👁🗨 Israël perd le contrôle de ses frontières
Les chefs de guerre n’ont pas coutume de subir les contrecoups de leurs agressions. Ce nouveau défi que l’occupant semble incapable de relever confirme la fragilité & l’irréversible déclin d'Israël.
👁🗨 Israël perd le contrôle de ses frontières
Par Khalil Harb, le 23 janvier 2024
Par le passé, Israël a pu établir des zones tampons ou des zones de sécurité en territoire ennemi. Mais aujourd'hui, les adversaires de Tel-Aviv ont bouleversé la carte, obligeant l'État d'occupation à évacuer ses propres frontières, peut-être de façon permanente.
Les chefs militaires & politiques n’ont pas coutume de subir les contrecoups de leurs agressions. Ce nouveau défi que l’État occupant ne semble pas en mesure de relever confirme la fragilité & l’irréversible déclin d'Israël.
Fut un temps où Israël dominait grâce à des récits immuables : les mythes largement répandus d'une “terre promise”, d'une “terre sans peuple”, de la “seule démocratie du Moyen-Orient” et de “l’unique lieu sûr pour les juifs dans le monde”. Aujourd'hui, ces belles paroles sont en miettes, l'État d'occupation étant ébranlé par un coup sans précédent porté à ses idées fondatrices.
Cette transformation s'est déroulée avec une intensité inattendue depuis l'opération de résistance “Al-Aqsa Flood” du 7 octobre et la guerre dévastatrice et génocidaire d'Israël contre Gaza.
Mais ce n'est pas seulement la remise en question du récit qui a mis Israël sur la sellette. Pour la première fois en 76 ans d'histoire, l'ensemble des prévisions sécuritaires d'Israël ont été bouleversées : l'État d'occupation est aujourd'hui aux prises avec des zones tampons à l'intérieur même d'Israël. Au cours des guerres passées, c'est Tel-Aviv qui a établi ces “zones de sécurité” à l'intérieur du territoire ennemi - en faisant progresser la stratégie géographique d'Israël, évacuant les populations arabes près des zones frontalières de leur État et en renforçant ses propres frontières.
Cette évolution peut être attribuée à divers facteurs, notamment à la vulnérabilité de ce que l'on appelle les “États arabes du cercle” (Égypte, Jordanie, Syrie et Liban). Tout au long de son histoire, Israël a toujours exercé une domination militaire et politique, imposant des mesures de sécurité aux États voisins, avec le soutien inconditionnel d'alliés tels que les États-Unis et la Grande-Bretagne.
Les nouvelles réalités frontalières d'Israël
Mais dans la guerre actuelle, Tel Aviv réalise peu à peu que les équations et les schémas de la confrontation militaire ont fondamentalement changé - un processus amorcé en 2000 lorsque la résistance libanaise, le Hezbollah, a contraint Israël à se retirer de la plupart des territoires occupés dans le sud du Liban.
Aujourd'hui, Israël découvre, horrifié, qu'il recule hors des zones d'affrontement direct avec ses ennemis jurés de Gaza et du Liban. Les formidables capacités de la résistance comprennent désormais des drones, des roquettes, des frappes ciblées, des tunnels et de toutes nouvelles tactiques de choc, remettant en cause la possibilité pour les colons israéliens d'être en sécurité dans l'un des périmètres frontaliers d'Israël.
Les colons du nord et du sud de la Palestine occupée ont désormais un refrain commun : “Nous ne reviendrons pas tant que la sécurité ne sera pas rétablie aux frontières”.
Mais les perspectives de retour semblent pour l'instant bien lointaines. Le ministère israélien de la défense, qui a promis une guerre éclair décisive pour protéger ses colons il y a plus de 100 jours, élabore actuellement des stratégies pour accueillir environ 100 000 personnes vivant le long de la frontière nord, plus en profondeur à l'intérieur du territoire israélien. Cette mesure pourrait impliquer l'évacuation des colonies susceptibles de subir une attaque lors d'une éventuelle intensification des hostilités avec le Hezbollah au Liban.
