đâđš Gaza & la mort du journalisme occidental
Les organes de presse occidentaux sont loin d'ĂȘtre Ă la hauteur des principes qu'ils disent dĂ©fendre. La guerre d'IsraĂ«l contre Gaza vient confirmer la fraude dont ces mĂ©dias se rendent coupables.
đâđš Gaza & la mort du journalisme occidental
Par Mohamad Elmasry, le 2 août 2024
La guerre d'Israël contre Gaza a tué plus de journalistes que tout autre conflit de mémoire récente. Voilà pourquoi les médias occidentaux restent silencieux.
Mercredi, l'armée israélienne a tué deux autres journalistes palestiniens à Gaza.
Ismail al-Ghoul et Rami al-Rifi travaillaient lorsqu'ils ont été frappés par les forces israéliennes dans la ville de Gaza.
Ismail al-Ghoul, dont les reportages sur Al Jazeera Ă©taient trĂšs apprĂ©ciĂ©s du public arabe, portait un gilet de presse au moment oĂč il a Ă©tĂ© tuĂ©.
Ces derniers assassinats portent le nombre de journalistes israéliens tués à au moins 113 au cours du génocide actuel à Gaza, selon l'estimation la plus prudente.
Aucun autre conflit mondial n'a tué autant de journalistes de mémoire récente.
Israël a une longue tradition de violence à l'égard des journalistes, et le nombre de journalistes tués à Gaza n'est donc pas vraiment surprenant.
En fait, un rapport du ComitĂ© pour la protection des journalistes (CPJ) datant de 2023 fait Ă©tat d'un âscĂ©nario de plusieurs dĂ©cenniesâ dans lequel IsraĂ«l s'en prend aux journalistes palestiniens et les tue.
Par exemple, une enquĂȘte de Human Rights Watch a rĂ©vĂ©lĂ© qu'IsraĂ«l avait pris pour cible âdes journalistes et des infrastructures de mĂ©diasâ Ă quatre reprises en 2012. Au cours de ces attaques, deux journalistes ont Ă©tĂ© tuĂ©s et de nombreux autres ont Ă©tĂ© blessĂ©s.
En 2019, une commission des Nations unies a constatĂ© qu'IsraĂ«l avait âtirĂ© intentionnellementâ sur deux journalistes palestiniens en 2018, les tuant tous les deux.
Plus récemment, en 2022, Israël a abattu la journaliste américaine d'origine palestinienne Shireen Abu Akleh en Cisjordanie.
Israël a tenté de nier sa responsabilité, comme il le fait presque toujours aprÚs avoir commis une atrocité, mais les preuves vidéo étaient accablantes et Israël a été contraint d'admettre sa culpabilité.
Le soldat qui a tiré sur Abu Akleh, qui portait un gilet et un casque de presse, n'a pas été sanctionné, pas plus que les Israéliens impliqués dans les autres incidents visant des journalistes.
Le CPJ a laissĂ© entendre que les forces de sĂ©curitĂ© israĂ©liennes jouissaient d'une âimmunitĂ© quasi totaleâ dans les cas d'attaques contre des journalistes.
Dans ce contexte plus large, qu'Israël s'en prenne à des journalistes pendant le génocide actuel n'est vraiment pas surprenant, ni inhabituel.
Cependant, ce qui est vraiment surprenant, voire choquant, c'est le silence relatif des journalistes occidentaux.
Bien qu'il y ait eu des reportages et des témoignages de sympathie en Amérique du Nord et en Europe, en particulier de la part d'organisations de surveillance telles que le CPJ, il n'y a guÚre de solidarité journalistique, et certainement rien qui s'apparente à une indignation et à un tollé généralisés face à la menace que les actions d'Israël font peser sur la liberté de la presse.
Pouvons-nous imaginer un instant quelle serait la réaction des journalistes occidentaux si les forces russes tuaient plus de 100 journalistes en Ukraine en moins d'un an ?
MĂȘme lorsque les mĂ©dias occidentaux ont parlĂ© des journalistes palestiniens tuĂ©s depuis le dĂ©but de la guerre actuelle, ils ont tendance Ă accorder Ă IsraĂ«l le bĂ©nĂ©fice du doute, prĂ©sentant souvent ces meurtres comme des victimes involontaires du conflit moderne.
En outre, la dépendance écrasante du journalisme occidental à l'égard des sources pro-israéliennes a permis d'éviter le recours à des adjectifs et à des condamnations trop explicites.
Et la dépendance excessive à l'égard des sources pro-israéliennes a parfois entravé la détermination des responsabilités de chaque camp dans les massacres.
Un cas unique ?
On pourrait supposer que les organes de presse occidentaux ont simplement maintenu leur fidélité aux principes de détachement et de neutralité de la presse occidentale.
Mais dans d'autres situations, les journalistes occidentaux ont montré qu'ils étaient capables de faire du bruit, et aussi de témoigner de leur solidarité.
L'assassinat en 2015 de 12 journalistes de Charlie Hebdo en est un bon exemple. à la suite de cet attentat, un véritable show médiatique s'est ensuivi, l'ensemble de l'institution journalistique occidentale s'étant apparemment mobilisée pour se concentrer sur l'événement.
Des milliers de reportages ont Ă©tĂ© produits en l'espace de quelques semaines, un hashtag de solidaritĂ© ( âJe suis Charlieâ) est devenu viral, et les dĂ©clarations et messages de solidaritĂ© ont affluĂ© de la part de journalistes occidentaux, d'organes de presse et d'organisations attachĂ©es aux principes de la libertĂ© d'expression.
