đâđš IsraĂ«l rase tout un village bĂ©douin pour Ă©largir une autoroute
âLorsqu'ils vous parlent, c'est comme s'ils ne sâadressaient pas Ă des ĂȘtres humains. L'Ătat a perdu toute dignitĂ©. Pour eux, la âgouvernanceâ est synonyme de destructionâ.
đâđš IsraĂ«l rase tout un village bĂ©douin pour Ă©largir une autoroute
Par Oren Ziv, le 10 mai 2024
La démolition de Wadi al-Khalil, un village méconnu du Naqab, a laissé plus de 300 citoyens sans abri malgré leurs tentatives de parvenir à un compromis.
Le 8 mai au matin, les forces israéliennes ont rasé tout le village bédouin de Wadi al-Khalil dans le désert du Naqab/Negev. Les démolitions, réalisées dans le but d'agrandir l'autoroute Route 6, ont laissé plus de 300 habitants sans abri.
Wadi al-Khalil est l'un des 35 villages bĂ©douins du Naqab dont les autoritĂ©s israĂ©liennes ne reconnaissent pas officiellement l'existence. Par consĂ©quent, ces villages, qui abritent environ 150 000 BĂ©douins arabes citoyens d'IsraĂ«l, sont constamment menacĂ©s de dĂ©molition. Nombre de ces villages sont vieux de plusieurs dizaines d'annĂ©es - certains sont mĂȘme antĂ©rieurs Ă la crĂ©ation d'IsraĂ«l - mais ils ne peuvent pas ĂȘtre reliĂ©s aux infrastructures publiques, notamment Ă l'eau et Ă l'Ă©lectricitĂ©, et leurs habitants n'ont pas accĂšs aux services municipaux.
Selon le Regional Council for the Unrecognized Bedouin Villages [Conseil rĂ©gional des villages bĂ©douins non reconnus], la dĂ©molition de mercredi est la plus importante dans le Naqab depuis 14 ans. Elle intervient alors que le ministre israĂ©lien de la SĂ©curitĂ© nationale, Itamar Ben Gvir, s'est engagĂ© Ă sĂ©vir contre ce qu'il appelle les âcontrevenants Ă la loiâ et Ă rĂ©tablir la meshilut - littĂ©ralement âgouvernanceâ, euphĂ©misme pour dĂ©signer le contrĂŽle juif-israĂ©lien - dans la rĂ©gion. Huit autres villages non reconnus sont actuellement menacĂ©s d'expulsion forcĂ©e sous couvert de dĂ©veloppement urbain.
L'arrivĂ©e de la police dans le village n'a pas Ă©tĂ© accueillie avec hostilitĂ©. Les agents ont repoussĂ© les habitants et une poignĂ©e de militants solidaires Ă la pĂ©riphĂ©rie du village avant de faire venir des camions et des bulldozers. Des entrepreneurs vĂȘtus de gilets jaunes ont enlevĂ© les meubles et les objets personnels restĂ©s Ă l'intĂ©rieur des maisons, et les ont chargĂ©s dans les camions. Quelques chevaux et chameaux erraient nerveusement entre les officiers et les vĂ©hicules tandis que les bulldozers se mettaient au travail.
âVous travaillez huit ou neuf ans, Ă©conomisant de l'argent pour construire une maison, puis ils la dĂ©truisentâ, a dĂ©clarĂ© Yousef Abu Issa, un habitant de 35 ans, Ă +972 et Ă Local Call. âIls ne vous donnent pas d'autre endroit oĂč vivre, ils ne vous aident pasâ.
Par mesure de prĂ©caution, Yousef avait emmenĂ© ses enfants hors du village avant que les dĂ©molitions commencent. Il Ă©tait assis dans sa voiture lorsque je lui ai parlĂ©, regardant la police raser les bĂątiments tandis que de la fumĂ©e envahissait certaines des maisons que les habitants avaient eux-mĂȘmes incendiĂ©es avant que les autoritĂ©s ne puissent les dĂ©molir.
