đâđ¨ Grand-peur & misère Ă bord d'Air Force One
Joe Biden a obtenu satisfaction, avant le sommet de l'OTAN, en retournant le prÊsident turc Erdogan, le poussant à dÊfier Poutine par l'annonce de son soutien à l'adhÊsion de la Suède à l'OTAN.
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Les inquiĂŠtudes de Joe Biden concernant la guerre en Ukraine et les ĂŠlections de 2024 apparaissent au grand jour.
Par Seymour Hersh, le 13 juillet 2023
D'abord, une crainte certes stupide, mais qui tĂŠmoigne de la panique croissante du Parti dĂŠmocrate Ă l'ĂŠgard de l'ĂŠlection prĂŠsidentielle de 2024. Elle m'a ĂŠtĂŠ formulĂŠe par quelqu'un qui jouit d'une excellente rĂŠputation au sein du parti : Trump pourrait ĂŞtre le candidat rĂŠpublicain et choisir Robert F. Kennedy Jr. comme colistier. Ce duo ĂŠtrange remporterait alors une victoire ĂŠcrasante sur un Joe Biden chancelant et ferait tomber de nombreux candidats du parti Ă la Chambre des reprĂŠsentants et au SĂŠnat.
Quant aux signes rÊels de l'anxiÊtÊ aiguÍ des dÊmocrates : Joe Biden a obtenu satisfaction avant le sommet de l'OTAN de cette semaine en retournant le prÊsident turc Recep Tayyip Erdogan, le poussant à dÊfier Poutine par l'annonce de son soutien à l'adhÊsion de la Suède à l'OTAN. L'histoire officielle du coup d'Êclat de M. Biden pour sauver la face portait sur la vente de chasseurs-bombardiers amÊricains F-16 à la Turquie.
On m'a racontÊ une autre histoire, plus confidentielle, sur la volte-face d'Erdogan: Biden a promis que le Fonds monÊtaire international accorderait à la Turquie une facilitÊ de crÊdit de 11 à 13 milliards de dollars, ce dont elle a grandement besoin. "Biden devait remporter cette victoire, et la Turquie est en proie à de graves difficultÊs financières", m'a confiÊ un fonctionnaire ayant directement ÊtÊ informÊ de la transaction. La Turquie compte 100 000 morts dans le tremblement de terre de fÊvrier dernier et quatre millions de bâtiments à reconstruire. "Quoi de mieux qu'Erdogan" - sous la tutelle de Biden, a ajoutÊ le fonctionnaire - "qui a finalement compris qu'il Êtait mieux avec l'OTAN et l'Europe de l'Ouest" ? Selon le New York Times, les journalistes ont appris que M. Biden avait appelÊ M. Erdogan alors qu'il se rendait en Europe dimanche. Le coup de Biden, selon le Times, lui permettrait de dire que Poutine a ainsi obtenu "exactement ce qu'il ne voulait pas : une alliance Êlargie et plus directe avec l'OTAN". Il n'a pas ÊtÊ question de corruption.
Une analyse rÊalisÊe en juin par Brad W. Setser du Council on Foreign Relations, intitulÊe "Turkey's Increasing Balance Sheet Risks" [Les dangers croissants du bilan de la Turquie], rÊsume la situation dès les deux premières phrases : Erdogan a ÊtÊ rÊÊlu et "doit maintenant trouver une solution pour Êviter ce qui semble être une crise financière imminente". Le fait essentiel, Êcrit M. Setser, est que la Turquie "est sur le point d'Êpuiser ses rÊserves de devises exploitables et de devoir choisir entre vendre son or, un dÊfaut de paiement Êvitable, ou avaler la pilule amère d'un revirement complet de sa politique et Êventuellement d'un programme du FMI".
Un autre ÊlÊment clÊ des problèmes Êconomiques complexes auxquels la Turquie est confrontÊe est que les banques turques ont prêtÊ tellement d'argent à la banque centrale du pays qu'"elles ne peuvent plus honorer leurs investissements nationaux en dollars, au cas oÚ les Turcs demanderaient à rÊcupÊrer les fonds". L'ironie pour la Russie, et la raison d'une grande colère au Kremlin, note Setser, est la rumeur selon laquelle Poutine a fourni du gaz russe à Erdogan à crÊdit, sans exiger d'être payÊ par l'importateur de gaz national. Les largesses de Poutine sont allÊes de pair avec la vente par Ergodan de drones à l'Ukraine pour qu'elle les utilise dans sa guerre contre la Russie. La Turquie a Êgalement permis à l'Ukraine d'expÊdier ses rÊcoltes par la mer Noire.
Tout ce double jeu politique et ĂŠconomique europĂŠen s'est dĂŠroulĂŠ ouvertement et au vu et au su de tous. La duplicitĂŠ se manifeste autrement aux Ătats-Unis.
