👁🗨 “Il ne reste plus rien à Jabaliya” : catastrophe sans fin dans un camp de réfugiés sous blocus
Repose en paix, cousine. Tu vaux mille fois plus que ce monde répugnant. J'ai la certitude que tu es désormais dans un monde meilleur, loin de cette cruauté, des guerres, des meurtres, de l'injustice.

👁🗨 “Il ne reste plus rien à Jabaliya” : catastrophe sans fin dans un camp de réfugiés sous blocus
Par Hamza M. Sahla, le 20 mai 2025
Après avoir déjà tout détruit, l'armée israélienne est revenue envahir Jabaliya pour la quatrième fois depuis le début de la guerre.
La guerre d'extermination menée par Israël à Gaza approche son paroxysme. Au cours des derniers jours, l'armée israélienne a lancé une offensive massive avec des frappes aériennes quasi ininterrompues sur toute l'enclave, une invasion terrestre et un blocus total sur les vivres, le carburant et les médicaments, qui a poussé des centaines de milliers de Palestiniens au bord de la famine.
Il s'agit de l'« opération Chars de Gédéon », que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a qualifiée de “dernière phase” à Gaza. La solution finale.
L'ampleur de l'assaut est difficile à évaluer. Au cours de la nuit et aujourd'hui, des frappes dans le nord, sur l'école Musa Bin Nusair à Gaza, ont tué au moins 13 personnes, dont des enfants qui sont morts brûlés. À Beit Lahia, les troupes israéliennes assiègent l'Hôpital Indonésien, ouvrant le feu sur les médecins et les patients avec des chars et des snipers. Une frappe sur une maison dans le centre de la ville de Deir al-Balah a tué au moins 12 personnes. Au moins 15 personnes ont été tuées dans le bombardement d'une station-service dans le camp de réfugiés de Nuseirat, dans le centre de Gaza. D'autres frappes à Khan Younis, dans le sud, ont tué au moins 10 personnes. Ce compte rendu incomplet ne couvre qu'à peine une demi-journée d'horreur.
Les tueries sont si intenses que le ministère de la Santé, dans son bulletin de l'après-midi publiant le nombre de morts et de blessés confirmés au cours des dernières 24 heures, a également commencé à inclure le nombre de personnes tuées depuis l'aube du même jour afin d'essayer de suivre le décompte des corps.
En milieu d'après-midi aujourd'hui, 53 Palestiniens ont déjà été tués. Plus de 100 personnes ont été tuées chaque jour ces derniers jours, les chiffres officiels étant reconnus comme sous-estimés.
L'armée continue d'émettre des ordres de déplacement massifs, dont un qui couvre une grande partie de Khan Younis, la deuxième plus grande ville de Gaza. Près de 100 000 Palestiniens ont été déplacés au cours des quatre derniers jours seulement.
L'assaut génocidaire s'est intensifié à un point tel qu'il a même incité les dirigeants du Royaume-Uni, de la France et du Canada à publier une déclaration commune qualifiant “le niveau de souffrance humaine à Gaza [...] d'intolérable” et menaçant de prendre des “mesures concrètes” si Israël ne met pas fin à son offensive et ne lève pas les restrictions à l'aide humanitaire. Pendant ce temps, Adam Boehler, l'envoyé spécial de Trump pour les questions relatives aux otages, a réitéré son soutien à la nouvelle offensive militaire d'Israël.
Hamza Salha est un journaliste basé dans le camp de réfugiés de Jabaliya, dévasté par la guerre et soumis à de nouveaux ordres de déplacement militaire. Il a rédigé ce témoignage poignant pour Drop Site News alors que les troupes terrestres israéliennes avancent rapidement vers le camp.
