đâđš IsraĂ«l n'est pas fou, juste totalement dĂ©jantĂ©
IsraĂ«l a toujours dĂ©libĂ©rĂ©ment & rationnellement menĂ© une âstratĂ©gie dĂ©jantĂ©eâ envers ennemis comme alliĂ©s, leur imposant dâaccepter en permanence les comportements rĂ©prĂ©hensibles de Tel-Aviv.
đâđš IsraĂ«l n'est pas fou, juste totalement dĂ©jantĂ©
Par Daniel Nammour & Sharmine Narwani, le 31 juillet 2024
Dans la nuit du 30 au 31 juillet, Israël a pris pour cible deux hauts responsables de l'Axe de la Résistance afin de les assassiner, tous deux à des postes de responsabilité sans précédent au cours de ce cycle de conflit.
Tout d'abord, Fuad Shukr, haut commandant du Hezbollah, a été tué lors d'une attaque aérienne israélienne sur son habitation dans la banlieue trÚs peuplée de Dahiyeh, à Beyrouth, faisant plusieurs morts et plus de 70 blessés parmi les civils.
La deuxiÚme cible, à 2 heures du matin le 31 juillet, était le chef du bureau politique du Hamas, Ismail Haniyeh, figure centrale des négociations de cessez-le-feu, qui se trouvait à Téhéran pour assister à la cérémonie d'investiture du nouveau président iranien, Masoud Pezeshkian.
En l'espace de quelques heures, IsraĂ«l a rĂ©ussi Ă frapper trois membres de l'axe de la rĂ©sistance : le Liban, la Palestine et l'Iran. Ce faisant, Tel-Aviv a violĂ© toute une sĂ©rie de lois internationales, de conventions diplomatiques et de pratiques coutumiĂšres qui interdisent les assassinats politiques, tout en violant de maniĂšre flagrante l'intĂ©gritĂ© territoriale de deux Ătats membres de l'ONU.
Depuis sa guerre contre Gaza, Israël a rapidement acquis le statut de paria mondial, non seulement en raison de son génocide retransmis en direct qui a tué au moins 40 000 civils palestiniens, dont 15 000 enfants, mais aussi en raison des décisions et délibérations sans précédent toujours en cours à la Cour pénale internationale (CPI) et à la Cour internationale de justice (CIJ) concernant les crimes de guerre d'Israël.
Ainsi, les actions incendiaires de Tel-Aviv la nuit derniÚre soulÚvent la question suivante : Israël est-il tout simplement fou ? Ne voit-il pas que la censure mondiale se prépare, que les boycotts se multiplient, que ses alliances s'amenuisent, que les réseaux sociaux se déchaßnent et que son isolement est de plus en plus flagrant ?
IsraĂ«l ne pense qu'aux extrĂȘmes
La rĂ©ponse est simple : non. Les gouvernements israĂ©liens successifs ont Ă©tĂ© tout Ă fait rationnels, s'appuyant sur une stratĂ©gie unique dont l'Ătat n'a jamais dĂ©viĂ©.
Conscient de ses lacunes gĂ©ographiques, dĂ©mographiques, politiques et Ă©conomiques dĂšs le dĂ©part, le projet sioniste a mis en Ćuvre, de maniĂšre trĂšs calculĂ©e, ce que l'on peut appeler la âstratĂ©gie dĂ©jantĂ©eâ, afin d'atteindre ses objectifs et de s'affirmer bien au-dessus de sa catĂ©gorie de poids gĂ©opolitique.
Stratégie étrange mais efficace, la stratégie MAD découle en fait de la théorie de la dissuasion:
En affichant une prĂ©sence menaçante , une rĂ©putation agressive et un brin de folie, vous empĂȘchez vos ennemis de vous attaquer. Ils n'attaqueront pas ceux qui entraĂźnent leur ennemi avec eux s'ils tombent.
Telle est l'essence de la stratĂ©gie d'IsraĂ«l vis-Ă -vis de ses amis comme de ses ennemis, et une fois qu'on l'a comprise, il est difficile de ne pas percevoir cette tactique dans toutes les affaires de l'Ătat.