Les lecteurs attentifs du Washington Post et du New York Times peuvent se rendre compte que la contre-offensive ukrainienne actuelle se dÊroule mal, car les articles sur ses avancÊes, ou son absence d'avancÊes, ont pour la plupart disparu de leurs premières pages au cours des dernières semaines.
La semaine dernière, Jake Sullivan, le conseiller de Joe Biden en matière de sÊcuritÊ nationale, a fait appel à quelques journalistes pour insister sur la querelle entre Poutine et Yevgeny Prigozhin, le chef de la milice Wagner, comme s'il s'agissait d'une mutinerie armÊe montrant la faiblesse du commandement et du contrôle de l'armÊe par le chef russe. Il n'existe tout simplement aucune preuve de ces affirmations. Au contraire, des interlocuteurs ayant accès aux services de renseignement m'ont dit plus tard que Poutine Êtait sorti plus fort que jamais de l'implosion de Prigozhin, qui a entraÎnÊ l'intÊgration d'un grand nombre de ses mercenaires dans l'armÊe russe.
M. Sullivan s'est ĂŠgalement inscrit en faux contre l'idĂŠe - dont il n'a apparemment pas prĂŠcisĂŠ l'origine - selon laquelle l'administration Biden ĂŠtait paralysĂŠe par la menace d'une attaque nuclĂŠaire russe et ne voulait donc pas soutenir sans rĂŠserve l'Ukraine. Ce point de vue est "absurde", a-t-il dĂŠclarĂŠ, et il a citĂŠ la rĂŠcente dĂŠcision controversĂŠe de M. Biden de fournir des bombes Ă fragmentation Ă l'armĂŠe ukrainienne. Il a suggĂŠrĂŠ que ces armes antipersonnel - chaque bombe peut rĂŠpandre des centaines de bombes - pourraient donner Ă l'Ukraine un avantage dans la guerre, et inciter Poutine Ă dĂŠployer l'arme nuclĂŠaire. "La menace d'une attaque nuclĂŠaire est rĂŠelle", a dĂŠclarĂŠ M. Sullivan, "et c'est une menace qui a des consĂŠquences graves pour l'Ukraine. Et elle ĂŠvolue en fonction des conditions sur le terrain. "
L'unique avantage d'un raisonnement aussi primitif et simpliste, m'a-t-on dit, est l'impossibilitÊ, à ce stade, de remporter un succès significatif en Ukraine.
"Le principal problème de Biden dans cette guerre, est qu'il est foutu", m'a dit le fonctionnaire informĂŠ. "Nous n'avons pas remis de bombes Ă fragmentation Ă l'Ukraine au dĂŠbut de la guerre, mais nous lui en remettons maintenant parce que c'est tout ce qu'il nous reste dans le placard. Ces bombes ne sont-elles pas interdites dans le monde entier parce qu'elles tuent des enfants ? Mais les Ukrainiens nous disent qu'ils n'ont pas l'intention de les larguer sur des civils. L'administration prĂŠtend ensuite que les Russes ont ĂŠtĂŠ les premiers Ă les utiliser dans la guerre, ce qui est un mensonge.â
"En tout ĂŠtat de cause, les bombes Ă fragmentation n'ont aucune chance de changer le cours de la guerre.â Selon lui, la vĂŠritable inquiĂŠtude viendra plus tard dans l'ĂŠtĂŠ, peut-ĂŞtre dès le mois d'aoĂťt, lorsque les Russes, qui ont facilement rĂŠsistĂŠ Ă l'assaut de l'Ukraine, contre-attaqueront par une offensive majeure. "Que se passera-t-il alors ? Les Ătats-Unis se sont mis dans le pĂŠtrin en demandant Ă l'OTAN de rĂŠagir. L'OTAN rĂŠpondra-t-elle en envoyant les unitĂŠs qui s'entraĂŽnent actuellement en Pologne et en Roumanie Ă l'assaut aĂŠroportĂŠ ? Nous en savions plus sur l'armĂŠe allemande en Normandie pendant la Seconde Guerre mondiale que sur l'armĂŠe russe en Ukraine".
On m'a signalĂŠ d'autres signes de tension interne au sein de l'administration Biden. La sous-secrĂŠtaire d'Ătat Ă la politique Victoria Nuland a ĂŠtĂŠ "bloquĂŠe" - un terme utilisĂŠ par un initiĂŠ du Parti dĂŠmocrate - pour ĂŞtre promue et remplacer la très respectĂŠe vice-secrĂŠtaire d'Ătat Wendy Sherman. La politique et la rhĂŠtorique anti-russes de Nuland correspondent bien aux ton et point de vue de Biden et du secrĂŠtaire d'Ătat Tony Blinken. Un nouveau venu dans les hautes sphères de la communautĂŠ du renseignement amĂŠricain, le directeur de la CIA Bill Burns, a fait part de son attachement Ă M. Biden et de son aversion pour tout ce qui est russe, y compris M. Poutine, dans un discours prononcĂŠ le 1er juillet en Angleterre.
