👁🗨 Je suis née et j'ai grandi dans le camp de réfugiés de Jabalia, où Israël a tué 23 membres de ma famille.
“Combien d’autres désastres faudra-t-il subir avant qu'un cessez-le-feu ne soit appliqué & que des mesures soient prises pour que tous les responsables du génocide aient à répondre de leurs actes ?”
👁🗨 Je suis née et j'ai grandi dans le camp de réfugiés de Jabalia, où Israël a tué 23 membres de ma famille.
Par Shahd Abusalama, le 6 novembre 2023
Ce qui se passe à Gaza n'est pas une guerre. C'est un génocide, assorti d'une campagne de nettoyage ethnique à l'encontre de la population majoritairement réfugiée dans cette enclave assiégée.
Ce processus vise d'autres communautés palestiniennes qui survivent sous la domination coloniale et militaire israélienne, entre le fleuve et la mer.
Personne n'est épargné par la machine à tuer d'Israël : enfants, femmes, personnes âgées, journalistes, médecins, personnel paramédical, pompiers. Personne n'est plus nulle part en sécurité à Gaza : des immeubles d'habitation ont été rasés, des écoles de l'UNRWA [Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient] abritant des personnes déplacées ont été détruites.
Les hôpitaux, les églises, les mosquées, les boulangeries, les universités, les ambulances aussi. Mes parents et ma famille au sens large font partie des plus d'un million de personnes déplacées de force, soit près de la moitié de la population totale de Gaza.
Ils ont fui vers le camp de réfugiés d'Al-Nusairat, “au sud de la rivière Gaza” selon les ordres criminels de l’armée d'Israël, mais ils y côtoient la mort tous les jours au rythme des bombardements israéliens incessants.
Nous n'avons pas le temps de digérer toutes les horreurs de ces quatre dernières semaines, mais les survivants de ma famille ne cessent de répéter que
“chaque jour qui passe est synonyme de nouvelles effusions de sang”.
Le 23 octobre, mes cousins et leurs petits anges ont fait partie des 23 membres de la famille massacrés, alors qu'ils dormaient chez eux dans le camp de réfugiés de Jabalia.
Les survivants de ma famille n'ont pas pu leur dire adieu ni organiser des funérailles dignes de ce nom, car la machine à tuer israélienne les a poursuivis. Khalil, le fils de ma tante, est le seul survivant de sa famille.
Les corps sans vie de sa femme Heba (35 ans) et de ses enfants Leen (12 ans), Jihad (10 ans) et Sham (5 ans) ont été extraits des décombres au bout de six heures.
Heba, infirmière diplômée de l'hôpital indonésien, et ses enfants avaient quitté leur maison pour se réfugier chez une autre cousine, Rana, mariée à Jawad, le frère d'Heba.
Jawad a survécu, mais Rana (40 ans) a été tuée, ainsi que deux de ses cinq enfants, les petits Mohammed (5 ans) et Naama (7 ans), tandis que les jumelles Jana et Jinan (12 ans) et Husni (10 ans) ont survécu malgré leurs blessures.
Le 1er novembre, mon cher cousin Yousef Marwan Abusalama a succombé à ses blessures à l'hôpital indonésien. Quatre jours auparavant, le 27 octobre, Israël avait bombardé les environs, détruisant des maisons, tuant plus de 22 de nos voisins et en blessant beaucoup d'autres, dont lui.
Le seul tort de Yousef est d'être un réfugié palestinien. Il était assis devant sa maison dans le camp de réfugiés de Jabalia, à l'origine celle de mes grands-parents, où mes frères et sœurs aînés Majed et Majd et moi-même sommes nés.
Israël a bombardé les environs, détruisant les maisons et tuant plus de 22 de nos voisins. Yousef les a rejoints au ciel après que les éclats d'obus fichés sur sa colonne vertébrale aient provoqué une infection et une douleur insupportable. Les médecins l'ont opéré à 1 heure du matin. Il a quitté la salle d'opération à 6 heures du matin après avoir pleuré jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Cet homme attentionné, beau, jeune et fort s'est accroché à la vie pendant quatre jours, craignant de nous briser le cœur. C'est pourtant ce qui s'est produit.
C'est dans le camp de réfugiés de Jabalia que mes grands-parents, survivants de la Nakba, originaires de Beit Jirja et d'Ashdod, ont attendu de pouvoir rentrer chez eux. Mais Israël leur a interdit le droit au retour pourtant reconnu par le droit international, et les a condamnés à une vie d'oppression à Gaza, puis a bombardé leurs petits-enfants à mort.
J'ai passé de nombreuses heures au téléphone avec Yousef pendant cette guerre génocidaire, ce qui nous a rapprochés plus que jamais. Il m'a donné des nouvelles de la famille de mon oncle Marwan, que j'aime tant, et de notre maison d'Al-Saftawi, qui a accueilli Yousef pendant ces dernières années.
