👁🗨 Joe Lauria: Un vassal bien peu réticent
L'image de la justice britannique & la justice elle-même sont en jeu dans le cas d'Assange. S'il est extradé, le monde entier saura le rôle de la Grande-Bretagne dans cette tragédie & cette mascarade.
👁🗨 Un vassal bien peu réticent
📰 Par Joe Lauria 🐦@unjoe, Spécial Consortium News12 décembre 2022
Contrairement à l'Allemagne et à la France, par exemple, qui suivent parfois à contrecœur les ordres de Washington, la Grande-Bretagne est un coparticipant enthousiaste de l'aventurisme américain, affirme Joe Lauria.
Ce qui suit est la transcription d'un discours prononcé par Joe Lauria, rédacteur en chef du CN, lors du rassemblement Assange organisé dans le cadre de la Journée des droits de l'homme devant le consulat britannique à New York, samedi:
Randy [Credico] m'a demandé de faire une imitation de Fidel Castro en ce qui concerne la durée de mon discours. Et j'ai pas mal de choses à dire ici. Mais d'abord, parlons de ce bâtiment. J'avais pour habitude de venir ici chaque semaine pendant une dizaine d'années pour obtenir un briefing de l'ambassadeur britannique auprès des Nations unies, car dans ce bâtiment se trouve non seulement le consulat mais aussi la mission des Nations unies. Et j'ai été correspondant pendant 25 ans à l'ONU. J'ai donc eu un bon aperçu de la pensée de la diplomatie britannique, de son rôle dans le monde et de son influence.
Beaucoup de gens pensent, comme Randy, que le Royaume-Uni est une colonie des États-Unis. Je ne suis pas du tout d'accord. Les diplomates britanniques sont probablement les meilleurs au monde, tout comme leurs espions. Ils sont impliqués dans ce jeu depuis très, très longtemps.
Ce qui est clairement apparu au cours de mon observation de la diplomatie britannique, c'est qu'il est tout à fait manifeste, même dans le cas de Julian Assange, que le Royaume-Uni n'est pas un autre vassal des États-Unis comme l'Allemagne ou la France, qui suivrait à contrecœur les ordres venant de Washington [même lorsque ce n'est pas dans leur intérêt].
On a pu voir Macron faire du bruit. Il va voir Poutine à Moscou. Il parle d'une nouvelle architecture de sécurité pour l'Europe et puis que se passe-t-il ? La (députée du Bundestag) Sevin Dagdelen dit aussi des choses comme: “Nous n'allons pas envoyer d'armes en Ukraine”. [Macron est également allé au Kremlin. Vous n'avez pas vu Boris Johnson se rendre à Moscou. Au lieu de cela, il est allé à Kiev pour dire à Zelensky de ne pas négocier avec Poutine et que la guerre doit continuer].
En fin de compte, l'Allemagne a cédé aux États-Unis. Ils ont laissé le pipeline être détruit. La Grande-Bretagne a peut-être été impliquée dans cette destruction.
Nous n'en sommes pas certains, mais ce dont nous sommes sûrs, c'est que le gouvernement britannique, lorsqu'il a perdu son empire, lors de la crise de Suez, quand Eisenhower est intervenu et a tout arrêté, a réalisé qu'il valait mieux se joindre aux États-Unis pour gérer un empire commun. Et comme ils sont très malins, ils ne se contentent pas de recevoir des ordres des États-Unis, à mon avis.
Par exemple, lors de la première guerre du Golfe, souvenez-vous que Margaret Thatcher a déclaré publiquement à George H.W. Bush : "N'hésitez pas à attaquer Saddam Hussein." C'est le Premier ministre britannique qui s'adresse au président en public, lui disant d'avoir du cran, et d'attaquer l'Irak.
Lors de la deuxième guerre du Golfe, l'Allemagne et la France ont voté contre l'autorisation de l'invasion au Conseil de sécurité.
C'était l'un des rares cas où un soi-disant vassal européen a tenu tête aux États-Unis. De Gaulle, en retirant la France de l'OTAN, en est un autre exemple rare. Mais voilà que l'Allemagne et la France ont voté avec la Chine et la Russie pour contre l'invasion américaine de l'Irak en 2003. Devinez quel membre permanent a été le seul à voter avec les États-Unis ? [Du public : "Grande-Bretagne"] Très bien.
La Grande-Bretagne. Et pourquoi ? Parce qu'elle avait l'intention de se joindre à l'invasion de son ancienne colonie, l'Irak [Mandat britannique de Mésopotamie], depuis le début. Blair n'était pas le caniche de Bush, comme on le croit souvent. Les plans d'invasion étaient là, et ils y ont participé. Ils ne pouvaient pas le faire seuls. Ils avaient besoin des États-Unis avec eux. Je ne dis pas que la Grande-Bretagne a conduit l'invasion, mais ils ont eu un rôle égal dans la conduite de cette invasion.