Burns, diplomate de longue date, ancien ambassadeur en Russie sous George W. Bush et secrĂŠtaire d'Ătat adjoint sous Obama, avait conquis le respect d'un noyau dur d'officiers et d'agents de la CIA pour sa gestion discrète des neuf mois de planification et d'exĂŠcution de l'opĂŠration secrète, approuvĂŠe par Biden, visant Ă dĂŠtruire les olĂŠoducs Nord Steam I et II qui relient la Russie Ă l'Allemagne. Il a assurĂŠ la liaison entre l'ĂŠquipe des services de renseignement opĂŠrant depuis la Norvège et le bureau ovale. Lorsqu'il demandait Ă la CIA ce qu'il avait besoin de savoir, il acceptait avec aplomb la rĂŠponse de la CIA : "pas grand-chose".
Burns est ĂŠgalement connu pour lâavertissement, publiĂŠ dans ses mĂŠmoires après avoir pris sa retraite en tant qu'ambassadeur, selon lequel l'expansion continue de l'OTAN Ă l'est - et l'OTAN est dĂŠsormais sur en passe de couvrir intĂŠgralement la frontière occidentale de la Russie - conduirait inĂŠvitablement Ă un conflit.
C'est sur cet aspect - l'idĂŠe que Poutine ne peut ĂŞtre poussĂŠ que jusqu'Ă un certain point - que M. Burns s'est exprimĂŠ au Royaume-Uni. "Si j'ai bien appris une chose, c'est que câest toujours une erreur de sous-estimer la dĂŠtermination de Poutine Ă contrĂ´ler l'Ukraine et ses choix, sans lesquels il estime que la Russie ne pourra ĂŞtre une grande puissance, et lui d'ĂŞtre un grand leader russe ", a-t-il dĂŠclarĂŠ. ... La guerre de Poutine a dĂŠjĂ ĂŠtĂŠ un ĂŠchec stratĂŠgique pour la Russie : ses faiblesses militaires ont ĂŠtĂŠ mises Ă nu, son ĂŠconomie a ĂŠtĂŠ gravement touchĂŠe pour les annĂŠes Ă venir, son avenir en tant que partenaire junior et colonie ĂŠconomique de la Chine a ĂŠtĂŠ façonnĂŠ par ses erreurs, ses ambitions revanchardes ont ĂŠtĂŠ ĂŠmoussĂŠes par une OTAN qui ne fait que croĂŽtre et se renforcer".
M. Biden, qui n'est pas très respectÊ au sein de la CIA, comme bon nombre de ses prÊdÊcesseurs, a ÊtÊ citÊ à plusieurs reprises au cours de son discours. Le très respectÊ fonctionnaire du renseignement a interprÊtÊ les propos Êlogieux de Burns en me disant, de manière Ênigmatique, que tout Êtait en mouvement dans la bureaucratie de la sÊcuritÊ nationale de Biden. "Oui, oui", a-t-il dit dans un message. "Gros remaniement. Grandes luttes de pouvoir. Biden est inconscient. Toutes ces fourmis se battent pour les miettes d'une administration moribonde. J'ai conseillÊ à tous les professionnels internes de se mettre aux abris. Attendez de voir de quelle couleur sera la fumÊe qui s'Êchappera de la chancellerie du Vatican. Il faudra expliquer les remarques de Burns sur le Kool-Aid au Royaume-Uni".
On m'a dit que le discours de Burns ĂŠtait essentiellement un appel Ă candidature dans un futur gouvernement, ou peut-ĂŞtre dans le gouvernement actuel, au poste de secrĂŠtaire d'Ătat. "Il faisait valoir ses compĂŠtences et son expĂŠrience", a dĂŠclarĂŠ le fonctionnaire. "Il s'est rendu compte qu'il ĂŠtait en train de perdre du terrain, professionnellement, alors qu'il ĂŠtait au service de l'Agence. Il ĂŠtait très mauvais" - c'est-Ă -dire inexpĂŠrimentĂŠ - "mais il s'est rendu compte que cela passait mal auprès de ses collègues, et il a alors fait le nĂŠcessaire". On m'a dit que le principal problème de Burns, comme certains Ă la CIA l'ont perçu, est son ambition. "Une fois que vous ĂŞtes secrĂŠtaire d'Ătat, le monde vous appartient".
Le fonctionnaire a fait remarquer que "diriger la CIA n'a rien de bien sorcier". Il a citÊ l'exemple de Stansfield Turner, un amiral de la marine à la retraite nommÊ directeur de la CIA en 1977 par le prÊsident Jimmy Carter. Turner et Carter avaient ÊtÊ aspirants ensemble à l'AcadÊmie navale amÊricaine. Une fois à la retraite, Turner s'est retrouvÊ à faire des discours sur des yachts de croisière.