đâđš Joe Biden doit prendre une dĂ©cision au sujet de Julian Assange
De bons journalistes examinent les informations & se demandent si elles sont dans l'intĂ©rĂȘt du public. Si oui, qu'en faites-vous ? On se demande s'il ne suivent pas plutĂŽt leur affiliation politique..
đâđš Joe Biden doit prendre une dĂ©cision au sujet de Julian Assange
Par Mattathias Schwartz, le 1er octobre 2023
Les bons journalistes examinent les informations & se demandent si elles sont dans l'intĂ©rĂȘt du public. Si c'est le cas, qu'en faites-vous ? On se demande plutĂŽt si cela ne correspond pas Ă leur affiliation politique.
Il y a peu, j'ai reçu une mystĂ©rieuse invitation Ă participer Ă une rĂ©union d'information Ă New York, en marge de l'AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies. En parcourant les paragraphes caviardĂ©s, j'ai compris qu'il s'agissait de la saga de Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, dĂ©tenu dans une prison londonienne pendant que les autoritĂ©s britanniques dĂ©cident de la suite Ă donner Ă l'ordre d'extradition de Julian Assange vers les Ătats-Unis pour y rĂ©pondre d'accusations de piratage informatique et d'espionnage. âVotre prĂ©sence ne sera pas rĂ©pertoriĂ©eâ, promettait lâinvitation.
La rĂ©union d'information a eu lieu par un lundi matin pluvieux, Ă la Goals House, un programme de dĂ©veloppement soutenu par l'ONU qui avait temporairement pris possession du restaurant Tavern on the Green. Un petit groupe d'avocats et de responsables des mĂ©dias s'est rassemblĂ© dans une arriĂšre-salle bien amĂ©nagĂ©e pour Ă©couter Gabriel Shipton, le demi-frĂšre d'Assange. La prĂ©sence d'un animateur du Tucker Carlson Show (aujourd'hui âTucker on Xâ), qui a accueilli Gabriel Shipton et son pĂšre, a mis en Ă©vidence les extrĂȘmes idĂ©ologiques auxquels les partisans de WikiLeaks se sont livrĂ©s pour tenter de libĂ©rer leur fondateur en difficultĂ©.
De visu, M. Shipton n'avait rien Ă envier au grand frĂšre de M. WikiLeaks. Il Ă©tait calme, doux et direct. âD'habitude, nous faisons campagne sur le thĂšme de la libertĂ© de la presseâ, a-t-il dĂ©clarĂ©. âCette fois, c'est diffĂ©rent. Nous l'abordons dĂ©sormais sous l'angle de la politique Ă©trangĂšreâ.
La dĂ©lĂ©gation Assange avait publiĂ© une pleine page dans l'Ă©dition imprimĂ©e du Washington Post, signĂ©e par 64 lĂ©gislateurs australiens. Elle demandait l'abandon de l'ordre d'extradition et la libĂ©ration d'Assange. Selon M. Shipton, le groupe a demandĂ© Ă rencontrer le comitĂ© Ă©ditorial du Washington Post, dans l'espoir de modifier son opinion publiĂ©e selon laquelle M. Assange ân'est pas un hĂ©ros de la libertĂ© de la presseâ et qu'il âaurait dĂ» depuis longtemps rendre des comptes Ă titre personnelâ. Mais le comitĂ© a refusĂ© de le rencontrer.
(Insider a pu vĂ©rifier le rĂ©cit de Shipton ; le Post a refusĂ© de commenter.) Shipton, lors de la rĂ©union d'information, a semblĂ© ambivalent quant Ă l'idĂ©e de parler de cette rebuffade. Il s'agit d'une rĂ©vĂ©lation mineure, mais elle cristallise l'ironie de l'effort australien en faveur d'Assange. La libertĂ© d'Assange dĂ©pendait dĂ©sormais du mĂȘme type de diplomatie d'arriĂšre-boutique que sa carriĂšre Ă contribuĂ© Ă perturber.