Ainsi, la Society of Professional Journalists des Ătats-Unis a qualifiĂ© l'attaque contre Charlie Hebdo de âbarbareâ et de âtentative de museler la libertĂ© de la presseâ.
Freedom House a Ă©mis un jugement tout aussi sĂ©vĂšre, qualifiant l'attaque d'âhorribleâ et notant qu'elle constituait une âmenace directe pour le droit Ă la libertĂ© d'expressionâ.
PEN America et la National Secular Society britannique ont décerné des prix à Charlie Hebdo et le Guardian Media Group a fait un don massif à la publication.
Le silence relatif et le flegme des journalistes occidentaux face à l'assassinat d'au moins 100 journalistes palestiniens à Gaza sont particuliÚrement choquants au regard du contexte plus large de la guerre d'Israël contre le journalisme, qui menace l'ensemble de la profession.
En octobre, Ă peu prĂšs au moment oĂč la guerre actuelle a commencĂ©, IsraĂ«l a dĂ©clarĂ© aux agences de presse occidentales qu'il ne garantirait pas la sĂ©curitĂ© des journalistes entrant dans la bande de Gaza.
Depuis lors, IsraĂ«l a maintenu l'interdiction faite aux journalistes internationaux, s'efforçant mĂȘme de les empĂȘcher d'entrer Ă Gaza lors d'une brĂšve pause dans les combats en novembre 2023.
Plus important encore, peut-ĂȘtre, IsraĂ«l a utilisĂ© son influence en Occident pour orienter et contrĂŽler les rĂ©cits occidentaux sur la guerre.
Les organes de presse occidentaux ont souvent obéi aux tactiques de manipulation israéliennes.
Par exemple, alors que l'indignation mondiale montait contre Israël en décembre 2023, Israël a diffusé de fausses informations faisant état de viols massifs et systématiques de femmes israéliennes par des combattants palestiniens le 7 octobre.
Les mĂ©dias occidentaux, y compris le New York Times, se sont laissĂ©s piĂ©ger. Ils ont minimisĂ© l'indignation croissante Ă l'Ă©gard d'IsraĂ«l et ont commencĂ© Ă mettre en avant l'histoire du âviol systĂ©matiqueâ.
Plus tard, en janvier 2024, la Cour internationale de justice (CIJ) a pris des mesures provisoires contre Israël.
Israël a réagi presque immédiatement en lançant des accusations de terrorisme absurdes contre l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA).
Les médias occidentaux ont minimisé l'histoire des mesures provisoires, qui était trÚs critique à l'égard d'Israël, et ont mis l'accent sur les allégations contre l'UNRWA, qui dépeignaient les Palestiniens sous un jour négatif.
Ces exemples, parmi d'autres, de manipulation israélienne des récits d'actualité occidentaux s'inscrivent dans un schéma d'influence plus large, antérieur à la guerre actuelle.
Une étude empirique a montré qu'Israël planifie réguliÚrement les attaques, en particulier celles qui sont susceptibles de tuer des civils palestiniens, de maniÚre à s'assurer qu'elles seront ignorées ou minimisées par les médias américains.
Au cours du génocide actuel, les organes de presse occidentaux ont également eu tendance à ignorer la censure généralisée des contenus pro-palestiniens sur les réseaux sociaux, un fait qui devrait préoccuper quiconque se soucie de la liberté d'expression.
On peut citer une poignĂ©e de reportages et d'enquĂȘtes occidentaux ayant critiquĂ© certaines actions israĂ©liennes au cours du gĂ©nocide actuel. Mais ces reportages se sont perdus dans un ocĂ©an de complaisance Ă l'Ă©gard du discours israĂ©lien et d'un cadre globalement pro-israĂ©lien et anti-palestinien.
Plusieurs études, dont les analyses du Centre for Media Monitoring et de The Intercept, ont démontré de maniÚre irréfutable l'existence d'un cadrage pro-israélien et anti-palestinien dans les reportages occidentaux sur la guerre actuelle.
Le journalisme occidental est-il mort ?
De nombreux journalistes aux Ătats-Unis et en Europe se prĂ©sentent comme des diseurs de vĂ©ritĂ©, des critiques du pouvoir et des chiens de garde.
Tout en reconnaissant les erreurs commises dans les reportages, les journalistes se considĂšrent souvent, ainsi que leurs organes de presse, comme Ćuvrant pour l'Ă©quitĂ©, la prĂ©cision, l'exhaustivitĂ©, la neutralitĂ© et le dĂ©tachement.
Mais il s'agit lĂ du grand mythe du journalisme occidental.
Un grand nombre d'ouvrages spĂ©cialisĂ©s suggĂšrent que les organes de presse occidentaux sont loin d'ĂȘtre Ă la hauteur des principes qu'ils disent dĂ©fendre.
La guerre d'Israël contre Gaza est venue confirmer la fraude des organes d'information.
à quelques exceptions prÚs, les organes d'information d'Amérique du Nord et d'Europe ont abandonné les principes proclamés et n'ont pas soutenu les défenseurs des droits des Palestiniens qui sont pris pour cible et tués en masse.
Face à ces défaillances spectaculaires et aux recherches approfondies témoignant du non respect par les organes d'information occidentaux de leurs idéaux, faut-il encore nourrir le mythe de l'idéal journalistique occidental ?
Le journalisme occidental, tel que nous le concevons, va-t-il Ă sa perte ?
Professeur dans le programme d'études des médias à l'Institut de Doha pour les études supérieures.
Mohamad Elmasry est professeur dans le programme d'études sur les médias à l'Institut de Doha pour les études supérieures.
https://www.aljazeera.com/opinions/2024/8/2/gaza-and-the-death-of-western-journalism