Souvenez-vous du mémorandum de Downing Street. On parlait de Saddam pouvant lancer un missile à Trafalgar Square en 45 minutes, et toutes ces bêtises qu'on nous a racontées.
Pour en revenir à Julian Assange, il faut comprendre que ce journaliste est persécuté non seulement par les États-Unis, mais aussi par la Grande-Bretagne. Pourquoi ? Parce qu'ils veulent qu'il soit écrasé. Je parle de Whitehall. Ils veulent autant que les États-Unis qu'Assange soit écrasé pour avoir révélé des crimes d'État.
Ils ont participé activement à l'opération d'arrestation de Julian Assange à l'ambassade de l'Équateur à Londres. Et comment ont-ils fait ça ? On l'a appelée l'opération Pelican, ce qu’à rapporté Declassified UK.
Ces derniers jours, huit employés du Home Office et sept employés du Cabinet Office travaillaient sur une opération secrète visant à arrêter Julian Assange en avril 2019.
Le ministère de la Justice, celui même qui gère les tribunaux. Il ne veut pas dire si son personnel a participé à cette opération Pelican. Le Foreign Office a d'abord refusé de dire si ses locaux ont été utilisés pour l'opération, et ils ont menti. Un ministre junior du Foreign Office a menti au Parlement en disant qu'ils n'étaient pas impliqués. Et maintenant, il a été révélé que, oui, plusieurs agents du Foreign Office ont travaillé sur cette affaire.
Sir Alan Duncan, ancien ministre des Affaires étrangères pour les Amériques et l'Europe de 2016 à 2019, a dirigé la campagne britannique visant à forcer Assange à quitter l'ambassade. En tant que ministre au Parlement, il a fait connaître son opposition à Assange. Il a qualifié Julian Assange de "misérable petit ver" dans un discours à la Chambre des communes.
Dans ses journaux intimes, Duncan fait référence, je cite, "aux prétendus droits de l'homme de Julian Assange". Il admet dans son livre avoir organisé un article dans le Daily Mail, un article à charge sur Assange publié le lendemain de l'arrestation de Julian. Duncan a vu la police britannique sortir Julian Assange de l'ambassade de Londres depuis sa salle d'opération au Foreign Office.
Il a regardé la vidéo en direct, et ils portaient des cravates. Son équipe portait des cravates ornées des petits pélicans de l'opération Pélican. Ils ont pris un verre pour célébrer l'arrestation de Julian Assange. Ensuite, Theresa May, qui était première ministre à l'époque, a annoncé à la Chambre des communes qu'il avait été arrêté. Acclamations.
Je ne sais pas si elles venaiennt uniquement des députés conservateurs. Il aurait pu aussi y avoir des travaillistes. Je n‘en serais pas surpris. Quelques jours plus tard, Duncan s'est rendu en Équateur pour remercier le président Lenin Moreno, du nouveau gouvernement de l'Équateur qui a levé l'asile politique de Julian Assange. Il l'a remercié et lui a apporté une belle assiette en porcelaine de la boutique de cadeaux du palais de Buckingham.
Je tiens à dire que l'indépendance du système judiciaire britannique est en jeu dans cette affaire. Assange attend une décision de la High Court sur sa demande d'appel de l'ordre d'extradition, ainsi que sur certains aspects de la décision du tribunal de première instance. Le Lord Chief Justice Ian Burnett est le juge qui décidera d'accepter ou non cet appel. Et devinez quoi, Alan Duncan et le juge Burnett sont de bons amis.
Ils déjeunent ensemble. Ils fêtent leurs anniversaires ensemble. Donc nous voudrions bien savoir si le système judiciaire britannique est indépendant, ou non. Je vous dirai qu'il est clair que l'image de la justice britannique et la justice elle-même sont en jeu dans le cas de Julian Assange. S'il est extradé, le monde entier connaîtra le rôle de la Grande-Bretagne dans cette tragédie et cette mascarade.
Regardez le discours :
* Joe Lauria est rédacteur en chef de Consortium News et ancien correspondant aux Nations Unies pour le Wall Street Journal, le Boston Globe et de nombreux autres journaux, dont The Montreal Gazette et The Star of Johannesburg. Il a été journaliste d'investigation pour le Sunday Times de Londres, journaliste financier pour Bloomberg News et a commencé sa carrière professionnelle à 19 ans en tant que pigiste pour le New York Times. Il peut être joint à l'adresse joelauria@consortiumnews.com et suivi sur Twitter @unjoe.
https://consortiumnews.com/2022/12/12/the-unreluctant-vassal/