đâđš Ibrahim Quraishi - La non-existence des droits de l'homme en Egypte aujourd'hui: Le cas d'Alaa Abd el-Fattah
D'abord Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© pour son blog, Alaa est dĂ©tenu depuis prĂšs de dix ans dans des prisons Ă©gyptiennes, principalement en raison de son intelligence, menace ultime pour une dictature draconienne.
đâđš La non-existence des droits de l'homme en Egypte aujourd'hui : Le cas d'Alaa Abd el-Fattah
đ° Par Ibrahim Quraishi, le 7 novembre 2022
Depuis quelques semaines, je me plonge frĂ©nĂ©tiquement dans les travaux de cet iconique blogueur, technologue, philosophe et activiste qui est probablement la cause la plus cĂ©lĂšbre, Ă travers l'Ăgypte et l'ensemble du monde arabe. Depuis prĂšs de dix ans, il est dĂ©tenu dans des prisons Ă©gyptiennes, principalement en raison de son intelligence, considĂ©rĂ©e comme une menace ultime pour une dictature draconienne aprĂšs une rĂ©volution populaire traumatisante en 2011.
Le livre d'Abd el-Fattah, "You Have Not Yet Been Defeated", rassemble des essais personnels, des rĂ©flexions sur la technologie, des notes, des poĂšmes et des tĂ©moignages poignants sur la vie en prison, le tout combinĂ© pour dĂ©gager l'essence de l'urgence, du dĂ©fi et un air de rĂ©sistance qui refuse de cĂ©der malgrĂ© toutes les invraisemblables injustices. Ses idĂ©es et sa sincĂ©ritĂ© absolue font de lui un symbole d'espoir dans une Ăgypte qui a souffert d'une incroyable misĂšre et de manigances politiques aprĂšs une dĂ©courageante prise de pouvoir militariste suite au renversement populaire de Hosni Moubarak et de ses 30 ans de dictature. Alaa n'est pas seulement un symbole d'espoir, mais aussi le symbole du changement pour l'Ăgypte elle-mĂȘme et l'Ă©volution de la sociĂ©tĂ© civile dans le monde arabe au sens large.
La plupart de ses textes Ă©tant sortis clandestinement lors de ses nombreuses dĂ©tentions dans les prisons Ă©gyptiennes, le recueil nous donne le sentiment d'un vĂ©ritable sursaut face au militarisme et Ă la barbarie tortionnaire d'une Ăgypte post-Printemps arabe. Il ne s'agit pas d'une folie des grandeurs. L'Ćuvre rassemble les conditions difficiles auxquelles lui et beaucoup d'autres sont confrontĂ©s. L'enchaĂźnement des Ă©vĂ©nements et des expĂ©riences est pour le moins vertigineux. Abd El-Fattah a soutenu des initiatives qui ont favorisĂ© la prise de conscience et la participation des citoyens, ainsi qu'un vĂ©ritable journalisme d'investigation sur les rĂ©seaux sociaux, contre l'apathie politique qui prĂ©valait et prĂ©vaut toujours en Ăgypte.
Il a d'abord Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© pour son blog, auquel lui et sa femme Manal Bahey El-Din Hassan ont activement collaborĂ© pour renforcer la mobilisation et la rĂ©sistance Ă grande Ă©chelle. Les blogs Manalaa et Omraneya ont Ă©tĂ© les premiers blogs arabes Ă rassembler des travailleurs, des Ă©tudiants et des jeunes et ont ouvert la voie Ă la confrontation qui a eu lieu contre la dictature de Moubarak en 2011. Manalaa a mĂȘme remportĂ© le prix du meilleur blog de la Deutsch Welle et le prix Reporters sans frontiĂšres, six ans avant le printemps arabe lui-mĂȘme.
TantĂŽt, il est la voix d'al Jazeera live, informant le monde de la prĂ©sence de milliers de manifestants devant le Parlement Ă©gyptien, rĂ©clamant libertĂ©, rĂ©forme et rĂ©volution. L'instant d'aprĂšs, il se trouve dans la Silicon Valley, Ă la RightsCon, oĂč il prononce le discours principal sur les dangers de la monopolisation numĂ©rique concernant les modes de communication et les droits de l'homme. Peu de temps aprĂšs, il est jetĂ© dans une cellule de prison et privĂ© de tout contact significatif avec le monde extĂ©rieur.
