đâđ¨ Histoire d'une belle orpheline
Doha espère souvent que sa mère l'appelle pour le petit-dÊjeuner, que son père l'embrasse en rentrant. Elle voudrait tant revoir son petit frère plein de vie. Mais elle ne peut pas. IsraÍl les a tuÊs.
đâđ¨ Histoire d'une belle orpheline
Par Asil Almanssi, The Electronic Intifada, le 8 mai 2024
Doha est une belle petite fille de 10 ans aux longs cheveux noirs.
Elle a un sourire radieux, des cils ĂŠpais et un visage plein d'innocence.
Doha adore les maths. Elle aime relever le dĂŠfi de multiplier ou de soustraire le plus rapidement possible.
Doha espère suivre les traces de son père, et Êtudier la comptabilitÊ lorsqu'elle sera en âge de le faire.
J'ai rencontrÊ Doha pour la première fois lorsqu'elle est venue habiter chez nous. Nous avions dÊjà accueilli son grand-oncle.
Lorsqu'elle est arrivĂŠe chez nous, Doha avait dĂŠjĂ ĂŠtĂŠ dĂŠplacĂŠe trois fois depuis le dĂŠbut de la guerre Ă Gaza.
Lorsqu'elle est arrivĂŠe chez nous, Doha marchait avec des bĂŠquilles.
La première semaine, Doha a très peu parlÊ. Et elle refusait de manger.
Nous avons tentĂŠ de l'accueillir avec des cadeaux. Lorsqu'elle les a vus, Doha a criĂŠ : âJe ne veux rienâ.
Elle se rĂŠveillait souvent en pleurant : âJe veux ma mamanâ et âJe veux voir mes frèresâ.
Nous essayions de la calmer pour qu'elle se rendorme.
Au fil du temps, Doha et moi restions assises ensemble pendant des heures.
Doha m'a racontĂŠ les choses horribles qu'elle avait vĂŠcues.
Elle m'a racontĂŠ comment al-Tawam - au nord-ouest de la ville de Gaza - a ĂŠtĂŠ attaquĂŠe. Les bruits d'explosion ĂŠtaient terrifiants, et les fenĂŞtres de la maison familiale ont volĂŠ en ĂŠclats.
La famille a fui al-Tawam et s'est installĂŠe chez des parents Ă Beit Lahiya, dans le nord de la bande de Gaza.
Elle y est restĂŠe malgrĂŠ l'ordre d'IsraĂŤl d'ĂŠvacuer massivement la partie nord de la bande de Gaza. Au bout de deux mois environ, la maison dans laquelle ils s'abritaient a ĂŠtĂŠ bombardĂŠe.
Par miracle, tout le monde a survĂŠcu.
Pris au piège
La famille s'est ensuite rendue Ă l'hĂ´pital Kamal Adwan de Beit Lahiya. Elle s'est rĂŠfugiĂŠe dans les couloirs de l'hĂ´pital.
L'hĂ´pital a rapidement ĂŠtĂŠ assiĂŠgĂŠ par les troupes israĂŠliennes.
La famille s'y est retrouvÊe piÊgÊe. Très vite, les rÊserves de nourriture et d'eau se sont ÊpuisÊes.
Après plusieurs jours, les militaires israÊliens ont ordonnÊ par haut-parleurs à tout le monde de sortir dans la cour de l'hôpital. Les hommes et les femmes ont ÊtÊ rÊpartis en groupes distincts.
Les militaires ont ensuite demandĂŠ aux femmes de quitter l'hĂ´pital. Les hommes ont ĂŠtĂŠ rassemblĂŠs et on leur a demandĂŠ de se dĂŠshabiller.
Deux membres de la famille de Doha ont ĂŠtĂŠ placĂŠs en dĂŠtention par les forces israĂŠliennes.
Le reste de la famille est allĂŠ s'installer chez d'autres parents dans la rue al-Thawra, dans la ville de Gaza. La maison de leurs proches ĂŠtait bondĂŠe, car beaucoup d'autres s'y ĂŠtaient rĂŠfugiĂŠs.
Peu de temps après leur installation dans cette maison, IsraÍl a tirÊ des missiles, commettant un massacre.
De nombreuses personnes ont ĂŠtĂŠ ensevelies sous les dĂŠcombres, sans que les agents de la protection civile ne puissent les atteindre.
Les jours suivants, Doha n'a cessÊ d'appeler sa mère sous les dÊcombres. Personne ne l'a entendue jusqu'à ce qu'un de ses proches se rende sur les lieux.
Les services d'urgence ont ĂŠtĂŠ contactĂŠs et ĂŠtĂŠ informĂŠs qu'on entendait la voix d'une petite fille. Doha a alors ĂŠtĂŠ secourue et transportĂŠe Ă l'hĂ´pital en ambulance.
à al-Shifa, le plus grand hôpital de Gaza, Doha Êtait très angoissÊe. Elle ne cessait de rÊclamer la prÊsence d'un membre de sa famille.
Comme il n'y avait pas de lit disponible, Doha a dĂť ĂŞtre soignĂŠe Ă mĂŞme le sol.
Il s'est avĂŠrĂŠ qu'elle avait besoin d'une opĂŠration car les nerfs de ses jambes ĂŠtaient endommagĂŠs. Mais l'opĂŠration n'a pas pu ĂŞtre organisĂŠe, car les services de santĂŠ de Gaza ĂŠtaient dĂŠbordĂŠs et incapables de fonctionner correctement.
Doha a ĂŠtĂŠ transportĂŠe de l'hĂ´pital chez d'autres membres de sa famille. C'est lĂ qu'elle a pris conscience d'une terrible rĂŠalitĂŠ : elle ĂŠtait dĂŠsormais orpheline.
Au cours de nos conversations, Doha m'a racontĂŠ quâelle s'ĂŠtait souvent rĂŠveillĂŠe avec lâespoir que sa mère l'appelle pour le petit-dĂŠjeuner.
Elle m'a racontÊ comme elle aurait voulu que son père l'embrasse en rentrant du travail.
Elle m'a racontĂŠ quâelle voulait tant revoir son petit frère plein de vie.
Mais elle ne peut pas. IsraĂŤl les a tuĂŠs.
Son grand-oncle, alors rĂŠfugiĂŠ chez nous, ĂŠtait la personne la plus proche de Doha, dans le nord de la bande de Gaza. Il l'a emmenĂŠe vivre avec nous.
On a essayĂŠ Ă plusieurs reprises d'amener Doha vers le sud. Mais le voyage ĂŠtait jugĂŠ trop dangereux.
Environ un mois après son arrivÊe chez nous, nous avons ÊtÊ contactÊs par l'UNICEF. Un reprÊsentant de l'organisation nous a dit qu'il avait ÊtÊ en contact avec le grand-père de Doha, qui souhaitait que Doha soit emmenÊe vers le sud.
Le dĂŠpart de Doha vers le sud m'a surprise. Je m'ĂŠtais tellement habituĂŠe Ă sa prĂŠsence.
Elle paraissait plus mÝre que son âge. Bien qu'elle ait hâte de voir ses grands-parents, un amour profond s'Êtait dÊveloppÊ entre Doha et nous.
Elle ĂŠtait en larmes quand nous lui avons dit au revoir.
Le dĂŠpart de Doha laisse un grand vide dans nos cĹurs.
J'espère simplement qu'elle pourra, petit à petit, oublier les horreurs qu'elle a endurÊes.
Doha a droit Ă un avenir meilleur.
* Asil Almanssi rĂŠside Ă Gaza. @a_almanssi
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