Pendant des annĂ©es, le dĂ©bat sur Assange a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© comme une bataille entre la libertĂ© de la presse et la sĂ©curitĂ© nationale des Ătats-Unis. Il s'articule autour de deux questions : Assange est-il un journaliste ? Si ce n'est pas le cas, le fait de le poursuivre en vertu de lâEspionage Act met-il en danger les journalistes lĂ©gitimes qui reçoivent et publient des informations classifiĂ©es dans le cadre de leur travail ?
Le ministĂšre de la justice nous a dĂ©jĂ laissĂ© entendre qu'il ne le considĂ©rait pas comme un journaliste. Il va ĂȘtre intĂ©ressant de voir comment ils vont tourner cela.
Mais maintenant que les soutiens d'Assange ont ralliĂ© une coalition de sympathisants au sein du gouvernement australien, la question de son avenir Ă©volue en un conflit diplomatique entre les Ătats-Unis, alliĂ© clĂ© dans la lutte contre la sphĂšre d'influence Ă©mergente de la Chine dans le Pacifique. Si le Washington Post peut choisir d'ignorer la volontĂ© du peuple australien, la Maison Blanche, elle, ne le peut pas. Anthony Albanese, Premier ministre du parti travailliste australien, a dĂ©clarĂ© que, bien qu'il ait âquelques problĂšmesâ avec la conduite d'Assange, il estime que ce dernier est dĂ©tenu depuis âbien trop longtempsâ et que âsa dĂ©tention ne rime Ă rienâ ; il est dĂ©tenu par la Grande-Bretagne depuis quatre ans, aprĂšs que les autoritĂ©s ont mis la main sur lui en le kidnappant dans l'ambassade d'Ăquateur. La question de M. Assange devrait ĂȘtre abordĂ©e lors de la prochaine visite de quatre jours de M. Albanese aux Ătats-Unis, qui comprendra un dĂźner d'Ătat organisĂ© par le prĂ©sident Joe Biden le 25 octobre.
âNotre premier ministre doit considĂ©rer cela comme un test pour tenir tĂȘte au gouvernement amĂ©ricainâ, a dĂ©clarĂ© la dĂ©putĂ©e Monique Ryan, qui fait partie de la dĂ©lĂ©gation pro-Assange, lors de la rĂ©union d'information Ă New York. âLes Australiens s'inquiĂštent de l'accord AUKUS et se demandent si nous disposons ou non d'une quelconque influence".
Si M. Albanese insiste sur le cas d'Assange lors de son voyage Ă Washington, M. Biden sera confrontĂ© Ă un choix difficile : refuser la demande d'un alliĂ© de premier plan, ou provoquer la colĂšre de la communautĂ© du renseignement amĂ©ricaine. Ă leurs yeux, M. Assange sert de couverture Ă ce que Mike Pompeo a appelĂ© âun service de renseignement non Ă©tatique hostileâ, un fugitif russe dont les larges rĂ©vĂ©lations mettent en danger le personnel alliĂ© des Ătats-Unis. Dans un rapport bipartite, la commission du renseignement du SĂ©nat a conclu que WikiLeaks avait âactivement cherchĂ© Ă jouer un rĂŽle clĂ© dans la campagne d'influence russeâ visant Ă faire basculer les Ă©lections amĂ©ricaines de 2016, et qu'il âsavait trĂšs probablementâ que la Russie Ă©tait derriĂšre tout cela.
Puis il y a eu les fuites de Vault 7, qui ont rĂ©vĂ©lĂ© une grande part de lâarsenal de surveillance et piratage personnalisĂ©s de la C.I.A., ou âcyberarmes offensivesâ, comme on les nomme en haut lieu. Dans un premier temps, WikiLeaks a retenu le code source de la C.I.A., mais a finalement publiĂ© des centaines de documents, rendant ainsi inutilisables de nombreux outils de piratage de l'agence. Dans le cas de Vault 7, la source de WikiLeaks s'est avĂ©rĂ©e ĂȘtre un ancien employĂ© mĂ©content de la CIA. Mais la volontĂ© apparente de M. Assange de publier, quelle que soit la source, soulĂšve des questions fondamentales sur le journalisme Ă l'Ăšre du piratage parrainĂ© par l'Ătat et des fuites Ă grande Ă©chelle.
