👁🗨 G-7 en Italie : la lente dégringolade
Pourquoi Meloni a-t-elle choisi le Borgo Egnazia pour le G7 ? Le site vante son parc & ses “petits chemins de pierre qui vous transportent dans le passé”. C'était sans doute là le but de l'opération.
👁🗨 G-7 en Italie : la lente dégringolade
Par Patrick Lawrence / Original to ScheerPost, le 23 juin 2024
Cette réunion du Groupe des 7 sur la côte adriatique, du 13 au 15 juin, a été un véritable fiasco, il faut bien le dire. Les lecteurs penseront peut-être que c'est un gaspillage que d'y consacrer du temps, car beaucoup l'auront certainement oublié à l'heure qu'il est - sans parler des nombreux autres qui n'en ont pas eu connaissance et qui n'ont donc même pas eu à l'oublier. Mais c'est justement là que je veux en venir : les sept individus qui se prétendent les plus puissants du monde se réunissent pour un sommet, et cela ne vaut pas la peine que nous y prêtions attention ? Pourquoi ça ?
La signification du G7 de cette année, en fait, réside dans son insignifiance. Si l'on considère le gâchis que ces mêmes individus font subir au monde, cela mérite d'être pris en considération.
Giorgia Meloni semble avoir réfléchi au “néant” de l'événement qu'elle a organisé au Borgo Egnazia, un hôtel de villégiature situé dans la ville de Savelletri di Fasano, “là où les collines de la vallée d'Itria plongent en douceur dans l'Adriatique”. Parmi les divertissements organisés par le Premier ministre italien, une escouade de deltaplanes est descendue sur le groupe, chacun traînant le drapeau d'un membre du G7. S'agit-il de gravité ou bien d'une manœuvre d'État du XXIe siècle à son plus haut niveau, surtout lorsqu'un génocide, soutenu par chacune de ces personnes, se déroule à exactement 1845 km de l'autre côté de la Méditerranée ?
L'image la plus marquante du sommet du G-7 de 2024 doit être cette vidéo virale du président Biden s'éloignant des autres avec, comme à son habitude, un comportement de somnambule. Mais non ! a protesté la machine démocrate et ses commis dans les médias. Cette vidéo a donc été abusivement coupée. Biden n'était pas en train de dériver vers le néant : il est allé parler à l'un des parapentistes qui remballait son harnais et son aile.
Cela change tout. Converser avec un parapentiste plutôt qu'avec le président français, le chancelier allemand ou le premier ministre britannique, c'est exactement ce que le “leader du monde libre” est censé faire lors d'un sommet du G7. C'était, bien sûr, plus intéressant que de parler à Justin Trudeau, je le concède à Biden.
L'une des particularités du G7 de cette année, soulignée ici et là dans la couverture médiatique, est le peu de considération dont jouissent les sept pays auprès de leurs électeurs. Axios y a consacré un titre sublime : “Les perdants du monde se réunissent au sommet du G7”. Meloni était la star enviable, avec un taux de popularité de 40 %, mais aussi l'intruse avec ses tendances populistes au sein d'un groupe d'autoritaires néolibéraux. Biden était en seconde position, avec 37 %, ce qui le place cependant derrière Donald Trump dans les sondages américains.
Les autres font partie des handicapés de la route : Trudeau est arrivé à Savelletri avec un taux de popularité de 30 %, Olaf Scholz avec 25 %, et enfin le groupe de ceux qui s'accrochent par les ongles : Rishi Sunak (25 %, sur le point d'être démis de ses fonctions), Emmanuel Macron (21 %, qui devrait perdre les élections anticipées), et Fumio Kishida (13 %).
Ces individus sont, de par les fonctions qu'ils occupent, les leaders de “l'Occident”. Si nombre d'entre nous s'inquiètent depuis un certain temps du fait que personne n'a l'air de conduire le bus, nous pouvons peut-être nous consoler en pensant qu'il n'y a pas grand monde dedans.
Ce qui reste de l'Occident peut-il tenir dans une station balnéaire italienne ? Je pose cette question très sérieusement. Les Chinois, toujours courtois mais impitoyablement francs, sont allés droit au but dans leur commentaire officiel sur le sommet. “Le G7 ne représente pas le monde”, a déclaré Lin Jian, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, après la publication du communiqué du groupe. Lin Jian faisait référence au poids du G7 dans le produit intérieur brut mondial : il se situe aujourd'hui à environ 10 % et diminue au fur et à mesure que celui des pays non occidentaux augmente. Mais, selon moi, la situation du monde atlantique est tout aussi significative du déclin de ceux qui prétendent diriger l'Occident avect l'appui de leur population.