Cette situation implique trois résultats cruciaux : un retour immédiat des colons demeure improbable, des évacuations supplémentaires sont à prévoir et de nombreuses familles israéliennes - entre-temps - pourraient fonder des colonies permanentes dans d'autres lieux plus sûrs, à bonne distance des frontières avec le Sud-Liban et de l'enclave de Gaza.
Les objectifs avortés et le front Nord
Les rapports préliminaires des conseils de colons dans le nord ont évalué le “déplacement” des colons à environ 70 000 personnes au cours des premières semaines du conflit. Des rapports ultérieurs suggèrent toutefois un chiffre beaucoup plus élevé, de l'ordre de 230 000.
Dans ce contexte, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a souligné un point crucial dans son discours du 3 janvier. Il a fait référence aux préoccupations du ministre israélien de la défense, Yoav Gallant, selon lesquelles les Israéliens sont non seulement réticents à résider dans les régions frontalières, mais que leur appréhension à vivre dans n'importe quelle partie d'Israël augmentera probablement si la guerre de Tel-Aviv n'atteint pas ses objectifs déclarés.
En effet, depuis le 7 octobre, les forces israéliennes ont payé un lourd tribut : 13 572 “soldats et civils” ont été blessés dans les combats à Gaza et le long de la frontière nord avec le Liban, comme le rapporte Yedioth Ahronoth.
On peut supposer que ces chiffres sont sous-estimés. Le scepticisme s'est récemment accru quant à l'exactitude des données du ministère israélien de la Santé, car divers experts, sources indépendantes et enquêtes dans les médias suggèrent un nombre de victimes nettement plus élevé. L'Organisation des handicapés des Forces de défense israéliennes, par exemple, estime qu'environ 20 000 soldats resteront handicapés à vie à cause de la guerre en cours - un chiffre bien plus élevé que les conclusions du ministère de la Santé.
Le secret qui entoure les pertes israéliennes est particulièrement flagrant sur le front libanais, où les données sont pratiquement inexistantes et où la censure militaire de Tel-Aviv contrôle étroitement tous les flux d'information. Cela soulève la question cruciale de la capacité d'Israël à établir des équations stratégiques “frontalières” en tant que mesure compensatoire pour ce qui semble être un revers militaire et politique dans la réalisation de ses objectifs de guerre déclarés - notamment l'élimination du Hamas et la libération de tous les captifs.
En outre, on peut douter de la capacité d'Israël à mener une guerre majeure dans le nord, étant donné les défaillances évidentes de sa campagne militaire dans le sud, au cours de laquelle il a dû faire face à des adversaires sévèrement assiégés et présentant de multiples vulnérabilités. La résistance libanaise, comparée à ses homologues gazaouis, dispose de capacités militaires considérables et souvent méconnues, qu'elle peut exercer à partir d'un État souverain qui n'est ni assiégé ni enclavé. En outre, le Hezbollah, qui a chassé à lui seul Israël de ses territoires en 2000 et en 2006, montre clairement qu'il n'a jusqu'à présent révélé et utilisé qu'une infime partie de ses nouvelles capacités militaires.
Décolonisation en cours
En novembre, le lancement par le Hezbollah du missile Burkan, une arme de fabrication nationale d'une portée de 10 kilomètres et d'une puissance destructrice de 500 kg d'explosifs, confère une dimension inédite à l'affrontement.
Alors que le Hezbollah a principalement ciblé les casernes militaires israéliennes et les rassemblements de troupes avec le Burkan, des centaines de missiles guidés tels que les roquettes Kornet et Katyusha ont été utilisés avec une grande précision contre des cibles spécifiques à l'intérieur d'agglomérations résidentielles inoccupées, sur une profondeur de dix kilomètres à partir de la frontière libanaise.
À l'aube de l'année 2024, le Hezbollah a mené plus de 670 opérations militaires contre les 48 avant-postes israéliens, de Naqoura à l'ouest aux fermes de Chebaa occupées à l'est, ainsi que contre 11 positions militaires à l'arrière.
