👁🗨 Jacob Siegel : Un guide pour comprendre le canular du siècle - Treize façons d'appréhender la désinformation
La désinformation, aujourd'hui & à jamais, est ce qu'ils disent qu'elle est. Non pas le signe d'un concept mal utilisé ou corrompu, mais du parfait exemple du fonctionnement d'un système totalitaire.
👁🗨 Un guide pour comprendre le canular du siècle - Treize façons d'appréhender la désinformation
Par Jacob Siegel, le 29 MARS 2023
PROLOGUE : LA GUERRE DE L'INFORMATION
La désinformation, aujourd'hui et à jamais, est ce qu'ils disent qu'elle est. Ce n'est pas le signe que le concept est mal utilisé ou corrompu ; c'est au contraire le parfait exemple du fonctionnement d'un système totalitaire.
En 1950, le sénateur Joseph McCarthy a affirmé avoir la preuve qu'un réseau d'espionnage communiste opérait au sein du gouvernement. Du jour au lendemain, ces accusations explosives ont fait le tour de la presse nationale, mais les détails n'ont cessé de changer. Dans un premier temps, McCarthy a déclaré qu'il disposait d'une liste contenant les noms de 205 communistes au sein du département d'État ; le lendemain, il a ramené cette liste à 57. Comme il gardait la liste secrète, les incohérences n'avaient pas d'importance. Ce qui compte, c'est la puissance de l'accusation, qui a fait du nom de McCarthy un synonyme de la politique de l'époque.
Pendant plus d'un demi-siècle, le maccarthysme a constitué un chapitre essentiel de la vision du monde des libéraux américains : une mise en garde contre l'attrait dangereux des listes noires, des chasses aux sorcières et des démagogues.
Jusqu'en 2017, lorsqu'une nouvelle liste d'agents russes présumés a bouleversé la presse et la classe politique américaines. Une nouvelle organisation, Hamilton 68, prétendait avoir découvert des centaines de comptes affiliés à la Russie qui avaient infiltré Twitter pour semer le chaos et aider Donald Trump à remporter l'élection. La Russie était accusée de pirater les plateformes de réseaux sociaux, les nouveaux centres de pouvoir, et de les utiliser pour orchestrer clandestinement des événements à l'intérieur des États-Unis.
Rien de tout cela n'était vrai. Après avoir examiné la liste secrète de Hamilton 68, le responsable de la sécurité de Twitter, Yoel Roth, a admis en privé que son entreprise permettait à de "vraies personnes" d'être "unilatéralement qualifiées de laquais de la Russie, sans preuve ni recours".
L'épisode de Hamilton 68 s'est déroulé comme un remake presque parfait de l'affaire McCarthy, à une différence près : McCarthy a dû faire face à une certaine résistance de la part d'éminentes personnalités : McCarthy a dû faire face à une certaine résistance de la part de journalistes de premier plan, des agences de renseignement américaines et de ses collègues du Congrès. À notre époque, ces mêmes groupes se sont alignés pour soutenir les nouvelles listes secrètes, et attaquer quiconque les remettait en question.
Lorsque sont apparues, au début de l'année, les preuves que Hamilton 68 était un canular de haut niveau perpétré contre le peuple américain, la presse nationale s'est heurtée à un grand mur de silence. Le désintérêt était si profond qu'il suggérait une question de principe plutôt que de commodité pour les porte-drapeaux du libéralisme américain qui avaient perdu la foi dans la promesse de liberté, et embrassé un nouvel idéal.
Dans les derniers jours de son mandat, le président Barack Obama a pris la décision d'engager le pays sur une nouvelle voie. Le 23 décembre 2016, il a promulgué la loi Countering Foreign Propaganda and Disinformation Act, usant d’un langage associé à la défense de la patrie pour lancer une guerre de l'information offensive et illimitée.
Le spectre de Donald Trump et les mouvements populistes de 2016 ont réveillé des monstres endormis en Occident. La désinformation, vestige à moitié oublié de la guerre froide, a été à nouveau évoquée comme une menace urgente et existentielle. La Russie aurait exploité les vulnérabilités de l'internet ouvert pour contourner les défenses stratégiques américaines en infiltrant les téléphones et les ordinateurs portables des particuliers. L'objectif final du Kremlin était de coloniser l'esprit de ses cibles, une tactique que les spécialistes de la cyberguerre appellent le "piratage cognitif".
La lutte contre ce spectre était considérée comme une question de survie nationale. "Les États-Unis perdent la guerre d'influence", avertissait un article publié en décembre 2016 dans le journal de l'industrie de la défense, Defense One. L'article citait deux initiés du gouvernement qui affirmaient que les lois rédigées pour protéger les citoyens américains de l'espionnage étatique mettaient en péril la sécurité nationale. Selon Rand Waltzman, ancien directeur de programme à la Defense Advanced Research Projects Agency, les adversaires des États-Unis jouissent d'un "avantage significatif" grâce aux "contraintes juridiques et organisationnelles auxquelles nous sommes soumis et qu'ils ne subissent pas".
Michael Lumpkin, qui a dirigé le Global Engagement Center (GEC) du département d'État, l'agence désignée par Obama pour mener la campagne de contre-désinformation des États-Unis, s'est fait l'écho de ce point de vue. M. Lumpkin a qualifié d'obsolète le Privacy Act de 1974, une loi datant de l'après-Watergate qui protège les citoyens américains contre la collecte de leurs données par le gouvernement. "La loi de 1974 a été créée pour s'assurer que nous ne recueillions pas de données sur les citoyens américains. Eh bien, ... par définition, le World Wide Web est mondial. Il n'y a pas de passeport qui l'accompagne. S'il s'agit d'un citoyen tunisien aux États-Unis ou d'un citoyen américain en Tunisie, je n'ai pas la capacité de le discerner... Si j'avais plus de possibilités de travailler avec ces [informations personnelles identifiables] et si j'y avais accès... je pourrais faire plus de ciblage, de manière plus définitive, pour m'assurer que je peux envoyer le bon message au bon public et au bon moment".
Le message de l'establishment de la défense américaine était clair : pour gagner la guerre de l'information - un conflit existentiel qui se déroule dans les dimensions sans frontières du cyberespace - le gouvernement devait se passer des distinctions juridiques obsolètes entre les terroristes étrangers et les citoyens américains.
Depuis 2016, le gouvernement fédéral a dépensé des milliards de dollars pour transformer le complexe de contre-désinformation en l'une des forces les plus puissantes du monde moderne : un léviathan tentaculaire dont les tentacules s'étendent aux secteurs public et privé, que le gouvernement utilise pour diriger un effort de "toute la société" qui vise à prendre le contrôle total d'Internet et à réaliser rien de moins que l'éradication de l'erreur humaine.
La première étape de la mobilisation nationale pour vaincre la désinformation a consisté à fusionner l'infrastructure de sécurité nationale des États-Unis avec les plateformes de réseaux sociaux, où se déroulait la guerre. L'agence gouvernementale chargée de la lutte contre la désinformation, le GEC, a déclaré que sa mission consistait à "rechercher et à engager les meilleurs talents dans le secteur technologique". À cette fin, le gouvernement a commencé à nommer des cadres de la technologie comme commissaires à l'information de facto en temps de guerre.
Dans des entreprises comme Facebook, Twitter, Google et Amazon, les cadres supérieurs ont toujours compté des vétérans de l'establishment de la sécurité nationale. Mais avec la nouvelle alliance entre la sécurité nationale américaine et les réseaux sociaux, les anciens espions et responsables des agences de renseignement sont devenus un bloc dominant au sein de ces entreprises ; ce qui avait été une progression de carrière par laquelle les gens passaient de leur expérience gouvernementale à des emplois dans le secteur privé de la technologie s'est transformé en un véritable ouroboros qui a fusionné les deux. Avec ce jumelage D.C.-Silicon Valley, les bureaucraties fédérales ont pu s'appuyer sur des relations sociales informelles pour faire avancer leur agenda au sein des entreprises technologiques.
À l'automne 2017, le FBI a créé son groupe de travail sur l'influence étrangère dans le but exprès de surveiller les médias sociaux pour repérer les comptes qui tentent de "discréditer les personnes et les institutions américaines". Le département de la sécurité intérieure a endossé un rôle similaire.
À peu près au même moment, Hamilton 68 a explosé. Publiquement, les algorithmes de Twitter ont transformé le "tableau de bord" exposant l'influence russe en un sujet d'actualité majeur. En coulisses, les dirigeants de Twitter ont rapidement compris qu'il s'agissait d'une escroquerie. Selon le journaliste Matt Taibbi, lorsque Twitter a procédé à la rétro-ingénierie de la liste secrète, il a découvert qu'"au lieu de suivre l'influence de la Russie sur les attitudes américaines, Hamilton 68 s'est contenté de rassembler une poignée de comptes, pour la plupart réels et pour la plupart américains, et de décrire leurs conversations organiques comme des manigances russes". La découverte a incité le responsable de la confiance et de la sécurité de Twitter, Yoel Roth, à suggérer dans un courriel d'octobre 2017 que l'entreprise prenne des mesures pour dénoncer le canular et "appeler cela pour la connerie que c'est."
En fin de compte, ni Roth ni personne d'autre n'a dit un mot. Au lieu de cela, ils ont laissé un pourvoyeur de conneries de qualité industrielle - le terme démodé de désinformation - continuer à déverser son contenu directement dans le flux d'informations.
Il ne suffisait pas que quelques agences puissantes luttent contre la désinformation. La stratégie de mobilisation nationale exigeait une approche "non seulement de l'ensemble du gouvernement, mais aussi de l'ensemble de la société", selon un document publié par le GEC en 2018. "Pour contrer la propagande et la désinformation", a déclaré l'agence, "il faudra tirer parti de l'expertise de l'ensemble du gouvernement, des secteurs de la technologie et du marketing, du monde universitaire et des ONG."
C'est ainsi que la "guerre contre la désinformation" créée par le gouvernement est devenue la grande croisade morale de son temps. Les officiers de la CIA à Langley en sont venus à partager une cause avec de jeunes journalistes branchés à Brooklyn, des organisations non lucratives progressistes à Washington, des think tanks financés par George Soros à Prague, des consultants en équité raciale, des consultants en capital-investissement, des employés d'entreprises technologiques de la Silicon Valley, des chercheurs de l'Ivy League et des membres de la famille royale britannique qui ont failli à leur mission. Les républicains "Never Trump" ont uni leurs forces à celles du Comité national démocrate, qui a déclaré que la désinformation en ligne était "un problème qui touche l'ensemble de la société et qui nécessite une réponse de l'ensemble de la société".
Même les critiques les plus virulents du phénomène - dont Taibbi et Jeff Gerth, de la Columbia Journalism Review, qui a récemment publié une dissection du rôle de la presse dans la promotion des fausses allégations de collusion entre Trump et la Russie - se sont concentrés sur les échecs des médias, un point de vue largement partagé par les publications conservatrices, qui traitent la désinformation comme un problème de partialité de la censure partisane. Mais s'il ne fait aucun doute que les médias se sont totalement déshonorés, ils sont aussi un bouc émissaire commode - de loin l'acteur le plus faible du complexe de contre-désinformation. La presse américaine, autrefois gardienne de la démocratie, a été vidée de sa substance au point d'être arborée comme une marionnette par les agences de sécurité et les agents des partis américains.
Il serait agréable d'appeler ce qui s'est passé une tragédie, mais un public est censé apprendre quelque chose d'une tragédie. En tant que nation, l'Amérique n'a non seulement rien appris, mais elle a été délibérément empêchée d'apprendre quoi que ce soit, tout en étant forcée de courir après des ombres. Ce n'est pas parce que les Américains sont stupides, c'est parce que ce qui s'est passé n'est pas une tragédie, mais quelque chose plus proche du crime. La désinformation est à la fois le nom du crime, et le moyen de le couvrir ; une arme qui fait aussi office de camouflage.
Le crime est la guerre de l'information elle-même, lancée sous de faux prétextes et qui, par nature, détruit les frontières essentielles entre le public et le privé, entre l'étranger et le national, dont dépendent la paix et la démocratie. En associant la politique anti-establishment des populistes nationaux à des actes de guerre commis par des ennemis étrangers, elle a justifié le recours à des armes de guerre contre des citoyens américains. Il a transformé les lieux publics où se déroule la vie sociale et politique en pièges de surveillance, et en cibles pour des opérations psychologiques de masse. Le crime est la violation systématique des droits des Américains par des fonctionnaires non élus qui contrôlent secrètement ce que les individus peuvent penser et dire.
Ce que nous voyons aujourd'hui, dans les révélations qui exposent les rouages du régime de censure entre l'État et les entreprises, n'est que la fin du commencement. Les États-Unis n'en sont encore qu'aux premiers stades d'une mobilisation de masse qui vise à soumettre tous les secteurs de la société à un régime technocratique unique. Cette mobilisation, qui a commencé comme une réponse à la menace prétendument urgente de l'ingérence russe, évolue maintenant vers un régime de contrôle total de l'information qui s'est arrogé la mission d'éradiquer les dangers abstraits tels que l'erreur, l'injustice et le mal - un objectif digne uniquement des dirigeants qui se croient infaillibles, ou des super-vilains de bandes dessinées.
La première phase de la guerre de l'information a été marquée par des manifestations typiquement humaines d'incompétence et d'intimidation brutale. Mais la prochaine étape, déjà en cours, est réalisée par des processus évolutifs d'intelligence artificielle et de pré-censure algorithmique qui sont encodés de manière invisible dans l'infrastructure de l'internet, où ils peuvent modifier les perceptions de milliards de personnes.
Une chose monstrueuse est en train de prendre forme en Amérique. D'un point de vue formel, elle présente la synergie du pouvoir de l'État et des entreprises au service d'un zèle tribal, qui est la marque du fascisme. Pourtant, quiconque passe du temps en Amérique et n'est pas un zélote ayant subi un lavage de cerveau peut dire qu'il ne s'agit pas d'un pays fasciste. Ce qui est en train de naître, c'est une nouvelle forme de gouvernement et d'organisation sociale qui est aussi différente de la démocratie libérale du milieu du vingtième siècle que la première république américaine l'était du monarchisme britannique dont elle est issue, et qu'elle a fini par supplanter. Un État organisé dont le principe est la protection des droits souverains des individus, qui se métamorphose en un léviathan numérique exerçant son pouvoir au moyen d'algorithmes opaques et de la manipulation d'essaims numériques. Il ressemble au système chinois de crédit social et de contrôle de l'État par un parti unique, mais cela aussi ne tient pas compte du caractère distinctement américain et providentiel du système de contrôle. Dans le temps que nous perdons à essayer de le nommer, la chose elle-même peut disparaître à nouveau dans les ténèbres bureaucratique, effaçant toute trace par suppressions automatiques des centres de données top secret d'Amazon Web Services, "le nuage de confiance pour le gouvernement".
Quand le merle a pris son envol, loin des regards,
il a tracé la limite
de l'un des nombreux cycles.
D'un point de vue technique ou structurel, l'objectif du régime de censure n'est pas de censurer ou d'opprimer, mais de gouverner. C'est pourquoi les autorités ne peuvent jamais être accusées de désinformation. Pas lorsqu'elles ont menti sur les ordinateurs portables de Hunter Biden, pas lorsqu'elles ont prétendu que la fuite du laboratoire était une conspiration raciste, pas lorsqu'elles ont affirmé que les vaccins stoppaient la transmission du nouveau coronavirus. La désinformation, aujourd'hui et à jamais, est ce qu'ils disent qu'elle est. Ce n'est pas le signe que le concept est mal utilisé ou corrompu ; c'est au contraire le parfait exemple du fonctionnement d'un système totalitaire.
Si la philosophie sous-jacente de la guerre contre la désinformation devait s'exprimer en une seule phrase, ce serait celle-ci : "On ne peut pas se fier à son propre jugement.” Ce qui suit tente de voir en quoi ce concept se manifeste dans la réalité. Nous allons aborder le sujet de la désinformation sous treize perspectives différentes, à l'instar des "Treize façons de voir un merle", poème de Wallace Stevens datant de 1917, dans l'espoir que la synthèse de ces points de vue partiels permettra de se faire une idée précise des véritables formes que revêt la désinformation, ainsi que de son objectif ultime.
