👁‍🗨 Gaza n'est qu'une vaste “zone d’extermination”

“L'armée délimite des zones de tirs & si quelqu’un y pénètre, surtout un homme adulte, les ordres sont de tirer & tuer, même si la personne est désarmée”. Voilà pour “l'armée la plus morale du monde”.

De la fumée s'élève après une frappe aérienne israélienne dans le centre de la bande de Gaza, lundi 1er avril 2024. [AP Photo/Abdel Kareem Hana]

👁‍🗨 Gaza n'est qu'une vaste “zone d’extermination”

Par Belén Fernández, chroniqueuse d'Al Jazeera, le 5 avril 2024

Après six mois d'une guerre apocalyptique, Gaza n'est plus qu'une mosaïque de “zones de mort” dans une vaste zone d’extermination.

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Quatre hommes palestiniens marchent dans la ville de Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, à travers une zone pulvérisée par les bombardements israéliens. Rien n'indique qu'ils sont armés, ou qu'ils font autre chose que de marcher, comme le font les humains pour aller d'un endroit à l'autre.

Soudain, une frappe aérienne abat deux des hommes. Le troisième continue à marcher et est rapidement fauché. Le quatrième est tué par une nouvelle frappe après être tombé à genoux.

Cet épisode, survenu en février, est documenté par des images de drones israéliens diffusées en mars par Al Jazeera. En voyant ces hommes sans défense être systématiquement abattus depuis le ciel dans une démonstration forcenée de puissance de feu, on se souvient de la vidéo “Collateral Murder” publiée par WikiLeaks en 2010, dans laquelle une douzaine de civils irakiens sont brutalement massacrés par un hélicoptère de l'armée des États-Unis.

Dans l'incident de Khan Younis, il semble que le “crime” commis sur les quatre hommes - qui leur vaut une condamnation à mort immédiate - a été leur présence dans l'une des “zones de mort” de l'armée israélienne à Gaza, qui a fait l'objet d'un récent article dans le journal israélien Haaretz. L'article précise qu'“il n'y a pas d'ordre écrit” définissant les zones de mort dans le “livre de règles” de l'armée israélienne, mais il est tout à fait clair qu'il s'agit d'un phénomène bien réel qui ne fait l'objet que d'un contrôle institutionnel très limité.

“En fin de compte, la délimitation de ces zones et les procédures exactes d'opération sont soumises à l'interprétation des commandants dans ce secteur spécifique”, a constaté le journal.

S'adressant à Haaretz, un officier de réserve israélien a décrit l'affaire comme suit :

“Dans chaque zone de combat, les commandants définissent des zones de destruction. ... Dès quelqu’un pénètre [dans une zone], principalement des hommes adultes, les ordres sont de tirer et de tuer, même si la personne n'est pas armée”.

Voilà pour ”l'armée la plus morale du monde”.

En résumé, les Palestiniens peuvent être massacrés simplement parce qu'ils se trouvent dans une zone arbitrairement désignée comme “zone de mort” par un commandant israélien ou un autre.

Et si vous êtes tué dans une “zone de mort”, il y a de fortes chances que vous soyez considéré par Israël comme un “terroriste”, qui contribue à gonfler le nombre de “méchants” dans une guerre qui, à la mi-mars, avait déjà fait plus de 13 000 victimes parmi les enfants palestiniens.

Selon Haaretz, sur les 32 000 Palestiniens tués à Gaza au cours des six derniers mois, l'armée israélienne affirme que 9 000 d'entre eux étaient des “terroristes”, une affirmation qui ne parvient pas à convaincre de nombreux commandants de l'armée. Comme l'a déclaré au journal un officier qui a déjà servi à Gaza :

“En pratique, est terroriste toute personne que l'armée a tuée dans les zones où ses forces opèrent”.

L'establishment politico-militaire sioniste est bien connu pour rendre plus ou moins interchangeables les termes “palestinien” et “terroriste”. En effet, 75 ans de propagande perverse ont cherché à persuader le monde que les victimes de la terreur constante d'Israël seraient en fait celles qui terrorisent.

Désormais, les victimes des “zones de mort” se métamorphosent elles aussi des terroristes. Peu importe que, dans le cas des quatre piétons de Khan Younis, un officier supérieur de l'armée israélienne ait déclaré à Haaretz :

“Ils n'étaient pas armés. Ils ne mettaient pas nos troupes en danger dans la zone où ils se trouvaient”.

L'article poursuit en citant les propos du même officier selon lesquelles de nombreux civils de Gaza ont trouvé la mort après avoir pénétré dans des zones qu'ils pensaient déjà abandonnées par l'armée, peut-être dans l'espoir de trouver de la nourriture abandonnée sur place :

“Lorsqu'ils se rendent dans de tels endroits, ils sont abattus, perçus comme des personnes susceptibles de nuire à nos effectifs.”

Un porte-parole de l'armée israélienne a démenti les informations sur les “zones d'extermination”. Pourtant, au final, la bande de Gaza n'est qu'une vaste zone d'extermination, aucun espace n'étant interdit au massacre. Comment expliquer autrement les massacres dans les hôpitaux palestiniens et les abris des Nations unies, ou le massacre des gens faisant la queue pour obtenir de l'aide alimentaire, alors que des enfants meurent de faim ?

Certes, Israël se vante depuis longtemps de ses prétendues prouesses en matière de frappes aériennes d'une précision chirurgicale et d'assassinats ciblés. Mais même si le chiffre de 9 000 “terroristes” morts avancé par l'armée israélienne était vrai, il est difficile d'expliquer plus de 23 000 “meurtres collatéraux”, pour reprendre la formule de WikiLeaks.

A moins que la collatéralité n'ait rien à voir avec cela et qu'Israël prenne tout simplement pour cible des civils - ce qui, après tout, est le principe même du génocide, n'est-ce pas ?

Après six mois de guerre apocalyptique, Gaza n'est plus qu'une mosaïque de “zones de mort” dans une zone d'extermination plus vaste. Et comme Israël poursuit son objectif de normaliser la dépravation dans tous les domaines, le monopole israélien du terrorisme sera certainement difficile à renverser.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la position éditoriale d'Al Jazeera.

* Belén Fernández est l'auteur de Inside Siglo XXI : Locked Up in Mexico's Largest Immigration Center (OR Books, 2022), Checkpoint Zipolite : Quarantine in a Small Place (OR Books, 2021), Exile : Rejecting America and Finding the World (OR Books, 2019), Martyrs Never Die : Travels through South Lebanon (Warscapes, 2016), et The Imperial Messenger : Thomas Friedman at Work (Verso, 2011). Elle est rédactrice au Jacobin Magazine et a écrit pour le New York Times, le blog de la London Review of Books, Current Affairs et Middle East Eye, parmi de nombreuses autres publications.

https://www.aljazeera.com/opinions/2024/4/5/gaza-is-one-big-kill-zone