đâđš Holger Stark: Faux ennemi
Enfermer Assange pour avoir publié des secrets d'Etat est une débùcle pour l'Etat de droit libéral. Le gouvernement américain ne doit pas s'en tirer comme ça. Libérez enfin Assange.
đâđš Faux ennemi
Le fondateur malade de WikiLeaks, Julian Assange, risque 175 ans de prison. Qu'en pense Annalena Baerbock ?
đ° Par Holger Stark, le 2 dĂ©cembre 2022
En ce qui concerne le traitement de Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, la responsable politique des Verts Annalena Baerbock a trouvé des mots d'une clarté cristalline qui n'ont rien à voir, et nous l'en remercions, avec le "deux poids, deux mesures" diplomatique qui est habituellement si répandu en politique. L'affaire révÚle de "graves violations" des "droits fondamentaux à la liberté" de la Convention des droits de l'homme, a déploré Baerbock, qui a exigé "la libération immédiate de Julian Assange". Voilà à quoi ressemble une politique étrangÚre guidée par des valeurs et qui place les droits de l'homme au centre de ses préoccupations.
Assange, 51 ans, est derriĂšre les barreaux depuis maintenant trois ans et demi Ă Londres dans une prison de haute sĂ©curitĂ©. La justice amĂ©ricaine lui reproche d'avoir accĂ©dĂ© Ă des documents secrets du gouvernement amĂ©ricain et de les avoir ensuite publiĂ©s. Il s'agit entre autres de rapports de l'armĂ©e amĂ©ricaine en Irak et en Afghanistan, ainsi que d'un quart de million de dĂ©pĂȘches confidentielles du dĂ©partement d'Ătat amĂ©ricain. Ces publications ont fait date dans l'histoire mondiale en 2010.
En dĂ©tention, Assange a Ă©tĂ© victime d'une attaque cĂ©rĂ©brale, il ne reconnaĂźt parfois plus ses visiteurs, et un juge a attestĂ© qu'il Ă©tait suicidaire. Dans les semaines Ă venir, la plus haute juridiction britannique dĂ©cidera s'il doit ĂȘtre extradĂ© vers les Etats-Unis. Il risque jusqu'Ă 175 ans de prison. Nul besoin d'ĂȘtre alarmiste pour craindre qu'Assange ne quitte pas la prison vivant s'il devait effectivement ĂȘtre transfĂ©rĂ© aux Etats-Unis.
Le traitement réservé à Assange n'est pas seulement cruel sur le plan humanitaire, il constitue également une attaque frontale contre la liberté de la presse. Oui, les révélations se sont avérées préjudiciables du point de vue des gouvernants, elles ont nui à la secrétaire d'Etat de l'époque, Hillary Clinton, et à la réputation de l'Amérique. Assange a ainsi défié la nation la plus puissante du monde. Mais les publications n'ont pas fait de morts, comme l'a affirmé entre-temps le gouvernement américain, et Assange n'est pas non plus un espion, ainsi que le ministÚre américain de la Justice le qualifie dans l'acte d'accusation.
Assange est peut-ĂȘtre un Ă©diteur atypique, dĂ©rangeant et excentrique, mais il n'est que ce qu'il est : un Ă©diteur.
Dans une dĂ©mocratie, le rĂŽle des mĂ©dias consiste Ă contrĂŽler tous ceux qui dĂ©tiennent le pouvoir. EnquĂȘter sur les abus, rassembler des preuves et les diffuser est la tĂąche la plus importante des journalistes. Les dĂ©mocraties libres se distinguent des autocraties et des dictatures par leur capacitĂ© Ă accepter la critique, mĂȘme lorsqu'elle dĂ©range. Ou plutĂŽt, prĂ©cisĂ©ment quand elles le font. Criminaliser ce travail, c'est fragiliser le discours public, et donc la dĂ©mocratie. La persĂ©cution d'Assange est un prĂ©cĂ©dent dangereux.
Annalena Baerbock a lancĂ© son appel Ă la libĂ©ration d'Assange Ă une Ă©poque oĂč elle pouvait elle-mĂȘme parler sans ĂȘtre investie d'une quelconque responsabilitĂ© gouvernementale : pendant la campagne Ă©lectorale, quelques jours avant les Ă©lections fĂ©dĂ©rales, en septembre 2021. Depuis cette Ă©lection, elle ne cesse d'invoquer comme un mantra la "procĂ©dure conforme Ă l'Etat de droit" en Grande-Bretagne, qui doit selon elle "aller jusqu'au bout de ses possibilitĂ©s".
En tant que ministre des Affaires étrangÚres, Baerbock a cherché avec beaucoup de panache la confrontation avec autocrates et despotes. Elle a critiqué Vladimir Poutine lorsque celui-ci a fait déporter l'opposant Alexej Nawalny dans une colonie pénitentiaire. Elle a fustigé la Turquie aprÚs qu'un tribunal a condamné le militant Osman Kavala à la prison à vie, et a exigé que Kavala soit libéré immédiatement. Tout cela l'honore et demande du courage, mais un courage assez moyen, car les coûts politiques sont minimes et les applaudissements du public de son pays garantis.
Le véritable courage serait de critiquer publiquement les violations des droits de l'homme non seulement lorsqu'elles se produisent loin de chez nous, mais aussi quand elles ont cours à notre porte, chez les plus proches alliés de l'Allemagne, entre amis. Et en l'occurrence, à Londres et Washington.
Enfermer Assange pour avoir publié des secrets d'Etat est une débùcle pour l'Etat de droit libéral. Le gouvernement américain ne doit pas s'en tirer comme ça. Libérez enfin Assange.
https://www.zeit.de/2022/49/julian-assange-wikileaks-auslieferung-annalena-baerbock