SOMMAIRE
I. Retour inattendu de la russophobie : Les origines de la "désinformation" contemporaine
II. Élection de Trump : "C'est la faute de Facebook"
III. Pourquoi avons-nous besoin de toutes ces données sur les gens ?
IV. Internet : De l'enfant chéri au démon
V. Russiagate ! Russiagate ! Le Russiagate !
VI. Pourquoi la "guerre contre la terreur" de l'après 11 septembre n'a jamais pris fin
VII. La montée en puissance des "extrémistes nationaux"
VIII. VIII. Les ONG sur l’échelle de Borg
IX. COVID-19
X. Les ordinateurs portables de Hunter : L'exception à la règle
XI. Le nouvel État à parti unique
XII. La fin de la censure
XIII. Après la démocratie
Annexe : Dictionnaire de la désinformation
I. Le retour inattendu de la russophobie : Les origines de la "désinformation" contemporaine
Les fondements de la guerre de l'information actuelle ont été posés en réponse à une série d'événements qui se sont déroulés en 2014. La Russie a d'abord tenté de réprimer le mouvement Euromaïdan soutenu par les États-Unis en Ukraine ; quelques mois plus tard, elle a envahi la Crimée ; et plusieurs mois après, l'État islamique s'est emparé de la ville de Mossoul, dans le nord de l'Irak, et l'a déclarée capitale d'un nouveau califat. Dans trois conflits distincts, un ennemi ou une puissance rivale des États-Unis a été considéré comme ayant utilisé avec succès non seulement la puissance militaire, mais aussi des campagnes de diffusion de messages sur les réseaux sociaux conçues pour semer la confusion et démoraliser ses ennemis - une combinaison connue sous le nom de "guerre hybride". Ces conflits ont convaincu les responsables de la sécurité des États-Unis et de l'OTAN que le pouvoir des réseaux sociaux de façonner les perceptions du public avait évolué au point de pouvoir décider de l'issue des guerres modernes - une issue qui pourrait être contraire à celle souhaitée par les États-Unis. Ils en ont conclu que l'État devait se donner les moyens de prendre le contrôle des communications numériques afin de présenter la réalité telle qu'il la souhaite et d'empêcher qu'elle ne ressemble à autre chose.
Techniquement, la guerre hybride désigne une approche qui combine des moyens militaires et non militaires - des opérations clandestines et secrètes mêlées à la cyberguerre et aux opérations d'influence - afin de désorienter et d'affaiblir une cible tout en évitant une guerre conventionnelle directe et à grande échelle. Dans la pratique, elle est notoirement vague. "Le terme couvre désormais tous les types d'activités russes perceptibles, de la propagande à la guerre conventionnelle, et tout ce qui existe entre les deux", a écrit l'analyste de la Russie Michael Kofman en mars 2016.
Au cours de la dernière décennie, la Russie a en effet employé à plusieurs reprises des tactiques associées à la guerre hybride, notamment en cherchant à cibler le public occidental par des messages diffusés sur des chaînes comme RT et Sputnik News et par des opérations cybernétiques telles que l'utilisation de comptes de "trolls". Mais ces pratiques n'étaient pas nouvelles, même en 2014, et les États-Unis, ainsi que toutes les autres grandes puissances, s'y livraient également. Dès 2011, les États-Unis construisaient leurs propres "armées de trolls" en ligne en développant des logiciels pour "manipuler secrètement les sites de réseaux sociaux en utilisant de fausses personnalités en ligne pour influencer les conversations sur Internet et diffuser de la propagande pro-américaine".
"Si vous torturez la guerre hybride assez longtemps, elle vous dira n'importe quoi", avait admonesté Kofman, et c'est précisément ce qui a commencé à se produire quelques mois plus tard, lorsque les détracteurs de Trump ont popularisé l'idée qu'une main russe cachée était le marionnettiste des développements politiques à l'intérieur des États-Unis.
Le principal promoteur de cette idée était un ancien agent du FBI et analyste de la lutte contre le terrorisme, Clint Watts. Dans un article d'août 2016 intitulé "How Russia Dominates Your Twitter Feed to Promote Lies (And, Trump, Too)", Clint Watts et son coauteur, Andrew Weisburd, décrivent comment la Russie a relancé sa campagne "Active Measures" de l'époque de la guerre froide, en utilisant la propagande et la désinformation pour influencer l’audiences étrangère. En conséquence, selon l'article, les électeurs de Trump et les propagandistes russes promouvaient sur les réseaux sociaux les mêmes histoires destinées à faire passer l'Amérique pour faible et incompétente. Les auteurs affirment de manière surprenante que "la fusion des comptes favorables à la Russie et des électeurs de Trump dure depuis un certain temps". Si cela était vrai, cela signifiait que toute personne exprimant son soutien à Donald Trump pouvait être un agent du gouvernement russe, qu'elle ait ou non l'intention de jouer ce rôle. Cela signifiait que ceux qu'ils appelaient les "trumpistes", qui représentaient la moitié du pays, attaquaient l'Amérique de l'intérieur. Cela signifiait que la politique était devenue une guerre, comme c'est le cas dans de nombreuses régions du monde, et que des dizaines de millions d'Américains étaient l'ennemi.
M. Watts s'est fait un nom en tant qu'analyste de la lutte contre le terrorisme en étudiant les stratégies de réseaux sociaux utilisées par ISIS, mais avec des articles comme celui-ci, il est devenu l'expert des médias sur les trolls russes et les campagnes de désinformation du Kremlin. Il semble qu'il ait également bénéficié de soutiens puissants.
Dans son livre The Assault on Intelligence, le chef de la CIA à la retraite Michael Hayden a qualifié Watts d'"homme qui, plus que tout autre, a tenté de tirer la sonnette d'alarme plus de deux ans avant les élections de 2016."
Dans son livre, Hayden attribue à Watts le mérite de lui avoir fait découvrir le potentiel des réseaux sociaux : "Watts m'a fait remarquer que Twitter rendait les faussetés plus crédibles par la simple répétition et par la quantité. Il a parlé d'une sorte de "propagande informatique". Twitter alimente à son tour les médias grand public".
Une fausse histoire amplifiée algorithmiquement par Twitter et diffusée par les médias - ce n'est pas une coïncidence si cela décrit parfaitement les "conneries" diffusées sur Twitter à propos des opérations d'influence russes : en 2017, c'est Watts qui a eu l'idée de créer ce "Hamilton 68 dashboard", et a contribué à lancer l'initiative.
II. L'élection de Trump : "C'est la faute de Facebook"
Personne ne pensait que Trump était un homme politique normal. En tant qu'ogre, Trump a horrifié des millions d'Américains qui ont ressenti une trahison personnelle en pensant qu'il occuperait le même poste que George Washington et Abe Lincoln. Trump a également menacé les intérêts commerciaux des secteurs les plus puissants de la société. C'est cette dernière offense, plutôt que son racisme supposé ou son caractère non présidentiel flagrant, qui a plongé la classe dirigeante dans un état d'apoplexie.
Étant donné qu'il s'est concentré sur l'abaissement du taux d'imposition des sociétés, il est facile d'oublier que les responsables républicains et la classe des donateurs du parti considéraient Trump comme un dangereux radical qui menaçait leurs liens commerciaux avec la Chine, leur accès à une main-d'œuvre importée bon marché et l'activité lucrative de la guerre permanente. Mais c'est bien ainsi qu'ils le voyaient, comme en témoigne la réaction sans précédent à la candidature de Trump enregistrée par le Wall Street Journal en septembre 2016 : "Aucun dirigeant des 100 plus grandes entreprises du pays n'avait fait de don à la campagne présidentielle du républicain Donald Trump jusqu'au mois d'août, un net revirement par rapport à 2012, lorsque près d'un tiers des PDG des entreprises du classement Fortune 100 avaient soutenu le candidat du GOP, Mitt Romney."
Le phénomène n'est pas propre à Trump. Bernie Sanders, le candidat populaire de gauche en 2016, était également considéré comme une sérieuse menace par la classe dirigeante. Mais alors que les démocrates ont réussi à saboter Sanders, Trump a réussi à franchir les garde-fous de son parti, ce qui signifie qu'il a dû faire face par d'autres moyens.
Deux jours après l'entrée en fonction de Trump, le sénateur Chuck Schumer, tout sourire, a déclaré à Rachel Maddow de MSNBC qu'il était "vraiment stupide" de la part du nouveau président de s'attirer les foudres des agences de sécurité qui étaient censées travailler pour lui : "Laissez-moi vous dire que si vous vous en prenez à la communauté du renseignement, elle aura, à partir de dimanche, six bonnes façons de se venger de vous".
Trump a utilisé des sites comme Twitter pour contourner les élites de son parti et entrer directement en contact avec ses partisans. Par conséquent, pour paralyser le nouveau président et s'assurer que personne comme lui ne puisse jamais revenir au pouvoir, les agences de renseignement ont dû briser l'indépendance des plateformes de réseaux sociaux. Comme par hasard, il s'agissait de la même leçon que de nombreux responsables du renseignement et de la défense avaient tirée des campagnes d'ISIS et de la Russie en 2014 - à savoir que les réseaux sociaux étaient bien trop puissants pour être laissés en dehors du contrôle de l'État - mais appliquée à la politique intérieure, ce qui signifiait que les agences seraient désormais aidées par des personnalités politiques qui avaient tout intérêt à profiter de cette initiative.
Immédiatement après l'élection, Hillary Clinton a commencé à accuser Facebook d'être responsable de sa défaite. Jusque-là, Facebook et Twitter s'étaient efforcés de rester en dehors de la mêlée politique, craignant de compromettre leurs profits potentiels en s'aliénant l'un ou l'autre parti. Mais un changement profond s'est produit, car l'opération derrière la campagne Clinton s'est réorientée non seulement pour réformer les plateformes de réseaux sociaux, mais aussi pour les conquérir. La leçon qu'ils ont tirée de la victoire de Trump est que Facebook et Twitter - plus que le Michigan et la Floride - sont les champs de bataille cruciaux où les compétitions politiques sont gagnées ou perdues. "Beaucoup d'entre nous commencent à parler de l'ampleur du problème", a déclaré Teddy Goff, stratège numérique en chef de Clinton, à Politico la semaine suivant l'élection, en faisant référence au rôle présumé de Facebook dans la diffusion de la désinformation russe qui a aidé Trump. "Tant du côté de la campagne que de l'administration, et plus largement de l'orbite d'Obama, c'est l'une des choses que nous aimerions aborder après l'élection", a déclaré M. Goff.
La presse a répété ce message si souvent qu'elle a donné à la stratégie politique l'apparence d'une validité objective :
"Donald Trump a gagné grâce à Facebook" ; New York Magazine, 9 novembre 2016.
"Facebook, dans la confusion après l'élection, s'interrogerait sur son influence" ; The New York Times, 12 novembre 2016.
" La propagande russe a contribué à la diffusion de 'fake news' pendant les élections, selon des experts " ; The Washington Post, 24 novembre 2016.
" La désinformation, et non les fake news, a fait élire Trump, et elle continuera à le faire " ; The Intercept, 6 décembre 2016.
Et cela s'est poursuivi dans d'innombrables articles qui ont dominé le cycle de l'information pendant les deux années suivantes.
Dans un premier temps, Mark Zuckerberg, PDG de Facebook, a rejeté l'accusation selon laquelle les "fake news" publiées sur sa plateforme avaient influencé le résultat de l'élection, la qualifiant d'"assez folle". Mais Mark Zuckerberg a dû faire face à une campagne de pression intense au cours de laquelle tous les secteurs de la classe dirigeante américaine, y compris ses propres employés, lui ont reproché d'avoir placé un agent de Poutine à la Maison-Blanche, l'accusant de fait de haute trahison. La goutte d'eau qui a fait déborder le vase est arrivée quelques semaines après l'élection, lorsque Obama lui-même a "dénoncé publiquement la diffusion de fake news sur Facebook". Deux jours plus tard, Zuckerberg s'est plié aux exigences : "Facebook annonce une nouvelle offensive contre les fake news après la déclaration d'Obama".
L'affirmation fausse, mais déterminante, selon laquelle la Russie aurait piraté l'élection de 2016 a permis de justifier - tout comme les affirmations sur les armes de destruction massive qui ont déclenché la guerre d'Irak - le plongeon de l'Amérique dans un état d'exception digne d'un temps de guerre. Les règles normales de la démocratie constitutionnelle étant suspendues, une clique d'agents du parti et de responsables de la sécurité a ensuite implanté une nouvelle architecture de contrôle social, vaste et généralement invisible, dans les coulisses des plus grandes plateformes internet.
Bien qu'il n'y ait jamais eu la moindre injonction publique, le gouvernement américain a commencé à appliquer la loi martiale en ligne.
III. Pourquoi avons-nous besoin de toutes ces données sur les personnes ?
La doctrine américaine de la guerre contre-insurrectionnelle (COIN) est célèbre pour son appel à "gagner les cœurs et les esprits". L'idée est que la victoire contre les groupes d'insurgés dépend du soutien de la population locale, qui ne peut être obtenu par la seule force brute. Dans des pays comme le Viêt Nam et l'Irak, le soutien a été obtenu en combinant la construction d'une nation et l'attrait pour les habitants en leur fournissant des biens qu'ils étaient supposés apprécier : de l'argent et des emplois, par exemple, ou de la stabilité.
Étant donné que les valeurs culturelles varient et que ce qui est apprécié par un villageois afghan peut sembler sans valeur à un comptable suédois, les contre-insurgés qui réussissent doivent apprendre à connaître les motivations de la population locale. Pour conquérir un esprit, il faut d'abord le pénétrer pour comprendre ses désirs et ses craintes. En cas d'échec, il existe une autre approche dans l'arsenal militaire moderne pour la remplacer : le contre-terrorisme. Là où la contre-insurrection tente de gagner le soutien de la population locale, le contre-terrorisme s'efforce de traquer et de tuer les ennemis désignés.
Malgré les tensions apparentes entre ces deux approches opposées, les deux stratégies ont souvent été utilisées en tandem. Toutes deux s'appuient sur de vastes réseaux de surveillance pour recueillir des renseignements sur leurs cibles, qu'il s'agisse de savoir où creuser des puits ou de localiser des terroristes afin de les tuer. Mais le contre-insurgé en particulier s'imagine que s'il peut en apprendre suffisamment sur une population, il sera possible de réorganiser sa société. Pour obtenir des réponses, il suffit d'utiliser les bonnes ressources : une combinaison d'outils de surveillance et de méthodologies de sciences sociales, dont les résultats communs alimentent des bases de données centralisées toutes-puissantes censées maîtriser le déroulement de cette guerre.
En réfléchissant à mon expérience en tant qu'officier de renseignement de l'armée américaine en Afghanistan, j'ai observé que "les outils d'analyse de données à la portée de toute personne ayant accès à un centre d'opérations ou à une salle de crise semblaient promettre la convergence imminente de la carte et du territoire", mais qu'ils finissaient par devenir un piège car "les forces américaines pouvaient évaluer des milliers de choses différentes que nous ne pouvions pas comprendre". Nous avons essayé de combler ce déficit en acquérant encore plus de données. Si seulement nous pouvions rassembler suffisamment d'informations et les harmoniser avec les bons algorithmes, nous pensions que la base de données devinerait l'avenir.
Ce cadre est non seulement fondamental dans la doctrine américaine moderne de contre-insurrection, mais il a également été à l'origine de la conception d'Internet. Le Pentagone a construit le proto-internet connu sous le nom d'ARPANET en 1969 parce qu'il avait besoin d'une infrastructure de communication décentralisée capable de survivre à une guerre nucléaire, mais ce n'était pas le seul objectif. Internet, écrit Yasha Levine dans son livre sur le sujet, Surveillance Valley, était aussi "une tentative de construire des systèmes informatiques capables de collecter et de partager des renseignements, d'observer le monde en temps réel, d'étudier et d'analyser les gens et les mouvements politiques dans le but ultime de prédire et de prévenir les bouleversements sociaux. Certains ont même rêvé de créer une sorte de radar d'alerte précoce pour les sociétés humaines : un système informatique en réseau qui surveillerait les menaces sociales et politiques et les intercepterait de la même manière que les radars traditionnels le faisaient pour les avions hostiles".
À l'époque du "programme de liberté" lié à internet, la mythologie populaire de la Silicon Valley la dépeignait comme un laboratoire de monstres, d'autodidactes, de libres penseurs et de bricoleurs libertaires qui voulaient simplement faire des choses géniales sans que le gouvernement ne les ralentisse. L'autre version de l'histoire, décrite dans le livre de M. Levine, souligne qu'internet "a toujours été un outil à double vocation, enraciné dans la collecte de renseignements et la guerre". Il y a du vrai dans les deux versions, mais après 2001, la distinction a disparu.
Comme l'écrit Shoshana Zuboff dans The Age of Surveillance Capitalism, au début de la guerre contre le terrorisme, "l'affinité élective entre les agences de renseignement publiques et le capitalisme de surveillance naissant Google s'est épanouie dans le feu de l'action pour produire une déformation historique unique : l'exceptionnalisme de la surveillance".
En Afghanistan, l'armée a dû recourir à des drones coûteux et à des "équipes de surveillance du terrain" composées d'universitaires aventureux afin d'enquêter sur la population locale et d'extraire les données sociologiques pertinentes. Mais comme les Américains passent des heures par jour à alimenter volontairement les monopoles de données liés au secteur de la défense avec leurs moindres pensées, il a dû sembler trivialement facile à quiconque contrôlant les bases de données de manipuler les sentiments de la population dans son pays.