Dans une lettre à sa famille, il écrit:
"Si l'on souhaitait ma mort, la grĂšve de la faim ne serait pas une lutte. Si l'on s'accroche Ă la vie par instinct, Ă quoi bon faire la grĂšve. Si vous repoussez la mort uniquement par honte de faire pleurer votre mĂšre, alors vous diminuez vos chances de victoire. J'ai pris la dĂ©cision dâĂȘtre plus actif en lutte Ă un moment que je considĂšre comme appropriĂ© pour ma lutte, ma libertĂ©, et la libertĂ© des prisonniers dans un conflit auquel ils n'ont pas pris part ou dont ils essaient d'Ă©chapper. Pour les victimes d'un rĂ©gime incapable de gĂ©rer ses crises autrement que par l'oppression, incapable de se reproduire autrement que par l'incarcĂ©ration. Cette dĂ©cision est prise alors que je suis inondĂ© de votre amour et que j'aspire Ă votre compagnie. Beaucoup d'amour, jusqu'Ă notre prochaine rencontre. Alaa"
Comment pouvons-nous sĂ©rieusement parler de changements environnementaux alors que l'Ăgypte, autrefois phare intellectuel du monde arabe, continue Ă se tenir au niveau le plus bas de l'indice humain du dĂ©veloppement mondial, de l'Ă©quitĂ© humaine, de l'Ă©ducation, de la propriĂ©tĂ© intellectuelle, des rĂ©alisations scientifiques, des brevets, de l'Ă©galitĂ© des sexes, des droits de l'homme. SĂ©rieusement ? Comme l'a si bien dit Naomi Klein, "Cette confĂ©rence est plus que le "green washing" d'un Ă©tat polluant, c'est le "green washing" d'un Ă©tat policier".
De quel genre de pays parlons-nous rĂ©ellement ici, lorsqu'une sociĂ©tĂ© n'est mĂȘme pas capable de porter un regard critique sur elle-mĂȘme ? Lorsqu'un Ătat ne fait aucune tentative ou ne pense mĂȘme pas Ă inverser ses propres mĂ©canismes de contrĂŽle et cesse d'incarcĂ©rer ceux qui souhaitent changer pour le mieux le cĆur de cette sociĂ©tĂ© donnĂ©e ? Comment pouvons-nous mĂȘme tenter de trouver des solutions lorsque l'un des esprits les plus brillants et les plus critiques d'Ăgypte croupit en prison sans raison apparente, simplement parce qu'il remet en question le statu quo lĂ oĂč il doit ĂȘtre dĂ©mantelĂ© Ă tous les niveaux ? Alaa Abd el-Fattah, qui mĂšne une grĂšve de la faim depuis plus de six mois et est aux portes de la mort. Il reprĂ©sente des milliers de prisonniers de conscience dans les cellules Ă©gyptiennes aujourd'hui. Nous ne pouvons pas continuer Ă espĂ©rer contre toute espĂ©rance, voire Ă abandonner l'espoir, des phrases qui me rappellent les mots de Nadezhda Mandelstam, qui a Ă©crit des textes poignants sur la terreur de Staline dans les annĂ©es 1930.
HonnĂȘtement, s'il doit y avoir un quelconque changement dans notre façon de traiter les catastrophes environnementales auxquelles nous sommes confrontĂ©s, il doit naturellement y avoir un changement conscient dans notre façon de traiter les humains qui habitent cette planĂšte. Si nous essayons de compter le nombre de personnes emprisonnĂ©es Ă travers le monde simplement parce qu'elles sont conscientes, les chiffres sont scandaleusement Ă©levĂ©s. On peut dire que les droits de l'homme semblent ĂȘtre une question extensible de nos jours. Le 21e siĂšcle s'ennuie cyniquement, contrairement Ă l'Ă©poque rĂ©volue des annĂ©es 1970 oĂč l'accord d'Helsinki, une dĂ©tente Est / Ouest, a Ă©tĂ© construit. La dĂ©claration sur les droits de l'homme qui y a Ă©tĂ© signĂ©e a au moins donnĂ© de l'espoir, et un brin de conscience. Trente-cinq pays ont dĂ©fendu, sur le papier du moins, le droit de choisir la libre pensĂ©e politique et le droit Ă la conscience individuelle. Aujourd'hui, prĂšs de 48 ans plus tard, notre monde semble avoir changĂ© si radicalement que l'on se demande vraiment comment nous pouvons nous mettre Ă aborder les questions de catastrophes environnementales, alors que tant de personnes croupissent dans des conditions horribles. Et dans la plupart des cas, ce sont ces mĂȘmes personnes Ă mĂȘme dâapporter des solutions intelligentes, nĂ©cessaires et indispensables.
