đâđš Gaza : « Nous ne sommes pas dans lâerreur de ciblage, le carnage est totalement assumĂ© par IsraĂ«l »
Le bilan dĂ©passe les 25 000 morts, selon lâancien officier spĂ©cialiste Guillaume Ancel, consĂ©quence de la stratĂ©gie du gouvernement Netanyahou de confondre les civils palestiniens et le Hamas.
đâđš Gaza : « Nous ne sommes pas dans lâerreur de ciblage, le carnage est totalement assumĂ© par IsraĂ«l »
Par Christophe Deroubaix, le 11 décembre 2023
Le bilan sâĂ©tablirait Ă plus de 25 000 morts, selon lâancien officier spĂ©cialiste Guillaume Ancel, consĂ©quence de la stratĂ©gie du gouvernement Netanyahou de confondre la population palestinienne et le Hamas.
Neuf semaines aprĂšs le dĂ©clenchement des bombardements sur Gaza, la lumiĂšre se fait sur leur vĂ©ritable bilan et sur les intentions de la coalition de droite et dâextrĂȘme droite au pouvoir Ă Tel-Aviv. Il sâavĂšre que la rĂ©alitĂ© dĂ©passe les chiffres communiquĂ©s par le Hamas. MalgrĂ© cela, lâadministration Biden refuse toujours de faire pression sur le premier ministre israĂ©lien : elle continue de fournir des armes Ă IsraĂ«l et met son veto Ă une rĂ©solution de lâONU rĂ©clamant un cessez-le-feu Ă Gaza.
Il existe une controverse sur le bilan du nombre de tuĂ©s Ă Gaza dans le cadre de la guerre menĂ©e par IsraĂ«l, Joe Biden affirmant mĂȘme quâil ne fait pas confiance aux chiffres du Hamas. Pourtant, selon vous, le bilan rĂ©el est bien supĂ©rieurâŠ
En rĂ©alitĂ©, il sâagit dâune question technique. Les IsraĂ©liens font entre 400 et 500 frappes par jour. Chaque frappe est normalement destinĂ©e Ă une cible avec au moins une victime : cela fait une moyenne de 450 tuĂ©s par jour. Vous multipliez par huit semaines, puisque pendant une semaine il y a eu une trĂȘve, cela donne 25 000 morts et autour de 75 000 blessĂ©s, car, lĂ aussi, on connaĂźt le ratio tuĂ©s/blessĂ©s dans ce genre dâopĂ©ration. Câest un calcul dâartilleur trĂšs froid. Et je pense quâil sâagit dâune fourchette basse : quand on fait autant de bombardements chaque jour avec des charges de 250 kg, on commet des dĂ©gĂąts Ă©normes.
Le dĂ©calage avec les chiffres du Hamas sâexplique facilement. Le Hamas nâest pas fiable. Depuis lâaffaire de lâhĂŽpital Al-Ahli, je ne mâappuie jamais dessus : il avait affirmĂ© quâil y avait 500 morts. En regardant les photos, câĂ©tait une Ă©vidence quâil sâagissait dâun missile de type Hellfire (construit par lâentreprise amĂ©ricaine Lockheed Martin et utilisĂ© par lâarmĂ©e israĂ©lienne â NDLR), donc dâun bilan maximal qui ne pouvait dĂ©passer les 50 morts.
Ce calcul dâartilleur dont vous parlez, les Ătats-Unis sont Ă©videmment en capacitĂ© de le faireâŠ
Les Ătats-Unis le savent trĂšs bien, ainsi que les IsraĂ©liens. Pour lâinstant, IsraĂ«l ne donne aucune estimation du bilan dans la bande de Gaza. Il ne parle que des militants du Hamas quâil aurait tuĂ©s, soit 5 000 à 6 000. Compte tenu de la difficultĂ© de distinguer un milicien dâun civil, puisque par dĂ©finition un milicien est un civil qui prend une arme Ă un moment, ce chiffre est, Ă mon sens, dopĂ©. Le chiffre de 3 000 me semble plus rĂ©aliste.
Ce qui veut dire que, lorsquâil y a un milicien « neutralisé », on compte dix «victimes collatĂ©rales», ce qui est juste inacceptable. Câest un carnage que font actuellement les IsraĂ©liens dans la bande de Gaza. Et un carnage totalement assumĂ© puisque câest rĂ©pĂ©tĂ© de maniĂšre systĂ©matique. Nous ne sommes pas dans lâerreur de ciblage. Câest totalement intĂ©grĂ© dans le systĂšme dâintelligence artificielle utilisĂ© pour faire le ciblage quotidien.