âRegardez le nombre de policiers prĂ©sentsâ, a-t-il dĂ©clarĂ©. âOĂč Ă©taient-ils le 7 octobre ? Une telle force pourrait conquĂ©rir le Liban. Je n'ai pas de sentiments diffĂ©rents envers eux qu'envers les terroristes de la Nukhba [commando d'Ă©lite du Hamas]. Je suis un citoyen israĂ©lien, loyal envers l'Ătat, je fais mon service national - et voilĂ ce qui se passeâ.
Taleb el-Sana, ancien membre de la Knesset et citoyen arabe bĂ©douin, a qualifiĂ© les dĂ©molitions de mercredi et le traitement rĂ©servĂ© par le gouvernement aux habitants du Naqab de âdĂ©claration de guerreâ.
âBen Gvir veut brĂ»ler le Naqabâ, a dĂ©clarĂ© el-Sana Ă +972. âAu lieu de rĂ©soudre le problĂšme par la communication, [le gouvernement] pense que dĂ©molir les maisons est la solution. Mais ce n'est pas le cas. Nous sommes des citoyens. Des BĂ©douins ont Ă©tĂ© tuĂ©s [le 7 octobre], des BĂ©douins font partie des otages dĂ©tenus par le Hamas Ă Gaza, et des maisons bĂ©douines ont Ă©tĂ© touchĂ©es par des roquettes. La solution est de reconnaĂźtre les villages et d'accorder aux gens le droit fondamental de vivre dans la dignitĂ©.â
Nous n'avons jamais été opposés à un compromis
La démolition de maisons bédouines dans le Naqab n'est pas une nouveauté pour les autorités israéliennes. Le village voisin d'Al-Araqib a récemment été rasé pour la 223e fois. En 2017, la police a fait une descente dans un autre village non reconnu, Umm al-Hiran, pour procéder à des démolitions visant à remplacer la petite communauté bédouine par une communauté juive. La police du village a abattu un habitant, Yaqub Abu al-Qi'an, en prétendant à tort qu'il avait essayé de tuer des officiers.
En 2010, le gouvernement a approuvé un projet de prolongement de la route 6 vers le sud à travers les terres de Wadi al-Khalil, malgré l'opposition des habitants et de plusieurs ONG. Les habitants ont exprimé à plusieurs reprises leur volonté de se réinstaller dans le quartier d'Al-Mitla, à l'est de la ville bédouine de Tel as-Sabi/Tel Sheva. Mais cette proposition a été rejetée, et l'Autorité bédouine israélienne pour le développement, a contraint les habitants à s'installer dans le quartier 1 d'Umm Batin.
Les habitants se sont opposés à ce plan par crainte pour leur propre sécurité : selon eux, une grande famille bédouine qui vit actuellement à cÎté du quartier 1 a menacé de violence tout autre clan qui s'y installerait.
âIls nous ont proposĂ© une place dans le quartier 1, un endroit oĂč il y avait un conflitâ, a dĂ©clarĂ© Suleiman Abu Issa Ă +972. âSi nous avions dĂ©mĂ©nagĂ© lĂ -bas, çâaurait Ă©tĂ© la pagaille : lorsqu'une situation similaire s'est produite Ă Lakiya, elle s'est soldĂ©e par un meurtre.â
En fĂ©vrier 2023, les habitants de Wadi al-Khalil ont saisi la Cour suprĂȘme d'un recours contre leur transfert forcĂ© dans le quartier 1 et contre les ordres de dĂ©molition, mais le recours a Ă©tĂ© rejetĂ© en dĂ©cembre. La Cour s'est rangĂ©e Ă l'avis de l'Ătat selon lequel le transfert Ă Al-Mitla retarderait de deux ans l'extension de la route 6, car l'infrastructure nĂ©cessaire n'est pas encore en place. Un autre recours, dans lequel les rĂ©sidents demandent au ministĂšre de l'intĂ©rieur d'approuver leur dĂ©mĂ©nagement Ă Al-Mitla, est en cours.
