l'Ă©loge des relations entre l'Iran et le groupe.
D'autres minimisent les liens rĂ©els entre le JI et la rĂ©sistance libanaise. Muhannad al-Haj Ali, chercheur au Carnegie Center, estime que le groupe n'est pas affiliĂ© au Hezbollah, mĂȘme si des sources de presse citent un dirigeant du JI affirmant que les deux sont dans âle mĂȘme camp concernant la question palestinienneâ.
Ce lien tend peu Ă peu Ă devenir incontestable. Comme l'a dĂ©clarĂ© le responsable politique du JI, Ali Abu Yassin : âToutes les forces opĂ©rant dans le sud du Liban se coordonnent.â
Le positionnement sur la Syrie
La relation entre le Groupe islamique et le Hezbollah n'est cependant pas sans complexité, notamment en ce qui concerne le conflit syrien, qui dure depuis dix ans. Des tensions sont apparues entre le Hamas et le président syrien Bashar al-Assad depuis 2011, affectant les relations entre le Groupe islamique et le Hezbollah.
L'Ă©lection de M. Takkoush au poste de secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du groupe en 2022 a toutefois marquĂ© une phase d'amĂ©lioration des relations, malgrĂ© les difficultĂ©s persistantes Ă concilier les divergences au sujet de la Syrie. Il avait alors dĂ©clarĂ© : âLe Hezbollah et nous sommes semblablesâ.
Abou Yassine a informé The Cradle que les relations naissantes avec l'axe de la résistance de la région n'étaient soumises à aucune condition :
âNous n'entretenons de relations particuliĂšres avec aucun pays et ne sommes le bras armĂ© de personne. Nous sommes un mouvement libanais indĂ©pendant qui a ses propres objectifs, ses perspectives et ses objectifs propres. Ce fait est connu de tous et notre position sur la crise syrienne n'a pas changĂ©.â
En revanche, le retour du JI sur le front de la rĂ©sistance est organique, la confrontation avec IsraĂ«l Ă©tant devenue une prioritĂ© organisationnelle aprĂšs l'assaut militaire brutal de l'Ătat d'occupation contre Gaza. Le JI poursuit cet objectif
âĂ travers une coordination totale avec le Hamas, en soutenant toutes les forces militantes et en veillant Ă ce que le Liban reste une zone d'affrontement contre l'occupation israĂ©lienneâ.
Ceci explique certainement l'implication récente du JI dans les combats au sud du Liban. Un certain nombre de ses membres (dont le nombre total pourrait s'élever à 500, selon certaines estimations) ont participé à des opérations militaires frontaliÚres en soutien à Gaza.
Un prolongement du Hamas
Un dirigeant du JI a admis que les Forces Fajr avaient menĂ© des âopĂ©rations conjointes avec le Hamasâ. Comme l'a reconnu Bassam Hammoud, chef adjoint du bureau politique du groupe,
âle Hamas et nous sommes les deux faces d'une mĂȘme piĂšce dans la confrontation avec l'ennemi sionisteâ.
Imad al-Hout, le seul député du groupe islamique au parlement libanais, affirme que les effectifs des forces Fajr sont déterminés
âen fonction des besoins pour rĂ©pondre Ă l'agression, et qu'ils sont financĂ©s par leurs propres moyensâ. Pour Hout, âtant qu'il y aura agression, le groupe continuera Ă tirer des missiles sur IsraĂ«lâ.
Abou Yassine revient sur l'aile militaire du groupe, qualifiant ses rĂ©centes performances sur le terrain de âbonnes, voire excellentesâ, et explique ainsi son retour au combat :
âSoutenir Gaza, c'est dĂ©fendre le Liban, car si l'ennemi gagne sur Gaza, ce qui n'arrivera pas, il attaquera le Liban dĂšs le lendemain. Ce qui Ă©tait nĂ©cessaire a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© : en Ă©puisant les forces de l'ennemi au sud, et en mettant la pression sur ses fronts internes, l'objectif Ă©tait d'empĂȘcher l'ennemi d'arrĂȘter son agression.â
Une source informée, s'exprimant sous couvert d'anonymat, a déclaré à The Cradle que
si âle Groupe islamique dispose de capacitĂ©s militaires assez Ă©levĂ©es, il n'atteint certainement pas le niveau de la technologie militaire dont dispose le Hezbollahâ.
