đâđš "Henry K. Ă PĂ©kin."
L'homme doit ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une contradiction ambulante. L'ouverture Ă la Chine reste un acte des plus remarquables de la diplomatie du 20Ăš siĂšcle en dĂ©pit de tous les actes inhumains perpĂ©trĂ©s.
đâđš "Henry K. Ă PĂ©kinâ.
La Chine trouve enfin quelqu'un Ă qui parler.
Par Patrick Lawrence, le 23 juillet 2023
L'homme doit ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une contradiction ambulante. L'ouverture Ă la Chine reste parmi les actes les plus remarquables de la diplomatie du 20Ăš siĂšcle, en dĂ©pit de tous les actes inhumains perpĂ©trĂ©s.
23 JUILLET - Le secrĂ©taire d'Ătat Blinken s'est rendu Ă PĂ©kin Ă la mi-juin, et n'a rien obtenu. La secrĂ©taire d'Ătat au TrĂ©sor, Mme Yellen, a fait de mĂȘme quelques semaines plus tard, et n'a rien obtenu. John Kerry, le secrĂ©taire d'Ătat qui est censĂ© accomplir une mission en matiĂšre de politique climatique, mais dont on ne sait pas ce qu'il fait, a achevĂ© une sĂ©rie de nĂ©gociations dans la capitale chinoise le week-end dernier. Sans rĂ©sultat.
Cette situation dure depuis que le régime Biden a entaché les relations avec la Chine peu aprÚs l'investiture de janvier 2021. Aucune de ces personnes n'a été reçue à Pékin avec plus qu'un minimum de courtoisie, et encore moins de respect.
La semaine derniĂšre, nul autre qu'Henry Kissinger, petit et voĂ»tĂ© Ă prĂšs de 100 ans mais toujours en activitĂ©, a eu son propre tour de table Ă PĂ©kin. Le tapis n'aurait pas pu ĂȘtre plus rouge pour cet "ami de la Chine" de longue date, une dĂ©signation informelle que les Chinois utilisent depuis 1949 pour dĂ©crire les Ă©trangers de confiance.
L'accueil de M. Henry n'aurait pas non plus pu ĂȘtre plus chaleureux. Mardi dernier, il a rencontrĂ© Li Shangfu, le ministre de la dĂ©fense, qui a plus ou moins pris Lloyd Austin en grippe suite aux demandes d'entretiens du secrĂ©taire Ă la dĂ©fense, et ce pour deux bonnes raisons. PremiĂšrement, parce que le rĂ©gime de Biden a dĂ©cidĂ© de maniĂšre stupide de sanctionner personnellement Li. DeuxiĂšmement, Li est censĂ© s'entretenir avec Austin alors que le rĂ©gime mĂšne une campagne concertĂ©e pour encercler militairement la Chine tout en prĂ©tendant qu'il ne fait rien de tel ? OĂč serait l'intĂ©rĂȘt ?
Mardi Ă©galement, M. Kissinger s'est entretenu avec Wang Yi, le chef de la politique Ă©trangĂšre du gouvernement Xi, qui fait preuve d'une extrĂȘme prudence. En milieu de semaine, il s'est entretenu avec le prĂ©sident Xi, dans sa rĂ©sidence de la CitĂ© interdite oĂč, en tant que secrĂ©taire d'Ătat de Nixon, Henry avait rencontrĂ© le premier ministre Zhou Enlai lors du rapprochement spectaculaire qui a abouti au CommuniquĂ© de Shanghai, il y a 50 ans, et qui a permis de nouer des relations diplomatiques en 1979.
La considĂ©ration que tous ces fonctionnaires ont exprimĂ©e Ă l'Ă©gard du centenaire Dr. K. a pratiquement fait dĂ©border leur tasse de thĂ©. "Les relations entre la Chine et les Ătats-Unis seront Ă jamais liĂ©es au nom de Kissinger", a dĂ©clarĂ© le prĂ©sident Xi. "Je vous exprime mon profond respect". Ă ce moment-lĂ , Wang Yi avait dĂ©jĂ exprimĂ© le souhait de la Chine de voir revenir "la sagesse diplomatique Ă la Kissinger et la bravoure politique Ă la Nixon".
