👁🗨 Joe Lauria : Que peut-on attendre d'un éventuel accord de plaidoyer en faveur de la libération d'Assange ?
Les États-Unis tentent peut-être de prolonger le calvaire d'Assange encore 14 mois, soit après les élections américaines de 2024, pour éviter un procès très médiatisé en pleine campagne électorale.
👁🗨 Que peut-on attendre d'un éventuel accord de plaidoyer en faveur de la libération d'Assange ?
Par Joe Lauria, Spécial Consortium News, le 3 septembre 2023
Les États-Unis tentent peut-être de prolonger le calvaire d'Assange pendant encore 14 mois, soit après les élections américaines de novembre 2024, pour éviter un procès très médiatisé en pleine campagne électorale.
Les hauts responsables américains ne s'entendent pas sur la question de Julian Assange. Mais que se passe-t-il vraiment ? demande Joe Lauria.
Il y a de quoi être perplexe. Le secrétaire d'État américain Antony Blinken, sur le sol australien, n'a laissé aucun doute sur les intentions de son gouvernement à l'égard de l'un des citoyens les plus en vue d'Australie.
“Je comprends les préoccupations et les opinions des Australiens”, a déclaré M. Blinken à Brisbane le 31 juillet, en présence du ministre australien des affaires étrangères. “Et je pense qu'il est essentiel que nos amis australiens prennent la mesure de nos préoccupations à ce sujet”. Il a poursuivi :
“Ce que notre ministère de la justice a déjà dit publiquement et à plusieurs reprises, est la chose suivante : M. Assange a été accusé de délits très graves aux États-Unis en raison de son rôle présumé dans l'une des plus grandes compromissions d'informations classifiées de l'histoire de notre pays. Si je le précise, c'est uniquement parce que, de la même manière que nous prenons en compte les sensibilités dans ce pays, il est essentiel que nos amis saisissent aussi les limites de tolérance des États-Unis”.
En d'autres termes, lorsqu'il s'agit de Julian Assange, l'élite américaine se soucie peu de ce que les Australiens ont à dire. Il existe des façons plus impolies de décrire la réponse de M. Blinken. Plus de 88 % des Australiens et les deux partis du gouvernement australien ont demandé à Washington de libérer cet homme. M. Blinken leur a essentiellement dit d'aller se faire voir ailleurs. Les États-Unis ne lâcheront pas l'affaire.
Quelques jours avant l'intervention de M. Blinken, Caroline Kennedy, ambassadrice des États-Unis en Australie et fille du président assassiné John F. Kennedy, a également fait fi des préoccupations des Australiens en déclarant sur les ondes d'Australian Broadcasting Corporation :
“J'ai rencontré les parlementaires qui soutiennent Julian Assange et j'ai pris connaissance de leurs préoccupations. Je sais que la question a été soulevée au plus haut niveau de notre gouvernement, mais il s'agit d'une affaire juridique en cours, et elle relève donc de la compétence du ministère de la Justice, mais je suis certaine que pour Julian Assange, cela signifie beaucoup de bénéficier d'un tel soutien, et nous allons devoir attendre de voir ce qui va se passer”.
Interrogée sur les raisons qui l'ont poussée à rencontrer les parlementaires, elle a répondu :
“Il s'agit d'une question essentielle qui, comme je l'ai dit, a été soulevée au plus haut niveau. Je voulais qu'ils me fassent part directement de leurs préoccupations afin de m'assurer que nous comprenions tous le point de vue de chacun, et cette conversation m'a semblé très utile”.
Lorsqu'on lui a demandé si sa rencontre avec les députés avait fait évoluer sa réflexion sur l'affaire Assange, Mme Kennedy a répondu sans détour : “Pas vraiment”. Elle a ajouté que “son opinion personnelle est sans objet sur cette affaire”.
Le retour de bâton
L'Australie s'est trop souvent laissée traiter comme un paillasson face aux États-Unis, au point de menacer sa propre sécurité en acceptant une politique américaine agressive à l'égard de la Chine, qui ne représente aucune menace pour l'Australie.