AprĂšs l'opĂ©ration militaire de la rĂ©sistance palestinienne du 7 octobre de l'annĂ©e derniĂšre - et juste au moment oĂč le prĂ©sident amĂ©ricain Joe Biden se rendait Ă Tel-Aviv pour apporter son soutien Ă IsraĂ«l - l'armĂ©e d'occupation a frappĂ© l'hĂŽpital Al-Shifa de Gaza, tuant des centaines de civils Ă la recherche d'un abri et de soins mĂ©dicaux. Cette frappe n'est pas le fruit du hasard. Le Premier ministre israĂ©lien Benjamin Netanyahu a dĂ©libĂ©rĂ©ment cherchĂ© Ă provoquer ce genre outrancier. Il voulait acculer le prĂ©sident amĂ©ricain Ă afficher son soutien Ă ses politiques, quelle que soit l'atrocitĂ© de la situation.
Il s'agit d'une tactique sioniste utilisée depuis longtemps pour apprivoiser et préparer les cibles à accepter et à s'attendre à un comportement répréhensible de la part d'Israël.
Netanyahu a Ă©galement jouĂ© ce jeu dangereux avec le prĂ©sident russe Vladimir Poutine pendant la guerre en Syrie. AprĂšs chaque rencontre avec le puissant chef d'Ătat russe le premier ministre israĂ©lien dĂ©clenchait des frappes dures contre la Syrie - lĂ encore, pour domestiquer et prĂ©parer les Russes Ă accepter et Ă s'attendre au comportement de la part d'IsraĂ«l.
Aujourd'hui, Israël utilise tout le spectre de sa stratégie déjantée dans ses attaques contre les Palestiniens à Gaza et en Cisjordanie - viols, meurtres, amputations, décapitations, tortures - en toute impunité. Les alliés, les ennemis et le public international sont censés accepter les images et les données et se préparer à des scénarios pires encore.
Il est faux de dire que Tel-Aviv agit de maniĂšre irrationnelle. La mise en Ćuvre de sa stratĂ©gie est une dĂ©cision rationnelle pour une petite entitĂ© devant imposer ses volontĂ©s surdimensionnĂ©es non seulement Ă ses voisins, mais aussi aux puissances mondiales et aux institutions internationales.
Avant 1948
La stratĂ©gie n'est pas nouvelle, ses dĂ©buts remontent aux annĂ©es prĂ©cĂ©dant la crĂ©ation de l'Ătat, lorsque les milices sionistes ont bombardĂ© et tuĂ© les forces britanniques qui avaient permis l'immigration juive en Palestine et lancĂ© des opĂ©rations militaires visant Ă nettoyer ethniquement la population autochtone du pays.
IsraĂ«l a instituĂ© une âprĂ©sence menaçanteâ offensive dĂšs sa crĂ©ation : des actes terroristes commis par des milices juives telles que le Stern Gang et l'Irgoun ont assassinĂ© des diplomates britanniques au Caire en 1944, fait exploser l'hĂŽtel King David en 1946, perpĂ©trĂ© le massacre de Deir Yassin en 1947, suivi de la Nakba palestinienne en 1948.
Mais au lieu d'ĂȘtre punis pour leurs crimes, les sionistes ont Ă©tĂ© rĂ©compensĂ©s par un vote des Nations unies qui a officialisĂ© l'Ătat d'IsraĂ«l en 1947. Le mauvais comportement avait rĂ©coltĂ© des rĂ©compenses extraordinaires, alors pourquoi abandonner la stratĂ©gie ?
Le gros des premiĂšres milices terroristes sionistes a ensuite formĂ© l'armĂ©e israĂ©lienne. L'homme politique qui a ordonnĂ© le nettoyage ethnique des Palestiniens a Ă©tĂ© consacrĂ© âpĂšre d'IsraĂ«lâ et est devenu le premier Premier ministre du pays. D'autres chefs de milice se sont rapidement hissĂ©s Ă ce rang - Menachem Begin, Yitzhak Rabin, Yitzhak Shamir - et certains d'entre eux ont reçu le prix Nobel de la paix. Une fois de plus, le mauvais comportement a payĂ©.
AprĂšs la crĂ©ation d'IsraĂ«l, une sĂ©rie de guerres avec les voisins arabes en 1956, 1967, 1973 et 1982 a rĂ©compensĂ© IsraĂ«l en lui permettant de conquĂ©rir de nouveaux territoires, d'implanter davantage de colonies et d'occuper une plus grande place Ă la table internationale. Un flux constant d'agressions militaires et de renseignements israĂ©liens a Ă©tĂ© lancĂ© sur une rĂ©gion qui couvrait une superficie 250 fois supĂ©rieure Ă celle d'IsraĂ«l, incluant le Liban, la Syrie, l'Irak, l'Iran, la Jordanie, les Ămirats arabes unis, la Tunisie, l'Ăgypte et l'Ouganda.