Il y a plus de dix ans, le Pentagone a commencé à financer le développement d'une série d'outils destinés à détecter et à contrer les messages terroristes sur les réseaux sociaux. Certains faisaient partie d'une initiative plus large de "guerre mémétique" au sein de l'armée, qui comprenait des propositions visant à utiliser les mèmes pour "vaincre une idéologie ennemie et gagner les masses de non-combattants indécis". Mais la plupart des programmes, lancés en réponse à la montée d'ISIS et à l'utilisation habile des réseaux sociaux par le groupe djihadiste, se sont concentrés sur le renforcement des moyens automatisés de détection et de censure des messages terroristes en ligne. Ces efforts ont culminé en janvier 2016 avec l'annonce par le département d'État de l'ouverture du Centre d'engagement mondial susmentionné, dirigé par Michael Lumpkin. Quelques mois plus tard, le président Obama a chargé le GEC de la nouvelle guerre contre la désinformation. Le jour même de l'annonce de la création du GEC, M. Obama et "plusieurs membres haut placés de l'establishment de la sécurité nationale ont rencontré des représentants de Facebook, Twitter, YouTube et d'autres puissances de l'Internet pour discuter de la manière dont les États-Unis peuvent lutter contre les messages d'ISIS par le biais des réseaux sociaux".
Dans le sillage des bouleversements populistes de 2016, les figures de proue du parti au pouvoir aux États-Unis se sont emparées de l'effet de rétroaction de la surveillance et du contrôle affiné par la guerre contre le terrorisme comme méthode pour maintenir le pouvoir à l'intérieur des États-Unis. Les armes créées pour combattre ISIS et Al-Qaïda ont été retournées contre les Américains qui nourrissaient des pensées inconvenantes sur le président ou les boosters de vaccins, les pronoms de genre ou la guerre en Ukraine.
L'ancien fonctionnaire du département d'État Mike Benz, aujourd'hui à la tête d'une organisation appelée Foundation for Freedom Online qui se présente comme un chien de garde de la liberté d'expression numérique, décrit comment une société appelée Graphika, "essentiellement un consortium de censure financé par le ministère américain de la Défense" qui a été créé pour lutter contre les terroristes, a été réaffecté à la censure du discours politique en Amérique. La société, "initialement financée pour aider à effectuer un travail de contre-insurrection sur les réseaux sociaux dans les zones de conflit pour l'armée américaine", a ensuite été "redéployée au niveau national pour la censure Covid et la censure politique", a déclaré M. Benz en interview. "Graphika a été déployé pour surveiller le discours des réseaux sociaux sur le Covid et ses origines, les conspirations du Covid, ou toutes sortes de questions liées au Covid".
La lutte contre ISIS s'est transformée en lutte contre Trump et la "collusion russe", elle-même réincarnée en lutte contre la désinformation. Mais il ne s'agit là que de changements d'image ; l'infrastructure technologique sous-jacente et la philosophie de la classe dirigeante, qui revendique le droit de refaire le monde sur la base d'un sens religieux de l'expertise, sont restées inchangées. L'art humain de la politique, qui aurait nécessité de véritables négociations et compromis avec les partisans de Trump, a été abandonné au profit d'une science spécieuse de l'ingénierie sociale descendante visant à produire une société totalement sous tutelle.
Pour la classe dirigeante américaine, la COIN a remplacé la politique comme moyen approprié de traiter avec les indigènes.
IV. Internet : De l'enfant chéri au démon
Il était une fois internet qui allait sauver le monde. Le premier boom des sociétés "dot-com" dans les années 1990 a popularisé l'idée qu'Internet était une technologie permettant de maximiser le potentiel humain et de répandre la démocratie. Le plan d'action de l'administration Clinton de 1997, "Un cadre de référence pour le commerce électronique mondial", présentait la vision suivante : "Internet est un média présentant un énorme potentiel pour la promotion de la liberté individuelle et de l'autonomisation de l'individu" et "par conséquent, dans la mesure du possible, l'individu devrait être laissé maître de la manière dont il ou elle utilise ce média". Les personnes intelligentes du monde occidental se sont moquées des efforts naïfs déployés dans d'autres parties du monde pour contrôler le flux d'informations. En 2000, le président Clinton s'est moqué du fait que la répression du réseau internet chinois revenait à "essayer de clouer de la gelée au mur". Le battage médiatique s'est poursuivi sous l'administration Bush, lorsque les sociétés Internet ont été considérées comme des partenaires essentiels du programme de surveillance de masse de l'État et de son projet d'instauration de la démocratie au Moyen-Orient.
Mais le battage médiatique s'est vraiment emballé lorsque le président Obama a été élu grâce à une campagne axée sur les "big data", qui donnait la priorité à la sensibilisation aux réseaux sociaux. Il semblait y avoir un véritable alignement philosophique entre le style politique d'Obama, président de l'"espoir" et du "changement" dont le principe directeur en matière de politique étrangère était "Ne faites pas de conneries", et l'entreprise de recherche sur internet dont la devise initiale était "Ne faites pas le mal". Des liens personnels étroits unissaient également les deux pouvoirs, avec 252 exemples, au cours de la présidence d'Obama, de personnes passant d'un emploi à l'autre, entre la Maison-Blanche et Google. De 2009 à 2015, les employés de la Maison-Blanche et de Google se réunissaient en moyenne plus d'une fois par semaine.
En tant que secrétaire d'État d'Obama, Hillary Clinton a dirigé le programme gouvernemental de "liberté sur Internet", qui visait à "promouvoir les communications en ligne en tant qu'outil d'ouverture des sociétés fermées". Dans un discours prononcé en 2010, Hillary Clinton a mis en garde contre l'expansion de la censure numérique dans les régimes autoritaires : "Un nouveau voile sur l'information est en train de s'abattre sur une grande partie du monde", a-t-elle déclaré. "Et au-delà de ce rideau, les vidéos virales et les articles de blog sont en train de devenir le samizdat de notre époque.”
Il est extrêmement ironique de constater que les personnes qui, il y a dix ans, étaient à la tête du programme de défense de la liberté dans d'autres pays, ont depuis poussé les États-Unis à mettre en place l'une des machines de censure les plus étendues et les plus puissantes qui soient, sous prétexte de lutter contre la désinformation.
L'ironie n'est peut-être pas le mot qui convient pour décrire la différence entre la Clinton éprise de liberté d'il y a dix ans et l'activiste pro-censure d'aujourd'hui, mais il permet de saisir ce qui semble être le revirement d'une catégorie de personnes qui, à peine dix ans plus tôt, incarnaient dans l'opinion publique des idées radicalement différentes. Ces personnes - des personnalités politiques, avant tout - voyaient (et présentaient) la liberté d'internet comme une force positive pour l'humanité lorsqu'elle leur donnait du pouvoir et servait leurs intérêts, mais comme quelque chose de diabolique lorsqu'elle brisait ces hiérarchies de pouvoir et profitait à leurs opposants. Voilà comment combler le fossé entre la Hillary Clinton de 2013 et la Clinton de 2023 : toutes deux voient dans internet un outil extrêmement puissant pour piloter les processus politiques et opérer des changements de régime.
C'est pourquoi, dans le monde de Clinton et d'Obama, l'ascension de Donald Trump a été perçue comme une profonde trahison - parce que, selon eux, la Silicon Valley aurait pu l'arrêter, mais ne l'a pas fait. En tant que responsables de la politique gouvernementale en matière d'internet, ils avaient aidé les entreprises technologiques à bâtir leur fortune sur la surveillance de masse et évangélisé internet comme un phare de liberté et de progrès, tout en fermant les yeux sur leurs violations flagrantes des lois antitrust. En retour, les entreprises technologiques ont commis l'impensable, non pas parce qu'elles ont permis à la Russie de "pirater l'élection", une accusation désespérée lancée pour masquer les relents de l'échec, mais parce qu'elles ont refusé d'intervenir pour empêcher Donald Trump de gagner.
Dans son livre Who Owns the Future, le pionnier de la technologie Jaron Lanier écrit : "L'activité principale des réseaux numériques consiste désormais à créer des méga-dossiers ultra-secrets sur ce que font les autres, et à utiliser ces informations pour concentrer l'argent et le pouvoir." Les économies numériques produisant des concentrations toujours plus grandes de données et de pouvoir, l'inévitable s'est produit : les entreprises technologiques sont devenues trop puissantes.
Que pouvaient faire les dirigeants du parti au pouvoir ? Deux possibilités s'offraient à eux. Ils pouvaient utiliser le pouvoir réglementaire du gouvernement pour contre-attaquer : briser les monopoles de données et restructurer le contrat social qui sous-tend l'internet afin que les individus conservent la propriété de leurs données au lieu de se les faire voler chaque fois qu'ils cliquent dans un espace public. Ou bien, ils pouvaient préserver le pouvoir des entreprises technologiques tout en les forçant à abandonner le simulacre de neutralité, et à se ranger derrière le parti au pouvoir - une perspective tentante, compte tenu de ce qu'elles pourraient faire de tout ce pouvoir.
Ils ont choisi l'option B.
En déclarant les plateformes coupables d'avoir élu Trump - un candidat tout aussi détestable pour les élites hautement éduquées de la Silicon Valley qu'il l'était pour les élites ultra-éduquées de New York et de Washington -, ils ont fourni la matraque utilisée par les médias et la classe politique pour battre les entreprises technologiques afin de les rendre plus puissantes, mais aussi plus obéissantes.
V. Russiagate ! Russiagate ! Russiagate !
Si l'on imagine que la classe dirigeante américaine était confrontée à un problème - Donald Trump semblait menacer sa survie institutionnelle - l'enquête sur la Russie n'a pas seulement fourni les moyens d'unir les différentes branches de cette classe, à l'intérieur et à l'extérieur du gouvernement, contre un ennemi commun. Elle leur a également donné la forme ultime d'influence sur le secteur non aligné le plus puissant de la société : l'industrie technologique. La coordination nécessaire pour mener à bien la machination de la collusion russe était le véhicule, fusionnant (1) les objectifs politiques du Parti démocrate, (2) l'agenda institutionnel des agences de renseignement et de sécurité, et (3) le pouvoir narratif et la ferveur morale des médias avec (4) l'architecture de surveillance des entreprises technologiques.
Le mandat secret de la FISA qui a permis aux agences de sécurité américaines de commencer à espionner la campagne de Trump était basé sur le dossier Steele, un travail de hacker partisan payé par l'équipe d'Hillary Clinton qui consistait en des rapports manifestement faux alléguant une relation de travail entre Donald Trump et le gouvernement russe. Bien qu'il ait été une arme puissante à court terme contre Trump, le dossier était aussi une connerie évidente, ce qui laissait supposer qu'il pourrait éventuellement devenir un handicap.
La désinformation a résolu ce problème tout en plaçant une arme de classe nucléaire dans l'arsenal de la résistance anti-Trump. Au début, la désinformation n'était qu'un point de discussion parmi une demi-douzaine d'autres émanant du camp anti-Trump. Elle l'emportait sur les autres parce qu'elle était capable d'expliquer tout et n'importe quoi, tout en restant si ambiguë qu'elle ne pouvait être réfutée. Sur le plan défensif, il a permis d'attaquer et de discréditer quiconque remettait en question le dossier ou l'affirmation plus large selon laquelle Trump était de connivence avec la Russie.
Tous les vieux trucs maccarthystes ont été remis au goût du jour. Le Washington Post a fait grand cas de l'affirmation selon laquelle la désinformation avait fait basculer l'élection de 2016, une croisade qui a commencé dans les jours qui ont suivi la victoire de Trump, avec l'article " La propagande russe a contribué à la diffusion de 'fake news' pendant l'élection, selon des experts ". (Le principal expert cité dans l'article est Clint Watts).
Un flux régulier de fuites de responsables du renseignement vers des journalistes spécialisés dans la sécurité nationale avait déjà établi le faux récit selon lequel il existait des preuves crédibles de collusion entre la campagne de Trump et le Kremlin. Lorsque Trump a gagné en dépit de ces rapports, les hauts fonctionnaires responsables de leur diffusion, en particulier le chef de la CIA John Brennan, ont redoublé d'efforts. Deux semaines avant l'entrée en fonction de Trump, l'administration Obama a publié une version déclassifiée d'une évaluation de la communauté du renseignement, connue sous le nom d'ICA, sur les "Activités et intentions russes lors des récentes élections", qui affirmait que "Poutine et le gouvernement russe ont développé une nette préférence pour le président élu Trump".
L'ICA a été présenté comme le consensus objectif et apolitique atteint par de multiples agences de renseignement. Dans la Columbia Journalism Review, Jeff Gerth écrit que l'évaluation a fait l'objet d'une "couverture massive et essentiellement non-critique" de la part de la presse. En réalité, l'ICA était tout le contraire : un document politique élaboré de manière sélective qui omettait délibérément les preuves contradictoires afin de donner l'impression que la collusion n'était pas une rumeur largement contestée, mais un fait incontestable.
Un rapport classifié de la commission du renseignement de la Chambre des représentants sur la création de l'ICA a expliqué en détail à quel point ce document était inhabituel et ouvertement politique. "Il ne s'agissait pas de 17 agences, ni même d'une douzaine d'analystes des trois agences qui ont rédigé l'évaluation", a déclaré au journaliste Paul Sperry un haut responsable du renseignement qui a lu une version préliminaire du rapport de la Chambre des représentants. "Seuls cinq agents de la CIA l'ont rédigée, et M. Brennan les a choisis tous les cinq. Et le rédacteur principal était un bon ami de Brennan". Nommé par M. Obama, M. Brennan avait rompu avec les précédents en se mêlant de politique alors qu'il était directeur de la CIA. Ce qui a pavé le chemin de sa carrière post-gouvernementale en tant qu'analyste de MSNBC et figure de la "résistance", qui a fait les gros titres en accusant Trump de trahison.
Mike Pompeo, qui a succédé à Brennan à la CIA, a déclaré qu'en tant que directeur de l'agence, il avait appris que "des analystes chevronnés qui avaient travaillé sur la Russie pendant presque toute leur carrière étaient devenus de simples spectateurs" lors de la rédaction de l'ICA. Selon Sperry, Brennan "a exclu du rapport des preuves contradictoires sur les motivations de Poutine, malgré les objections de certains analystes du renseignement qui soutenaient que Poutine comptait sur la victoire de Clinton et considérait Trump comme un 'joker'". (C'est également M. Brennan qui a passé outre les objections d'autres agences pour inclure le dossier Steele dans l'évaluation officielle).
Malgré ses irrégularités, l'ICA a fonctionné comme prévu : Trump a commencé sa présidence sous le coup d'une suspicion qu'il n'a jamais pu dissiper. Comme l'avait promis Schumer, les responsables du renseignement n'ont pas tardé à prendre leur revanche.
Et pas seulement une revanche, mais aussi une action planifiée. L'affirmation selon laquelle la Russie a piraté le vote de 2016 a permis aux agences fédérales de mettre en œuvre le nouveau mécanisme de censure public-privé sous le prétexte d'assurer "l'intégrité des élections". Les personnes qui ont exprimé des points de vue véridiques et protégés par la Constitution sur l'élection de 2016 (et plus tard sur des questions telles que le COVID-19 et le retrait des États-Unis d'Afghanistan) ont été qualifiées d'anti-américaines, de racistes, de conspirationnistes et de laquais de Vladimir Poutine, et ont été systématiquement éliminées de la place publique numérique afin d'empêcher que leurs idées ne propagent la désinformation. Selon une estimation extrêmement prudente basée sur les rapports publics, il y a eu des dizaines de millions de cas de censure de ce type depuis l'élection de Trump.
Et voici le point culminant de cet article : le 6 janvier 2017, le jour même où le rapport de l'ICA de Brennan a apporté un soutien institutionnel à la fausse affirmation selon laquelle Poutine aurait aidé Trump, Jeh Johnson, le secrétaire sortant du ministère de la Sécurité intérieure nommé par Obama, a annoncé qu'en réponse à l'ingérence électorale russe, il avait désigné les systèmes électoraux américains comme "infrastructure nationale critique". Cette décision a placé les biens de 8 000 administrations électorales du pays sous le contrôle du ministère de la sécurité intérieure. C'était un coup que Johnson tentait de réaliser depuis l'été 2016, mais qui, comme il l'a expliqué dans un discours ultérieur, a été bloqué par les acteurs locaux qui lui ont dit "que la gestion des élections dans ce pays était la responsabilité souveraine et exclusive des États, et qu'ils ne voulaient pas d'une intrusion fédérale, d'une prise de contrôle fédérale ou d'une réglementation fédérale de ce processus." Johnson a donc trouvé une solution de contournement en faisant adopter unilatéralement la mesure dans les derniers jours de son mandat.