Caroline Kennedy, l'ambassadrice des Ătats-Unis en Australie, a dĂ©clarĂ© qu'âune solution pourrait vraiment ĂȘtre trouvĂ©eâ Ă l'affaire Assange, bien qu'elle ait prĂ©cisĂ© que l'affaire relevait en dernier ressort du ministĂšre de la Justice. Il n'est pas impossible d'imaginer un accord selon lequel M. Assange plaiderait coupable de piratage informatique en Ă©change de l'abandon par le gouvernement de 17 chefs d'accusation au titre de lâEspionage Act, dont The New York Times, Le Monde, The Guardian, Der Spiegel et El Pais ont tous dĂ©clarĂ© qu'ils mettaient en pĂ©ril les activitĂ©s journalistiques. M. Assange pourrait ĂȘtre libĂ©rĂ© aprĂšs avoir purgĂ© sa peine ou ĂȘtre remis aux autoritĂ©s de son pays d'origine, l'Australie, comme l'a Ă©tĂ© David Hicks, un autre Australien, que l'armĂ©e amĂ©ricaine a dĂ©tenu pendant cinq ans Ă GuantĂĄnamo.
Ă New York, Gabriel Shipton, le demi-frĂšre de M. Assange, n'a pas exclu la possibilitĂ© d'un accord de plaidoyer. âQuelle est l'alternative ?â a-t-il demandĂ©, faisant rĂ©fĂ©rence aux inquiĂ©tudes soulevĂ©es par les avocats de Julian Assange concernant la santĂ© de leur client de 52 ans et le risque de suicide. âJulian doit-il mourir ? Ou doita-t-il en prison jusqu'Ă la fin de ses jours ?â
M. Shipton a Ă©tĂ© Ă©levĂ© par John Shipton, le pĂšre biologique de M. Assange. John a Ă©tĂ© absent de la vie de Julian Ă partir de ses 3 ans. Julian a grandi sĂ©parĂ© de Gabriel et a pris le nom de Brett Assange, son beau-pĂšre. Le film âIthakaâ, produit par Gabriel, explore la complexitĂ© de la dynamique familiale. John s'ouvre sur sa rĂ©apparition dans la vie adulte de Julian en tant que militant, mais refuse avec colĂšre de parler de son absence pendant l'enfance de Julian.
Insider a retrouvé Shipton et le sénateur australien Peter Whish-Wilson, un autre membre de la délégation, quelques jours plus tard lors d'un déjeuner à Washington. Cet entretien a été édité et condensé pour des raisons de longueur et de clarté, et quelques notes de l'auteur sur le contexte sont incluses entre parenthÚses.
Insider : Avez-vous de la sympathie pour les personnes qui travaillent pour le gouvernement américain et qui disent : "Ce type a enfreint beaucoup de rÚgles. Il a compliqué notre travail. Il a mis nos sources et nos méthodes en danger. Nous sommes les gentils, et il nous a baisés. Si cela reste impuni, cela encouragera d'autres divulgations". Est-ce que cela tient la route ?
Shipton : Regardez le revers de la mĂ©daille. Qu'est-ce qui a Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ© ? Comment cela a-t-il rĂ©vĂ©lĂ© le fonctionnement de ces institutions humaines ? C'est la relation antagoniste entre les institutions et les journalistes, n'est-ce pas ? Je suis sĂ»r que toutes les institutions diraient : âOh merde, nous avons fait quelque chose de mal. On va classifier tout ça.â
Insider : Assange n'a pas respecté les limites habituelles de fonctionnement. Mais vous avez raison, il a révélé des choses importantes.
Shipton : Nous avons entendu le général Robert Carr dans le procÚs de Chelsea Manning : l'administration Obama a dépensé des millions pour déterminer si ces fuites avaient causé un préjudice. Et elle n'en a trouvé aucun. Elle n'a pas pu trouver une seule personne ayant subi quelque préjudice que ce soit.