Mais cette fois, M. Blinken a eu droit à un rappel à l'ordre. Le Premier ministre Anthony Albanese a répété qu'il souhaitait que l'affaire Assange soit abandonnée. Certains membres du Parlement ont brusquement rendu la monnaie de sa pièce à M. Blinken.
M. Assange “n'est pas le méchant [...] et si les États-Unis n'étaient pas obsédés par la vengeance, ils abandonneraient les poursuites pour extradition dans les plus brefs délais”, a déclaré le député indépendant Andrew Wilkie à l'édition australienne du Guardian.
“L'allégation d'Antony Blinken selon laquelle Julian Assange risquait de porter gravement atteinte à la sécurité nationale des États-Unis est un non-sens total”, a déclaré M. Wilkie.
“M. Blinken n'ignore pas que les enquêtes menées aux États-Unis et en Australie ont conclu que les révélations de WikiLeaks n'avaient porté préjudice à personne”, a déclaré le député. “Les seuls comportements meurtriers sont le fait des forces américaines [...] révélées par WikiLeaks, comme l'équipage de l'hélicoptère Apache qui a abattu des civils irakiens et des journalistes de Reuters" dans la tristement célèbre vidéo "‘Collateral Murder’”.
Comme l'ont démontré de manière concluante les témoins de la défense lors de l'audience d'extradition de septembre 2020 à Londres, M. Assange a travaillé d'arrache-pied pour expurger les noms des informateurs américains avant les publications de WikiLeaks sur l'Irak et l'Afghanistan en 2010. Le général américain Robert Carr a témoigné lors de la cour martiale de la source de WikiLeaks, Chelsea Manning, que personne n'avait été lésé par la publication des documents.
Or, M. Assange risque 175 ans de prison dans un cachot américain pour avoir violé l'Espionage Act, non pas pour avoir volé des documents classifiés américains, mais pour les avoir publiés en vertu du Premier Amendement de la Constitution américaine.
Le député travailliste Julian Hill, qui fait également partie du groupe parlementaire Bring Julian Assange Home, a déclaré au Guardian qu'il avait
“un point de vue fondamentalement différent de celui exprimé par le secrétaire Blinken sur le fond de l'affaire. Mais j'apprécie qu'au moins ses remarques soient franches et directes”.
“Dans le même ordre d'idées, je dirais aux États-Unis : traitez au moins sérieusement les problèmes de santé de Julian Assange, et saisissez la justice britannique pour le sortir d'une prison de haute sécurité où il risque de mourir sans soins médicaux s'il devait être victime d'un nouvel accident vasculaire cérébral”, a déclaré M. Hill.
Limiter la casse
La réaction virulente de l'Australie aux remarques de Blinken et de Kennedy semble avoir pris Washington par surprise, tant ces derniers sont habitués à l'inertie de Canberra. Deux semaines seulement après les remarques de M. Blinken, Mme Kennedy a tenté d'atténuer le choc en brouillant les pistes de M. Blinken.
Elle a déclaré au Sydney Morning Herald, dans une interview publiée à la une le 14 août, que les États-Unis étaient désormais, malgré les propos sans équivoque de M. Blinken, soudainement ouverts à un accord de plaidoyer qui aboutir à la libération de M. Assange, lui permettant de purger une peine plus courte pour un crime moins grave dans son pays d'origine.
Selon le journal, il pourrait s'agir d'un “accord de plaidoyer à la David Hicks”, un “plaidoyer Alford”, dans lequel M. Assange pourrait continuer à clamer son innocence tout en reconnaissant un chef d'accusation moins grave lui permettant de purger une peine supplémentaire en Australie. Les quatre années que M. Assange a déjà passées en détention provisoire à la prison londonienne de haute sécurité de Belmarsh pourraient peut-être être décomptées de la peine prononcée.
M. Kennedy a déclaré qu'il appartenait au ministère américain de la justice de décider d'un tel accord. “Il ne s'agit donc pas vraiment d'une question diplomatique, mais je pense qu'il est tout à fait possible de trouver une solution”, a-t-elle déclaré au journal.
M. Kennedy a reconnu la sévérité des propos de M. Blinken. “Mais il y a un moyen de résoudre ce problème”, a-t-elle déclaré. “Vous lisez les journaux, tout comme moi”. mais ce qu’elle sous-entend par là demeure assez flou.