On comprend aujourd'hui pourquoi Johnson était si pressé : en l'espace de quelques années, toutes les affirmations utilisées pour justifier l'extraordinaire mainmise fédérale sur le système électoral du pays allaient s'effondrer. En juillet 2019, le rapport Mueller a conclu que Donald Trump n'était pas entré en collusion avec le gouvernement russe - la même conclusion à laquelle est parvenu le rapport de l'inspecteur général sur les origines de l'enquête Trump-Russie, publié plus tard dans l'année. Enfin, le 9 janvier 2023, le Washington Post a discrètement publié dans son bulletin d'information sur la cybersécurité un addendum à l'étude du Center for Social Media and Politics de l'Université de New York. Sa conclusion : "Les trolls russes sur Twitter ont eu peu d'influence sur les électeurs de 2016".
Mais à ce stade, cela n'avait plus d'importance. Au cours des deux dernières semaines de l'administration Obama, le nouvel appareil de contre-désinformation a remporté l'une de ses victoires les plus importantes : le pouvoir de superviser directement les élections fédérales, ce qui aurait des conséquences profondes pour la compétition de 2020 entre Trump et Joe Biden.
VI. Pourquoi la "guerre contre la terreur" de l'après 11 septembre n'a jamais pris fin
Clint Watts, qui a dirigé l'initiative Hamilton 68, et Michael Hayden, l'ancien général de l'armée de l'air, chef de la CIA et directeur de la NSA qui a défendu Watts, sont tous deux des vétérans de l'establishment antiterroriste américain. Hayden compte parmi les plus hauts responsables du renseignement que les États-Unis aient jamais engendrés et a été l'un des principaux architectes du système de surveillance de masse mis en place après le 11 septembre. En effet, un pourcentage étonnant des figures clés du complexe de contre-désinformation se sont fait les dents dans les mondes de la lutte contre le terrorisme et de la guerre contre-insurrectionnelle.
Michael Lumpkin, qui a dirigé le GEC, l'agence du département d'État qui a servi de premier centre de commandement dans la guerre contre la désinformation, est un ancien Navy SEAL ayant une expérience de la lutte contre le terrorisme. Le GEC est lui-même issu du Center for Strategic Counterterrorism Communications avant d'être réaffecté à la lutte contre la désinformation.
Twitter a eu la possibilité d'arrêter le canular Hamilton 68 avant qu'il ne devienne incontrôlable, mais a choisi de ne pas le faire. Pourquoi ? La réponse se trouve dans les courriels envoyés par une responsable de Twitter, Emily Horne, qui déconseillait de dénoncer l'escroquerie. Twitter disposait d'une preuve irréfutable que l'Alliance for Securing Democracy, le groupe de réflexion néolibéral à l'origine de l'initiative Hamilton 68, était coupable de l'accusation qu'il portait contre d'autres : colporter de la désinformation pour attiser les divisions politiques nationales et saper la légitimité des institutions démocratiques. Mais cela doit être mis en balance avec d'autres facteurs, a suggéré M. Horne, tels que la nécessité de rester dans le collimateur d'une organisation puissante. "Nous devons être prudents dans la manière dont nous nous opposons publiquement à l'ASD", a-t-elle écrit en février 2018.
L'ASD a eu de la chance d'avoir quelqu'un comme Horne à l'intérieur de Twitter. Mais ce n'était peut-être pas de la chance. Mme Horne avait déjà travaillé au département d'État, où elle s'occupait du portefeuille "médias numériques et activités de sensibilisation des think tanks". Selon son profil LinkedIn, elle "a travaillé en étroite collaboration avec des journalistes de politique étrangère couvrant [ISIS] [...] et a exécuté des plans de communication relatifs aux activités de la Coalition contre [ISIS]". En d'autres termes, elle avait une expérience des opérations antiterroristes similaire à celle de M. Watts, mais plus axée sur la communication avec la presse et les groupes de la société civile. De là, elle est devenue directrice des communications stratégiques pour le Conseil de sécurité nationale d'Obama, qu'elle n'a quitté que pour rejoindre Twitter en juin 2017. Si l'on met l'accent sur cette chronologie, voici ce qu'elle révèle : Horne a rejoint Twitter un mois avant le lancement de l'ASD, juste à temps pour plaider en faveur de la protection d'un groupe dirigé par le type de courtiers en pouvoir qui détenaient les clés de son avenir professionnel.
Ce n'est pas une coïncidence si la guerre contre la désinformation a commencé au moment même où la guerre mondiale contre le terrorisme (GWOT) semblait enfin toucher à sa fin. Pendant deux décennies, la GWOT a concrétisé les avertissements du président Dwight Eisenhower concernant la montée en puissance d'un complexe militaro-industriel exerçant une "influence injustifiée". Elle s'est transformée en une industrie servant ses propres intérêts et se justifiant elle-même, employant des milliers de personnes au sein et en dehors du gouvernement, opérant sans contrôle précis et sans utilité stratégique. Il aurait peut-être été possible pour les services de sécurité américains de crier victoire et de passer d'une posture de guerre permanente à une posture de temps de paix, mais comme me l'a expliqué un ancien responsable de la sécurité nationale à la Maison-Blanche, c'était peu probable. "Si vous travaillez dans la lutte contre le terrorisme, il n'y a aucune raison de dire que vous êtes en train de gagner, de leur botter le cul, et qu'ils sont une bande de ratés", a déclaré l'ancien fonctionnaire. “Il s'agit avant tout de gonfler la menace". Et il a décrit "d'énormes incitations à gonfler la menace" internalisées dans la culture de l'establishment de la défense américaine et qui sont "d'une nature telle qu'elles n'exigent pas un comportement particulièrement crapuleux ou malhonnête sur le plan intellectuel".
"Cette énorme machinerie a été construite autour de la guerre contre le terrorisme", a déclaré le fonctionnaire. "Une infrastructure massive qui comprend le monde du renseignement, tous les éléments du ministère de la défense, y compris les commandements de combat, la CIA et le FBI et toutes les autres agences. Et puis il y a tous les contractants privés et la demande des think tanks. Des milliards et des milliards de dollars sont en jeu".
Le passage sans heurt de la guerre contre la terreur à la guerre contre la désinformation était donc, dans une large mesure, une simple question d'autopréservation professionnelle. Mais cela n'a pas suffi à maintenir le système précédent ; pour survivre, il fallait continuellement augmenter le niveau de la menace.
Dans les mois qui ont suivi les attentats du 11 septembre 2001, George W. Bush a promis d'assécher les marais du radicalisme au Moyen-Orient. Ce n'est qu'en rendant la région sûre pour la démocratie, disait-il, qu'il pourrait s'assurer qu'elle cesserait de produire des djihadistes violents tels qu'Oussama ben Laden.
Aujourd'hui, pour assurer la sécurité de l'Amérique, il ne suffit plus d'envahir le Moyen-Orient et d'apporter la démocratie à ses habitants. Selon la Maison Blanche de Biden et l'armée d'experts en désinformation, la menace vient désormais de l'intérieur. Un réseau d'extrémistes de droite, de fanatiques de QAnon et de nationalistes blancs est soutenu par une population beaucoup plus large de quelque 70 millions d'électeurs de Trump dont les sympathies politiques constituent une cinquième colonne à l'intérieur des États-Unis. Mais comment ces personnes se sont-elles radicalisées pour accepter le jihad blanc amer et destructeur de l'idéologie trumpiste ? Grâce à internet, bien sûr, où les entreprises technologiques, en refusant de "faire plus" pour combattre le fléau des discours de haine et des "fake news", ont permis à la désinformation toxique de gangrener l'esprit des utilisateurs.
Après le 11 septembre, la menace terroriste a été utilisée pour justifier des mesures telles que le Patriot Act, qui a suspendu les droits constitutionnels et placé des millions d'Américains sous une surveillance de masse. Ces politiques, autrefois controversées, ont fini par être acceptées comme les prérogatives naturelles du pouvoir de l'État. Comme l'a fait remarquer le journaliste Glenn Greenwald, la directive de George W. Bush "‘Avec nous, ou avec les terroristes’ a suscité une certaine indignation à l'époque, mais elle est aujourd'hui la mentalité dominante au sein du libéralisme américain et du parti démocrate au sens large".
La guerre contre le terrorisme a été un échec cuisant qui s'est soldé par le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan. Elle est également devenue très impopulaire auprès de l'opinion publique. Pourquoi, alors, les Américains choisiraient-ils de confier aux dirigeants et aux sages de cette guerre le soin de mener une guerre encore plus vaste contre la désinformation ? On peut se risquer à une supposition : les Américains ne les ont pas choisis. Les Américains ne sont plus censés avoir le droit de choisir leurs propres dirigeants, ni de remettre en question les décisions prises au nom de la sécurité nationale. Quiconque dit le contraire peut être qualifié d'extrémiste national.
VII. La montée en puissance des "extrémistes nationaux"
Quelques semaines après l'émeute des partisans de Trump au Capitole le 6 janvier 2021, l'ancien directeur du Centre de lutte contre le terrorisme de la CIA, Robert Grenier, a écrit un article pour le New York Times dans lequel il préconise que les États-Unis mènent un "vaste programme de contre-insurrection" contre leurs propres citoyens.
La contre-insurrection, comme le sait Grenier, n'est pas une opération chirurgicale ponctuelle, mais un vaste effort mené sur l'ensemble d'une société et qui implique inévitablement des destructions collatérales. Il ne suffirait pas de cibler les extrémistes les plus violents qui ont attaqué les forces de l'ordre au Capitole pour vaincre l'insurrection. La victoire nécessiterait de gagner les cœurs et les esprits des autochtones - dans ce cas, les chrétiens sans avenir et les populistes ruraux radicalisés par leurs griefs dans le culte du MAGA, semblable à celui de Ben Laden. Heureusement pour le gouvernement, il existe un cadre d'experts disponibles pour traiter ce problème difficile : des gens comme Grenier, qui travaille aujourd'hui comme consultant dans le secteur privé de la lutte contre le terrorisme, où il est employé depuis qu'il a quitté la CIA.
Bien sûr, il y a des extrémistes violents en Amérique, comme il y en a toujours eu. Toutefois, le problème est moins grave aujourd'hui qu'il ne l'était dans les années 1960 et 1970, lorsque la violence politique était plus répandue. Les affirmations exagérées concernant une nouvelle race d'extrémisme domestique si dangereuse qu'elle ne peut être traitée par les lois existantes, y compris les lois sur le terrorisme domestique, sont elles-mêmes un produit de la guerre de l'information menée par les États-Unis, qui a effacé la différence entre le discours et l'action.
"Les guerres civiles ne commencent pas par des coups de feu. Elles commencent par des mots", a proclamé Clint Watts en 2017 lorsqu'il a témoigné devant le Congrès. "La guerre de l'Amérique contre elle-même a déjà commencé. Nous devons tous agir maintenant sur le champ de bataille des réseaux sociaux pour réprimer les rébellions de l'information qui peuvent rapidement déboucher sur des confrontations violentes." Watts est un vétéran de l'armée et du gouvernement qui semble partager la conviction, commune à ses collègues, qu'une fois que l'internet est entré dans sa phase populiste et a menacé des hiérarchies bien établies, il est devenu un grave danger pour la civilisation. Mais il s'agit là d'une réaction de peur, fondée sur des croyances largement, et sans doute sincèrement, partagées au sein du Beltway, qui a pris pour un acte de guerre une réaction populiste tout aussi sincère, qualifiée de "révolte du public" par l'ancien analyste de la CIA Martin Gurri. La norme introduite par Watts et d'autres, rapidement devenue le consensus de l'élite, traite les tweets et les mèmes - les principales armes de désinformation - comme des actes de guerre.
L'utilisation de la catégorie floue de la désinformation a permis aux experts en sécurité de faire l'amalgame entre les mèmes racistes, les fusillades de Pittsburgh et de Buffalo et les manifestations violentes comme celle qui s'est déroulée au Capitole. Il s'agissait d'une stratégie permettant le catastrophisme du discours et le maintien d'un état permanent de peur et d'urgence. Et elle a reçu le soutien total du Pentagone, de la communauté du renseignement et du président Biden, qui tous, note Glenn Greenwald, ont déclaré que "la menace la plus grave pour la sécurité nationale américaine" n'est pas la Russie, l'ISIS, la Chine, l'Iran ou la Corée du Nord, mais "les extrémistes nationaux en général - et les groupes suprémacistes blancs d'extrême droite en particulier".
L'administration Biden n'a cessé d'élargir les programmes de lutte contre le terrorisme intérieur et l'extrémisme. En février 2021, les responsables du DHS ont annoncé qu'ils avaient reçu des fonds supplémentaires pour renforcer les efforts déployés à l'échelle du département visant à "prévenir le terrorisme intérieur", y compris une initiative de lutte contre la propagation de la désinformation en ligne, qui utilise une approche apparemment empruntée au manuel soviétique, baptisée "inoculation des comportements".
VIII. Les ONG sur l’échelle de Borg
En novembre 2018, le Shorenstein Center on Media Politics and Public Policy de la Harvard Kennedy School a publié une étude intitulée "La lutte contre la désinformation aux États-Unis : Une analyse contextuelle". Le champ d'application du document est complet, mais ses auteurs se concentrent particulièrement sur la centralité des organisations à but non lucratif financées par la philanthropie et sur leur relation avec les médias. Le Centre Shorenstein est un nœud clé dans le complexe décrit dans le document, ce qui confère aux observations des auteurs une perspective d'initié.
"Dans cette analyse contextuelle, il est apparu qu'un certain nombre de défenseurs clés intervenant pour sauver le journalisme ne sont pas des entreprises, des plateformes ou le gouvernement des États-Unis, mais plutôt des fondations et des philanthropes qui craignent la perte d'une presse libre et le fondement d'une société en bonne santé. ... Aucun des acteurs faisant autorité - le gouvernement et les plateformes qui diffusent le contenu - n'étant intervenu assez rapidement pour résoudre le problème, il incombe désormais aux salles de rédaction, aux universités et aux fondations de signaler ce qui est authentique et ce qui ne l'est pas. "
Pour sauver le journalisme, pour sauver la démocratie elle-même, les Américains doivent compter sur les fondations et les philanthropes - des gens comme Pierre Omidyar, fondateur d'eBay, George Soros, de l'Open Society Foundations, et Reid Hoffman, entrepreneur de l'internet et collecteur de fonds pour le parti démocrate. En d'autres termes, les Américains étaient invités à s'en remettre à des milliardaires privés qui injectaient des milliards de dollars dans des organisations civiques, par l'intermédiaire desquelles ils influenceraient le processus politique américain.
Il n'y a aucune raison de mettre en doute les motivations des employés de ces ONG, dont la plupart étaient sans doute parfaitement sincères dans la conviction que leur travail rétablissait les "fondements d'une société saine". Mais certaines observations peuvent être faites sur la nature de ce travail. Tout d'abord, ce mandat les plaçait au-dessous des philanthropes milliardaires, mais au-dessus de centaines de millions d'Américains qu'ils devaient guider et instruire comme une nouvelle confrérie de l'information en séparant la vérité du mensonge, le bon grain de l'ivraie. Deuxièmement, ce mandat, et l'énorme financement qui l'accompagne, a ouvert des milliers de nouveaux emplois pour les régulateurs de l'information à un moment où le journalisme traditionnel était en train de s'effondrer. Troisièmement, les deux premiers points ont placé l'intérêt personnel immédiat du personnel des ONG en parfaite adéquation avec les impératifs du parti au pouvoir et de l'État sécuritaire américains. En effet, un concept issu du monde de l'espionnage et de la guerre - la désinformation - a été introduit dans les milieux universitaires et associatifs, où il s'est transformé en une pseudo-science utilisée comme instrument de guerre partisane.
Pratiquement du jour au lendemain, la mobilisation nationale de "l'ensemble de la société" pour vaincre la désinformation lancée par Obama a conduit à la création et à l'accréditation d'une toute nouvelle classe d'experts et de régulateurs.
L'industrie moderne de la "vérification des faits", par exemple, qui se fait passer pour un domaine scientifique bien établi, est en réalité un cadre ouvertement partisan d'agents de conformité pour le Parti démocrate. Sa principale organisation, l'International Fact-Checking Network, a été créée en 2015 par l'Institut Poynter, une plaque tournante du complexe de la contre-désinformation.
Aujourd'hui, où que l'on regarde, on trouve un expert en désinformation. On en trouve dans tous les grands médias, dans toutes les branches du gouvernement, dans les départements universitaires, dans les émissions d'information par câble et, bien sûr, dans les ONG. La mobilisation en faveur de la contre-désinformation génère suffisamment d'argent pour financer de nouvelles organisations et convaincre celles qui sont déjà établies, comme l'Anti-Defamation League, de répéter les nouveaux slogans et de participer à l'action.