âNous n'avons jamais Ă©tĂ© opposĂ©s Ă la recherche d'une solution ou d'un compromisâ, a expliquĂ© M. Suleiman. âNos requĂȘtes sont modestes : un endroit appropriĂ© [pour vivre] et une compensation adĂ©quate. Ils ont dit que nous refusions [les ordres d'expulsion du gouvernement], mais ce n'est pas vraiâ.
Dafna Saporta, de l'organisation israélienne de défense des droits des urbanistes Bimkom, a déclaré à +972 :
âCe n'est pas comme si l'extension de la route 6 allait ĂȘtre goudronnĂ©e demain - il aurait Ă©tĂ© possible de reporter les travaux et de rencontrer les habitants, qui sont lĂ depuis des dĂ©cennies. L'Ătat a eu 15 ans pour trouver des accords avec les habitants concernant leur Ă©vacuation. Ceux-ci n'ont pas refusĂ© d'Ă©vacuer, mais n'ont pas acceptĂ© la solution proposĂ©e par l'Ătat Ă Umm Batin en raison de conflits avec d'autres familles sur le terrain.
âDans le passĂ©, il a Ă©tĂ© question d'essayer de dĂ©placer les familles Ă Al-Mitla - cette idĂ©e a Ă©tĂ© approuvĂ©e par tous les comitĂ©s de planification et est restĂ©e bloquĂ©e au niveau du ministre de l'intĂ©rieurâ, poursuit M. Saporta. âIl Ă©tait bien sĂ»r possible d'empĂȘcher la dĂ©molition et de trouver une solution Ă©quitable avec les habitants. Ils ne l'ont pas fait et, au lieu de cela, ils ont laissĂ© plus de 300 personnes dans la destruction et la douleur. C'est un tĂ©moignage de la politique [d'IsraĂ«l] qui consiste Ă faire les choses sans tenir compte des habitants en utilisant le mĂ©canisme de pression illĂ©gitime des dĂ©molitions de maisons.â
La vague actuelle de démolitions dans le Naqab est largement attribuée à Ben Gvir par les habitants et les militants, et le bureau du ministre de la Sécurité nationale semble fier de s'en attribuer le mérite. Dans un communiqué de presse publié le matin de la démolition, son bureau a déclaré :
âLa dĂ©molition de dizaines de structures illĂ©gales dans le quartier d'Abu Issa, dans le NĂ©guev, est une Ă©tape importante pour la souverainetĂ© et la gouvernance. En effet, comme le ministre l'avait promis lors de sa prise de fonction, les dĂ©molitions de maisons illĂ©gales ont considĂ©rablement augmentĂ© dans le NĂ©guev, et le ministre est fier d'ĂȘtre Ă la tĂȘte de cette politique.
âQue tous les contrevenants au NĂ©guev sachent que les terres du NĂ©guev n'ont pas Ă©tĂ© abandonnĂ©es, et que l'Ătat d'IsraĂ«l mĂšnera une guerre brutale contre ceux qui tentent de s'approprier des terres et d'Ă©tablir des faits sur le terrainâ, poursuit le communiquĂ©.
âDepuis la crĂ©ation de l'Ătatâ, a dĂ©plorĂ© M. Suleiman, âil y a eu des problĂšmes d'administration [des terres], mais jamais rien de tel, pas une telle offensive. Lorsqu'ils vous parlent, c'est comme s'ils ne sâadressaient pas Ă des ĂȘtres humains. L'Ătat a perdu toute dignitĂ©. Pour eux, la âgouvernanceâ est synonyme de destructionâ.
Une version de cet article a d'abord été publiée en hébreu sur Local Call.
* Oren Ziv est photojournaliste, reporter pour Local Call et membre fondateur du collectif de photographes Activestills.
https://www.972mag.com/israel-razes-bedouin-village-wadi-al-khalil/