đâđš IsraĂ«l fait de la mort une misĂ©ricorde dans le nord de Gaza
Le vide politique autour des Palestiniens dans un monde du profit, raciste & immoral n'illustre que la volontĂ© de maintien de lâavant-poste europĂ©en colonial en Palestine, quel qu'en soit le prix.

đâđš IsraĂ«l fait de la mort une misĂ©ricorde dans le nord de Gaza
Par Shahd Abusalama, le 18 décembre 2024
Dans un élan théùtral en pleine élection américaine, Joe Biden a menacé de restreindre les livraisons militaires à Israël si davantage d'aide humanitaire n'entrait pas à Gaza dans un délai d'un mois.
Son dĂ©lai expirĂ© [aprĂšs les Ă©lections], le blocus s'est poursuivi, exposant les Palestiniens Ă un risque de famine âimminenteâ.
Pourtant, la Maison Blanche a dĂ©cidĂ© de ne pas sanctionner IsraĂ«l, le porte-parole du dĂ©partement d'Ătat, Vedant Patel, affirmant qu'il y a eu âquelques progrĂšsâ dans l'acheminement de l'aide.
Pour avoir parlé à mes proches survivants dans le nord de Gaza, je sais que cette évaluation est à mille lieues de la réalité apocalyptique sur le terrain.
Le blocus suffocant d'Israël est entré dans son troisiÚme mois, coupant Jabalia, Beit Lahia et Beit Hanoun du reste de la ville de Gaza, dans un contexte d'horribles scÚnes de massacres.
PrÚs de 4 000 personnes y ont été tuées depuis octobre 2024, Israël prenant pour cible toutes les concentrations restantes de Palestiniens, les forçant à partir ou à mourir, si ce n'est par les bombes, du moins par la famine.
Plus que jamais, nous avons peur de subir le mĂȘme sort que la gĂ©nĂ©ration de la Nakba, dĂ©possĂ©dĂ©e et dĂ©placĂ©e en 1948 sans chance de retour.
Des robots tueurs
Notre maison familiale de cinq Ă©tages dans le nord de Gaza a Ă©tĂ© rasĂ©e. Un voisin a appris la nouvelle au prix dâun terrible sacrifice.
Pendant une phase de calme apparent, il a courageusement traversé la rue al-Saftawi, souvent bombardée, pour vérifier l'état de nos maisons et a confirmé qu'elles ont toutes été détruites.
Ă son retour, un quadcopter israĂ©lien lui a tirĂ© une balle dans la tĂȘte et dans le dos, le clouant sur un lit d'hĂŽpital entre la vie et la mort.
Le 10 dĂ©cembre, un quadcopter israĂ©lien a assassinĂ© mon cousin maternel Jaber Ali alors qu'il s'apprĂȘtait Ă inspecter sa maison Ă Beit Lahia.
Le danger a contraint les voisins Ă enterrer Jaber lĂ oĂč se trouvait son corps, privant ainsi sa famille de toute chance de lui dire au revoir ou de lui offrir des funĂ©railles dans la dignitĂ©.
En mars, au beau milieu des déplacements, des bombardements et des souffrances de la famine, Jaber était devenu papa d'un petit garçon prénommé Kamal.
Sa jeune veuve et son fils sont hébergés avec d'autres survivants de la famille dans une maison partiellement démolie à l'ouest de Gaza.
Le recours dâIsraĂ«l aux quadcoptĂšres est trĂšs rĂ©pandu dans la bande de Gaza. Le matin du 12 dĂ©cembre, l'un d'eux a abattu le dernier mĂ©decin orthopĂ©diste du nord de Gaza, Said Jouda, et l'infirmier Kareem Jaradat, alors qu'ils se rendaient Ă l'hĂŽpital Kamal Adwan.
Grùce à l'approvisionnement militaire ininterrompu des pays occidentaux et à leur couverture diplomatique, Israël commet des crimes de guerre à chaque instant, qu'il s'agisse d'intelligence artificielle, de robots armés, de tirs d'artillerie ou de frappes aériennes.
Le Premier ministre israĂ©lien Benjamin Netanyahu terrorise les habitants en les chassant de chez eux, dans l'espoir d'annexer le nord de Gaza dans le cadre du fantasme colonial du âGrand IsraĂ«lâ.

