đâđš âJe resterai dans mon hĂŽpital jusqu'au boutâ
IsraĂ«l a franchi toutes les lignes rouges & aucune instance humanitaire, judiciaire ou sanitaire internationale nâintervient pour y mettre fin. Câest un permis de tuer & de dĂ©truire sans prĂ©cĂ©dent.
đâđš âJe resterai dans mon hĂŽpital jusqu'au boutâ
Par Ruwaida Kamal Amer, le 5 novembre 2024
L'armĂ©e israĂ©lienne a tuĂ© son fils et arrĂȘtĂ© ses collĂšgues Ă l'hĂŽpital Kamal Adwan, mais le directeur Hussam Abu Safiya refuse d'abandonner ses patients.
Depuis le début du mois d'octobre, l'armée israélienne se livre à un blocus meurtrier sur le nord de la bande de Gaza, tuant des centaines de Palestiniens à Jabalia, Beit Lahiya et Beit Hanoun et forçant environ 70 000 d'entre eux à fuir vers la ville de Gaza. Au cours de son opération de nettoyage de la région, l'armée a assiégé et bombardé les trois hÎpitaux du secteur, poussant chacun d'entre eux au bord de l'effondrement sans présenter aucune preuve substantielle de la pertinence militaire de ces attaques.
L'hÎpital Kamal Adwan, à Beit Lahiya, fonctionne à peine aprÚs des semaines de bombardements israéliens intensifs. Le 25 octobre à 2 heures du matin, l'armée israélienne s'est rapprochée de l'hÎpital - qui avait déjà fait l'objet d'un raid en décembre 2023 - et a commencé à pilonner le bùtiment et ses alentours. Des obus ont touché le troisiÚme étage, détruisant les équipements médicaux que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) avait livrés les jours précédents et endommageant l'unité de dialyse de l'hÎpital. L'attaque a également coupé le générateur d'oxygÚne médical de l'hÎpital, entraßnant la mort de deux nourrissons dans l'unité de soins intensifs.
Quelques heures plus tard, les troupes israĂ©liennes ont pris d'assaut l'hĂŽpital, ordonnant Ă tous les patients et aux Palestiniens dĂ©placĂ©s qui y cherchaient refuge de se rassembler dans la cour centrale. Des centaines de personnes ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©es ou dĂ©tenues et soumises Ă des interrogatoires, dont la quasi-totalitĂ© du personnel de l'hĂŽpital.
Le docteur Hussam Abu Safiya, pédiatre et directeur de l'hÎpital, a refusé d'évacuer Kamal Adwan malgré les menaces israéliennes. Il a été briÚvement détenu pendant le raid, avant de retourner s'occuper de ses patients malades et blessés. Ce faisant, un drone israélien a tué son fils de 15 ans, Ibrahim, qui s'était réfugié à l'hÎpital avec le reste de sa famille. Dans une vidéo datant du 26 octobre, on peut voir Abu Safiya célébrer les funérailles de son fils dans la cour de l'hÎpital, en refoulant ses larmes.
L'armée israélienne s'est retirée de l'hÎpital le 28 octobre, et des dizaines de victimes des attaques incessantes d'Israël sur le nord ont depuis inondé les salles d'attente et les couloirs de l'hÎpital. L'hÎpital accueille actuellement plus de 120 patients, mais Abu Safiya est l'un des deux seuls médecins et quelques infirmiÚres à pouvoir encore s'occuper d'eux.
Les attaques ne faiblissent pas : le 31 octobre, les forces israéliennes ont de nouveau frappé l'hÎpital, détruisant un autre arrivage récent d'équipements de l'OMS. Lors de la visite d'une délégation de l'OMS à l'hÎpital le dimanche 3 novembre dernier - lors d'une tentative d'évacuation de certains patients - des tirs au canon ont touché le service pédiatrique, blessant une jeune fille de 13 ans et plusieurs autres personnes. Les 4 et 5 novembre, l'hÎpital a de nouveau été frappé, blessant le personnel et les patients et endommageant les réservoirs d'eau.
+972 s'est entretenu avec le docteur Abu Safiya, qui se trouve toujours à l'intérieur de l'hÎpital, le 31 octobre. L'entretien a été adapté pour des raisons de longueur et de clarté.
Pouvez-vous dĂ©crire ce qui se passe actuellement Ă Kamal Adwan et le danger auquel vous, vos collĂšgues et vos patients ĂȘtes confrontĂ©s ?
âDepuis le dĂ©but de la guerre, nous avons beaucoup souffert de pĂ©nuries de matĂ©riel mĂ©dical, de personnel et divers Ă©quipements. Nous avons fait appel aux organisations internationales de santĂ© pour sauver l'hĂŽpital, mais nous avons malheureusement Ă©tĂ© soumis Ă un blocus intensif et Ă des tirs d'artillerie directs pendant prĂšs d'un mois. Il y a quelques instants, le troisiĂšme Ă©tage de l'hĂŽpital a Ă©tĂ© touchĂ©. Je ne sais pas s'il s'agit d'un obus en provenance d'un char ou d'une frappe aĂ©rienne, mais la salle d'opĂ©ration et les rĂ©serves de mĂ©dicaments ont Ă©tĂ© incendiĂ©es, et il a Ă©tĂ© difficile de maĂźtriser l'incendie.