Comment se fait-il que tant de personnes puissent soudainement devenir des experts dans un domaine - la "désinformation" - qu'aucune d'entre elles sur 10 000 n'aurait pu définir en 2014 ? Parce que l'expertise en désinformation implique une orientation idéologique, et non des connaissances techniques. Pour s'en convaincre, il suffit de regarder la trajectoire tracée par le prince Harry et Meghan Markle, qui sont passés du statut d'animateurs de podcasts ratés à celui de membres de la Commission sur le désordre de l'information de l'Institut d'Aspen. De telles initiatives ont fleuri dans les années qui ont suivi Trump et le Brexit.
Mais ce phénomène a dépassé le cadre des célébrités. Selon l'ancien fonctionnaire du département d'État Mike Benz, "pour créer ‘un consensus de l'ensemble de la société’ sur la censure des opinions politiques en ligne qui ‘jetaient le doute’ avant l'élection de 2020, le Département de la sécurité intérieure a organisé des conférences sur la ‘désinformation’ pour réunir des entreprises technologiques, des groupes de la société civile et des médias d'information afin que tous parviennent à un consensus - sous l'impulsion du Département de la sécurité intérieure (ce qui est significatif : de nombreux partenaires reçoivent des fonds gouvernementaux par le biais de subventions ou de contrats, ou craignent les menaces régulatrices ou de représailles du gouvernement) - sur l'élargissement des politiques de censure des médias sociaux."
Un mémo du Département de la sécurité intérieure, rendu public pour la première fois par le journaliste Lee Fang, fait état d'un commentaire d'un fonctionnaire du Département de la sécurité intérieure "au cours d'une discussion stratégique interne, selon lequel l'agence devrait utiliser des organisations à but non lucratif tierces comme ‘centre d'échange d'informations pour éviter l'apparence de propagande gouvernementale’".
Il n'est pas inhabituel qu'une agence gouvernementale veuille travailler avec des entreprises privées et des groupes de la société civile, mais dans ce cas, le résultat a été de briser l'indépendance d'organisations qui auraient dû enquêter de manière critique sur les efforts du gouvernement. Les institutions qui prétendent jouer le rôle de chiens de garde du pouvoir gouvernemental se sont transformées en vecteurs de fabrication de consensus.
Ce n'est peut-être pas une coïncidence si les domaines les plus fervents de la guerre contre la désinformation et qui ont appelé à une plus grande censure - lutte contre le terrorisme, journalisme, épidémiologie - partagent un bilan public d'échecs spectaculaires au cours des dernières années. Les nouveaux régulateurs de l'information n'ont pas réussi à convaincre les sceptiques des vaccins, ni les partisans de la campagne "MAGA" [Make America Grate Again, slogan créé en 1979 lorsque les États-Unis souffraient d’une détérioration de l’économie marquée paru un chômage élevé et l’inflation, d’abord par Reagan, puis repris par Bill Clinton et Donald Trump] que l'élection de 2020 était légitime, ni à empêcher le public de s'interroger sur les origines de la pandémie de COVID-19, comme ils ont désespérément essayé de le faire.
Mais ils ont réussi à dynamiser un projet extrêmement lucratif pour l'ensemble de la société, à offrir des milliers de nouvelles carrières et un nouveau mandat du ciel aux institutionnalistes qui considéraient le populisme comme la fin de la civilisation.
IX. COVID-19
En 2020, la machine de contre-désinformation est devenue l'une des forces les plus puissantes de la société américaine. C'est alors que la pandémie de COVID-19 a injecté du carburant dans son moteur. Outre la lutte contre les menaces étrangères et la dissuasion des extrémistes nationaux, la censure de la "désinformation mortelle" est devenue une nécessité urgente. Pour ne prendre qu'un exemple, la censure de Google, qui s'appliquait aux sites de ses filiales comme YouTube, prévoyait de "supprimer les informations qui posent problème" et "tout ce qui va à l'encontre des recommandations de l'Organisation mondiale de la santé" - une catégorie qui, à différents moments du récit en constante évolution, aurait inclus le port de masques, l'interdiction de voyager, l'affirmation que le virus est hautement contagieux et l'idée qu'il pourrait provenir d'un laboratoire.
Le président Biden a publiquement accusé les entreprises de réseaux sociaux de "tuer des gens" en ne censurant pas suffisamment la désinformation sur les vaccins. Grâce à ses nouveaux pouvoirs et à des canaux directs au sein des entreprises technologiques, la Maison Blanche a commencé à envoyer des listes de personnes qu'elle souhaitait voir bannies, comme le journaliste Alex Berenson. Alex Berenson a été expulsé de Twitter après avoir tweeté que les vaccins à ARNm "n'arrêtent pas l'infection, ni la transmission". Cette afffformation s'est avéré vraie. Les autorités sanitaires de l'époque étaient mal informées, ou mentaient sur la capacité des vaccins à empêcher la propagation du virus. En fait, malgré les affirmations des autorités sanitaires et des responsables politiques, les personnes en charge du vaccin étaient au courant dès le départ. Dans le compte rendu d'une réunion tenue en décembre 2020, le Dr Patrick Moore, conseiller de la Food and Drug Administration, a déclaré : "Pfizer n'a présenté aucune preuve dans ses données publiées aujourd'hui que le vaccin a un effet quelconque sur le portage ou l'excrétion du virus, ce qui constitue le fondement de l'immunité collective".
Dystopique dans son principe, la réponse à la pandémie a également été totalitaire dans la pratique. Aux États-Unis, le ministère de la sécurité intérieure a produit en 2021 une vidéo encourageant "les enfants à dénoncer les membres de leur propre famille sur Facebook pour ‘désinformation’ s'ils remettent en cause les récits du gouvernement américain sur le Covid-19".
En raison de la pandémie et de la désinformation concernant les élections, il y a un nombre croissant de ce que les experts en extrémisme appellent des "individus vulnérables qui pourraient être radicalisés", a averti Elizabeth Neumann, ancienne secrétaire adjointe à la sécurité intérieure chargée de la lutte contre le terrorisme et de la réduction des menaces, à l'occasion du premier anniversaire des émeutes du Capitole.
Klaus Schwab, directeur du Forum économique mondial et grand patron du monde des experts, a vu dans la pandémie l'occasion de mettre en œuvre une "Grande Réinitialisation" [Great Reset] qui pourrait faire avancer la cause du contrôle de l'information à l'échelle planétaire : "L'endiguement de la pandémie de coronavirus nécessitera un réseau de surveillance mondial capable d'identifier les nouveaux foyers dès qu'ils apparaissent".
X. Les ordinateurs portables du chasseur : L'exception à la règle
Les ordinateurs portables sont réels. Le FBI le sait depuis 2019, date à laquelle il en a pris possession pour la première fois. Lorsque le New York Post a tenté d'en faire état, des dizaines de hauts responsables de la sécurité nationale aux États-Unis ont menti au public, affirmant que les ordinateurs portables faisaient probablement partie d'un complot de "désinformation" russe. Twitter, Facebook et Google, fonctionnant comme des branches entièrement intégrées de l'infrastructure de sécurité de l'État, ont exécuté les ordres de censure du gouvernement sur la base de ce mensonge. La presse a gobé le mensonge et applaudi la censure.
L'histoire des ordinateurs portables a été présentée sous de nombreux aspects, mais la vérité la plus fondamentale est qu'il s'agit de l'aboutissement des efforts déployés depuis des années pour créer une bureaucratie réglementaire fantôme spécialement conçue pour empêcher que la victoire de Trump en 2016 ne se reproduise.
Il est peut-être impossible de savoir exactement quel effet l'interdiction de publier des informations sur les ordinateurs portables de Hunter Biden a eu sur le vote de 2020, mais l'histoire a clairement été considérée comme suffisamment menaçante pour justifier une attaque ouvertement autoritaire contre l'indépendance de la presse. Les dommages causés au tissu social sous-jacent du pays, dans lequel la paranoïa et la conspiration ont été normalisées, sont incalculables. Pas plus tard qu'en février, la représentante Alexandria Ocasio-Cortez a qualifié le scandale d'"histoire à moitié fausse de l'ordinateur portable" et de "source d'embarras", des mois après que même les Biden ont été contraints de reconnaître que l'histoire était authentique.
Si l'ordinateur portable est le cas le plus connu d'intervention du parti au pouvoir dans la course Trump-Biden, son culot est exceptionnel. La grande majorité des ingérences dans l'élection étaient invisibles pour le public et ont eu lieu par le biais de mécanismes de censure mis en œuvre sous les auspices de l'"intégrité électorale". Le cadre juridique avait été mis en place peu après l'entrée en fonction de Trump, lorsque le chef sortant du DHS, Jeh Johnson, a adopté une règle de dernière minute - malgré les objections véhémentes des parties prenantes locales - déclarant que les systèmes électoraux étaient des infrastructures nationales critiques, les plaçant ainsi sous la supervision de l'agence. De nombreux observateurs s'attendaient à ce que la loi soit abrogée par le successeur de Johnson, John Kelly, nommé par Trump, mais curieusement, elle a été laissée en place.
En 2018, le Congrès a créé une nouvelle agence au sein du DHS, appelée Cybersecurity and Infrastructure Security Agency (CISA), chargée de défendre les infrastructures américaines - y compris désormais ses systèmes électoraux - contre les attaques étrangères. En 2019, le DHS a ajouté une autre agence, la Foreign Influence and Interference Branch [Direction générale de l'influence et de l'interférence étrangères], chargée de lutter contre la désinformation étrangère. Comme s'il s'agissait d'une volonté délibérée, les deux entités ont fusionné. Le piratage russe et d'autres attaques malveillantes d'informations étrangères menaceraient les élections américaines. Mais, bien entendu, aucun des responsables de ces services n'était en mesure de dire avec certitude si telle ou telle affirmation relevait de la désinformation étrangère, si elle était tout simplement erronée, ou tout simplement gênante. Nina Jankowicz, choisie pour diriger l'éphémère Disinformation Governance Board du DHS, a déploré ce problème dans son livre How to Lose the Information War : Russia, Fake News and the Future of Conflict [Comment perdre la guerre de l'information : Russie, Fake News et avenir des conflits]. "Ce qui rend cette guerre de l'information si difficile à gagner, écrit-elle, ce ne sont pas seulement les outils en ligne qui amplifient et ciblent ses messages ou l'adversaire qui les envoie ; c'est le fait que ces messages sont souvent délivrés à leur insu non pas par des trolls ou des robots, mais par des voix locales authentiques.”
La flexibilité inhérente au concept de désinformation a permis d'affirmer que la prévention du sabotage électoral nécessitait la censure des opinions politiques des Américains, de peur que ne soit partagée en public une idée initialement lancée par des agents étrangers.
En janvier 2021, la CISA "a transféré son groupe de travail sur la lutte contre l'influence étrangère afin de promouvoir une plus grande latitude d'action pour se concentrer sur la GDM générale [ndlr : un acronyme pour la désinformation, la désinformation et la malinformation]", selon un rapport d'août 2022 du bureau de l'inspecteur général du ministère de la sécurité intérieure (DHS). Après la disparition du prétexte de la lutte contre une menace étrangère, il ne restait plus que la mission principale consistant à imposer un monopole narratif sur la vérité.
Le nouveau groupe de travail axé sur le marché intérieur était composé de 15 employés chargés de trouver "tous les types de désinformation" - mais plus particulièrement ceux liés aux "élections et aux infrastructures critiques" - et d'être "réactifs aux événements actuels", un euphémisme pour promouvoir la ligne officielle sur les questions qui divisent, comme ce fut le cas avec le "COVID-19 Disinformation Toolkit" publié pour "sensibiliser les gens à la pandémie".
Tenu secret pour le public, le basculement a été "planifié sur les propres livestreams du DHS et sur des documents internes", selon Mike Benz. La justification collective des initiés du DHS, sans rien dire des implications révolutionnaires de l'échange, était que la "désinformation domestique" représentait désormais une plus grande "cybermenace pour les élections" que les faussetés provenant de l'ingérence étrangère.
C'est ainsi que, sans annonce publique ni survol d'hélicoptères "noirs" pour annoncer le changement, l'Amérique s'est dotée de son propre ministère de la vérité.
Ensemble, ils ont mis en place une machine de censure à l'échelle industrielle où le gouvernement et les ONG transmettent des bons points aux sociétés technologiques qui signalent les contenus répréhensibles qu'ils souhaitent voir supprimés. Cette structure a permis au DHS de sous-traiter son travail à l'Election Integrity Project (EIP), un consortium de quatre groupes : l'Observatoire de l'Internet de Stanford, la société privée de lutte contre la désinformation Graphika (qui avait déjà été employée par le ministère de la Défense contre des groupes comme ISIS dans le cadre de la guerre contre le terrorisme), le Center for an Informed Public de l'Université de Washington et le Digital Forensics Research Lab du Conseil de l'Atlantique. Fondé en 2020 en partenariat avec le DHS, l'EIP a servi de "signaleur de désinformation domestique délégué par le gouvernement", selon le témoignage au Congrès du journaliste Michael Shellenberger, qui note que l'EIP affirme avoir classé plus de 20 millions d'"incidents de désinformation" distincts entre le 15 août et le 12 décembre 2020. Comme l'a expliqué Alex Stamos, directeur de l'EIP, il s'agissait d'une solution de contournement au problème du manque de financement et d'autorisations légales de la part du gouvernement.
En examinant les chiffres de la censure que les propres partenaires du DHS ont rapportés pour le cycle électoral de 2020 dans leurs audits internes, la Foundation pfor freedom online a résumé l'ampleur de la campagne de censure en sept points :
22 millions de tweets étiquetés "désinformation" sur Twitter
859 millions de tweets collectés dans des bases de données pour l'analyse de la "désinformation"
120 analystes surveillent la "désinformation" sur les réseaux sociaux en se relayant jusqu'à 20 heures par jour
15 plateformes technologiques contrôlées pour la "désinformation", souvent en temps réel
Le temps de réponse moyen entre les partenaires gouvernementaux et les plateformes technologiques est inférieur à une heure
Des dizaines de "récits de désinformation" ciblés pour un blocage à l'échelle de la plateforme, et
Des centaines de millions de posts Facebook, de vidéos YouTube, de TikToks et de tweets impactés en raison des modifications apportées aux conditions d'utilisation en matière de "désinformation", un effort que les partenaires du DHS ont publiquement orchestré, se vantant de ce que les entreprises technologiques n'auraient jamais fait sans l'insistance des partenaires du DHS et "l'énorme pression régulatrice" exercée par le gouvernement.
XI. Le nouvel État à parti unique
En février 2021, un long article de la journaliste Molly Ball dans le magazine Time célébrait la "campagne de l'ombre qui a sauvé les élections de 2020". La victoire de Joe Biden, écrit-elle, est le résultat d'une "conspiration qui s'est déroulée en coulisses" et qui a rassemblé "une vaste campagne trans-partisane pour protéger l'élection" dans un "extraordinaire effort de l'ombre". Parmi les nombreuses réalisations des conspirateurs héroïques, Ball note qu'ils ont "réussi à faire pression sur les entreprises de réseaux sociaux pour qu'elles adoptent une ligne plus dure contre la désinformation, et qu'elles ont utilisé des stratégies basées sur les données pour lutter contre les diffamations virales". Il s'agit d'un article incroyable, comme une entrée du registre des crimes qui se serait glissée d'une manière ou d'une autre dans les pages de la société, un hymne aux sauveurs de la démocratie qui décrit en détail la manière dont ils l'ont démembrée.
Il n'y a pas si longtemps, il suffisait de parler d'un "État profond" pour être considéré comme un dangereux conspirationniste à surveiller et à censurer. Mais le langage et les attitudes évoluent, et aujourd'hui, les partisans de l'État profond se sont réapproprié l'expression avec insolence. Par exemple, un nouveau livre, American Resistance, de l'analyste néolibéral de la sécurité nationale David Rothkopf, est sous-titré The Inside Story of How the Deep State Saved the Nation [Histoire interne du sauvetage de la nation par l'État profond].
L'État profond désigne le pouvoir exercé par des fonctionnaires non élus et leurs auxiliaires paragouvernementaux détenant le pouvoir administratif d'outrepasser les procédures officielles et légales d'un gouvernement. Mais une classe dirigeante désigne un groupe social dont les membres sont liés par quelque chose de plus profond qu'une position institutionnelle : leurs valeurs et leurs instincts communs. Bien que le terme soit souvent utilisé de manière vague et parfois comme une étiquette péjorative plutôt que descriptive, la classe dirigeante américaine peut en fait être définie de manière simple et directe.
