👁‍🗨 Je porte un toast à ma prof d’arabe palestinienne

Les images, cette indifférence impitoyable à la souffrance, l'ampleur des destructions, ces tueries de masse, & les mensonges pour les justifier. Et les enfants. Les enfants. Les enfants...

👁‍🗨 Je porte un toast à ma prof d’arabe palestinienne

Une courte lettre de gratitude & d'espoir pour l'anniversaire de mon professeur d'arabe

Par Chris Hedges, le 29 janvier 2025

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Lorsque nous nous sommes rencontrés, pour notre premier cours, Ruba m'a donné un avant-goût de ce que j'allais bientôt découvrir comme étant sa version singulière d'une offensive de charme.

“Mes amis”, m'a-t-elle dit, “disent que vous êtes connu. Mais je n'ai jamais entendu parler de vous”.

Et voilà, sa franchise brute si caractéristique était là, que je le veuille ou non. Viennent ensuite les conseils spontanés en matière de mode, qui consistent à me faire comprendre que mes costumes amples Brooks Brothers me grossissent à l'écran, et le curieux mécanisme de motivation de Ruba en classe. Lorsque je suis déconcentré ou mal préparé, elle me fait remarquer que “Si vous ne vous concentrez pas, je ne vous le ferai plus payer".

Je dois maintenant compatir à l'exaspération bien compréhensible de Ruba face à ma propension à me montrer excessivement grégaire dans la salle des pâtisseries avec quiconque occupe la table à côté de nous. Une fois, lorsque je lui ai dit que je ne pouvais faire que deux heures au lieu des trois heures habituelles un mardi, elle m'a envoyé un message, et je cite :

“Je ne peux pas garantir que vous apprenniez quoi que ce soit en deux heures, moins le temps que vous passez à bavarder, alors on devra travailler mercredi”.

Et lorsqu'une pauvre Chilienne me parlait de la dictature de Pinochet, qui avait fait disparaître son père, dans la salle des pâtisseries où nous aurions dû travailler la langue arabe, Ruba, de plus en plus agacée, a fini par lâcher : “Il me paie à l'heure”.

Et puis, il y a eu la préparation laborieuse de ma conférence en arabe au Caire. La veille de mon départ, j'ai dit à Ruba que j'allais rédiger une dernière version de l'exposé en arabe.

“Non, ne faites pas ça”, m'a-t-elle dit brusquement. “Utilisez le texte que je vous ai aidé à écrire”.

“Pourquoi ?” lui ai-je demandé. “Vous ne me faites pas confiance pour l'écrire en arabe ?”

Elle a joint son pouce et son index pour former un zéro.

Pendant les campements à Princeton, Ruba et Amy ont passé de longues journées, souvent jusque tard dans la nuit, à nourrir, soutenir, encourager et assister ces étudiants, la conscience de notre nation. Je savais que Ruba était quelqu'un de bien. Mais au campement, j'ai vu qu'elle était une belle personne.

Aujourd'hui, il y a des jours où ce génocide, pour nous deux, est insupportable. Les images, cette indifférence impitoyable à la souffrance, l'ampleur des destructions et ces tueries de masse, et les mensonges entretenus pour les justifier. Et les enfants. Les enfants. Les enfants. Par moments, dépassé en plein cours, je me suis arrêté, la tête dans les mains, et j'ai pleuré. Et puis j'ai senti Ruba m'attraper le bras.

“Chris”, m’a-t-elle dit. “Tu es si fort”.

Bien sûr, comme nous tous, je suis anéanti, brisé en mille morceaux, marchant sur cette fine corde raide au-dessus de l'abîme du désespoir. Mais chaque semaine, je suis ici avec Ruba, composante de mon absurde résistance, conjuguant mes verbes, luttant avec le vocabulaire qu'elle a noté sur des fiches colorées, y compris “ennemi sioniste”, trébuchant sur des textes arabes, projetant, bientôt, de retourner à Gaza avec suffisamment d'arabe pour au moins me montrer poli, présenter mes condoléances et ma compassion, pour raconter ces histoires.

Au milieu de tout cela, je trouve une sorte de réconfort étrange en cours avec Ruba, ma guérisseuse meurtrie. Thérapie et pédagogie. La confirmation que, quoi qu'il arrive, il faut continuer, il faut continuer, il faut toujours résister.

My Birthday Toast to my Palestinian Arabic Teacher