J'espĂšre que Blinken et le reste de la troupe hĂ©tĂ©roclite de politique Ă©trangĂšre du rĂ©gime Biden ont Ă©coutĂ©. L'accueil rĂ©servĂ© Ă Kissinger Ă PĂ©kin Ă©tait autant une dĂ©nonciation du gĂąchis de cette administration que l'expression dâune nostalgie Ă©logieuse de lâĂ©poque oĂč l'on faisait des choses utiles de l'autre cĂŽtĂ© du Pacifique. Wang, toujours aussi direct, l'a clairement exprimĂ© lors de sa rencontre avec Kissinger mardi. Voici ce qu'en dit le ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres (et nous laisserons de cĂŽtĂ© les formulations maladroites) :
Le prĂ©sident Joe Biden a pris l'engagement des "cinq non" (ne pas tenter une "nouvelle guerre froide", ne pas chercher Ă changer le systĂšme chinois, Ă©viter de revitaliser ses alliances contre la Chine, ne pas soutenir "l'indĂ©pendance de TaĂŻwan", ne pas chercher le conflit avec la Chine), mais les Ătats-Unis ont agi dans le sens inverse. Les Ătats-Unis, en raison d'une perception erronĂ©e de la Chine, insistent sur le fait qu'ils considĂšrent la Chine comme leur principal rival et un adversaire Ă long terme. Certains ont mĂȘme qualifiĂ© d'Ă©checs les Ă©changes rĂ©ussis entre la Chine et les Ătats-Unis. Ce faisant, ils ne respectent ni l'histoire ni eux-mĂȘmes.
Triste, pitoyable, honteux, inquiétant : nombreuses sont les façons de lire les temps forts de Kissinger à Pékin. à quel piÚtre niveau est tombé l'art de gouverner américain serait un bon résumé de ma réaction au spectacle extraordinaire d'un homme de 100 ans traversant le Pacifique, du moins en partie (si l'on tient compte de l'aspect vanité), parce que je crains que les incompétents qui dirigent la politique étrangÚre de notre président incapable n'aient amené les relations sino-américaines au bord du gouffre.
C'est leur sport favori Ă tous de vocifĂ©rer sur les dĂ©cisions nĂ©fastes prises par Kissinger lorsqu'il travaillait dans l'administration Nixon, Kissinger le criminel de guerre, et les taches sur son Ăąme sont bien sĂ»r incontestables. Parmi les pires, mais loin d'ĂȘtre la seule, son rĂŽle de premier plan dans le bombardement du Cambodge Ă la fin de la guerre du ViĂȘt Nam, alors qu'il Ă©tait Ă©vident que les Ătats-Unis risquaient la dĂ©faite, mĂȘme si les cliques politiques de Washington ne pouvaient pas la regarder en face.
Mais l'homme doit ĂȘtre considĂ©rĂ© au fond comme une contradiction ambulante. L'ouverture Ă la Chine figure parmi les actes les plus remarquables, les plus audacieux, et les plus consĂ©quents de la diplomatie du vingtiĂšme siĂšcle, en dĂ©pit de tous les actes inhumains perpĂ©trĂ©s. Quelle que soit le degrĂ© de mĂ©pris que l'on Ă©prouve pour Henry, et le mien est de nature compĂ©titive, nier cette rĂ©alisation crĂ©ative relĂšve en effet plus de la malhonnĂȘtetĂ©. Les Ătats-Unis avaient exclu la "Chine rouge" durant vingt-deux ans lorsque Kissinger a effectuĂ© son voyage secret Ă PĂ©kin en 1971. C'est alors que le monde a changĂ©. La roue de l'histoire a tournĂ© - pour une fois dans la bonne direction.
