👁🗨 Gaza divise à nouveau le monde
Comme toutes les ex colonies le savent bien, l'empire ne se soucie pas d'humanité. Il ne cherche qu'à étendre son pouvoir et, dans la plupart des cas, à accumuler du capital et à en tirer profit.
👁🗨 Gaza divise à nouveau le monde
Nations fortes, et simples puissants.
Par Patrick Lawrence, le 7 décembre 2023
Cette semaine, j’attribue haut la main le prix de l’éloquence courageuse à Samuel Moncada, l'ambassadeur du Venezuela aux Nations unies, qui s'est adressé à l'Assemblée générale mardi dernier à propos d'Israël et de ses attaques barbares contre les Palestiniens de Gaza. Ses propos, relayés par Consortium News, étaient étoffés comme il se doit. Voici un extrait de son introduction :
“La République bolivarienne du Venezuela condamne fermement l'agression israélienne contre la population civile dans les territoires palestiniens occupés. Il s'agit d'une opération d'expulsion massive d'un peuple entier dans le but d'annexer son territoire par la puissance occupante. C'est un nouveau cycle de terreur expansionniste, de tant de souffrances subies par le peuple palestinien en 75 ans d'occupation...
Il est choquant de voir comment, malgré la cruauté des faits exposés à la face du monde, le gouvernement des États-Unis d'Amérique et ses satellites tentent de justifier l'injustifiable :
La puissance occupante commet un génocide contre le peuple palestinien, tel que défini dans la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide et dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Nous nous demandons où sont ceux qui, dans d'autres cas de figure, s'empressent de faire appliquer la responsabilité de protéger mais qui, aujourd'hui, ignorent les droits de l'homme des Palestiniens soumis à l'occupation israélienne .”
C'est une chose de publier dans ScheerPost et Consortium News des discours de ce type, ou que des milliers de personnes honorables défilent au nom de la décence et de la justice. C'en est une autre de voir un État souverain dénoncer Israël et les États-Unis dans une instance telle que l'Assemblée générale. Tout compte, toutes nos actions. Mais Moncada et le gouvernement qu'il représente viennent de porter la condamnation de l'apartheid israélien au niveau de la diplomatie mondiale et des relations d'État à État.
Passons maintenant à la terre irlandaise. Les membres du Dáil, la chambre basse de l'assemblée nationale irlandaise, ont été les premiers en Europe - et restent les seuls - à s'exprimer en faveur des droits des Palestiniens et contre la sauvagerie des forces de défense israéliennes après l'incursion du Hamas dans le sud d'Israël le 7 octobre (que le Dáil a également dénoncée). Comme cela a déjà été souligné, le Dáil a voté le mois dernier l'expulsion de l'ambassadeur d'Israël et le renvoi d'Israël devant la Cour pénale internationale (CPI). Ces motions ont été rejetées de peu. Toutefois, les contre-motions du gouvernement “déplorent l'escalade de la violence en Israël et dans les territoires palestiniens occupés depuis [le 7 octobre]”. En ce qui concerne la saisine de la CPI, le gouvernement a souligné qu'une enquête sur les crimes de guerre israéliens est en cours depuis 2021 - donc, sans objet.
Il s'agit de cas spécifiques évoquant un ensemble plus vaste. Après que les États-Unis, en février 2022, ont finalement réussi à provoquer la Russie pour qu'elle intervienne en Ukraine, rappelons-le, 90 % de l'humanité a refusé de se ranger derrière Washington et ses États-clients européens. La “communauté internationale”, dont le régime Biden citait sans cesse le soutien, s'est avérée être la vingtaine de nations que nous appelons l'Occident. Les attaques du Hamas contre des non-combattants le 7 octobre ont été plus ou moins universellement condamnées, comme il se doit. Cependant, la riposte débridée d'Israël et le soutien sans réserve du régime Biden à cette riposte ont une nouvelle fois divisé le monde. L'alliance transatlantique, les États-Unis en tête comme à l'accoutumée, soutient sans réserve le génocide pur et simple commis par Israël. Le soutien à ce dernier est rare dans les pays non occidentaux, tandis que les expressions de soutien aux Palestiniens de Gaza sont nombreuses, même si elles restent parfois discrètes.