Le New York Times a présenté un point de vue amusant sur l'évènement : la fragilité politique générale, associée à une forte demande de la part de l'opinion publique, est un facteur déterminant du succès de l'Union européenne. La fragilité politique collective, ainsi que la forte inquiétude liée à l'échec des principaux investissements de l'Occident - la guerre par procuration en Ukraine, la barbarie israélienne à Gaza, la tentative d'isoler la Russie - se sont combinées pour faire du sommet de cette année “un événement inattendu”, comme l'a écrit Steve Erlanger depuis Savelletri, “un nouvel exemple du leadership incontesté de l'Occident par les Américains”. Laissons cela au Times, toujours prêt à trouver des roses dans le désert si cela permet à l'imperium d'apparaître comme étant utile et salutaire.
Plusieurs dossiers ont été traités au Borgo Egnazia, presque exclusivement en lien avec la Chine et l'Ukraine. La République populaire est désormais considérée comme un adversaire de l'Occident dont la nocivité serait à peu près similaire à celle de la Russie.
“Cette année, la Chine et la Russie ont souvent été évoquées dans le même esprit et les mêmes termes menaçants”, écrit David Sanger dans un article analytique du 15 juin, “ce qui est peut-être la conséquence logique de leur partenariat de plus en plus étroit”.
À mon avis, le régime Biden a dicté cette nouvelle animosité aux Européens - et ce depuis de nombreux mois - et nous verrons bien si les conséquences de cette attitude se limitent ou pas à la formulation d'un communiqué. Mais, abstraction faite des Européens, cette décision semble marquer une évolution décisive dans la politique américaine. L'époque où les ineptes de la politique étrangère de M. Biden souhaitaient un impossible amalgame de coopération, de concurrence et de confrontation dans les relations entre Washington et Pékin est peut-être révolue.
Nous venons sans doute d'assister à l’avènement de la dernière de ces options. La réaction très vive de la Chine au communiqué le suggère fortement.
“Le G7 n'est plus sur la bonne voie de la coopération gagnant-gagnant”,
a déclaré Lin Jian, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, dans son communiqué. L'expression “gagnant-gagnant” est utilisée depuis longtemps par Pékin pour caractériser ce qu'il considère comme un potentiel de profit mutuel dans les relations sino-américaines.
En ce qui concerne l'Ukraine, le G7 a signé un “prêt” de 50 milliards de dollars - personne ne s'attend à ce qu'il soit remboursé - qui proviendra principalement des États-Unis et serait remboursé par des prélèvements sur les intérêts accumulés sur les avoirs financiers des Russes aux États-Unis et en Europe, estimés à environ 300 milliards de dollars. Washington et Tokyo, toujours complaisants dans ce genre de cas, ont signé des accords de sécurité à long terme avec le régime de Kiev. Antony Blinken, secrétaire d'État de M. Biden, a décrit ces accords comme étant un “relais vers l'adhésion” parmi les puissances du G-7 qui, lorsque l'Ukraine l'aura franchi, mènera à son admission au sein de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN).
Honnêtement, je n'y vois rien de nouveau, à part une sorte de surenchère de ce qui a déjà été accompli pour que le G7 2024 ait l'air productif. Le pacte de sécurité décennal de Washington ne fait que coucher sur le papier ce qui constitue depuis longtemps l'engagement du régime Biden - des armes, des armes, et encore des armes - et la signature par Tokyo d'un accord de sécurité avec Kiev parlera d'elle-même. L’“injection” de 50 milliards de dollars, comme l'appelle le Times pour éviter l’absurde terme de “prêt”, est simplement de l'argent sale supplémentaire, et il y a deux ou trois choses à dire à ce sujet.
D’abord, intervenir de la sorte dans les comptes de la Russie à l'étranger constitue une violation flagrante du droit international, raison pour laquelle les Européens se sont montrés jusqu'à présent très réticents à participer à ce projet. Il s'agit d'un autre chef-d'œuvre malveillant de la secrétaire au Trésor Yellen, et il y a de fortes chances que cette imprudence frappe durement les banques centrales du G7, au premier rang desquelles la Réserve fédérale, dans les temps à venir.