Tout cela n'a Ă©tĂ© possible que grĂące au soutien diplomatique, Ă©conomique, militaire et mĂ©diatique de l'Occident, qui s'est donnĂ© beaucoup de mal pour couvrir les provocations osĂ©es et illĂ©gales d'IsraĂ«l, en rĂ©orientant le rĂ©cit vers les efforts israĂ©liens en faveur du processus de paix, sa âdĂ©mocratieâ, son armĂ©e âdisciplinĂ©e et sophistiquĂ©eâ et son invincible armada âmoraleâ protĂ©geant la âterre promise juiveâ. En bref, en aidant Tel-Aviv Ă âprĂ©parer et apprivoiserâ l'opinion mondiale, les alliĂ©s occidentaux d'IsraĂ«l ont prĂ©parĂ© le terrain pour que la communautĂ© internationale accepte et s'attende au mauvais comportement d'IsraĂ«l en tant quââavant-poste occidental indispensable de la civilisationâ.
Tomber le masque
Puis vint l'opération de la résistance palestinienne du 7 octobre, au cours de laquelle Israël a assisté à l'effondrement total de son statut de dissuasion en l'espace de quelques heures.
Pour stopper l'hémorragie, Israël a dû passer d'une présence menaçante active à un geste de folie.
Cela signifiait qu'il n'y avait plus de lignes rouges ni de barriĂšres. Les diatribes dĂ©sĂ©quilibrĂ©es, inspirĂ©es du Talmud, extrĂ©mistes sur le plan religieux et gĂ©nocidaires qui se sont dĂ©versĂ©es sur les Ă©crans de tĂ©lĂ©vision de la part d'un large Ă©ventail de responsables et d'influenceurs israĂ©liens ne peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©es que comme dĂ©libĂ©rĂ©es. L'Ătat d'occupation exerce une censure rigoureuse sur les dĂ©tails militaires. Mais il n'a vu aucune raison d'endiguer le flux de diatribes incriminantes et racistes Ă©manant de ses propres fonctionnaires.
Pour le profane ou le consommateur occidental moyen de nouvelles, ce ânouveauâ comportement israĂ©lien est surprenant et erratique, et suggĂšre que les IsraĂ©liens sont en quelque sorte irrationnels. Pour les stratĂšges, il s'agit simplement d'une nouvelle escalade dans la stratĂ©gie Ă©prouvĂ©e d'IsraĂ«l, destinĂ©e Ă prĂ©parer les populations Ă tolĂ©rer des comportements de plus en plus inquiĂ©tants et Ă les choquer pour les pousser Ă l'inaction.
Les actions de la stratégie déjantée d'Israël
Netanyahu et ses collaborateurs ne sont pas des fous. Toutes leurs cruelles opĂ©rations extrĂȘmes sont bien Ă©tudiĂ©es et froidement prĂ©mĂ©ditĂ©es. Leur principal objectif est de crĂ©er un Ătat, comme l'a gĂ©nialement rĂ©sumĂ© le maĂźtre de la stratĂ©gie Sun-Tzu au IVe siĂšcle avant JĂ©sus-Christ :
âLorsque les adversaires ne veulent pas se battre avec vous, c'est parce qu'ils pensent que c'est contraire Ă leurs intĂ©rĂȘts ou parce que vous les avez induits en erreur.â
La rĂ©sistance contre lâextrĂȘme
Depuis 1948, peu de pays se sont vĂ©ritablement mobilisĂ©s pour contrer la stratĂ©gie dĂ©jantĂ©e d'IsraĂ«l. Selon les principes de cette stratĂ©gie, la dĂ©finition classique d'une riposte serait la suivante : âs'opposer au fou et le priver de la victoireâ. Mais les alliĂ©s d'IsraĂ«l, beaucoup plus puissants, n'ont pas Ă©tĂ© prĂȘts jusqu'Ă prĂ©sent Ă risquer leur relation et les bĂ©nĂ©fices qu'ils en retiraient, tandis que les ennemis rĂ©gionaux d'IsraĂ«l ont perdu leurs guerres ou n'ont pas Ă©tĂ© en mesure d'imposer des solutions.
Mais le statu quo a changĂ© avec la crĂ©ation de âl'Axe de la rĂ©sistanceâ en Asie occidentale, une alliance d'acteurs Ă©tatiques et non Ă©tatiques comprenant l'Iran, la Syrie, le Hezbollah libanais, le Hamas palestinien, Ansarallah au YĂ©men, Hashd al-Shabi en Irak, et d'autres encore.