Deux critères définissent l'appartenance à la classe dirigeante. Tout d'abord, comme l'a écrit Michael Lind, elle est composée de personnes qui appartiennent à une "oligarchie nationale homogène, caractérisée par le même ton, les mêmes manières, les mêmes valeurs et le même niveau d'éducation, de Boston à Austin et de San Francisco à New York et Atlanta". L'Amérique a toujours eu des élites régionales ; ce qui est unique à l'heure actuelle, c'est la consolidation d'une classe dirigeante nationale unique.
Deuxièmement, être membre de la classe dirigeante, c'est croire que seuls les autres membres de cette classe peuvent être autorisés à diriger le pays. En d'autres termes, les membres de la classe dirigeante refusent de se soumettre à l'autorité de toute personne extérieure au groupe, qu'ils excluent de l'éligibilité en la considérant comme illégitime d'une manière ou d'une autre.
Face à une menace extérieure incarnée par le trumpisme, la cohésion naturelle et la dynamique d'auto-organisation de la classe sociale ont été renforcées par de nouvelles structures de coordination descendantes, objectif et résultat de la mobilisation nationale d'Obama. Dans la période précédant l'élection de 2020, selon le rapport de Lee Fang et Ken Klippenstein pour The Intercept, "les entreprises technologiques, y compris Twitter, Facebook, Reddit, Discord, Wikipedia, Microsoft, LinkedIn et Verizon Media, se sont réunies tous les mois avec le FBI, la CISA et d'autres représentants du gouvernement [...] pour discuter de la manière dont les entreprises allaient gérer la désinformation pendant l'élection."
L'historien Angelo Codevilla, qui a popularisé le concept de "classe dirigeante" américaine dans un essai de 2010, et en est ensuite devenu le principal chroniqueur, a vu dans la nouvelle aristocratie nationale une émanation du pouvoir opaque acquis par les agences de sécurité américaines. "La classe dirigeante bipartite qui s'est développée pendant la guerre froide, qui se voyait et se débrouillait pour être considérée comme habilitée par son expertise à mener les opérations de guerre et de paix de l'Amérique, a protégé son statut contre un public dont elle continuait à s'éloigner, notamment en traduisant les opérations de guerre et de paix en un langage privé, pseudo-technique et impénétrable pour les non-initiés", écrit-il dans son livre de 2014, To Make and Keep Peace Among Ourselves and with All Nations [Pour établir et maintenir la paix en Amérique et avec toutes les autres nations].
À quoi croient les membres de la classe dirigeante ? Ils croient, selon moi, "aux solutions informationnelles et managériales des problèmes existentiels" et à leur "destin providentiel ainsi qu'à celui de ceux qui, comme eux, gouvernent, en dépit de leurs échecs". En tant que classe, leur principe suprême réside en ce qu'ils sont les seuls à pouvoir exercer le pouvoir. Si un autre groupe devait gouverner, tout progrès et tout espoir seraient perdus, et les forces obscures du fascisme et de la barbarie s'abattraient immédiatement sur terre. Si, techniquement, un parti d'opposition est toujours autorisé à exister aux États-Unis, sa dernière tentative de gouverner au niveau national s'est soldée par un coup d'État d'une durée d'un an. En effet, toute contestation de l'autorité du parti au pouvoir, qui représente les intérêts de la classe dirigeante, est décrite comme une menace existentielle pour la civilisation.
Le célèbre athée Sam Harris a récemment formulé de manière admirablement directe cette vision des choses. Tout au long des années 2010, le rationalisme de haut niveau de Harris a fait de lui une star sur YouTube, où des milliers de vidéos le montraient en train de "posséder" et de "vaincre" des adversaires religieux dans des débats. Puis Trump est arrivé. Harris, comme tant d'autres qui voyaient dans l'ancien président une menace pour tous les bienfaits du monde, a abandonné son engagement de principe pour la vérité et est devenu un champion de la propagande.
Dans un podcast diffusé l'année dernière, M. Harris a reconnu que la censure des informations relatives aux ordinateurs portables de Hunter Biden était motivée par des considérations politiques, et a admis l'existence d'une "conspiration de gauche visant à empêcher Donald Trump d'accéder à la présidence". Mais, faisant écho à Ball, il a déclaré qu'il s'agissait d'une bonne chose.
"Je me fiche bien de ce qu'il y a dans l'ordinateur portable de Hunter Biden. ... Hunter Biden pourrait avoir des cadavres d'enfants dans sa cave, que je m'en moquerais", a déclaré M. Harris à ses interlocuteurs. Il aurait pu ignorer les enfants assassinés parce qu'un danger encore plus grand se profilait avec la possibilité d'une réélection de Trump, que M. Harris a comparée à "un astéroïde se précipitant vers la Terre".
Dans le cas d'un astéroïde fonçant sur la Terre, même les rationalistes les plus respectueux des principes pourraient finir par préférer la sécurité à la vérité. Mais un astéroïde tombe sur la Terre toutes les semaines depuis des années. La tendance qui se dégage de toutes ces affaires est que la classe dirigeante justifie le fait de prendre des libertés avec la loi pour sauver la planète, mais finit par violer la Constitution pour dissimuler la vérité, afin de se protéger elle-même.
XII. La fin de la censure
Les perspectives du public sur les premières étapes de la transformation de l'Amérique, de la démocratie au léviathan numérique, sont le résultat de procès et de procédures de communication d'informations - des informations qui ont dû être arrachées à l'État de sécurité - et d'un heureux hasard. Si Elon Musk n'avait pas décidé d'acheter Twitter, de nombreux détails cruciaux de l'histoire de la politique américaine à l'ère Trump seraient restés secrets, peut-être pour toujours.
Mais le système reflété par ces révélations pourrait bien être en voie de disparition. En effet, on peut déjà imaginer que le type de censure de masse pratiqué par l'EIP, qui nécessite un travail humain considérable et laisse derrière lui de nombreuses preuves, pourrait être remplacé par des programmes d'intelligence artificielle qui utilisent les informations sur les cibles accumulées dans les dossiers de surveillance comportementale pour gérer leurs perceptions. L'objectif ultime serait de recalibrer l'expérience des internautes par des manipulations subtiles sur ce qu'ils découvrent dans leurs résultats de recherche et sur leur fil d'actualité. L'objectif d'un tel scénario pourrait être d'empêcher la production de contenus susceptibles d'être censurés.
En fait, cela ressemble beaucoup à ce que Google fait déjà en Allemagne, où l'entreprise a récemment dévoilé une nouvelle campagne visant à étendre son initiative “prebunking” “qui tend à rendre les gens plus résistants aux effets corrosifs de la désinformation en ligne", selon l'Associated Press. L'annonce a suivi de près l'apparition du fondateur de Microsoft, Bill Gates, dans un podcast allemand, au cours de laquelle il a appelé à utiliser l'intelligence artificielle pour lutter contre les "théories du complot" et la "polarisation politique". Meta dispose de son propre programme de prébunkerisation. Dans une déclaration au site web Just The News, Mike Benz a qualifié le prebunking de "forme de censure narrative intégrée dans les algorithmes des réseaux sociaux pour empêcher les citoyens de former des systèmes de croyances sociales et politiques spécifiques" et l'a comparé au "pré-crime" présenté dans le film de science-fiction dystopique Minority Report.
Pendant ce temps, l'armée développe une technologie d'IA militarisée pour dominer l'espace de l'information. Selon USASpending.gov, un site web officiel du gouvernement, les deux plus gros contrats liés à la désinformation ont été passés par le ministère de la défense pour financer des technologies de détection automatique comme de défense contre les attaques de désinformation à grande échelle. Le premier, d'un montant de 11,9 millions de dollars, a été attribué en juin 2020 à PAR Government Systems Corporation, un entrepreneur de la défense situé au nord de l'État de New York. Le second, émis en juillet 2020 pour un montant de 10,9 millions de dollars, a été attribué à une société appelée SRI International.
SRI International était à l'origine lié à l'université de Stanford avant de s'en séparer dans les années 1970, une précision pertinente si l'on considère que le Stanford Internet Observatory, une institution toujours directement liée à cette université, a dirigé l'EIP de 2020, qui pourrait bien avoir été l'événement de censure de masse le plus important de l'histoire du monde - une sorte de point d'orgue à l'histoire de la censure pré-AI.
Il y a aussi les travaux en cours à la National Science Foundation, une agence gouvernementale qui finance la recherche dans les universités et les institutions privées. La NSF a son propre programme, appelé Convergence Accelerator Track F, qui contribue à l'incubation d'une douzaine de technologies automatisées de détection de la désinformation, explicitement conçues pour surveiller des questions telles que "l'hésitation face aux vaccins et le scepticisme électoral".
Selon M. Benz, "l'un des aspects les plus troublants" du programme "est sa similarité avec les outils militaires de censure et de surveillance des réseaux sociaux mis au point par le Pentagone pour les contextes de contre-insurrection et de contre-terrorisme à l'étranger".
En mars, Dorothy Aronson, responsable de l'information de la NSF, a annoncé que l'agence était en train d'"élaborer un ensemble de scénarios d'utilisation" afin d'étudier comment elle pourrait utiliser ChatGPT, le modèle linguistique de l'IA capable de simuler raisonnablement le langage humain, pour automatiser davantage la production et la diffusion de la propagande d'État.
Les premières grandes batailles de la guerre de l'information sont terminées. Elles ont été menées par une classe de journalistes, de généraux à la retraite, d'espions, de patrons du parti démocrate, d'apparatchiks du parti et d'experts en contre-terrorisme contre le reste du peuple américain qui refusait de se soumettre à leur autorité.
Les futures batailles menées grâce aux technologies de l'IA seront plus difficiles à discerner.
XIII. Après la démocratie
Moins de trois semaines avant l'élection présidentielle de 2020, le New York Times a publié un article majeur intitulé "Le premier amendement à l'ère de la désinformation". L'auteur de l'essai, Emily Bazelon, rédactrice au Times et diplômée de la faculté de droit de Yale, affirme que les États-Unis sont "au cœur d'une crise de l'information causée par la propagation de la désinformation virale" qu'elle compare aux effets "catastrophiques" sur la santé du nouveau coronavirus. Elle cite un ouvrage du philosophe Jason Stanley et du linguiste David Beaver de Yale : "La liberté d'expression menace la démocratie tout autant qu'elle permet son épanouissement".
Le problème de la désinformation est donc aussi un problème de la démocratie elle-même, et plus précisément parce qu'il y en a trop. Pour sauver la démocratie libérale, les experts ont prescrit deux étapes essentielles : l'Amérique doit devenir moins libre et moins démocratique. Cette évolution nécessaire impliquera de faire taire les voix de certains esprits chahuteurs de la foule en ligne qui a perdu le privilège de s'exprimer librement. Il faudra suivre la sagesse des experts en désinformation et dépasser notre attachement paroissial à la Déclaration des droits. Ce point de vue peut heurter ceux qui sont encore attachés à l'héritage américain de liberté et d'autonomie, mais il est devenu la politique officielle du parti au pouvoir et d'une grande partie de l'intelligentsia américaine.
L'ancien ministre du travail de Clinton, Robert Reich, a réagi à l'annonce du rachat de Twitter par Elon Musk en déclarant que la préservation de la liberté d'expression en ligne était "le rêve de Musk. Et celui de Trump. Et celui de Poutine. Et le rêve de tous les dictateurs, hommes forts, démagogues et barons voleurs des temps modernes sur Terre. Pour le reste d'entre nous, ce serait un nouveau cauchemar." Selon Reich, la censure est "nécessaire pour protéger la démocratie américaine".
Pour une classe dirigeante déjà lasse de l'exigence démocratique de liberté accordée à ses sujets, la désinformation a fourni un cadre réglementaire pour remplacer la Constitution américaine. En visant l'impossible, l'élimination de tout écart et de toute déviation vis-à-vis de l'orthodoxie du parti, la classe dirigeante s'assure qu'elle sera toujours en mesure d'évoquer la menace imminente des extrémistes - une menace qui justifie sa propre mainmise sur le pouvoir.
Le chant des sirènes appelle ceux d'entre nous qui vivent à l'aube de l'ère numérique à se soumettre à l'autorité des machines qui promettent d'optimiser nos vies et de nous sécuriser. Face à la menace apocalyptique de l'"infodémie", on nous fait croire que seuls des algorithmes superintelligents peuvent nous protéger contre l'ampleur écrasante et inhumaine de l'assaut de l'information numérique. Les anciens arts humains de la conversation, du désaccord et de l'ironie, dont la démocratie et bien d'autres choses sont tributaires, sont soumis à une machinerie dévastatrice de surveillance de nature militaire - une surveillance à laquelle rien ne peut résister, et qui vise à nous faire craindre pour notre capacité à raisonner.
Annexe: Dictionnaire de la désinformation
Un guide utile pour le nouveau ministère américain de la vérité
Pour un historique de la création et du fonctionnement du complexe de désinformation américain, voir ici. Avons-nous oublié quelque chose ? Soumettez votre nomination pour un terme et ses significations ici.
A-F - AMAZON - BENZ, MIKE - BERENSON, ALEX - BUSH, GEORGE W. - CHAN, ELVIS - COVID - COUNTER-ELITE - "DISINFORMATION DOZEN" - DOMESTIC EXTREMISM - THE ELECTION - INTEGRITY PROJECT (EIP) - FACEBOOK - FOREIGN INFLUENCE TASK FORCE -
G-L - GLOBAL ENGAGEMENT CENTER - GERTH, JEFF - GOOGLE - GREENWALD, GLENN - GRENIER, ROBERT - HAMILTON 68 - HAYDEN, MICHAEL - HYBRID WARFARE - JANKOWICZ, NINA - JOHNSON, JEH - HUNTER BIDEN'S LAPTOPS - HORNE, EMILY- KREMLIN - KRISTOL, BILL - LAB LEAK THEORY - LUMPKIN, MICHAEL -
M-R - MCLUHAN, MARSHALL - MEDIA - MUSK, ELON - NATIONAL SCIENCE FOUNDATION - OBAMA, BARACK - POPULISM - PRINCE HARRY AND MEGHAN MARKLE - ROGAN, JOE - ROTH, YOEL - RUSSIAGATE -
S-Z - SCHIFF, ADAM - SCHWAB, KLAUS - SHORENSTEIN CENTER ON MEDIA POLITICS AND PUBLIC POLICY, HARVARD UNIVERSITY - SMITH, LEE - SOCIAL MEDIA - SRI INTERNATIONAL - STANFORD INTERNET OBSERVATORY - STEELE DOSSIER - TAIBBI, MATT - THIRD PARTY NONPROFITS AND NGOS - TRUMP, DONALD - TRUSTED NEWS INITIATIVE - TWITTER - TWITTER FILES - WAR ON TERROR - WATCHDOGS - WATTS, CLINT - WHOLE-OF-SOCIETY PROBLEM
AMAZON : Entreprise technologique fondée par Jeff Bezos sous forme de librairie, aujourd'hui liée au gouvernement fédéral par l'intermédiaire d'Amazon Web Services, le service d'informatique en ligne avec deux sites de données top secret distincts, utilisé par 7 500 agences gouvernementales - ou, comme l'indique leur propre site web, "le service d'informatique en ligne de confiance pour le gouvernement". Bezos a acheté le Washington Post en 2013, ce qui fait de lui à la fois le gardien des secrets du gouvernement et le propriétaire de la publication maison de la classe politique de Washington. Le Washington Post allait devenir l'un des principaux pourvoyeurs de la conspiration du Russiagate.
BENZ, MIKE : Lanceur d'alerte. Ancien assistant adjoint au département d'État, il a assisté à la création de la machine de censure gérée par l'État sous les auspices de la "lutte contre la désinformation". M. Benz, qui dirige aujourd'hui un organisme de vigilance sur la liberté d'expression chargé de dénoncer les menaces pesant sur les libertés numériques, a raconté comment les fonctionnaires du département d'État et du ministère de la sécurité intérieure se sont emparés d'une arme conçue pour lutter contre les menaces étrangères et l'ont utilisée contre leurs propres concitoyens. “La justification collective des initiés du DHS, sans rien dire des implications révolutionnaires de l'échange, était que la ‘désinformation domestique’ constituait désormais une plus grande ‘cybermenace pour les élections’ que les faussetés provenant d'interférences étrangères", a noté M. Benz, révélant que, sans aucune annonce publique ni hélicoptère noir volant en formation pour annoncer la nouvelle, l'Amérique a mis en place son propre ministère de la vérité.
BERENSON, ALEX : Chercheur de controverse qui s'est avéré avoir raison sur certaines choses importantes et a été puni en conséquence. Berenson a été exclu de Twitter après avoir écrit sur le site que les vaccins à ARNm ne "stoppent pas l'infection, ni la transmission". Il s'est avéré qu'il s'agissait d'une déclaration véridique (Dr Patrick Moore, conseiller de la FDA, lors d'une réunion en décembre 2020) : "Pfizer n'a présenté aucune preuve dans ses données d'aujourd'hui que le vaccin a un effet sur le portage ou l'excrétion du virus, qui est la base fondamentale de l'immunité collective"), mais cette déclaration a valu à M. Berenson de figurer sur une liste de personnes que la Maison-Blanche a envoyée à Twitter pour qu'elles en soient bannies.