Les bombardements sur Beit Lahiya, Beit Hanoun et Jabalia ne cessent pas et de nombreux blessĂ©s arrivent Ă l'hĂŽpital, portĂ©s sur les Ă©paules des gens ou dans des charrettes tirĂ©es par des animaux. Les ambulances sont complĂštement hors service aprĂšs de nombreuses attaques de l'armĂ©e israĂ©lienne. Les blessĂ©s [arrivant Ă l'hĂŽpital] Ă©tant nombreux, nous sommes obligĂ©s de faire des choix pour traiter les cas les plus graves. Je n'aurais jamais imaginĂ© que nous vivrions des moments aussi tragiques au sein de cet hĂŽpitalâ.
Que vous est-il arrivé, à vous et au personnel médical, lorsqu'Israël a fait irruption dans l'hÎpital le 25 octobre ?
âL'armĂ©e israĂ©lienne ne sait pas ce qu'elle veut. J'ai Ă©tĂ© dĂ©tenu pendant quelques heures et interrogĂ© sur la prĂ©sence de combattants Ă l'intĂ©rieur de l'hĂŽpital. Ils m'ont demandĂ© d'Ă©vacuer complĂštement l'hĂŽpital, mais j'ai refusĂ© et je leur ai assurĂ© qu'il n'y avait que des patients Ă l'intĂ©rieur de l'hĂŽpital. Mais 57 membres du personnel mĂ©dical de l'hĂŽpital ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s et nous ne savons toujours rien sur leur sort [certains ont Ă©tĂ© libĂ©rĂ©s Ă la suite de cette interview, mais les autres sont toujours dĂ©tenus par les IsraĂ©liens]. Nous souffrons donc d'une grave pĂ©nurie de mĂ©decins, en particulier de chirurgiens. Ă l'heure actuelle, nous n'avons que des pĂ©diatres - c'est un Ă©norme dĂ©fi de travailler dans ces conditions.
J'ai refusĂ© de quitter l'hĂŽpital et de sacrifier mes patients, et l'armĂ©e m'a puni en tuant mon fils. Je l'ai vu mourir Ă la porte d'entrĂ©e - un grand choc. Je lui ai prĂ©parĂ© une tombe prĂšs d'un des murs de l'hĂŽpital, pour qu'il pas loin de moi.â
L'armée a justifié ses attaques en affirmant, sans preuve substantielle, que les combattants du Hamas opÚrent à l'intérieur de l'hÎpital ou dans des tunnels situés en dessous. Que répondez-vous à ces accusations ?
âIl n'y a pas de combattants Ă Kamal Adwan. De plus, c'est un hĂŽpital qui reçoit des patients venus de partout : nous ne restons pas Ă la porte de l'hĂŽpital pour demander Ă chaque blessĂ© ou malade quelle est son affiliation politique. C'est absolument insensĂ©. Le travail de l'hĂŽpital est de fournir des services mĂ©dicaux Ă tous les patients qui ont besoin de soins.
Nous avons vĂ©cu de nombreuses guerres, mais nous n'avons jamais rien connu de tel : une guerre qui a franchi toutes les lignes rouges, oĂč aucune instance institution humanitaire, judiciaire ou sanitaire internationale nâintervient pour y mettre un terme. Câest un permis de tuer et de dĂ©truire, et ce qu'a vĂ©cu le systĂšme de santĂ© Ă Gaza est sans prĂ©cĂ©dentâ.
Pouvez-vous préciser les dégùts subis par l'hÎpital à la suite des bombardements successifs ?
âL'hĂŽpital a Ă©tĂ© et reste gravement affectĂ© par les attaques de l'armĂ©e. La plupart des services de l'hĂŽpital sont dĂ©truits, y compris la salle d'opĂ©ration au troisiĂšme Ă©tage. Les bombardements autour de l'hĂŽpital sont permanents, de jour comme de nuit.
Nous sommes trÚs préoccupés par ces attaques continues contre l'hÎpital, [que nous considérons comme] une tentative délibérée de le détruire. Je lance un nouvel appel à la communauté internationale pour qu'elle sauve l'hÎpital et libÚre les médecins détenus. Nous sommes un établissement de santé au service des patients, dont le sort ne cesse de se détériorer en raison du manque de médicaments. Nous avons besoin de nos médecins pour soigner les blessés, mais l'armée n'accepte pas de les libérer.
Nous faisons ce que nous pouvons et nous ne nous baisserons pas les bras. Je ne renoncerai pas Ă mon message humanitaire : mon mĂ©tier est un devoir, et je me dois de le poursuivre. Je ne quitterai pas l'hĂŽpital, je resterai jusqu'Ă la finâ.
+972 a contacté le porte-parole des FDI pour obtenir des commentaires sur les attaques de l'armée contre l'hÎpital Kamal Adwan, la détention d'Abu Safiya, l'assassinat de son fils et les allégations d'activités du Hamas. Leur réponse sera intégrée ici si et quand nous la recevrons.
https://www.972mag.com/kamal-adwan-hospital-hussam-abu-safia/