Whish-Wilson : Nous parlons de notre personnel de dĂ©fense ainsi que du vĂŽtre Ă propos du conflit en Irak. Les rĂ©vĂ©lations de WikiLeaks montrent les risques encourus par les civils irakiens dans ce conflit. Nous savons que des centaines de milliers de civils irakiens sont morts dans ce conflit, si ce n'est plus. Je pense que l'opinion publique a tout intĂ©rĂȘt Ă se poser la question suivante : leur vie n'est-elle pas importante ? Il y a donc beaucoup de soutien en faveur de ces rĂ©vĂ©lations, qui reprĂ©sentent la meilleure chose Ă faire. Elles ont amenĂ© le parlement irakien Ă dire aux Ătats-Unis de retirer leurs troupes et Ă ne pas renouveler l'accord sur l'occupation des lieux.
Insider : Quand les Australiens ont-ils commencĂ© Ă s'intĂ©resser Ă l'affaire Assange ? Comment l'avez-vous portĂ©e au niveau du chef d'Ătat ?
Shipton : Julian a été diabolisé pendant de nombreuses années. Nous devions faire connaßtre son histoire et sensibiliser le public. Mon pÚre John a parcouru l'Australie pendant environ cinq ans et s'est rendu dans tout le pays pour créer un réseau de soutien.
Whish-Wilson : Cela peut sembler incendiaire, mais la tentative d'extradition d'Assange n'est pas quelque chose que j'attendrais du modĂšle mondial de dĂ©mocratie, mais plutĂŽt d'un Ătat totalitaire. En Australie, une journaliste australienne, Cheng Lei, est emprisonnĂ©e en Chine pour avoir rĂ©vĂ©lĂ© des secrets d'Ătat [entretemps libĂ©rĂ©e le 11 octobre 2023] . Pour espionnage. Chaque fois que le gouvernement australien soulĂšve cette question, le gouvernement chinois publie une dĂ©claration sur Julian Assange. Et maintenant, un journaliste amĂ©ricain est dĂ©tenu Ă Moscou. C'est une pente glissante.
Le journalisme et ses limites
Insider : Je voudrais parler de la question de savoir si Julian Assange est un journaliste ou non. En tant que journaliste, j'ai lu l'acte d'accusation et j'ai constatĂ© qu'une grande partie des faits reprochĂ©s au titre de lâEspionage Art correspond Ă ce que je fais et Ă ce que font gĂ©nĂ©ralement les journalistes. Parler aux gens -
Whish-Wilson : - et solliciter des informations -
Insider : - essayer d'obtenir des informations. Mais il y a aussi l'accusation de piratage. De mon point de vue, c'est quelque chose que je ne ferais jamais. Mes collĂšgues ne le feraient pas non plus. Si l'un d'entre eux le faisait, il s'attendrait Ă aller en prison s'il se faisait prendre.
Shipton : Nous appelons l'accusation de piratage âune accusation de relations publiquesâ. Ils ont spĂ©cifiĂ© ce chef d'accusation dĂšs le dĂ©part. La peine encourue n'est que de cinq ans. Puis, aprĂšs avoir fait sortir Julian de l'ambassade, ils ont abandonnĂ© les 17 chefs d'accusation de lâEspionage Act. Ils ont donc utilisĂ© l'accusation de piratage pour cadrer toute cette affaire. Mais en quoi consiste cette accusation ? Il est allĂ©guĂ© que Julian discutait avec Chelsea Manning du piratage d'un mot de passe afin que Chelsea Manning puisse cacher son identitĂ©. Il ne s'agissait donc mĂȘme pas de s'introduire dans un systĂšme. Chelsea Manning avait dĂ©jĂ accĂšs aux documents.
Insider : Mais ne s'agissait-il pas d'un hachage de mot de passe pour permettre à Manning d'accéder plus facilement à un systÚme du Pentagone ?
Shipton : Non, ce n'est pas ce qui est allégué. Ce qui est allégué, c'est qu'il s'agit d'un hachage qui lui permettrait de cacher son identité. Elle avait déjà accÚs à l'ensemble du dossier. Et elle en avait déjà transmis la majeure partie à WikiLeaks. [L'acte d'accusation affirme qu'Assange a tenté d'aider Manning à déchiffrer un mot de passe crypté qui, s'ils avaient réussi, aurait permis à Manning de "se connecter à des ordinateurs sous un nom d'utilisateur qui ne lui appartenait pas".]