En analysant l'Ă©tat actuel des choses, on constate qu'aucun organisme sĂ©rieux d'auto-Ă©mancipation n'existe dans le modĂšle sociopolitique Ă©gyptien actuel. Les dĂ©bats politiques, si l'on peut appeler ainsi le mode de gouvernance d'Abdel Fattah al-Sissi, dans le contexte Ă©gyptien, manquent d'un cadre thĂ©orique permettant une Ă©valuation critique de l'expĂ©rience post-printemps arabe. Comment restructurer les relations entre l'Ătat, le marchĂ© et les autres secteurs organisĂ©s de la sociĂ©tĂ© pour ses citoyens ? Une Ă©tude ouverte et rĂ©ellement informĂ©e de maniĂšre critique sur ce qui pourrait constituer une potentialitĂ© post-capitaliste est tout simplement inexistante, et mĂȘme surtout non discutable. AprĂšs la dĂ©bĂącle de Mohamed Morsi, la logique centrale de l'Ătat Ă©gyptien a Ă©tĂ© son refus de reconnaĂźtre le besoin inhĂ©rent d'un processus de transformation en profondeur. Au lieu de cela, l'appareil structurel de l'Ătat a continuĂ© Ă dĂ©pendre de l'aide Ă©trangĂšre pour soutenir massivement l'armĂ©e Ă©gyptienne, ou pour financer des mĂ©ga-projets inutiles, dĂ©passĂ©s et hideux, afin de renforcer davantage l'appareil d'Ătat en engageant des dĂ©penses pour une nouvelle capitale, par exemple, et en construisant le plus grand complexe administratif de gouvernance militaire du monde entier, plus grand encore que le Pentagone aux Ătats-Unis ou le "Palais du peuple" de Nicolae CeauÈescu Ă Bucarest.
OĂč est donc passĂ© le moment d'appliquer la mĂȘme norme internationale en matiĂšre de droits de l'homme, et oĂč est la volontĂ© de dĂ©velopper quelque chose de parallĂšle aux accords d'Helsinki ? On a souvent l'impression qu'Ă tous les niveaux, les normes appliquĂ©es dans le monde varient selon qu'il s'agit de l'hĂ©misphĂšre nord ou de l'hĂ©misphĂšre sud, comme toutes les normes d'abus et de manipulation Ă©conomiques, mais la valeur des individus est toujours incertaine dans le Sud.
La soi-disant notion de transition ici est Ă©videmment inscrite dans la logique que le "vieil" Ătat ne mourra jamais, et que le nouvel Ătat structurel ne pourra jamais voir le jour, quelles que soient les actions rĂ©volutionnaires. Maintenant, je pose la question suivante : comment un vieux systĂšme dictatorial Ă©tabli, qui opprime systĂ©matiquement des milliers et des milliers de personnes (si ce n'est des millions), peut-il offrir des solutions environnementales novatrices alors que l'Ă©tat d'esprit mĂȘme est mortifĂšre pour les femmes et les hommes qui sont rĂ©ellement informĂ©s de la maniĂšre dont la rĂ©alitĂ© devrait Ă©voluer pour le bien non seulement de leurs propres citoyens mais aussi de l'humanitĂ© dans son ensemble. Oui, je sais que j'ai l'air naĂŻf, oui, mais le cas d'Alaa Abd el-Fattah, est simple et pourtant si profondĂ©ment injuste. Je parle de faire arrĂȘter un type parce qu'il veut que sa sociĂ©tĂ© soit plus libre, plus ouverte, plus juste et qu'elle se dĂ©veloppe davantage au 21Ăšme siĂšcle. Vraiment ?