BUSH, GEORGE W. : 43e président, fils d'un ancien président américain et chef de la CIA. Bush Jr. a poussé l'agenda de son père au-delà de ses rêves les plus fous en donnant le coup d'envoi de la guerre contre le terrorisme, qui a permis la création du ministère de la Sécurité intérieure et du Patriot Act.
CHAN, ELVIS : Agent spécial adjoint en charge de la branche cybernétique du FBI à San Francisco. M. Chan a été l'un des principaux acteurs impliqués dans la mise en place d'un dispositif lourd sur les réseaux sociaux comme Twitter pour s'assurer que les messages et les comptes jugés répréhensibles par le FBI soient supprimés - y compris des demandes qui ont laissé le responsable de la sécurité de Twitter, Yoel Roth, "franchement perplexe".
COVID : du carburant déversé dans le moteur de la machine de contre-désinformation bâtie sur le Russiagate : “En raison de la pandémie et de la désinformation concernant l'élection, un nombre croissant de ce que les experts en extrémisme appellent des "individus vulnérables" étant susceptibles d’être radicalisés", a averti Elizabeth Neumann, ancienne secrétaire adjointe à la sécurité intérieure chargée de la lutte contre le terrorisme et de la réduction des menaces. En 2021, le ministère de la sécurité intérieure a produit une vidéo encourageant "les enfants à dénoncer les membres de leur famille à Facebook pour "désinformation" s'ils remettent en question les récits du gouvernement américain sur Covid-19". La pandémie est désormais considérée comme une occasion de mettre en œuvre la "Grande Réinitialisation", qui pourrait faire avancer la cause du contrôle de l'information planétaire (voir sous : Schwab, Klaus).
CONTRE-ELITE : Groupe de milliardaires privés concentrés principalement dans le secteur technologique et dont la figure de proue est Elon Musk. Ils affirment que la tentative de l'État de s'emparer des mécanismes de communication et de création de sens partagés est un mal social et culturel, ainsi qu'une menace pour leurs intérêts économiques et politiques. De l'autre côté de la ligne de front, on trouve les forces de l'establishment politique bipartisan sous le commandement du général Barack Obama. Pour en savoir plus, lisez "Elon vs. Obama".
LA "DOUZAINE DE LA DÉSINFORMATION" : Douze comptes de réseaux sociaux identifiés en 2021 par le Center for Countering Digital Hate comme étant des "anti-vax jouant un rôle de premier plan dans la diffusion de la désinformation numérique sur les vaccins contre le Covid", accusés d'être responsables de 65 % de l'ensemble du "contenu anti-vaccin" et, selon l'organisation, devant être déplatformés.
EXTRÉMISME DOMESTIQUE : une étiquette qui ne cesse de s'étendre et qui fait désormais référence à tout, des "discours de haine" aux catholiques qui préfèrent la messe en latin. Il s'agit souvent d'incidents au cours desquels des agents du FBI encouragent des Américains appartenant à des groupes mécontents à dire ou à faire des choses qui peuvent ensuite être présentées comme des exemples de terreur intérieure dangereuse. Un bon exemple : le "complot d'enlèvement" contre le gouverneur du Michigan, Gretchen Whitmer, qui s'est avéré être truffé d'initiés du FBI qui ont encouragé des "terroristes" ivres et défoncés.
LE PROJET D'INTÉGRITÉ ÉLECTORALE (EIP) : Dans la période précédant l'élection de 2020, selon le rapport de Lee Fang et Ken Klippenstein pour The Intercept, "les entreprises technologiques, y compris Twitter, Facebook, Reddit, Discord, Wikipedia, Microsoft, LinkedIn et Verizon Media, se sont réunies tous les mois avec le FBI, la CISA et d'autres représentants du gouvernement ... pour discuter de la façon dont les entreprises allaient gérer la désinformation pendant l'élection." Le gouvernement et les ONG ont envoyé aux entreprises technologiques des notes signalant les contenus répréhensibles qu'ils souhaitaient voir supprimés, par l'intermédiaire d'un consortium prétendument non partisan appelé Election Integrity Project (EIP). Comme l'a expliqué Alex Stamos, directeur de l'EIP, il s'agissait pallier au problème du gouvernement "manquant à la fois de financement et d'autorisations légales". Le collectif comprend quatre groupes : le Stanford Internet Observatory, la société privée de lutte contre la désinformation Graphika (qui avait été employée par le ministère de la Défense contre des groupes comme ISIS dans le cadre de la guerre contre le terrorisme), le University of Washington’s (UW) Center for an Informed Public et le The Atlantic Council’s Digital Forensics Research Lab
FACEBOOK : La plateforme de rencontres pour intellos qui a brièvement conquis le monde. Au lendemain des élections de 2020, Mark Zuckerberg, PDG de Facebook, a qualifié d'"assez folle" l'accusation selon laquelle les "fake news" publiées sur sa plateforme avaient influencé le résultat. Mais il a rapidement été confronté à une campagne de pression coordonnée dans laquelle tous les secteurs de la classe dirigeante américaine, y compris ses propres employés, l'ont accusé d'avoir placé un agent de Poutine à la Maison Blanche, l'accusant en fait de haute trahison. La goutte d'eau qui a fait déborder le vase a été la dénonciation publique par Obama lui-même de la diffusion de "fake news" sur Facebook. En l'espace de deux jours, Zuckerberg a plié : "Facebook annonce une nouvelle offensive contre les fausses nouvelles après les commentaires d'Obama". Il s'avère que la diffamation de la Russie n'était que le prétexte utilisé par les agences de renseignement, travaillant de concert avec des membres importants du Parti démocrate, pour prendre le contrôle d'Internet, qu'elles considéraient comme la propriété légitime d'une classe dirigeante permanente disposant d'un droit de veto sur les résultats des élections.
FOREIGN INFLUENCE TASK FORCE (GROUPE DE TRAVAIL SUR L'INFLUENCE ÉTRANGÈRE) : Le FBI a créé un service chargé de surveiller les réseaux sociaux afin de repérer les comptes qui tentent de diffuser de la désinformation, une catégorie qui s'est élargie pour englober les efforts visant à "discréditer les personnes et les institutions américaines" - en d'autres termes, toute critique à l'égard du gouvernement. Le ministère de la sécurité intérieure a assumé un rôle similaire.
GLOBAL ENGAGEMENT CENTER : également connu sous le nom de GEC, il s'agit de l'agence gouvernementale principale chargée de coordonner la guerre contre la désinformation. Créé à l'origine en tant qu'agence de lutte contre le terrorisme, le GEC a été réorganisé par le président Obama pour servir de véhicule à la mobilisation nationale, réunissant les secteurs public et privé, la Silicon Valley et les groupes à but non lucratif, afin d'éradiquer (c'est-à-dire de censurer) la désinformation supposée dangereuse. Il a évolué, tout comme le reste du complexe de contre-désinformation, passant de la défense contre les menaces étrangères à une focalisation officielle sur la désinformation nationale, ce qui lui a permis de servir d'outil de censure et de répression politique.
GERTH, JEFF : Auteur d'une très longue autopsie du CJR sur la couverture frauduleuse du Russiagate par la presse grand public. Un travail approfondi et accablant, mais publié trop tard pour qu'il ait une quelconque signification. (Voir aussi sous : "Médias").
GOOGLE : La plus avisée des grandes entreprises technologiques, qui passe largement inaperçue bien qu'elle joue un rôle de premier plan dans la machine de censure de l'État, ce qui permet à des acteurs de second plan comme Facebook de subir les foudres anti-technologiques tout en entretenant des relations de travail beaucoup plus étroites avec les gouvernements des États-Unis et de la Chine. Google recueille tellement de données sur le comportement de ses utilisateurs qu'il crée l'illusion de connaître leurs pensées et semble posséder les moyens technologiques de changer la façon de penser des gens sans prendre la moindre mesure. L'entreprise a commencé à fonctionner comme une branche fantôme du gouvernement américain pendant la présidence Obama. De 2009 à 2015, les employés de la Maison Blanche et de Google se rencontraient en moyenne plus d'une fois par semaine.
GREENWALD, GLENN : Journaliste de gauche qui a risqué sa vie et sa citoyenneté pour publier des informations privilégiées sur la surveillance des citoyens américains par la NSA qui lui ont été fournies par Edward Snowden, ancien contractant de Booz Allen Hamilton. M. Greenwald a été l'une des voix les plus véhémentes contre l'empressement des grands médias à répéter les points de vue de la Maison Blanche et de la CIA. Pour cette raison, M. Greenwald est accusé d'être devenu un dangereux chien d'attaque de la droite. Ses positions n'ont pas changé.
GRENIER, ROBERT : Ancien directeur du Centre de lutte contre le terrorisme de la CIA, Grenier a écrit dans le New York Times, quelques semaines après les émeutes des partisans de Trump au Capitole des États-Unis le 6 janvier 2021, que les États-Unis devraient mener un "programme de contre-insurrection global" contre leurs propres citoyens - pas seulement les extrémistes violents, mais tout "autochtone" susceptible de soutenir Trump.
HAMILTON 68 : Canular. Une initiative menée par un consortium de grands noms - dont des hauts responsables du Parti démocrate comme Jake Sullivan et Michael McFaul, ainsi que des néoconservateurs qui n'ont jamais soutenu Trump comme Bill Kristol - qui prétendait détenir les noms de centaines de comptes affiliés à la Russie qui auraient infiltré Twitter afin de semer le chaos et d'aider Donald Trump à remporter l'élection. Rien de tout cela n'était vrai. Après avoir examiné la liste secrète de Hamilton 68, le responsable de la sécurité de Twitter a admis en privé que son entreprise permettait à de "vraies personnes" d'être "unilatéralement qualifiées de laquais des Russes sans preuve ni recours".
HAYDEN, MICHAEL. L'espion des espions. Ancien général de l'armée de l'air, chef espion de la CIA et de la NSA, Hayden compte parmi les plus hauts responsables du renseignement que les États-Unis aient jamais produits, et a été l'un des principaux architectes du système de surveillance mis en place après le 11 septembre. Il a défendu Clint Watts, l'ancien agent du FBI, devenu l'un des principaux défenseurs de l'idée selon laquelle la Russie aurait "piraté" le système électoral américain.
GUERRE HYBRIDE : Une approche qui combine des moyens militaires et non militaires pour confondre et affaiblir une cible tout en évitant une guerre conventionnelle directe et à grande échelle. Théorie de la guerre notoirement vague, privilégiée par les "experts" professionnels de la défense, mais peu utile pour construire des armées fortes à même de gagner des guerres. A jeté les bases de l'idée selon laquelle des millions d'Américains exprimant des idées sur la politique pourraient, sans le savoir, contribuer aux plans de guerre de la Russie.
JANKOWICZ, NINA : Fan de "show tunes" et éphémère chef du "Conseil de gouvernance de la désinformation" du ministère de la sécurité intérieure. L'ancienne conseillère du président ukrainien Petro Porochenko, renversé par le département d'État, a composé une chanson sur la désinformation, qu'elle a chantée sur l'air de "Supercalifragilisticexpialidocious" : "Le blanchiment d'informations est vraiment un phénomène redoutable. Lorsqu'un bonimenteur se sert de mensonges et les fait paraître prémonitoires, en les prononçant devant le Congrès ou dans des médias grand public, les origines de la désinformation sont un peu moins horribles. C'est ainsi que l'on cache un petit mensonge, de petits mensonges. Rudy Giuliani a partagé de mauvaises informations en provenance d'Ukraine. Ou quand les influenceurs de TikTok ont dit que le COVID ne pouvait pas faire de mal. Ils blanchissent de la désinfo et nous devrions vraiment en prendre note, et ne pas soutenir leurs mensonges par notre portefeuille, notre voix ou notre cœur". Désormais affilié à une organisation à but non lucratif appelée Centre for Information Resilience [Centre pour la résilience de l'information].
JOHNSON, JEH. En tant que secrétaire d'Obama au ministère de la sécurité intérieure, M. Johnson s'est efforcé pendant des mois de placer les systèmes électoraux américains sous le contrôle du ministère de la sécurité intérieure, mais dans un premier temps, les réactions des acteurs locaux ont été neutres, voire négatives, car ils lui ont dit que l'organisation des élections dans ce pays relevait de la responsabilité souveraine et exclusive des États, et qu'ils ne voulaient pas d'une intrusion fédérale, d'une prise de contrôle fédérale ou d'une réglementation fédérale de ce processus. Dans les derniers jours de son mandat, M. Johnson a réussi à passer outre et à faire adopter unilatéralement la mesure.
ORDINATEURS PORTABLES DE HUNTER BIDEN : Réels et authentiques, comme le FBI le sait au moins depuis 2019, lorsqu'il en a pris possession pour la première fois, et comme les avocats de Biden l'ont eux-mêmes admis publiquement. Lorsque le New York Post a tenté d'en faire état, des dizaines de hauts responsables de la sécurité nationale des États-Unis ont menti au public en qualifiant les ordinateurs portables de "désinformation", un mensonge avalisé à de multiples reprises par l'actuel président Joe Biden. Twitter, Facebook et Google, fonctionnant comme des branches entièrement intégrées de l'infrastructure de sécurité de l'État, ont exécuté les ordres de censure du gouvernement sur la base de ce mensonge. La presse a applaudi la censure. L'histoire des ordinateurs portables a été présentée sous de nombreux aspects, mais la vérité la plus fondamentale est qu'il s'agit de l'aboutissement des efforts déployés pendant des années pour créer une bureaucratie réglementaire de l'ombre construite spécifiquement pour empêcher une répétition de la victoire de Trump en 2016.
HORNE, EMILY. : Cadre de Twitter qui a déconseillé de dénoncer l'escroquerie Hamilton 68. Mme Horne a travaillé auparavant au département d'État, où elle s'occupait du portefeuille "médias numériques et sensibilisation des groupes de réflexion". Selon son profil LinkedIn, elle "a travaillé en étroite collaboration avec des journalistes de politique étrangère couvrant l'ISIL [abréviation de l'État islamique - ndlr] [...] et a exécuté des plans de communication relatifs aux activités de la Coalition contre l'ISIL". De là, elle est passée à un rôle au sein du Conseil de sécurité nationale d'Obama en tant que directrice des communications stratégiques, poste qu'elle a quitté pour rejoindre Twitter en juin 2017. Coïncidence, elle a rejoint Twitter un mois avant le lancement de l'Alliance for Securing Democracy, le puissant groupe de réflexion néolibéral à l'origine de l'initiative Hamilton 68. Horne a poussé le site de réseaux sociaux à ne pas rendre les révélations publiques. "Nous devons faire attention à la manière dont nous nous opposons publiquement à l'ASD", a-t-elle écrit en février 2018.
KREMLIN : Parlement russe. Sur nos rivages, il sert de croque-mitaine à la nouvelle équipe fusionnée de néolibéraux et de néoconservateurs, qui affirment que les Russes préparent des campagnes de désinformation constantes contre les États-Unis afin de saper notre démocratie. Il est intéressant de noter que la même accusation est rarement portée contre le Parti communiste chinois, toujours extrêmement communiste et éminemment plus puissant, qui construit pourtant la plupart de nos équipements de communication.
KRISTOL, BILL : Personnalité mythique de la droite devenue chouchou de la résistance, Kristol a transposé son plaidoyer en faveur d'une guerre mondiale contre le terrorisme, notoirement désastreuse, à une guerre intérieure. (Pourquoi laisser les Irakiens prendre du bon temps ?)
THÉORIE DE LA FUITE DE LABORATOIRE : affirmation autrefois inavouable selon laquelle un coronavirus aurait été manipulé en laboratoire pour acquérir des propriétés encore jamais observées en milieu naturel, ce qui le rendrait particulièrement efficace pour la transmission entre humains. Google, Facebook et Twitter ont tous censuré les références à la fuite du laboratoire au motif qu'il s'agissait d'informations erronées, bien que de nombreux scientifiques estimés aient déclaré, dès les premiers jours de la pandémie, qu'elle pouvait être d'origine humaine. Les faits ont été traités comme des théories du complot dangereuses et empreintes de racisme par les autorités sanitaires du gouvernement américain et leurs serviteurs dans la presse pendant environ deux ans, avant que la ligne du parti ne change brusquement et que les agences gouvernementales ne commencent à reconnaître la vérité.