L'Irlande est, bien entendu, un cas exceptionnel et intéressant. Le gouvernement du Taoiseach Leo Varadkar a gagné au Dáil le mois dernier, certes, mais l'identité de l'Irlande est tout autant non-occidentale qu'occidentale. Les Irlandais connaissent le colonialisme occidental de première main et n'ont pas oublié le temps où ils l'ont subi. Pendant les conflits, l'Armée républicaine irlandaise a insisté sur le fait que l'Irlande devait être considérée comme un pays du tiers monde. Si l'on remonte plus loin dans le temps, l'Irlande était hors des murs romains. Rome n'a jamais tenté de la conquérir. Ces réalités historiques sont souvent perceptibles dans la politique étrangère de Dublin et certainement dans sa position sur la crise Israël-Gaza. Il est bon de rappeler que le conseil municipal de Dublin a commencé mercredi à faire flotter le drapeau palestinien sur son toit pour la semaine.
Quant au “reste”, Moscou s'est montrée particulièrement prompte à réagir après les événements du 7 octobre. Vladimir Poutine a attendu trois jours pour attribuer aux États-Unis la responsabilité de l'attaque du Hamas et de la réponse disproportionnée des Israéliens, qui prenait alors de l'ampleur. “Je pense que beaucoup seront d'accord avec moi”, a déclaré le président russe lors de ses entretiens avec Mohammed Shia` al-Sudani, le premier ministre irakien,
“pour dire qu'il s'agit d'un exemple clair de l'échec de la politique des États-Unis au Moyen-Orient, qui ont essayé de monopoliser le processus de résolution des conflits”.
Deux semaines plus tard, Moscou a annoncé qu'elle accueillerait une délégation du Hamas pour un cycle de négociations.
Depuis, M. Poutine et plusieurs hauts fonctionnaires russes ont défendu l'idée que Moscou peut jouer un rôle en menant ou en participant à des pourparlers de résolution entre Israël et les Palestiniens. “Nous entretenons des relations très stables et professionnelles avec Israël et des relations amicales avec la Palestine depuis des décennies. Nos amis le savent”, a déclaré M. Poutine sur une chaîne de télévision arabe quelques semaines après le début de la guerre. “Et la Russie, à mon avis, pourrait également apporter sa contribution au processus de règlement.”
Pour en venir directement à l'argument de M. Poutine, le Kremlin a brusquement annoncé en début de semaine qu'il se rendrait rapidement en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis pour une journée, mercredi. Jeudi, le président russe doit accueillir au Kremlin le président iranien Ebrahim Raisi. Tout ceci n’est pas sans rappeler le blitz diplomatique engagé par la Chine au début de l'année, notamment en encourageant un rapprochement diplomatique historique entre Téhéran et Riyad.
La Chine a envoyé les mêmes signaux, mais de manière plus mesurée. Elle a déclaré à plusieurs reprises qu'elle encourageait un cessez-le-feu et des pourparlers de règlement, et qu'elle souhaitait figurer parmi les partenaires de ces pourparlers lorsqu'ils débuteraient. Ces derniers temps, la position de Pékin sur la question Israël-Gaza n'est pas claire, mais elle s'inscrit parfaitement dans la volonté de la République populaire d'améliorer son profil en tant que présence politique et diplomatique.
Ne pensons pas non plus qu'un altruisme désintéressé prévaudrait à Moscou et à Pékin. Si leurs positions sur Israël et les Palestiniens sont les mêmes, il semble évident que ces deux puissances voient dans cette crise l’occasion de faire avancer leurs initiatives en vue d'accroître leur présence au Moyen-Orient. D'où la remarque de Poutine selon laquelle Washington a trop longtemps “monopolisé le processus de décision”. Ma prédiction : nous assistons à une transformation de la diplomatie mondiale qui exercera une influence significative sur l'art de gouverner du XXIe siècle.
La Russie et la Chine ont également inscrit cette dernière crise au Moyen-Orient dans le contexte du nouvel ordre mondial qu'elles défendent toutes deux. Et elles ont tout à fait raison sur ce point, non seulement de mon point de vue, mais aussi, comme je l'ai lu, de celui d'autres puissances non occidentales. Il a été largement rapporté que de nombreuses nations, notamment en Amérique latine et au Moyen-Orient, ont rappelé leurs ambassadeurs à Tel-Aviv, et la Bolivie a carrément rompu ses relations.