Le ratio communĂ©ment acceptĂ© par les Occidentaux est de 2 ou 3 pour 1. Cela sâapparente Ă des crimes de guerre, mĂȘme si ce nâest pas Ă moi dâen juger. Cela ne respecte clairement pas le droit international, mais ne rĂ©pond pas, selon moi, Ă la dĂ©finition du gĂ©nocide. Si IsraĂ«l tuait systĂ©matiquement tous les Palestiniens â et il en a les moyens â, on serait dans le gĂ©nocide. LĂ , il frappe des cibles et nâĂ©pargne pas des civils.
A-t-on déjà connu une telle intensité de feu ?
LâUkraine a vĂ©cu des journĂ©es dâune telle intensitĂ©. Mais cela se dĂ©roulait sur des zones de front et concernait des unitĂ©s militaires. LĂ , câest appliquĂ© dans une zone oĂč 2,5 millions de Palestiniens sont massĂ©s et dont ils nâont aucune possibilitĂ© de sortir. Câest, selon moi, la violation du droit : appliquer un feu intense sur une zone qui sâapparente Ă une prison Ă ciel ouvert oĂč on a volontairement concentrĂ© autant de population.
Lorsquâon cherche Ă viser des cibles de ce type, on le fait avec des charges adaptĂ©es. Typiquement, ce sont des missiles avec des charges de 8 kg, ce qui fait dĂ©jĂ une grosse bombe. Les IsraĂ©liens utilisent actuellement des charges de 250 kg. Ils savent pertinemment quâils ne vont pas seulement tuer un milicien du Hamas mais dĂ©vaster lâensemble de son environnement.
Peut-on parler de « punition collective » ?
Je dirais quâil y a une confusion totale entretenue par le gouvernement Netanyahou entre la population palestinienne et le Hamas. Il considĂšre quâau fond les Palestiniens soutiennent le Hamas : sâils se font tuer, câest donc de leur faute. Il rend collectivement responsables les Palestiniens, y compris les enfants et les vieillards. Câest un peu comme si on avait acceptĂ© que les Ukrainiens, pour se dĂ©fendre, se soient mis Ă bombarder massivement les villes russes. Les 50 pays occidentaux qui soutenaient Kiev auraient refusĂ©. Câest incomprĂ©hensible quâon accepte cela dâIsraĂ«l, une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique.
« Si Washington décidait de la fin de cette offensive, au bout de trois jours, elle serait terminée de fait. »
Jâajoute un Ă©lĂ©ment. Depuis le 7 octobre, 1 500 IsraĂ©liens sont morts : les 1 200 victimes du 7 octobre et les 300 soldats tuĂ©s depuis le dĂ©but de la guerre. Il y a, cĂŽtĂ© palestinien, 20 Ă 30 fois plus de victimes. Câest typique dâune doctrine israĂ©lienne connue, celle de la riposte disproportionnĂ©e. Les IsraĂ©liens estiment quâen ripostant de maniĂšre massive, cela va dissuader tout agresseur potentiel.
Le Hamas cherchait justement cela. Cela a été affiché comme objectif de guerre : entretenir un état de guerre permanent avec Israël. Pour une roquette tirée depuis Gaza, le gouvernement Netanyahou vient dévaster la bande de Gaza, ce qui garantit le recrutement du Hamas pour les quinze prochaines années.
Cette puissance de feu que vous Ă©voquez a besoin de se nourrir de munitions. OĂč IsraĂ«l les trouve-t-il ?
Les IsraĂ©liens nâont pas de stocks de munitions dâartillerie et de bombes guidĂ©es. Ils sont intĂ©gralement dĂ©pendants des livraisons amĂ©ricaines. Puisque les AmĂ©ricains ne disposent pas dâun stock infini, cela veut dire dâabord que ces munitions ne sont pas livrĂ©es aux Ukrainiens. Cela signifie aussi que si Washington dĂ©cidait de la fin de cette offensive, au bout de trois jours, elle serait terminĂ©e de fait. Sâils nâont pas dĂ©cidĂ© de cette offensive, les AmĂ©ricains disposent du robinet dâapprovisionnement crucial pour les IsraĂ©liens.
Est-ce une guerre quâIsraĂ«l peut gagner politiquement ?
Je dirais que, non seulement il ne va pas la gagner politiquement, mais il ne va pas la gagner militairement. Jâai lâimpression de revivre les dĂ©bats animĂ©s, lorsque nous Ă©tions Ă©tudiants, sur la guerre du Vietnam. Les AmĂ©ricains pouvaient envoyer 80 000 ou 100 000 soldats supplĂ©mentaires, au-delĂ Â du nombre toujours plus consĂ©quent de Vietnamiens tuĂ©s, ils avaient perdu cette guerre dĂšs le dĂ©but.