Au fil des dĂ©cennies, cet axe a soigneusement dĂ©cimĂ© la projection de force de menace d' IsraĂ«l et, a surtout mis en Ćuvre la pratique de la riposte en nature, lorsque c'est possible. Quelques faits marquants :
L'opĂ©ration âAccountabilityâ : alors qu'IsraĂ«l frappait des villages civils au Liban en 1993, le Hezbollah a ripostĂ© en lançant de nouveaux missiles contre des cibles civiles israĂ©liennes. Cette riposte a contraint IsraĂ«l Ă accepter un accord informel, le premier du genre, visant Ă rĂ©duire au minimum les attaques contre les civils.
L'opĂ©ration âGrapes of Wrathâ : d'une plus grande ampleur que les affrontements de 1993, un accord formel a Ă©tĂ© conclu en 1996, stipulant clairement que le ciblage des civils est une ligne rouge dans le conflit.
Retrait du Liban en 2000 : aprĂšs 18 ans de guerre d'usure au Liban, IsraĂ«l est contraint de se retirer des terres arabes sans conditions. Ă cette occasion, le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a prononcĂ© son cĂ©lĂšbre discours ardent, dĂ©clarant qu'IsraĂ«l Ă©tait âplus vulnĂ©rable qu'une toile d'araignĂ©eâ, remettant ainsi en cause tous les fondements d'IsraĂ«l et sa projection de puissance militaire depuis le sommet de la frontiĂšre entre le Liban et l'Ătat d'occupation.
La guerre de 2006 : à la suite d'un incident frontalier, Israël retente sa chance en lançant une guerre de grande envergure contre le Liban, mais ne parvient pas à atteindre ses objectifs. Cette fois, la guerre de 33 jours s'achÚve par une résolution de sécurité de l'ONU qui stipule que ni les attaques civiles ni les attaques militaires ne sont autorisées.
OpĂ©ration âAl-Aqsa Floodâ : le 7 octobre 2023, le Hamas ouvre une brĂšche dans le mur le plus sophistiquĂ© qu'IsraĂ«l ait jamais construit pour contrĂŽler sa frontiĂšre avec Gaza. Cette fois, la projection de puissance, y compris Ă l'intĂ©rieur d'IsraĂ«l, a Ă©tĂ© anĂ©antie, obligeant Tel-Aviv Ă dĂ©clarer une guerre ingagnable, Ă affaiblir la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure, Ă Ă©puiser ses ressources militaires et Ă dĂ©truire son Ă©conomie. IsraĂ«l a Ă©tĂ© contraint d'aller au-delĂ de sa stratĂ©gie MAD et est devenu un paria international.
OpĂ©ration âTrue Promiseâ : pour la premiĂšre fois, l 'Iran lance plusieurs attaques de drones et de missiles balistiques sur IsraĂ«l en reprĂ©sailles directes aux frappes de Tel-Aviv contre le consulat iranien Ă Damas. Au cours des frappes de reprĂ©sailles des 13 et 14 avril 2024, l'Iran a fait face Ă la dĂ©fense aĂ©rienne d'IsraĂ«l, des Ătats-Unis, du Royaume-Uni et de la France, mais rĂ©ussi Ă pĂ©nĂ©trer et Ă atteindre ses trois cibles prĂ©vues.
Blocus naval du YĂ©men : en rĂ©ponse Ă l'assaut militaire barbare d'IsraĂ«l sur Gaza, les forces armĂ©es du YĂ©men ont lancĂ© une campagne intensive pour stopper le transit de tous les navires Ă destination d'IsraĂ«l et liĂ©s Ă ce pays dans les voies navigables d'Asie. Ătant donnĂ© qu'IsraĂ«l importe plus de 80 % de ses marchandises par voie maritime, les opĂ©rations yĂ©mĂ©nites ont portĂ© un coup dur Ă l'Ă©conomie israĂ©lienne, ont entiĂšrement mis hors service le port d'Eilat, qui est d'une importance vitale, et ont fait grimper les primes d'assurance pour IsraĂ«l.
En bref, la stratĂ©gie âdĂ©jantextrĂȘmeâ d'IsraĂ«l peut ĂȘtre mise en Ă©chec par des amis ou des ennemis. Il faut la regarder en face, se retrancher, et riposter. Plus IsraĂ«l est contrĂ©, plus sa folie est Ă©vidente.
https://thecradle.co/articles/israel-isnt-crazy-its-just-mad