Insider : Mais mĂȘme cela - je ne pense pas que je le ferais jamais. Si quelqu'un se trouve Ă l'intĂ©rieur du systĂšme militaire d'un gouvernement Ă©tranger et que vous lui transmettez des informations pour l'aider Ă dissimuler ses traces, si je faisais cela, ce ne serait pas du journalisme.
Shipton : Comment protégez-vous vos sources ? Comment encouragez-vous vos sources à garder leur identité secrÚte ?
Insider : C'est à eux de décider.
Shipton : Diriez-vous âappelez-moi d'un tĂ©lĂ©phone publicâ ? Ou bien âutilisons une application de messagerie cryptĂ©e ?â
Insider : Je leur demanderais bien sûr d'utiliser l'application cryptée. Mais ce n'est pas comme les aider à obtenir des informations sans révéler leur identité à leur propre organisation sur les systÚmes internes de leur propre organisation.
Shipton : Si ce que le gouvernement prétend est vrai, alors les journalistes qui encouragent leurs sources à protéger leur identité en utilisant le cryptage ou d'autres méthodes - pourraient tous avoir des problÚmes par la suite.
Insider : Il me semble qu'il s'agit lĂ d'un terrain glissant. Je pense que l'on peut faire une distinction entre l'utilisation d'une application cryptĂ©e pour communiquer avec moi et âvoici quelques conseils sur la maniĂšre de dissimuler votre propre identitĂ© sur votre propre systĂšme, de la cacher Ă votre propre administrationâ.
Shipton : D'ailleurs, lâaccusation spĂ©cifie de toute façon qu'ils ont Ă©chouĂ©.
Insider : Oui, j'ai vu cela. Mais un élément essentiel de votre argumentation est que Julian est un journaliste. L'accusation de piratage et les révélations de Vault 7 me rendent sceptique quant à l'application de cette étiquette.
Shipton : Qu'en est-il de Vault 7 ?
Insider : Je sais que Vault 7 ne fait pas partie de l'acte d'accusation. Mais publier le code source des cyber-armes offensives d'un autre pays...
Shipton : Vault 7 a été publié autrement. Il n'a pas été publié tel quel. Il s'agissait davantage d'une analyse que d'une simple publication. Le problÚme avec ces outils de piratage, c'est qu'ils étaient déjà en circulation. C'est en partie ce qui a mis la CIA dans l'embarras, car elle avait perdu le contrÎle de ces outils. Ce que WikiLeaks et Julian ont fait, c'est le souligner.
Whish-Wilson : Julian a reçu la plus haute distinction journalistique en Australie pour ses révélations sur les rÚgles d'engagement. C'est pour cela qu'il est extradé.
Insider : Ces révélations étaient importantes.
Whish-Wilson : Le ministÚre de la Justice nous a déjà laissé entendre qu'il ne le considérait pas comme un journaliste. Il sera intéressant de voir comment ils vont tourner cela. [Le ministÚre de la justice a refusé de commenter].
Shipton : L'idĂ©e que WikiLeaks se contente de dĂ©verser des documents et de mettre ses sources en danger est fausse. Les personnes qui ont travaillĂ© avec Julian l'ont vu passer des heures Ă expurger des documents. Les cĂąbles du dĂ©partement d'Ătat n'ont Ă©tĂ© rendus publics dans leur intĂ©gralitĂ© par WikiLeaks qu'aprĂšs avoir Ă©tĂ© publiĂ©s par John Young de Cryptome. Dans le film de Laura Poitras sur WikiLeaks, Julian appelle le dĂ©partement d'Ătat pour l'avertir que les cĂąbles ont Ă©tĂ© publiĂ©s dans leur intĂ©gralitĂ© et que cela pourrait poser des problĂšmes. [Les cĂąbles non expurgĂ©s ont Ă©tĂ© publiĂ©s pour la premiĂšre fois par John Young, qui a pu y accĂ©der parce que WikiLeaks et le Guardian n'ont pas rĂ©ussi Ă les sĂ©curiser de maniĂšre adĂ©quate [ndlr Spirit : ces documents non expurgĂ©s ont Ă©tĂ© intentionnellement publiĂ©s dans un livre publiĂ© par deux journalistes du Guardian, dont lâun des titres de chapitre Ă©tait la clĂ© qui leur avait Ă©tĂ© confiĂ©e de maniĂšre confidentielle par Assange]. WikiLeaks a Ă©tĂ© le premier site Ă rendre les cĂąbles non expurgĂ©s consultables et largement accessibles - Spirit : faux, câĂ©tait Cryptome et les journalistes du Guardian -].