Blinken est le supérieur hiérarchique de Kennedy. Il y a peu de chances qu'elle ait parlé à tort et à travers. Blinken l'a autorisée à raconter l'histoire selon laquelle les États-Unis sont intéressés par un accord de plaidoyer avec Assange. Mais pourquoi ?
Tout d'abord, la réaction brutale de l'Australie aux propos de Blinken n'y est sans doute pas étrangère. Si, comme l'affirme M. Kennedy, le ministère américain de la justice est le seul à pouvoir engager des poursuites contre M. Assange, alors pourquoi le secrétaire d'État en parle-t-il ? Blinken semble s'être lui-même emporté, et a mandaté Kennedy pour atténuer ses propos.
Compte tenu de l'opposition croissante à l'alliance AUKUS en Australie, y compris au sein du parti travailliste au pouvoir, peut-être que Blinken et le reste de l'establishment sécuritaire américain ne considèrent plus le soutien de l'Australie comme un fait acquis. Blinken a mis les pieds dans le plat, et Kennedy a dû essayer de réparer les dégâts.
Ensuite, comme le soupçonnent de nombreux partisans d'Assange sur les réseaux sociaux, les propos de Kennedy pourraient avoir été conçus comme une sorte de stratagème, peut-être pour attirer Assange aux États-Unis afin qu'il abandonne son combat contre l'extradition en échange d'une certaine clémence.
Dans son article basé sur l'interview de M. Kennedy, le Sydney Morning Herald n'a interviewé qu'un seul expert en droit international, Don Rothwell, de l'Australian National University à Canberra, qui a déclaré que M. Assange devrait se rendre aux États-Unis pour négocier un plaidoyer. Dans une seconde interview à la télévision australienne, M. Rothwell a déclaré que M. Assange devait également renoncer à son combat contre l'extradition.
Bien entendu, ni l'un ni l'autre n'est vrai. “En général, les tribunaux américains ne statuent que si l'accusé se trouve dans le district et se présente au tribunal”, a déclaré l'avocat constitutionnel américain Bruce Afran à Consortium News.
“Cependant, rien ne l'interdit formellement non plus. Et dans un cas donné, un plaidoyer pourrait être déposé au niveau international. Je ne pense pas que ce soit un problème. Aucune loi ne l'interdit. Si toutes les parties y consentent, le tribunal est compétent".
Mais les États-Unis y consentiraient-ils ?
Si M. Assange renonçait à son combat judiciaire et se rendait volontairement aux États-Unis, Washington obtiendrait deux résultats :
éliminer le risque d'une injonction de la Cour européenne des droits de l'homme empêchant son extradition si la High Court de Londres rejetait son dernier appel, et
donner aux États-Unis la possibilité de “changer d'avis” une fois Assange entre leurs mains dans le palais de justice fédéral de Virginie.
“Les États-Unis trouvent parfois moyen de contourner ces accords”, a déclaré M. Afran. “La meilleure approche consisterait à plaider à partir du Royaume-Uni, et qu'une sentence supplémentaire de sept mois soit prononcée, comme pour David Hicks, ou qu'une année soit purgée au Royaume-Uni ou en Australie, ou encore qu'une peine de prison soit prononcée”.
Le frère de M. Assange, Gabriel Shipton, a déclaré au Herald que l'idée d'envoyer son frère aux États-Unis n'était même pas envisageable. Il a déclaré :
“Julian ne peut en aucun cas se rendre aux États-Unis”.
Le père de Julian Assange, John Shipton, a déclaré la même chose à Glenn Greenwald la semaine dernière.
Les États-Unis n'accueilleront donc pas Julian Assange sur leur sol de son plein gré, et peut-être pas de sitôt non plus. Et c'est peut-être ce qu'ils souhaitent. Gabriel Shipton a ajouté :
“Caroline Kennedy ne tiendrait pas ces propos si elle ne cherchait pas une issue. Les Américains veulent se débarrasser de ce problème”.