On ne parle pas beaucoup de la rĂ©ussite de Kissinger, mĂȘme si mes lectures sont loin d'ĂȘtre exhaustives. Avec l'ouverture Ă la Chine, Kissinger a permis Ă cette Ă©cole rĂ©aliste de la politique Ă©trangĂšre amĂ©ricaine de triompher des universalistes wilsoniens. Les intĂ©rĂȘts ont Ă©tĂ© clairement dĂ©finis (mĂȘme si le dĂ©sordre en Asie du Sud-Est s'est poursuivi), sans se mĂȘler des affaires intĂ©rieures de la RĂ©publique populaire. C'est l'une des raisons pour lesquelles les Chinois apprĂ©ciaient Henry. Ă cet Ă©gard, sa vision des relations sino-amĂ©ricaines correspondait aux cinq principes de Zhou, dont quatre avaient trait au respect de la souverainetĂ© des autres nations.
Avec le recul, nous reconnaissons que la diplomatie innovante des annĂ©es Nixon-Kissinger Ă©tait une aberration. Washington est revenu Ă l'universalisme que Wilson avait codifiĂ© il y a une centaine d'annĂ©es, peu aprĂšs l'ouverture Ă la Chine - si tant est qu'il ait jamais rĂ©pudiĂ© l'Ă©vangĂ©lisme protestant de Wilson en matiĂšre de politique Ă©trangĂšre. Ce glissement a Ă©tĂ© particuliĂšrement prononcĂ© depuis les Ă©vĂ©nements de 2001, qui ont mis les cliques politiques au pied du mur. Le mandat de Pompeo en tant que secrĂ©taire d'Ătat de Donald Trump a Ă©tĂ© singuliĂšrement consternant Ă cet Ă©gard.
Le pĂ©chĂ© du rĂ©gime Biden rĂ©side dans le refus - l'incapacitĂ© Ă©tant le vrai problĂšme, Ă mon avis - de changer de cap, mĂȘme de façon mineure. Prenons l'exemple d'Henry, qui se range du cĂŽtĂ© de la minoritĂ© de principe opposĂ©e Ă l'expansion vers l'Est de l'Alliance atlantique - une position tout Ă son honneur. On est loin des grandes heures du triomphe transpacifique.
La rĂ©alitĂ© que nous devons maintenant reconnaĂźtre, alors que le XXIe siĂšcle dĂ©ferle sur nous comme une vague, est que les factions politiques amĂ©ricaines ont souffert d'une grave sclĂ©rose aprĂšs les victoires de 1945. Il n'y avait plus besoin de diplomatie - que Boutros-Ghali, dans les merveilleux mĂ©moires qu'il a publiĂ©s aprĂšs que les Ătats-Unis l'eurent Ă©vincĂ© du poste de secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l'ONU, dĂ©crivait comme la solution des faibles. "Les forts n'en ont pas besoin", disait cet Ăgyptien cultivĂ©. Tout ce que Washington avait Ă faire, c'Ă©tait de maintenir le cap, sans rien changer. C'est une erreur courante chez les vainqueurs. Une autre façon de le dire se rĂ©sume Ă ne pas devoir y penser.
Aujourd'hui, Washington est coincé. Je critique souvent l'incompétence de nos diplomates, et en aucun cas par complaisance ou par habitude. C'est simplement et historiquement vrai. Blinken, Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale, William Burns, directeur de la CIA, et bien d'autres encore : ils sont tous bien éduqués et bien dressés à l'une ou l'autre profession - le droit, la finance, l'économie, et ainsi de suite. Mais ils n'ont aucune expérience de l'art de gouverner, au sens artistique et créatif du terme. Leur seul recours est le pouvoir. Pour le reste, ils sont paralysés.
Et le pouvoir ne suffit pas dans notre nouveau siÚcle. La paralysie non plus. C'est ce que Wang Yi et Xi ont dit la semaine derniÚre, aprÚs avoir passé un peu de temps avec leur "vieil ami", leur "ami de la Chine".