Le piratage du DNC et l'Ă©lection de 2016
Insider : Le gouvernement américain a conclu qu'Assange a aidé un gouvernement étranger à interférer avec une élection américaine.
Shipton : Je ne pense pas que ce soit le cas. Le rapport Mueller - le rapport Mueller non expurgĂ© - a donnĂ© raison Ă Julian. [Une version moins expurgĂ©e du rapport de Robert Mueller montre que l'avocat spĂ©cial a enquĂȘtĂ© sur WikiLeaks dans le cadre de la fuite des courriels du ComitĂ© national dĂ©mocrate. Ils ont dĂ©cidĂ© de ne pas inculper Assange].
Insider : Il est vrai que WikiLeaks a publié les courriels de John Podesta pendant la convention nationale du parti démocrate en 2016.
Shipton : Oui. Absolument.
Insider : En quoi cela ne constitue-t-il pas une tentative d'ingérence dans les élections américaines ?
Shipton : Le DNC a poursuivi WikiLeaks dans le district sud de New York. Le juge a estimĂ© que les informations Ă©taient d'intĂ©rĂȘt public, et que ce que WikiLeaks avait rĂ©vĂ©lĂ© tĂ©moignait en fait la corruption du DNC, qui avait truquĂ© le vote contre Bernie Sanders. [Le juge John Koeltl a estimĂ© que SI WikiLeaks avait obtenu les documents piratĂ©s auprĂšs d'agents de la FĂ©dĂ©ration de Russie, leurs actions Ă©taient protĂ©gĂ©es par le Premier Amendement].
Insider : Mais si vous avez des raisons de croire que l'information provient d'une opération de piratage menée par le gouvernement russe, qu'en faites-vous ? C'est une décision difficile à prendre.
Shipton : Les bons journalistes examinent les informations et se demandent si elles sont dans l'intĂ©rĂȘt du public. Si c'est le cas, qu'en faites-vous ? Certains se demandent plutĂŽt si cela correspond Ă leur affiliation politique.
Insider : Ou bien ils se demandent "qui est ma source et quelle est sa motivation" ?
Shipton : Pourquoi ?
Insider : De mon point de vue, l'identitĂ© de la source est un facteur de confusion. En 2016, j'ai reçu des courriels anonymes rĂ©digĂ©s dans un anglais approximatif et proposant ce qui semblait ĂȘtre des documents piratĂ©s. Je leur ai demandĂ© qui ils Ă©taient, s'ils pouvaient mĂȘme vĂ©rifier qu'ils Ă©taient dans ce pays.
Shipton : Mais personne n'a jamais dit que les informations du DNC Ă©taient fausses.
Whish-Wilson : Lâoptique de WikiLeaks est que si l'information leur est donnĂ©e et qu'elle peut ĂȘtre vĂ©rifiĂ©e, ils doivent Ă leurs sources de la publier. Ils ont dit que s'ils recevaient un dossier sur [Donald] Trump qu'ils pouvaient vĂ©rifier, ils le publieraient.
Insider : Selon certains rapports, WikiLeaks a adopté l'approche inverse lorsqu'il a reçu des dossiers sur le gouvernement russe.
Shipton : Il y a des dossiers sur le gouvernement chinois, le gouvernement russe, le gouvernement syrien. Tous sont consultables sur WikiLeaks.
Insider : Le rapport indique que la collaboration de WikiLeaks avec Novaya Gazeta a impliqué la rétention de nombreux documents qui auraient embarrassé le gouvernement russe.
Shipton : J'aimerais voir ce rapport. Je ne l'ai pas vu. Nous avons dû nous battre sur ce point. Beaucoup de gens pensent encore que Julian est responsable de l'élection de Trump. Comme il [Trump] n'est pas perçu comme un allié politique, ils pensent qu'il n'y a pas de mal à ce que les poursuites au titre de l'Espionage Act se poursuivent. Mais ces poursuites ne concernent pas Julian. Il s'agit de ce qu'il a publié. Ce précédent nous concerne tous.