Ensuite, nous ferions mieux de prendre du recul et de compter nos billes au moment où 50 milliards de dollars supplémentaires sont versés aux escrocs de Kiev. Avec les États-Unis en tête, les transferts du G7 à l'Ukraine depuis l'intervention militaire russe il y a deux ans sont en passe d'atteindre 200 milliards de dollars. Le PIB de l'Ukraine en 2022, l'année où les statistiques les plus récentes sont disponibles - celles de l'année dernière sont-elles trop embarrassantes ? atteignait 160 milliards de dollars. Et ce chiffre est purement théorique. Après avoir ajusté le chiffre en fonction de l'inflation, le chiffre habituellement pris au sérieux par les économistes et les responsables politiques, le PIB de l'Ukraine, tel qu'il a été rapporté pour la dernière fois, se montait de 95 milliards de dollars.
Traduction : l'Occident a déversé dans le pays près de deux fois le PIB de l'Ukraine ces deux dernières années. Traduction de la traduction : l'Ukraine ne peut être considérée comme une nation solide et autonome, à peine une dépendance incapable de survivre par elle-même. (Et de deux dans les registres de l'Occident : Israël est dans la même situation).
Meloni a fait un geste intéressant lorsqu'elle a dressé sa liste d'invités. Elle y a inclus un certain nombre d'éminents dirigeants non occidentaux : le Premier ministre indien Narendra Modi et trois présidents : Luiz Inácio Lula da Silva du Brésil, Recep Tayyip Erdoğan de Turquie, et le prince Mohammed bin Zayed des Émirats arabes unis. Ils ne semblent pas avoir fait grand-chose d'autre qu'assister à l'événement, et aucun des chefs d'État du G7 ne semble s'être intéressé à eux, mais le geste de Meloni, c'est ainsi que je l'entends, est intéressant et témoigne de l'importance croissante du non-Occident en tant que puissance mondiale. La roue tourne !
À propos de Gaza, les dirigeants occidentaux n'ont pas eu grand-chose à dire, si ce n'est exprimer une vague inquiétude. Une telle attitude, négative et passive, n'a évidemment pas été bien accueillie dans les cercles non occidentaux, et encore moins par les nations du Moyen-Orient. Le monde tourne, le monde regarde.
Marwan Bishara, analyste politique en chef d'Al Jazeera, a qualifié la déclaration du G7 sur Gaza de “totalement vide de sens”. Il a ensuite abordé la question sous un angle historique.
“Fut un temps où le G-7 représentait les Sept Grands, les Sept Géants. C'étaient les puissances démocratiques du monde, les démocraties opulentes”, a écrit M. Bishara à la fin du sommet. “Ils ne représentent plus aujourd’hui que les sept puissances nébuleuses, inquiétantes, voire obscènes, surtout à propos de la guerre à Gaza”.
Pour moi, cela évoque une colère noire. La leçon à en tirer est plus large : l'Occident ne peut apporter de réponse dynamique à aucune des questions auxquelles il est confronté aujourd'hui, l'assaut de Gaza étant la plus urgente d'entre elles - ni aujourd'hui, ni à l'avenir. Les dirigeants du G7 n'ont tout simplement pas la motivation. Pour eux, tout tourne autour de ce qui a été et de ce qui est, sans penser à ce qui pourrait être. Je me demande pourquoi la signora Meloni a choisi le Borgo Egnazia pour le G7 de cette année. Qu'est-ce qui a motivé ce choix, plutôt que tous les grands hôtels de luxe qui bordent le lac Majeur et d'autres lieux du même type dans le nord de l'Italie ? Dans sa brochure publicitaire, le Borgo Egnazia s'enorgueillit de son site et de ses “petits chemins de pierre qui vous transportent dans le passé”. C'était sans doute là le but de l'opération.
* Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger pendant de nombreuses années, principalement pour l'International Herald Tribune, est critique des médias, essayiste, auteur et conférencier. Son nouveau livre, Journalists and Their Shadows, vient de paraître chez Clarity Press. Son site web est Patrick Lawrence.
https://scheerpost.com/2024/06/23/patrick-lawrence-falling-gently-away-the-g-7-in-italy/