—Sharif Abdel Kouddous, chef du bureau Moyen-Orient
CAMP DE RÉFUGIÉS DE JABALIYA, BANDE DE GAZA — Pour la quatrième fois, la machine de guerre israélienne revient détruire ce qu’elle a déjà été détruit dans le camp de réfugiés de Jabaliya. On a compté trois offensives terrestres israéliennes depuis 2023 : de décembre 2023 à fin janvier 2024, puis une campagne d'un mois qui a débuté le 11 mai, et une autre qui a commencé le 6 octobre 2024 et s'est terminée par un “cessez-le-feu” temporaire en janvier 2025. À Chaque fois, l'armée israélienne a systématiquement œuvré à raser Jabaliya et la transformer en un désert aride.
J'ai été témoin de toutes ces opérations. Je vois les bombes tomber à nouveau sur Jabaliya depuis ma fenêtre, et j'y ai survécu, jusqu'à présent. J'ai souffert de la faim, tremblé de peur et été déplacé d'innombrables fois. Je suis devenu un expert dans la gestion des crises : comment échapper aux drones, quoi mettre dans un sac d'évacuation, quelles routes emprunter, comment suivre les progressions de l'armée, comment extraire les survivants et me sortir moi-même des décombres. J'ai tenu dans mes mains les os et les restes de corps sans vie. Je ne mène plus une vie normale, paisible et confortable. Je rêve désormais simplement de pouvoir dormir une nuit entière et de me réveiller pour prendre une douche chaude.

C'est ainsi que cela se passe à chaque invasion terrestre. Mais ça ne suffit pas. À présent, l'armée renouvelle son offensive sur Jabaliya, menant une guerre contre le corps des enfants. Elle a choisi le 15 mai, date anniversaire de la Nakba, non seulement pour nous rappeler cette catastrophe, mais aussi pour nous la faire revivre. Le cauchemar de tout ce que j'ai enduré durant les invasions précédentes repasse dans mon esprit comme une cassette radio en boucle, paralysant ma capacité à penser.
Une question me hante : “Qu'y a-t-il entre eux et Jabaliya ? Qu'est-ce que Jabaliya leur a fait ?” Il ne reste plus rien à Jabaliya, rien que des décombres et des tentes.
Mais ils reviennent. Les soldats sont pratiquement dans le camp. C'est comme si on nous interdisait ne serait-ce que l'idée de reprendre vie, notre souffle.
Depuis la reprise de l'agression en mars et la suspension de toute aide, je suis profondément déprimé et stressé. J'ai été blessé au genou il y a quelque temps et la douleur me ronge. J'ai mal à la tête et aux dents à cause de la sous-alimentation. J'ai une infection aux yeux, j'ai l'impression qu'ils vont éclater.
Tout cela n'est rien comparé à la vue du dos voûté et du corps fragile de mon père. À une certaine époque, mon père pouvait battre tous ses collègues au bras de fer. Je l'ai défié cette semaine et j'ai gagné. C'était la première fois de ma vie que gagner me brisait le cœur. Je n'arrivais pas à y croire, alors je lui ai demandé : “Tu ne mets pas toute ta force et tu me laisses gagner pour me faire plaisir, n'est-ce pas ?” Il n'a pas répondu.
Lorsqu'un cessez-le-feu temporaire a été annoncé le 19 janvier, marquant la fin de la troisième incursion terrestre qui a duré près de quatre mois, les gens sont revenus de leur exil dans l'ouest de la ville de Gaza et du sud vers Jabaliya pour vivre dans leurs maisons à moitié détruites, sous des toits et plafonds instables, et dans des tentes qui ne les protègent ni du froid hivernal ni de la chaleur estivale. Ils ont eu du mal à trouver de quoi manger, à obtenir ne serait-ce que quatre litres d'eau ou à trouver une lampe en état de marche pour éclairer leurs nuits.
Lorsque je suis retourné avec ma famille dans notre maison du camp de Jabaliya, dans l'ouest, en janvier, nous l'avons trouvée sur le point de s'effondrer. Six des quatorze piliers de soutien ont été détruits et l'escalier a été bombardé. Nous n'avons pu accéder aux étages supérieurs qu'après avoir remplacé l'escalier en béton par un escalier en bois. Depuis l'intensification des attaques le 15 mai, ma plus grande crainte est que la maison s'effondre sur nous à cause de la puissance des frappes à proximité. Je regarde les murs et les piliers et je me dis : “Dieu, donne-leur la force, ne nous abandonne pas, ne nous tue pas”.