Insider : Que pensez-vous de l'affirmation selon laquelle Assange porte une part de responsabilité dans l'élection de Trump ?
Shipton : Ce que cette publication a rĂ©vĂ©lĂ©, c'est que Bernie Sanders Ă©tait en tĂȘte des sondages. Qu'en est-il de James Comey, alors directeur du FBI ? Quand dites-vous qu'Hillary Clinton est responsable ? Ă quel moment regardez-vous votre propre parti et dites-vous âAĂŻe, on a merdĂ©, lĂ â ?
Insider : Est-il possible que les documents du DNC proviennent du gouvernement russe ?
Shipton : Julian a déclaré publiquement que la source n'était pas le gouvernement russe.
Insider : Mais comment pouvait-il savoir qui est la source dâorigine ?
Shipton : Je ne peux que reprendre ce qu'il a déclaré. Il a dit que ce n'était pas un acteur étatique. Je ne sais pas qui sont ces sources.
Insider : Je ne vous demande pas ce que vous savez ou non, mais ce que vous en pensez. Les agences de renseignement amĂ©ricaines sont nombreuses Ă conclure que c'est une opĂ©ration du gouvernement russe Ă lâorigine du piratage de ces documents.
Shipton : C'est Julian qui en sait le plus sur le sujet. Et je me fie Ă ce qu'il dit.
Insider : Si c'Ă©tait le gouvernement russe, pourquoi lui donneraient-ils des preuves ?
Whish-Wilson : Sauf s'il sait quâil sâagissait de quelqu'un d'autre.
Insider : Nous avons publiĂ© des articles basĂ©s sur un ensemble de documents provenant du groupe Wagner de Yevgeny Prigozhin au dĂ©but de l'annĂ©e, avec nos partenaires allemands. Les sources, comme le dĂ©crit notre article, prĂ©tendent ĂȘtre des hackers activistes ukrainiens. Nous n'avons aucune idĂ©e de leur identitĂ©. Il est trĂšs possible que les documents proviennent d'un acteur Ă©tatique. C'est beaucoup plus facile Ă dire qu'avec les courriels de la DNC. Nous ne sommes pas en terrain inconnu en raison de la dynamique du conflit ukrainien et des jugements que je partage sur le caractĂšre de Prigozhin et de Poutine. Mais la publication de piratages et de fuites anonymes n'est pas une question qui commence et se termine avec Assange. Ce sera une question rĂ©currente pour les journalistes dans les annĂ©es Ă venir.
Whish-Wilson : Tout à fait. Dans le cadre de mon travail au Sénat, je me suis penchée sur le blanchiment d'argent et d'autres questions liées aux investissements étrangers. Lors d'une émission télévisée sur les Panama Papers, on m'a dit que la CIA avait publié ces documents dans le but d'embarrasser les oligarques russes.
Insider : Poutine a prĂ©tendu la mĂȘme chose. C'est plausible. Et difficile Ă rĂ©futer.
Whish-Wilson : Qui sait ? Je viens de déclarer que je m'en fichais. Qui que ce soit qui l'ait obtenu, ce n'est pas mon affaire. Il y a là des preuves d'un univers parallÚle de blanchiment d'argent. Je ferai des observations à ce propos car il s'agit d'une question importante.
Insider : Le Guardian a rapportĂ© qu'il y avait des pourparlers pour exfiltrer Assange vers la Russie depuis l'ambassade d'Ăquateur. Est-ce exact ?
Shipton : Câest faux.
Insider : Cela ne s'est jamais produit ?
Shipton : Non, non, non. Je pense que les Ăquatoriens l'ont suggĂ©rĂ©, mais Julian a dit âpas questionâ.
Insider : Donc les Ăquatoriens en parlaient aux Russes, mais Julian n'Ă©tait pas intĂ©ressĂ© ?
Shipton : Je ne sais pas si les Ăquatoriens et les Russes ont communiquĂ© entre eux. Je me souviens qu'il y a eu une suggestion. Mais Julian a refusĂ©.