Aujourd'hui, les Sud-Africains vont plus loin. Après avoir rappelé leur ambassadeur au début du mois de novembre, Pretoria a depuis assigné Israël devant la CPI pour que celle-ci enquête sur ce que l'Afrique du Sud qualifie de crimes de guerre et de génocide dans la bande de Gaza. Cette fois, il n'y a pas de Leo Varadkar [Irlande] pour atténuer le message : c'est le président sud-africain Cyril Ramaphosa qui a fait cette annonce. Khumbudzo Ntshavheni, ministre d'État à la présidence, a expliqué la position de l'Afrique du Sud à des journalistes après que M. Ramaphosa a rendu publique la saisine de la CPI :
“Dans la mesure où une grande partie de la communauté internationale assiste en temps réel au déroulement de ces crimes, y compris aux déclarations d'intention génocidaire de nombreux dirigeants israéliens, nous nous attendons à ce que des mandats d'arrêt soient délivrés sous peu à l'encontre de ces dirigeants, y compris le Premier ministre Benjamin Netanyahou.”
Peut-être, peut-être pas, compte tenu de l'ampleur de la corruption de l'espace public international par les États-Unis. Mais la position admirablement non ambivalente de l'Afrique du Sud n'a rien à envier à celle du Venezuela, selon moi. On ne saurait s'en étonner, compte tenu des sombres souvenirs des Sud-Africains de leurs 40 années d'apartheid afrikaner. Une fois de plus, l'histoire de la colonisation impériale revient frapper l'Occident au cœur.
Il faut également tenir compte de l'Inde et du Brésil, qui font tous deux partie des membres les plus puissants de ce que nous appelons aujourd'hui le groupe BRICs-Plus, composé à l'origine du Brésil, de la Russie, de l'Inde, de la Chine et de l'Afrique du Sud.
L'Inde du Premier ministre Narendra Modi s'avère une fois de plus décevante. Après des décennies de soutien à la cause palestinienne, Modi, ce fanatique religieux à peine déguisé, a offert à Israël un soutien plus ou moins inconditionnel dans ce que New Delhi appelle une “opération antiterroriste” contre le Hamas. Il s'agit là d'une attitude lâche, qui reflète l'islamophobie nationaliste hindoue du Premier ministre indien, et son désir de rester dans les bonnes grâces du régime de M. Biden.
Luiz Inácio Lula da Silva, de retour au pouvoir en tant que président du Brésil l'année dernière, a d'abord cherché le juste milieu d’où il cherche généralement à faire progresser le Brésil en tant qu'influence diplomatique mondiale : l'incursion du Hamas en Israël le 7 octobre était un acte terroriste, la réponse d'Israël a été disproportionnée, nous devons soutenir une solution à deux États, etc. Mais depuis que les États-Unis ont opposé leur veto à l'appel du Brésil en faveur d'une trêve humanitaire au Conseil de sécurité le mois dernier, Lula a commencé à critiquer ouvertement Israël et le régime de M. Biden. “Ce n'est pas une guerre, c'est un génocide”, a-t-il déclaré mi-novembre dans une intervention qui a fait couler beaucoup d'encre. Dans une interview accordée à Al Jazeera la semaine dernière, Lula a affirmé :
“Il n'y a pas de leadership mondial aujourd'hui.... Nous nous trouvons donc face à un cas évident de folie humaine.... Le bilan est d'environ 16 000 morts, dont 6 500 enfants. On compte 35 000 blessés, 7 000 disparus et plus de 40 000 maisons et hôpitaux détruits. Au nom de quoi ? L'humanité perd la raison.... Je ne comprends pas qu'un homme aussi puissant que le président Biden n'ait pas trouvé le courage d'arrêter cela...”
Les équilibres politiques domestiques, telle ou telle forme d'endettement ou de peur des États-Unis, les attaques du Hamas contre les civils israéliens : autant d'éléments qui tendent à tempérer les craintes de l'opinion publique non occidentales à la crise de Gaza. Mais je décèle, derrière toutes les déclarations officielles, aussi variées soient-elles, une certaine unité dans les sentiments des nations du Sud. De quoi est faite cette unité ? D'où vient-elle ?
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“Nous pouvons clairement affirmer que la dictature d'un simple hégémon est en train de décliner”, a déclaré Vladimir Poutine lors d'un forum russe sur les affaires mondiales à la fin du mois dernier. “Nous le voyons, et tout le monde le constate aujourd'hui. Elle échappe à tout contrôle et est tout simplement dangereuse pour les autres. C'est désormais clair pour la majorité mondiale”.
Je tire cette citation d'un excellent article de John Helmer, correspondant de longue date à Moscou, dont le site web “Dances with Bears” offre des lectures toujours intéressantes.