Ma survie jusqu'à présent, au cours de cette guerre, n'est qu'une fausse échappatoire, ou peut-être une mort lente. Cette guerre sans fin me ronge le corps, l'âme et la santé mentale jour après jour. À chaque frappe aérienne lancée par Israël sur Gaza, mon cœur tressaille et manque d'éclater dans ma poitrine. À chaque missile, mes tissus et cellules meurent, raccourcissant ma vie. Mon esprit est obsédé par la quête d'un lieu sûr qui n'existe pas à Gaza. C'est comme si un brouillard noyait mon cerveau, m'empêchant de fonctionner normalement, de parler aux gens, d'accomplir les tâches les plus simples.
La nuit de la Nakba, une nuit sans sommeil, l'armée de l'air a bombardé le secteur toutes les quatre minutes. J'ai survécu à des frappes aériennes tout au long de la guerre, mais les bombes ensevelissent désormais tant de logements et d'habitants dans des cratères immenses. Le ciel pleut des missiles, et crépite d'explosions. Je suis devenu hypersensible à l'odeur de la poudre et des bombes, une odeur gravée dans mon esprit depuis le jour où j'ai survécu à la mort après avoir été blessé. La nuit a été une descente aux enfers.
J'ai attrapé mon téléphone et j'ai commencé à naviguer sur Internet. Le président américain était au Qatar, et j'étais terrifié, cherchant n'importe quelle nouvelle d'un cessez-le-feu, d'un accord ou de l'arrivée d'aide à Gaza. J'ai scrollé sur Instagram et vu des gens s'amuser en vacances quelque part. J'étais en colère, même si je savais qu'ils n'y étaient pour rien, car la joie et le rire sont devenus un luxe pour moi, surtout quand une publication montrant des gens souriants est suivie par l'annonce de l'extermination de toute une famille. Je ne me souviens même plus de la dernière fois où j'ai ri de tout mon cœur.
D'une manière ou d'une autre, et grâce à beaucoup de prières, ma famille et moi avons survécu à cette nuit. Mais le lendemain matin, j'ai été dévasté d’apprendre la mort de ma cousine Huda. Elle n'avait qu'une trentaine d'années. Le chagrin a envahi la maison et la tristesse s'est figée sur le visage de mon père. Ses joues se sont affaissées. Huda a été déplacée chez le frère de son mari à Beit Lahia après que son appartement dans la tour Al-Razan du camp de Jabaliya a été détruit. Selon des témoins oculaires, lorsque les bombardements se sont intensifiés, Huda, son mari et leurs trois enfants se sont précipités pour évacuer la maison. Son mari et ses enfants sont partis devant, et alors qu'elle les suivait, un obus d'artillerie l'a frappée et tuée sur le coup.
Le corps de Huda a été enterré par-dessus la dépouille de sa tante Zainab, décédée il y a plusieurs années. Il n'y a plus assez de place dans le cimetière pour creuser de nouvelles tombes. Même enterrer les morts est devenu compliqué. Huda n'était pas juste un numéro. Ma tante a travaillé dur pour élever ses enfants, leur donner une éducation et s'instruire elle-même jusqu'à exceller dans tous les domaines. Elle était douce, intelligente et avait fini par enseigner dans une école primaire de l'UNRWA.
Huda était comme une grande sœur pour moi. Je me souviens encore quand, lorsque j'étais enfant, elle jouait au volley avec moi, me préparait des gâteaux et me posait des questions amusantes en arabe.
Repose en paix, ma cousine. Je jure que tu vaux mille fois plus que ce monde répugnant. J'ai la certitude que tu es désormais dans un monde meilleur, loin de cette cruauté, sans guerre, sans meurtres, sans injustice.
Traduit par Spirit of Free Speech