Insider : Pourquoi ?
Shipton : Julian est extrĂȘmement attachĂ© Ă ses principes. Il a Ă©galement reçu une offre de Trump, communiquĂ©e par Dana Rohrabacher, selon laquelle il serait graciĂ© s'il rĂ©vĂ©lait la source du matĂ©riel du DNC. Et il a refusĂ©.
Insider : Rohrabacher l'a nié.
Shipton : Jennifer Robinson, l'avocate de Julian, a publié une déclaration indiquant qu'elle était présente à la réunion, et que c'est ce qui s'est passé. Cette déclaration a été utilisée lors de la procédure judiciaire à Londres.
L'ambiance Ă Washington
Insider : Comment les choses se sont-elles passées pour vous à Washington ?
Whish-Wilson : Sur la colline [du Capitole], nous avons constaté une sympathie transcendant les clivages politiques. Certains ont été surpris que nous nous soyons rassemblés en tant que groupe multipartite, et qu'un fonctionnaire qui avait été embarrassé par les cùbles de WikiLeaks fasse maintenant pression pour la libération de Julian. Certains ont été horrifiés lorsqu'ils ont découvert qui nous avons pu rencontrer, un membre du CongrÚs comme Marjorie Taylor-Greene, par exemple.
Shipton : Dans l'ensemble, c'est positif. Je ne peux pas vraiment commenter les rĂ©unions auxquelles nous avons participĂ© avec l'administration, mais elles ne se sont pas trĂšs bien passĂ©es. [Un porte-parole du dĂ©partement d'Ătat a confirmĂ© qu'il y avait eu une rĂ©union avec la dĂ©lĂ©gation. Le ministĂšre de la Justice n'a pas immĂ©diatement rĂ©pondu Ă une demande de commentaire].
Insider : Ătes-vous optimiste quant Ă la possibilitĂ© de rĂ©soudre cette affaire sans procĂšs ?
Shipton : Personnellement, non. Je suis optimiste quant au soutien du CongrĂšs, mais je suppose que certaines personnes au sein de l'administration veulent continuer Ă faire pression. [Le secrĂ©taire d'Ătat Antony Blinken a dĂ©clarĂ© publiquement que Julian Ă©tait accusĂ© de graves dĂ©lits et que les Ătats-Unis vont continuer Ă le poursuivre. Pour l'instant, cela ne ressemble quâĂ une vengeance.]
Insider : Je ne suis pas certain que Biden soit personnellement déterminé à se venger. Si Biden faisait ce que vous voulez, il se mettrait en porte à faux avec un grand nombre de personnes avec lesquelles il doit travailler tous les jours.
Shipton : Je suis convaincu que ceux qui s'opposent Ă ce qu'il soit poursuivi sont beaucoup plus nombreux.
Whish-Wilson : Si l'on extrade Julian et qu'il est amenĂ© ici, cela revient Ă un procĂšs sur la libertĂ© de la presse. Les rĂ©dacteurs en chef des principaux journaux ont dĂ©jĂ Ă©crit au ministĂšre de la Justice pour lâappeler Ă abandonner les poursuites en se fondant sur les principes du Premier Amendement. Pourquoi se lancer dans un procĂšs international houleux sur la question de savoir si, en substance, le ministĂšre de la Justice criminalise le journalisme ? En tant qu'homme politique, je n'en verrais pas l'intĂ©rĂȘt. Vous pouvez gagner, mais vous perdez quoi qu'il arrive.
Shipton : S'il est extradé, les répercussions seront lourdes. Il y aura un tollé mondial et un contrecoup national de la part des journalistes.
Insider : Certains aimeraient-ils qu'un procÚs ait lieu ? Cela ne lui offrirait-il pas une tribune de taille pour exprimer son point de vue et une confrontation publique avec les autorités qu'il dénonce depuis une décennie ?
Shipton : Nous parlons de quelqu'un qui n'a pas vu un brin d'herbe depuis onze ans. Il est fort, mais il n'est pas invincible.
Mattathias Schwartz est correspondant en chef pour la sĂ©curitĂ© nationale chez Insider. Il peut ĂȘtre joint Ă l'adresse suivante : schwartz79@protonmail.com.