Le mĂ©pris de la dĂ©mocratie, la relation de l'Ătat Ă la religion et la justice - les soi-disant piliers de notre dĂ©mocratie libĂ©rale - ont Ă©tĂ© remaniĂ©s dans le contexte draconien de l'Ăgypte - pour correspondre au paradigme militariste. Ainsi, puisque la dĂ©mocratie est la rĂšgle de la majoritĂ©, cela signifie que notre Ătat doit servir d'instrument de promotion de l'intĂ©rĂȘt de la majoritĂ©, ce qui, dans le manifeste promotionnel d'al-Sissi, signifie l'utilisation d'outils pseudo-dĂ©mocratiques (façade) pour encourager un climat de crainte et de paranoĂŻa contre ces mĂȘmes factions qui remettent en question la lĂ©gitimitĂ© de son rĂ©gime dictatorial. Cela signifie Ă©galement que la doctrine libĂ©rale de l'Ătat des mosquĂ©es est hypocrite, puisque c'est l'Ătat qui est censĂ© protĂ©ger les droits des minoritĂ©s religieuses (comme les coptes, les chiites et les juifs), qu'il doit ĂȘtre en quelque sorte abandonnĂ© au profit de l'Ătat Ă©gyptien qui doit servir la majoritĂ© religieuse. Par consĂ©quent, toute protestation dĂ©rogeant aux normes du militarisme est qualifiĂ©e d'anti-Ă©gyptienne.
La quĂȘte de justice, dans le contexte d'Al-Sissi, est formulĂ©e spĂ©cifiquement pour les masses, comme si l'Ăgypte Ă©tait en train de rectifier les injustices historiques commises Ă l'encontre de la majoritĂ© sunnite par les coptes, les chiites, les juifs et tous ces soi-disant envahisseurs Ă©trangers, intrus et conspirationnistes qui continuent Ă bĂ©nĂ©ficier du privilĂšge d'ĂȘtre protĂ©gĂ©s par l'Ătat. De nombreux militants rĂ©formĂ©s opposĂ©s Ă l'ancien rĂ©gime se sont sentis liĂ©s Ă des revendications sectorielles, alors que la majoritĂ© des rĂ©volutionnaires se concentraient sur la lutte rĂ©elle sur la place Tahir.
Au Royaume-Uni, de multiples organisations politiques demandent la libération des prisonniers politiques. Quinze lauréats du prix Nobel demandent la libération immédiate d'Alaa Abd el-Fattah pour que la COP27 ".... consacre une partie de son agenda aux milliers de prisonniers politiques détenus dans les prisons égyptiennes". Cinquante-six législateurs américains ont demandé au président Biden d'exiger sa libération.
"Les neuf derniĂšres annĂ©es de sa vie lui ont Ă©tĂ© volĂ©es". Alaa Abd el-Fattah se bat en effet avec pour seules armes son corps, son cerveau, ses prises de position, son courage, et par une grĂšve de la faim de plus de 200 jours, et il refusera mĂȘme de prendre de l'eau en guise de protestation. Une protestation sĂ©vĂšre Ă l'ouverture de la mascarade mondiale de la COP27 Ă Sharm El Sheikh pour que le monde se rĂ©veille enfin et jette un regard sĂ©vĂšre sur lui-mĂȘme et sur la rĂ©alitĂ© des hommes dans une Ăgypte rĂ©elle et non Ă travers le fantasme dĂ©lirant de pharaons imaginaires.
* Ibrahim Quraishi est un artiste conceptuel et un écrivain qui partage son temps entre Berlin et Amsterdam. Son travail a fait l'objet de nombreuses expositions en Europe, en Asie du Sud-Est et au Moyen-Orient. Il contribue réguliÚrement à la vie politique et culturelle du journal allemand TAZ : die tageszeitung. Son premier roman historique, "being everywhere, being no where" (premiÚre partie d'une trilogie), est à paraßtre chez Seven Stories Press, NY.