Enfin, il est possible que les États-Unis tentent de prolonger le calvaire d'Assange pendant encore au moins 14 mois, soit après l'élection présidentielle américaine de novembre 2024. Comme l'a dit Greenwald à John Shipton, la dernière chose que le président Joe Biden souhaiterait, en pleine campagne pour sa réélection l'année prochaine, serait un procès au pénal très médiatisé dans lequel on le verrait tenter de faire condamner à vie un éditeur pour avoir imprimé des secrets d'État américains compromettants.
Mais plutôt qu'une porte de sortie, comme l'a dit Gabriel Shipton, les États-Unis pourraient avoir à l'esprit quelque chose qui ressemble davantage à un long report.
Ce report pourrait se justifier par le fait que la High Court of England and Wales [Haute Cour d'Angleterre et du Pays de Galles] continue de prendre son temps pour accorder à M. Assange sa dernière audience - la dernière a duré 30 minutes - avant de rendre son jugement définitif, des mois plus tard, sur son extradition. Cette procédure pourrait s'étendre sur 14 mois. Comme Assange est un enjeu de la campagne électorale américaine, la High Court pourrait justifier son inaction en prétendant vouloir éviter toute interférence dans les élections.
Selon Craig Murray, ancien diplomate britannique et proche collaborateur de M. Assange, les États-Unis n'ont jusqu'à présent, malgré les propos tenus par M. Kennedy le mois dernier, proposé aucune sorte d'accord à l'équipe juridique de M. Assange. M. Murray a déclaré à la radio WBAI à New York :
"L'ambassadeur des États-Unis en Australie a laissé entendre qu'un accord était envisageable. C'est ce que le gouvernement australien préconise pour résoudre le problème. Ce que je peux vous dire, c'est qu'il n'y a eu aucune approche officielle de la part du gouvernement américain indiquant une quelconque volonté d'adoucir ou d'améliorer sa situation. Il semble que la position de l'administration Biden consiste toujours à persécuter et à détruire Julian, et à l'enfermer à vie pour avoir publié la vérité sur les crimes de guerre...”
“Il n'y a donc aucune preuve de la moindre crédibilité de la part du gouvernement américain dans les rumeurs qui circulent. Il semble qu'il s'agisse d'apaiser l'opinion publique australienne, favorable à plus de 80 % à l'abandon des poursuites et au retour de Julian dans son pays d'origine...
L'ambassadeur américain a évoqué la possibilité d'un accord de plaidoyer, mais ce ne sont que des inepties. Ce ne sont que des paroles en l'air. Il n'y a eu aucune approche ou indication de la part du ministère de la Justice ou quoi que ce soit de ce genre. Ce n'est tout simplement pas vrai. Il s'agit d'une fausse déclaration visant à apaiser l'opinion publique australienne".
M. Afran a déclaré qu'un accord de plaidoyer pouvait également être initié par la défense de M. Assange. L'avocate de M. Assange, Jennifer Robinson, a déclaré en mai, pour la première fois au nom de son équipe juridique, qu'ils étaient ouverts à la discussion sur un accord de plaidoyer, tout en précisant qu'elle n'avait connaissance d'aucun crime commis par M. Assange justifiant un plaidoyer de culpabilité.
Les États-Unis ont à leur disposition de multiples moyens de prolonger les pourparlers sur une éventuelle initiative en faveur d'Assange après l'élection américaine. Ensuite, le ministère de la Justice pourrait alors transférer Assange en Virginie par l'intermédiaire des tribunaux britanniques, si telle est la stratégie poursuivie par les États-Unis.
* Joe Lauria est rédacteur en chef de Consortium News et ancien correspondant aux Nations unies pour le Wall Street Journal, le Boston Globe et de nombreux autres journaux, dont The Montreal Gazette, le London Daily Mail et The Star of Johannesburg. Il a été journaliste d'investigation pour le Sunday Times of London, journaliste financier pour Bloomberg News et a commencé sa carrière professionnelle à 19 ans comme pigiste pour le New York Times. Il est l'auteur de deux livres, A Political Odyssey, avec le sénateur Mike Gravel, préfacé par Daniel Ellsberg, et How I Lost By Hillary Clinton, préfacé par Julian Assange. Il peut être contacté à l'adresse joelauria@consortiumnews.com et suivi sur Twitter @unjoe
https://consortiumnews.com/2023/09/03/whats-behind-talk-of-a-possible-plea-deal-for-assange/