La nuit précédant cette blessure, j'étais avec lui sur l'application Messenger, rassemblant des photos et dressant une liste des noms et des âges des 23 membres de sa famille tués le 23 octobre. Il ne voulait pas que nos morts soient oubliés et résumés à des chiffres.
J'ai appelé ma famille un millier de fois, désespérant de pouvoir pleurer avec eux, mais j'ai lamentablement échoué à cause de la coupure d'électricité. Je suis cependant reconnaissante d'avoir pu parler à mon oncle Marwan et à ma tante Haniyya, les parents de Yousef, que j'aime beaucoup, ainsi qu'à tous ses frères et sœurs.
C'était déchirant de les entendre se réconforter, en larmes, disant que Yousef est meilleur que nous, maintenant qu'il est mort en martyr. Ils sont convaincus qu'il aurait pu vivre si Israël n'avait pas poussé les hôpitaux de Gaza jusqu'au point de rupture, jusqu'à la catastrophe.
Alors que Yousef bénéficiait d'un lit, ses parents ont vu des médecins soigner les blessés à même le sol, et n'ont pas hésité à appeler les secours en les voyant débordés, dans une course contre la montre pour sauver des vies.
En violation flagrante du droit international, Israël a soumis Gaza à un blocus total, coupant électricité, carburant, eau, internet et produits alimentaires. Les survivants de ma famille m'ont dit qu'ils avaient faim, qu'ils étaient vivants mais morts à l'intérieur.
Ils ont surtout faim que le monde reconnaisse enfin leur humanité et leur droit à la liberté, la justice et à l'égalité, bafouées pendant 106 ans de domination coloniale successivement britannique et israélienne.
La Grande-Bretagne est consciente de nos griefs puisqu'elle détient la responsabilité historique d'avoir facilité l'aboutissement de l'entreprise sioniste dans l'État juif d'Israël grâce au nettoyage ethnique de nos grands-parents.
Comment oublier la tristement célèbre déclaration Balfour de 1917, qui a marqué le début de trois décennies de domination coloniale britannique en Palestine, au cours desquelles un apartheid a été instauré entre Arabes autochtones et colons juifs ?
Cette situation n'a pris fin que le jour précédant la création de la nouvelle nation de colons d'Israël, qui a commencé à dominer les Palestiniens jusqu'à ce jour, pour une durée indéterminée.
Les informations accablantes en provenance de Gaza ne cessent d'affluer, tout comme mon sentiment d'aliénation et d'abandon en voyant le monde entier refuser de secourir nos survivants, et d'imposer sur un cessez-le-feu.
Il semble qu'Israël déploie les arguments du Hamas et des boucliers humains avec un tel succès que les dirigeants mondiaux ont donné un feu vert inconditionnel à une campagne de nettoyage ethnique contre les Palestiniens, sapant le droit international et les conventions sur les droits de l'homme qui ont prouvé leur inefficacité lorsqu'il s'agit de la cause palestinienne.
En examinant la répression en Cisjordanie occupée et contre les citoyens palestiniens d'Israël, qui va de pair avec le génocide à Gaza, il est clair que la cible d'Israël n'est pas le Hamas, mais bel et bien l'élimination des Palestiniens, un fil conducteur récurrent tout au long de notre horrible confrontation avec le sionisme.
À l'instar des dirigeants sionistes qui ont toujours clamé leur besoin d'une “terre sans Arabes”, les dirigeants israéliens ont exprimé et continuent de clamer leur intention de “détruire Gaza” avant d'infliger cette horrible terreur sans se soucier des civils palestiniens.
Pourtant, la communauté internationale rivalise de zèle pour justifier et minimiser les crimes incessants d'Israël, comme si l'histoire n’avait commencé que le 7 octobre.
Et Israël, soutenu par les leaders occidentaux et les médias grand public, détourne l'attention de ce génocide, tentant de renforcer la construction de l'antisionisme, en le faisant passer pour de l'antisémitisme, afin de soustraire Israël et ses alliés à l'obligation de rendre compte de leurs actes.
Les sionistes et les citoyens britanniques racistes, encouragés par l'establishment politique qui apporte un soutien indéfectible à Israël, perpétuent leur propagande anti-palestinienne et islamophobe, transformant les mythes en vérités et l'agresseur en opprimé.
Invoquer l'holocauste ne peut justifier le déclenchement d'un génocide sur un peuple palestinien qu'on espère dominer et réprimer depuis 75 ans sans la moindre résistance.
À combien de catastrophes faudra-t-il encore assister avant qu'un cessez-le-feu ne soit imposé et que des mesures soient prises pour que tous ceux qui ont soutenu le génocide aient à répondre de leurs actes ?
Une réflexion sérieuse sur la nature intrinsèquement criminelle d'Israël s'impose. Un havre de paix réservé aux seuls Juifs vivant sur l'oppression des Palestiniens n'est tout simplement pas viable.
* Shahd Abusalama est une universitaire palestinienne qui est née et a grandi dans le camp de réfugiés de Jabalia, au nord de Gaza, et qui vit actuellement à Londres. Elle a récemment obtenu un doctorat de l'université de Sheffield Hallam.