Poutine a l'avantage, si j'ose dire, de pouvoir faire des observations directes de ce genre. Ses relations avec l'Occident sont tellement au fond du gouffre qu'il n'a rien à perdre à dire ce qu'il pense. Il est également doué, comme le montrent souvent ses discours, d'une compréhension exceptionnellement aiguë de l'histoire et de notre époque. Parle-t-il au nom des non-Occidentaux lorsqu'il tient ces propos ? En fait, les nations non occidentales sont parfaitement capables de parler en leur nom propre. Mais je suis certain que le point de vue de Poutine sur “le simple hégémon” et les dangers qu'il représente est communément partagé au-delà des barrières qui séparent l'Occident du reste de la planète.
L'abominable agression d'Israël contre la population de Gaza et les encouragements inconditionnels de Washington sont deux manifestations du même phénomène. Alors que l'offensive contre Gaza se poursuit, le monde est témoin des agissements de deux nations qui s'appuient exclusivement sur le pouvoir, un pouvoir brut et sans fioritures, pour faire avancer ce que leurs dirigeants affirment être leurs intérêts. Dans les deux cas, l'un étant plus ou moins une création de l'autre, la puissance et la violence, ou les menaces de violence, constituent depuis des années le fondement de leurs relations avec autrui. Si ce constat était obscur avant le 7 octobre, il ne l'est plus aujourd'hui. La grande transparence de l'exercice brutal du pouvoir a catalysé les réactions mentionnées plus haut.
L'histoire, une histoire que les États-Unis et le reste de l'Occident préféreraient que le monde oublie, joue également un rôle dans les réactions non occidentales à la crise du Moyen-Orient. Comme toutes les anciennes colonies le savent si bien, l'empire ne se soucie pas d'humanité. L'empire ne cherche qu'à étendre son pouvoir et, dans la plupart des cas, à accumuler du capital et à en tirer profit. Telles sont les raisons d'être de l'empire. Le non-Occident, en raison de son expérience et de sa mémoire collective partagées, replace Israël, qui n'est rien d'autre qu'un avant-poste impérial, dans ce contexte. Si les Palestiniens ont bien réclamé quelque chose au cours des 75 dernières années, c'est “un monde plus juste” - une phrase tirée du récent discours de Poutine - face à la domination implacable d'Israël sur leur territoire et la population.
Ne nous faisons pas d'illusions quant au poids dans l'ordre mondial de nations telles que l'Afrique du Sud, le Brésil ou d'autres qui s'opposent aux atrocités quotidiennes commises par Israël à Gaza. À l'exception de la Chine et de la Russie, ces pays ne sont pas des puissances mondiales de premier plan. Même ces deux dernières ne peuvent rivaliser avec la puissance collective de l'Occident.
Mais il faut faire une distinction que j'établis depuis de nombreuses années : il y a des nations fortes, et des nations simplement puissantes. Les nations fortes, parmi leurs nombreux attributs, possèdent une éthique authentique qui ne se résume pas à de simples mots, au nom de laquelle elles travaillent sans relâche. Elles ont une vision cohérente de l'avenir. Elles ont, en un mot, un véritable objectif, une cause, qui est, quelle que soit la manière dont elle se traduit dans la pratique, la cause humaine - la cause d'un monde plus juste.
Les simples puissants, quoi qu'ils aient pu représenter par le passé, se sont vidés de leur substance en recourant à la violence, à la coercition ou à la menace de violence ou de coercition. Les puissants l'emportent généralement, au cas où vous ne l'auriez pas remarqué. Le pouvoir l'emporte à Gaza à l'heure où nous parlons. Mais il n'est pas question que les puissants gagnent quoi que ce soit. Ils ont déjà perdu, avec tout ce à quoi ils ont renoncé. L'obsession du sionisme pour la terre et la haine qu'il nourrit à l'égard de ceux qui y habitent détruisent Israël en temps réel. L'obsession de l'Amérique pour la prééminence mondiale, qui sévit depuis sept décennies, l'a déjà entraînée dans un état de déchéance. Et la roue de l'Histoire ne tourne pas en faveur de ces nations.
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* Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger pendant de nombreuses années, principalement pour l'International Herald Tribune, est critique des médias, essayiste, auteur et conférencier. Son dernier ouvrage s'intitule Time No Longer : Americans After the American Century. Son site web est Patrick Lawrence. Soutenez son travail via son site Patreon. Son compte Twitter, @thefloutist, a été définitivement censuré sans explication.
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