Si les forces du Fajr sont Ă©quipĂ©es de missiles Kornet, performants au combat, il est difficile de savoir avec certitude d'oĂč proviennent ces missiles, mĂȘme si le Hezbollah en possĂšde de grandes quantitĂ©s.
Pressions externes et dissensions internes
Un rĂ©cent article du journal libanais Al-Akhbar montre Ă quel point les Ătats-Unis et leurs alliĂ©s arabes s'inquiĂštent de voir la JI rejoindre la ligne de front de la rĂ©sistance - et en quoi les relations entre sunnites et chiites dans le pays pourraient s'en trouver amĂ©liorĂ©es.
âLes services de renseignement occidentaux sont en train de faire appel aux agences arabes alliĂ©es qui disposent de rĂ©seaux au Liban pour recueillir des informations sur les cadres du groupe et leurs dirigeants proches du mouvement de rĂ©sistance, tout en essayant de convaincre les dirigeants de la branche libanaise de l'organisation des FrĂšres musulmans de rejeter toute relation avec le Hamas ou le Hezbollah, qui constituent l'une des branches du projet iranien visant Ă contrĂŽler la sociĂ©tĂ© sunnite.â
Commentant l'article, Abou Yassine affirme que son organisation
âest une institution Ă part entiĂšre et que son travail est institutionnel... Par consĂ©quent, le groupe rend la tĂąche trĂšs difficile aux curieux, s'il en est. Personne ne peut influencer ses dĂ©cisionsâ.
Mais Al-Akhbar a révélé aujourd'hui, en exclusivité, que des acteurs arabes étrangers sont bien décidés à y parvenir.
Le journal fait état d'un effort soutenu par les ambassades égyptienne et saoudienne à Beyrouth pour endiguer la croissance du Groupe islamique par la mobilisation. Les acteurs arabes et occidentaux actifs dans l'arÚne sunnite libanaise - qui comprennent Dar al-Fatwa, les vestiges des mouvements nasséristes, les cadres islamiques anti-FrÚres musulmans et diverses associations - ont lancé une campagne visant à endiguer la solidarité de la JI avec le Hamas et à isoler le Groupe islamique en tant que son principal allié.
Selon le journal, les rumeurs les plus diverses commencent Ă circuler Ă Beyrouth :
âLe chef du Hamas Ă l'Ă©tranger, Khaled Meshal, fournirait un financement annuel substantiel au groupe afin de renforcer ses capacitĂ©s en tant que faction de la rĂ©sistance. Les Ăgyptiens, en particulier, accusent le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du groupe, le cheikh Muhammad Takkoush, de se livrer Ă une manĆuvre Ă©laborĂ©e par le Hamas pour instaurer dans la sphĂšre sunnite une rĂ©alitĂ© dont la rĂ©fĂ©rence serait les FrĂšres musulmans dans la rĂ©gion, avec l'aide du Qatar.â
En effet, comme l'explique une source informée à The Cradle, des changements notables sont intervenus au sein de la JI depuis l'élection du cheikh Takkoush au poste de secrétaire général :
âCe clivage est apparu suite Ă l'adoption par Takkoush d'une orientation prĂŽnant l'ouverture au Hezbollah et donc Ă l'Iran, d'autant que l'aile pro-Hamas qui s'opposait au Hezbollah et Ă la Syrie comptait plus de membres au sein du groupe avant l'arrivĂ©e de Takkoush. Notamment parce que le Hamas finançait le groupe en raison de la crise Ă©conomique au Liban.â
Le journaliste libanais Samer Zreik analyse cette discorde en révélant que certains membres considÚrent que les responsables de la sécurité au sein de l'organisation donnent la priorité aux objectifs extérieurs, à savoir ceux du Hamas et du Hezbollah, plutÎt qu'aux objectifs propres du groupe.
Mais en tant que grand parti sunnite libanais, la dĂ©cision du Groupe islamique Ă se joindre de nouveau aux rĂ©sistances sunnites et chiites constitue un dĂ©veloppement bienvenu dans un pays Ă l'histoire divisĂ©e et aux clivages communautaires persistants. En dĂ©passant ces clivages, le JI sert non seulement la juste cause de la solidaritĂ© avec la Palestine, mais aussi les intĂ©rĂȘts nationaux de l'Ătat libanais.
https://thecradle.co/articles/brothers-in-arms-the-renewal-of-shia-sunni-resistance-against-israel