LUMPKIN, MICHAEL : Un des principaux défenseurs de la thèse selon laquelle les lois protégeant la vie privée des citoyens américains mettent en péril la sécurité nationale. Ancien Navy SEAL avec une expérience dans la lutte contre le terrorisme, Lumpkin a dirigé le Global Engagement Center (GEC) du département d'État, agence choisie par Obama pour mener la nouvelle guerre des États-Unis contre la désinformation.
MCLUHAN, MARSHALL. : Il a tout prédit en 1970 lorsqu'il a écrit : "La troisième guerre mondiale est une guerre d'information de guérilla sans aucune séparation entre militaires et civils".
MÉDIAS : bouc émissaire commode - de loin l'acteur le plus faible du complexe de contre-désinformation. La presse américaine, autrefois gardienne de la démocratie, n'est plus qu'une coquille vide et édentée que les agences de sécurité et les agents du parti américain ont transformée en marionnette.
MUSK, ELON : Inventeur de génie, transhumaniste fou, dont les tactiques d'homme impétueux sont souvent confondues avec la planification stratégique. S'il n'avait pas décidé d'acheter Twitter, des détails cruciaux de l'histoire de la politique américaine à l'ère Trump seraient peut-être restés un mystère.
NATIONAL SCIENCE FOUNDATION : organisme au nom sympathique qui finance une douzaine de technologies de détection automatisée de la désinformation, explicitement conçues pour surveiller les discours protégés par la Constitution sur des questions telles que "l'hésitation face aux vaccins et le scepticisme électoral".
OBAMA, BARACK : 44e président. A signé la loi Countering Foreign Propaganda and Disinformation Act, qui a instauré la guerre de l'information à durée indéterminée contre les Américains.
POPULISME : Type de mouvement politique intrinsèquement instable mais récurrent qui organise un large mécontentement populaire à l'égard des élites et qui, lorsqu'il est apparu aux États-Unis et en Europe à partir de 2015, a inspiré une panique pathologique au sein de l'establishment politique, qui l'a assimilé à un retour du nazisme. Ces mouvements se sont appuyés sur des figures de proue - Bernie Sanders et Donald Trump aux États-Unis - parce que les électeurs moyens, même lorsqu'ils se comptaient par dizaines de milliers, étaient trop coupés des leviers de pouvoir situés à l'intérieur des centres institutionnels pour poser un défi à long terme à la classe dirigeante américaine.
PRINCE HARRY ET MEGHAN MARKLE : animateurs de podcasts ratés qui se sont lancés dans une nouvelle carrière en rejoignant la 'Commission on Information Disorder' de l'Aspen Institut. De telles initiatives ont fleuri dans les années qui ont suivi Trump et le Brexit, comme des ligues de sports fantaisistes pour que les riches oisifs puissent jouer à rejoindre la grande cause de l'État profond.
ROGAN, JOE : Ancien commentateur et humoriste de l'UFC, et l'un des plus grands podcasteurs au monde. Pour ses interrogations sur les vaccins expérimentaux et les approches alternatives potentielles de traitement, Rogan a été dénoncé comme "une énorme menace pour la santé publique" dans une lettre publique que les médias grand public ont rapportée comme ayant été signée par "270 médecins", en fait un mélange de quelques médecins et d'une majorité de professionnels non médicaux, y compris un groupe de... podcasteurs.
ROTH, YOEL : ancien responsable de la confiance et de la sécurité chez Twitter. Il savait que tout ce truc de désinfo russe était une fraude - il a même suggéré dans un courriel d'octobre 2017 que l'entreprise prenne des mesures pour exposer le canular Hamilton 68 et "dénoncer ce genre de conneries pour ce qu'elles sont" - mais en fin de compte, il n'a rien fait.
RUSSIAGATE : la fausse affirmation selon laquelle la Russie aurait piraté l'élection présidentielle américaine de 2016 à l'aide de "désinformation", qui a fourni un prétexte - tout comme les affirmations sur les armes de destruction massive qui ont déclenché la guerre en Irak - pour plonger l'Amérique dans un statut d'exception en temps de guerre. Les règles normales de la démocratie constitutionnelle ayant été suspendues, les agences fédérales ont été autorisées à installer un mécanisme de censure massif sur les plus grandes plateformes Internet sous le prétexte d'assurer "l'intégrité de l'élection". (Voir aussi : Google, Amazon, Facebook, Twitter.) Bien qu'il n'y ait jamais eu d'ordre public, le gouvernement américain a commencé à appliquer la loi martiale en ligne. Le Russiagate a créé les conditions dans lesquelles les personnes qui expriment des opinions protégées par la Constitution (et souvent vraies) sur l'élection de 2016 (et plus tard sur des questions telles que les origines du COVID-19) sont cataloguées comme non américaines, racistes, conspirationnistes, à la solde de Vladimir Poutine et systématiquement éliminées de la place publique numérique pour empêcher leurs idées de se répandre.
SCHIFF, ADAM : Membre du Congrès de Los Angeles, ancien chef de la commission du renseignement de la Chambre des représentants et premier pourvoyeur politique de fausses informations sur le Russiagate, notamment en affirmant que le dossier Steele, aujourd'hui réfuté, était la preuve que la campagne de Trump entretenait une collusion active avec le gouvernement russe dans le cadre de l'élection de 2016. Vous avez déjà reçu des courriels de sa part.
SCHWAB, KLAUS : Chef du Forum économique mondial et maître d'œuvre de la classe des experts mondiaux. Schwab encourage à considérer la pandémie comme une occasion de mettre en œuvre la "Grande Réinitialisation" qui pourrait faire avancer la cause du contrôle de l'information à l'échelle planétaire. Chauve et grand comme un méchant d'Austin Powers, fils d'une famille qui a quitté la Suisse pour l'Allemagne pendant le Troisième Reich afin que son père puisse assumer le rôle de directeur d'Escher Wyss AG, une entreprise industrielle et un sous-traitant de l'Allemagne nazie d'alors, le casting central a été un peu exagéré dans ce cas.
SHORENSTEIN CENTER ON MEDIA POLITICS AND PUBLIC POLICY, HARVARD UNIVERSITY : Nœud clé d'un complexe d'organisations à but non lucratif financées par la philanthropie et enchevêtrées avec le gouvernement. (Voir aussi : Le gang des ONG).
SMITH, LEE : Chroniqueur de Tablet et premier chroniqueur de la conspiration du Russiagate, qui a souvent suscité des réactions hystériques de la part des critiques traditionnels. Le travail d'investigation de Smith sur le dossier Steele, la corruption de la presse et la collusion entre les agences de renseignement et les agents du Parti démocrate a permis d'expliquer comment des institutions qui semblaient familières ont été radicalement transformées de l'intérieur et ont réalisé un coup d'État contre un président en exercice.
RÉSEAUX SOCIAUX : Autrefois présentés comme une technologie révolutionnaire pour la diffusion de la démocratie et de la liberté humaine. Reconnaissant à Twitter un rôle important dans le mouvement du printemps arabe, Alec Ross, conseiller principal d'Hillary Clinton au département d'État, a déclaré que les réseaux numériques basés sur les réseaux sociaux étaient les "Che Guevara du XXIe siècle", ce qu'il considérait comme un éloge. Mme Clinton elle-même a déclaré qu'elle souhaitait "promouvoir les communications en ligne en tant qu'outil d'ouverture des sociétés fermées". Mais tout cela a changé lorsque Trump a été élu et que des gens dans l'orbite de Clinton et d'Obama ont blâmé "les sociétés internet" et en particulier Facebook pour avoir permis à Trump de gagner en n'imposant pas davantage de censure. La leçon que les principaux démocrates ont tirée de la victoire de Trump est que Facebook et Twitter - plus que le Michigan, le New Hampshire ou la Floride - sont les champs de bataille cruciaux où les futures luttes politiques seront gagnées ou perdues. "Beaucoup d'entre nous commencent à évoquer l'ampleur du problème", a déclaré Teddy Goff, stratège numérique en chef de Clinton, à Politico la semaine suivant l'élection, en faisant référence au rôle présumé de Facebook dans la diffusion de la désinformation russe qui aurait aidé M. Trump. "La campagne et l'administration, ainsi que la sphère Obama au sens large [...], voilà un des sujets sur lesquels nous aimerions nous pencher après l'élection".
SRI INTERNATIONAL : une société étroitement liée au Pentagone qui s'est séparée de l'université de Stanford dans les années 1970. Elle bénéficie aujourd'hui de l'un des deux plus gros contrats du ministère de la défense en matière de désinformation, et joue un rôle clé dans le développement de la prochaine génération de technologies de contrôle automatisé de l'information.
OBSERVATOIRE DE L'INTERNET DE STANFORD : Utilise l'apparence de l'objectivité scientifique pour accréditer et légitimer une campagne explicitement partisane et idéologique visant à interdire certaines idées. Il sert également d'intermédiaire entre le secteur de la défense, la Silicon Valley et le monde universitaire. Dirigé par Alex Stamos, ancien responsable de la sécurité chez Facebook jusqu'en 2018, qui a ensuite dirigé l'Election Integrity Project (voir : EIP) et a fondé en 2021 une société de cybersécurité avec Chris Krebs, le fonctionnaire du DHS principalement responsable de la création de la machine de censure massive et dirigée par le gouvernement avant l'élection de 2020.
DOSSIER STEELE : nn travail de diffamation partisan financé par l'équipe d'Hillary Clinton consistant en des rapports manifestement faux alléguant l'existence d'une relation de travail entre Donald Trump et le gouvernement russe. Bien qu'il ait été une arme puissante à court terme contre Trump, le dossier était aussi une connerie évidente, ce qui laissait supposer qu'il pourrait devenir un handicap.
TAIBBI, MATT : Journaliste indépendant qui s'est fait un nom en pourfendant les personnes impliquées dans la crise financière de 2008, il est aujourd'hui le principal diffuseur des " Twitter Files ". Pour avoir défié les démocrates autant qu'il défie les républicains, il est maintenant forcé de rester en ligne toute la journée pendant que des centaines d'inconnus lui tweetent "Qu'est-ce qui t'est arrivé ?".
ORGANISATIONS NON-PROFESSIONNELLES ET ONG : étiquette appliquée aux organisations financées par des milliardaires du secteur privé, qui les utilisent pour faire avancer leurs propres programmes, et par le gouvernement des États-Unis, pour blanchir et faire du lobbying en faveur de ses politiques de prédilection. Une note interne du ministère de la sécurité intérieure (DHS), rendue publique pour la première fois par le journaliste Lee Fang, décrit le commentaire d'un fonctionnaire du DHS lors d'une discussion stratégique interne, selon lequel l'agence devrait utiliser des organisations à but non lucratif tierces comme "centre d'échange d'informations afin d'éviter l'apparence de propagande gouvernementale". Ce mandat a ouvert des milliers de nouveaux emplois à un stade où le journalisme traditionnel s'effondrait dans le cadre du problème plus large d'un nombre insuffisant d'emplois pour un trop grand nombre d'élites diplômées.
TRUMP, DONALD : 45e président des États-Unis, ogre. A horrifié des millions de gens ordinaires qui ont considéré comme une trahison personnelle la possibilité qu'il occupe le même poste que Washington et Lincoln. Il a également menacé les intérêts commerciaux des secteurs les plus puissants de la société. C'est cette dernière offense, plutôt que son racisme supposé ou son manque flagrant d'esprit présidentiel, qui a plongé la classe dirigeante dans un état d'apoplexie.
TRUSTED NEWS INITIATIVE : Lancée par la BBC à l'été 2019 pour "détecter la désinformation qui menace la vie humaine ou perturbe la démocratie pendant les élections", les membres ont promis : "Cette initiative est entièrement distincte de la position éditoriale de toute organisation partenaire et ne l'affecte en aucune façon." Ils déclarent également - sans aucune gêne - que lorsqu'une "désinformation" est détectée, ils agiront "rapidement et collectivement" pour "la neutraliser avant qu'elle ne prenne de l'ampleur". Il s'agit notamment de "veiller à ce que les préoccupations légitimes concernant les futures vaccinations soient entendues, tandis que les mythes de désinformation nuisibles sont stoppés dans leur élan". En juillet 2020, l'AP, l'AFP, la BBC, CBC/Radio-Canada, l'Union européenne de radio-télévision (UER), Facebook, le Financial Times, First Draft, Google/YouTube, The Hindu, Microsoft, Reuters, Reuters Institute for the Study of Journalism, Twitter, The Wall Street Journal et The Washington Post figuraient parmi les membres de l'association.
TWITTER : plateforme de réseaux sociaux populaire auprès des journalistes et des membres de la classe politique. De 2016 à 2012, elle a été gérée comme une filiale de l'establishment sécuritaire américain. Elle évolue maintenant, sous la direction du nouveau propriétaire (voir aussi : Musk, Elon, "la contre-élite"), vers ... autre chose.
TWITTER FILES : Elon Musk s'efforce de donner aux Américains un aperçu de la mesure dans laquelle le gouvernement a travaillé directement avec Twitter pour façonner le discours public. À cette fin, Musk a donné accès aux fichiers internes de l'entreprise à un ensemble de journalistes, dont Bari Weiss, Michael Shellenberger, mais surtout Matt Taibbi.
GUERRE CONTRE LE TERRORISME : Peut-être la politique la plus destructrice de plus de deux siècles de diplomatie américaine : une recette pour une guerre permanente, car elle a remplacé les normes traditionnelles de la victoire militaire par un projet ouvert visant à remodeler des pays lointains à l'image de l'Amérique.
Deux décennies de lutte contre la terreur ont alimenté la croissance d'une bureaucratie massive d'experts en contre-insurrection (COIN) et en contre-terrorisme (CT) répartis dans l'armée, les agences de renseignement, les organisations à but non lucratif, les universités et le secteur privé, dont un grand nombre a pu se reconvertir sans problème en experts de la guerre contre la désinformation.
LES CHIENS DE GARDE : Autrefois la presse et certaines organisations civiques, comme l'ACLU, qui ont cessé d'être actives. Il n'a jamais été inhabituel pour une agence gouvernementale comme la CIA ou le FBI de vouloir travailler avec des entreprises privées et des groupes de la société civile, mais au cours des dix dernières années, ils ont réussi à créer ces partenariats à grande échelle, ce qui a eu pour résultat de briser l'indépendance des organisations qui auraient dû enquêter de manière critique sur les initiatives du gouvernement. Toutes les institutions qui jouaient autrefois le rôle de chiens de garde éminents sont désormais perçues comme des vecteurs de fabrication d'un consensus.
WATTS, CLINT : Célébré par Michael Hayden, chef de la CIA à la retraite, comme "l'homme qui, plus que tout autre, a tenté de tirer la sonnette d'alarme plus de deux ans avant les élections de 2016". Ancien agent du FBI et analyste de la lutte contre le terrorisme, Watts est devenu, avec l'arrivée au pouvoir de Trump, l'expert incontournable des médias en matière de trolls russes et de campagnes de désinformation du Kremlin, principal promoteur de l'affirmation selon laquelle une main russe cachée marionnettisait les événements politiques aux États-Unis. Il est également considéré par beaucoup comme le premier à avoir compris que Twitter rend les faussetés plus crédibles par la seule répétition et le grand nombre d'informations, ce qu'il a appelé la "propagande computationnelle", que Twitter oriente à son tour vers les médias grand public.
PROBLÈME DE L'ENSEMBLE DE LA SOCIÉTÉ : Dans une déclaration de 2018, le département d'État a noté que pour mener à bien sa "mission de lutte contre la propagande et la désinformation, il faudra tirer parti de l'expertise de l'ensemble du gouvernement, des secteurs de la technologie et du marketing, du monde universitaire et des ONG". Les officiers de la CIA à Langley en sont venus à partager une croisade morale primordiale avec des célébrités, de jeunes journalistes branchés à Brooklyn, des organisations non lucratives progressistes à Washington, des think tanks de l'OTAN à Prague, des consultants en équité raciale, en capital investissement, des planificateurs du Pentagone, des employés d'entreprises technologiques de la Silicon Valley, des chercheurs de l'Ivy League et des membres de la famille royale britannique qui ont failli à leur mission. Les républicains "Never-Trump " ont uni leurs forces à celles du Comité national démocrate, qui a déclaré que la désinformation en ligne était "un problème sociétal global exigeant une réponse sociétale globale" dans un ensemble de recommandations pour lutter contre ce fléau, publié quelques mois avant l'élection de 2020.
Si vous travaillez dans le domaine de la "désinformation" ou de la "mésinformation" pour le gouvernement ou dans le secteur privé, et que vous souhaitez discuter de vos expériences, vous pouvez me contacter en toute sécurité à l'adresse jacobsiegel@protonmail.com ou sur Twitter @jacob__siegel. La confidentialité des sources est garantie.
* Jacob Siegel est rédacteur en chef de News and The Scroll, le bulletin d'information quotidien de Tablet, auquel vous pouvez vous abonner ici.