Endurer l'impensable
ĂgĂ© de 82 ans, Abu Osama est mon oncle paternel le plus ĂągĂ©. Il est nĂ© Ă Beit Jerja - Ă une quinzaine de kilomĂštres de Gaza - en 1942, six ans avant qu'IsraĂ«l ne procĂšde au nettoyage ethnique de la Palestine, obligeant notre famille Ă fuir vers le camp de rĂ©fugiĂ©s de Jabalia.
Infirmier qualifié, il a été directeur d'une clinique des Nations unies à Jabalia pendant des décennies avant de prendre sa retraite.
Au cours du gĂ©nocide actuel, son fauteuil roulant a Ă©tĂ© dĂ©truit dans une frappe aĂ©rienne, l'empĂȘchant de suivre les ordres criminels d'âĂ©vacuationâ d'IsraĂ«l vers le sud.
Aux alentours du 20 mai, ma famille l'a aperçu sur des images diffusées en ligne par Al Jazeera, sauvé des décombres par deux voisins, couvert de poussiÚre, une canne à la main.
Le mĂȘme jour, nous avons Ă©galement appris que son fils Wajdi, restĂ© sur place pour s'occuper de son pĂšre handicapĂ©, a Ă©tĂ© tuĂ© dans un autre quartier de Jabalia alors qu'il cherchait de quoi manger.
Puis, vers le 18 novembre, Abu Osama a de nouveau miraculeusement survĂ©cu aprĂšs que l'armĂ©e israĂ©lienne a utilisĂ© des robots piĂ©gĂ©s pour raser la place rĂ©sidentielle de Beit Lahia oĂč il s'Ă©tait rĂ©fugiĂ© avec sa fille Maha, son gendre Mousa et son petit-fils Ibrahim.
Cette nouvelle nous a plongĂ©s dans lâangoisse et nous avons tout tentĂ© pour le joindre. Un jour plus tard, mon appel a abouti, et j'ai pu lui parler, ainsi qu'Ă d'autres parents survivants qui ont endurĂ© l'impensable, et sont toujours en Ă©tat de choc et endeuillĂ©s.
Lorsque je lui ai demandé si je pouvais faire quelque chose pour surmonter notre impuissance à distance, il m'a assuré qu'entendre notre voix représentait pour lui le cadeau qu'il attendait depuis longtemps, mais il a maudit Israël de nous avoir dispersés, et d'avoir coupé les liaisons de télécommunication.

J'ai aussi pu parler à Maha et Ibrahim. Quelques jours plus tÎt, Maha hurlait de douleur, coincée sous un mur et une énorme masse de décombres pendant des heures.
Elle avait l'impression de ne plus rien sentir et s'est mise Ă prier inconsciemment, pensant qu'elle vivait ses derniers instants. âJ'ai appelĂ© mon pĂšre et lui ai demandĂ© pardon, estimant qu'Ă ce stade, la mort serait plus clĂ©menteâ, m'a-t-elle racontĂ©.
Le plus dur a Ă©tĂ© de parler Ă Ibrahim, qui a interrompu mon hommage Ă sa bravoure en disant : âMon pĂšre est au ciel. Il y est mieux qu'en ce mondeâ.
Comment réconforter un fils terrifié dont le pÚre, Mousa, est toujours sous les décombres, séparé de sa mÚre blessée, aprÚs qu'elle a dû accompagner son frÚre, blessé lui aussi, dans l'ouest de la bande de Gaza ?
J'ai pleurĂ© en rĂ©pĂ©tant : âQu'il repose en paix, habibi [mon amour]... Tu es un hĂ©rosâ.
Ibrahim, 12 ans, est définitivement le héros de mon oncle. Juste aprÚs avoir repris conscience, il a réussi à se frayer un chemin parmi les gravats et à héler deux hommes qui se sont portés à leur secours.
Un homme sur une charrette tirée par un ùne les a emmenés à l'hÎpital avant de chercher une maison abandonnée pour leur permettre de s'abriter et de récupérer.
L'exode
Dans un tel contexte, il n'est pas surprenant que certains membres de ma famille aient dĂ©cidĂ© de partir, le cĆur lourd.
Au cours de la premiÚre semaine de décembre, mon oncle et d'autres membres de la famille ont brandi des drapeaux blancs dans le nord de Gaza, désormais méconnaissable, et ont fui vers la ville de Gaza sous la surveillance de quadcoptÚres et des fumées qui s'élevaient des explosions environnantes.
Mon oncle a été interrogé trois heures par l'armée israélienne en cours de route, mais il a heureusement été relùché. Beaucoup d'autres ont disparu.
Quelques semaines plus tÎt, ma cousine maternelle Rana, ses beaux-parents et leurs enfants ont vécu un périple similaire.
Le beau-frÚre de Rana, Mohammed Ezzat Al-Salibi, pÚre de cinq enfants, est toujours porté disparu depuis son enlÚvement à un checkpoint israélien le 27 novembre.
Sa famille a fait appel Ă la Croix-Rouge Ă plusieurs reprises pour savoir oĂč il se trouve, mais IsraĂ«l impose le black-out sur les dĂ©tenus.
Telle est la rĂ©alitĂ© de la vie dans le nord de la bande de Gaza, quoi qu'en dise la Maison Blanche au sujet de l'âamĂ©liorationâ des conditions.
La question n'est pas de savoir si IsraĂ«l commet un gĂ©nocide et un nettoyage ethnique, puisque cet Ătat hors-la-loi le fait au vu et au su de tous.
Il ne s'agit pas non plus d'un manque de prise de conscience, car les Palestiniens et leurs alliés se battent depuis des décennies sur le plan culturel pour remettre en cause le récit dominant d'Israël dans le discours occidental.
Le problÚme est l'apathie politique vis-à -vis du quotidien des Palestiniens et de leurs droits à la liberté et à la justice dans un monde profondément raciste, immoral et axé sur le profit, dont l'objectif principal est la survie matérielle d'un avant-poste européen colonial en Palestine, quel qu'en soit le prix.
* Shahd Abusalama est une universitaire, militante et artiste palestinienne, nĂ©e et Ă©levĂ©e dans le camp de rĂ©fugiĂ©s de Jabalia, au nord de Gaza. Son doctorat, obtenu Ă l'universitĂ© de Sheffield Hallam, porte sur les reprĂ©sentations historiques de Gaza et de ses rĂ©fugiĂ©s dans les films documentaires. Il sera publiĂ© cette annĂ©e par Bloomsbury sous le titre âBetween Reality and Documentaryâ.
https://consortiumnews.com/2024/12/18/israel-makes-death-feel-like-mercy-in-northern-gaza/