Il s'agit d'une avancée majeure dans la stratégie frontalière de la résistance libanaise. Pendant 15 ans, de 1985 à 2000, Israël a lutté pour défendre sa “bande frontalière” dans le sud du Liban. Aujourd'hui, il doit faire face à des centaines d'attaques contre ses positions dans le nord de la Palestine, mais il craint d'ouvrir un deuxième front de guerre qui pourrait aggraver sa campagne de Gaza, déjà militairement exsangue.
La ligne dite “de défense” le long de la frontière avec le Liban est désormais fortement menacée. Les habitants récemment déplacés, estimant cette protection insuffisante pour les centaines de milliers de colons israéliens installés dans le nord, exigent des garanties quant à la sécurité future de cette zone et à leur capacité à y retourner.
En décembre, le chef du conseil régional de Haute Galilée a révélé que le gouvernement israélien avait effectivement créé une zone tampon d'environ 10 kilomètres de large en évacuant des villes du nord. Cette zone, qui s'étend du Mont Hermon en Syrie occupée à Ras al-Naqoura, serait pratiquement dépourvue d'habitants, les forces israéliennes étant majoritairement présentes.
À la prétendue frontière du kibboutz Manara, un colon a déclaré à Hebrew Radio North que 86 des 155 maisons de la colonie avaient été complètement détruites par les tirs de roquettes du Hezbollah, soulevant la question de savoir si les colons auraient même des maisons où retourner.
Même si Israël ose lancer une agression de grande envergure contre le Liban, alors qu'il a échoué dans la bande de Gaza assiégée depuis 17 ans, il ne sera pas en mesure de garantir la réalisation de ses objectifs sur le front libanais.
Une terre de fausses promesses
Le temps où Israël pouvait imposer des accords de sécurité à ses voisins arabes par la force militaire et les magouilles politiques est révolu.
Auparavant, Israël a tenté d'établir une bande de sécurité à l'intérieur du Sud-Liban par le biais d'opérations telles que “Litani Operation” en 1978. Ce projet s'est finalement avéré caduc en 2000, avec le retrait humiliant de l'État d'occupation du Liban.
Israël semble aujourd'hui revenir sur cette approche - via ses intermédiaires américains - dans le but de nettoyer le sud de la région du Litani des factions de la résistance en brandissant la menace d'une guerre contre l'ensemble du Liban. Il s'agit d'une stratégie périlleuse, notamment en raison de la position précaire de son armée à Gaza.
Israël semble aujourd'hui revenir sur cette approche - via des intermédiaires américains - dans le but de nettoyer le sud du Litani des factions de résistance en brandissant la menace d'une guerre contre l'ensemble du Liban. Il s'agit d'une stratégie périlleuse, notamment en raison de la position précaire de son armée à Gaza.
La tactique israélienne consistant à détruire au bulldozer et à bombarder des zones d'habitation complètes dans les secteurs nord et est de la bande de Gaza, dans le but supposé de créer une zone de sécurité d'une profondeur de deux kilomètres, s'est heurtée à un mur infranchissable. Même son allié américain a soulevé des objections quant à la délimitation territoriale de Gaza et à l'efficacité militaire de ces mesures. Mais avant tout, la résistance libanaise et palestinienne semble prête à reprendre les stratagèmes de Tel-Aviv en éliminant les habitations israéliennes dans le territoire de Gaza et dans le nord de la Palestine.
“Détruisez nos villages, et nous détruirons les vôtres.” Ce n'est certainement pas la riposte attendue par Israël, dont les dirigeants militaires et politiques ne sont pas habitués à subir les contrecoups de leurs agressions. Ce nouveau défi que l'État d'occupation ne semble pas en mesure de relever ne fait que confirmer la fragilité et le déclin irréversible d'Israël.
https://new.thecradle.co/articles/israel-loses-control-of-its-borders